Avec « Penser l’après… » Jacques Fath, ancien responsable des relations internationales du PCF, livre une analyse sur l’ordre mondial. Et les pistes pour le changer.
Interview réalisée par Sébastien Madau, Rédacteur en chef.
L’actuel cadre des relations internationales
n’est pas des plus
réjouissants. Comment l’expliquer ?
Nous vivons une crise de grande ampleur,
une accélération de l’Histoire qui témoigne
d’un besoin de transformation sociale. Même
aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, des
expressions politiques traduisent cette attente.
Cela mérite réflexion.
Comment renverser la tendance qui
pour beaucoup semble irréversible ?
Nous nous devons de produire une analyse
critique des réalités avec la vision et l’ambition
d’une société nouvelle et d’un autre ordre
international. C’est une façon de s’identifier
comme porteurs d’avenir. C’est compliqué
car nous construisons pour demain tout en
vivant dans le temps politique de l’immédiat
et des solutions immédiates.
Quel aura été le plus grand fléau des
dernières décennies ?
Incontestablement – sur l’international –
les guerres : en Afrique, au Proche-Orient,
contre le peuple palestinien… Les conflits, les
inégalités, les humiliations, les dominations
ont créé un état de violence et d’insécurité
majeure pour les peuples et le monde. Du
coup, pour les communistes, les progressistes,
c’est toute une vie militante consacrée
à la solidarité, à la justice, à la démocratie,
à la paix.
Que serait une vision progressiste de la
sécurité du monde ?
Le terme de sécurité peut interroger. Mais
je crois à son bien-fondé dans un contexte
de crise. Il faut répondre en construisant de
la sécurité économique, sociale, écologique,
institutionnelle.
Cette insécurité mondiale n’est-elle pas
la conséquence d’un échec de l’ONU ?
Si l’ONU n’existait pas, je ne sais pas dans
quel monde nous vivrions. Elle reste un
cadre universel et légitime indispensable.
Elle devrait être réformée pour renforcer les
pratiques du multilatéralisme, empêcher son
instrumentalisation. L’ONU est en danger.
L’urgence est de la préserver.
« Il faut une rupture, mettant en cause jusqu’à l’existence même de l’Otan»
L’ordre mondial ne sera-t-il pas le même
tant qu’existera l’OTAN ?
Avec la chute du Mur, en 1989, on pouvait
penser à sa disparition. Mais les puissances
occidentales ont choisi de la conserver pour
faire valoir leurs intérêts stratégiques et leur
visées hégémoniques. En France, un gouvernement
dirigé par le PS s’est s’inscrit dans
cette logique de type néo-impérial. Sarkozy
avait engagé le processus de réintégration
dans l’organisation militaire de l’OTAN,
Hollande a entériné ce choix qui nourrit les
conflits et les ventes d’armes dans le contexte
international d’une course aux armements
qualitativement nouvelle. Il faut une rupture
mettant en cause jusqu’à l’existence de
l’OTAN.
En Syrie, la situation a échappé à tout
le monde, et l’heure est à l’urgence.
Effectivement. Nous sommes devant un
cumul de problèmes : pauvreté, despotismes,
corruption, déstabilisation sociale et institutionnelle,
expansion du terrorisme, fruit de
la crise et des guerres de domination. Et les
bombardements de la France, dans le cadre
de la coalition dirigée par Washington, ne
sont qu’une posture militarisée dans un
contexte préoccupant. C’est le multilatéralisme
onusien qui devrait être le cadre
des solutions et des négociations pour une
issue politique en Syrie, pour une réponse
sécuritaire régionale commune à l’offensive
du djihadisme armé. Devant de tels défis la
responsabilité collective devrait l’emporter
dans une concertation qui n’exclut personne,
ni la Russie, ni l’Iran.
Mais comment cultiver ce besoin de
sécurité en temps de paix ?
Penser l’après signifie construire les conditions
d’une Sécurité humaine (un concept
de l’ONU) et de développement social pour
tous. C’est parce que cette exigence a été sacrifiée
sur l’autel des intérêts de puissances
et des politiques néocoloniales que l’on se
retrouve devant des crises qui appellent des
réponses immédiates difficiles à mettre en
oeuvre. Les peuples paient cher les violentes
politiques d’exploitation et de domination
capitalistes. Plus les urgences se font pressantes,
plus elles poussent à penser l’après
pour construire une mondialité solidaire.
Cela impose un effort de créativité politique.
Cet été, les rapports internationaux se
sont portés sur la Grèce. Est-on éloigné
des problématiques de sécurité?
Pas du tout. Le rapport est même évident!
Nombre de pays sont placés sous ajustement
structurel c’est-à-dire sous conditionnement
néolibéral draconien. C’est le cas de la Grèce.
L’ultralibéralisme produit les conditions de
l’affaiblissement économique, du démantèlement
social, de la déliquescence des Etats.
Cela crée une prédisposition aux conflits.
L’Europe est touchée différemment du fait
de son niveau de développement et de ses
systèmes institutionnels. Mais chaque fois,
la logique de la déstructuration des sociétés
se met en marche lorsque les peuples, sous
contrainte extérieure, n’accèdent plus aux
moyens suffisants pour leur développement.
Depuis 1945, la question de l’armement
nucléaire a cristallisé les positions.
Pour le 70e anniversaire des bombardements
atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, on
attendait un vrai débat sur ces questions.
Il a été contourné. Durant la guerre froide,
la question était centrale. Aujourd’hui, elle
se pose différemment. Le nucléaire militaire
n’est pas une option pertinente dans
les crises actuelles. C’est un basculement
géopolitique. Nous avons deux raisons justifiant
le combat pour le désarmement et l’élimination
des armes nucléaires. D’abord, ces
armes font peser une menace existentielle
inacceptable, des risques d’accident redoutables
et une insécurité permanente. Elles
doivent être éliminées et interdites comme
les autres armes de destruction massives
chimiques et biologiques. Ensuite, les armes
nucléaires ont perdu de leur pertinence stratégique.
Elles sont censées garantir un statut
politique de puissance dominante. D’où la
crispation française sur la dissuasion. Cette
situation explique que 159 pays de l’ONU se
sont prononcés pour leur abolition. Ce n’est
pas rien !
Comment le communiste que vous êtes a
dû « penser l’après » chute du Mur ?
Il a fallu affronter l’échec des pays dits du
socialisme réel qui se voulait une alternative
au capitalisme. Mais les communistes français
avaient déjà évolué. Nous n’étions pas
totalement désarçonnés. Aujourd’hui, c’est le
système d’exploitation et le monde du capitalisme
qui montrent leur inefficacité structurelle,
leurs dérives antidémocratiques,
leurs violences insupportables. La chute du
Mur est un appel à dépasser les modes de
développement jusqu’ici expérimentés. Mais
nous devons faire face à ce que j’appelle la
crise de la pensée stratégique : une pensée
de la guerre, de la puissance et de l’exercice
de la force, aujourd’hui en échec. Mais l’enjeu
est plus global. Il porte sur la capacité à
répondre à tous les questionnements économiques,
sociaux, écologiques et mondiaux.
A changer le monde, en quelque sorte !
« Penser l’après… Essai sur la guerre, la sécurité internationale,
la puissance et la paix dans le nouvel état du monde»
Editions Arcane 17 / 2015
Infos sur https://
jacquesfathinternational.
wordpress.com/