Désarmement nucléaire : comment faire ?

Suite à la publication, sur ce blog, du texte  « Dissuasion nucléaire : pertinence ou obsolescence ? »,  deux personnes ont sollicité mon avis sur la question d’un désarmement nucléaire unilatéral de la France. Voici ma réponse.

Je pense qu’il faut une rupture. En tous les cas, il faut faire du désarmement, un but en soi et pas seulement un des facteurs de la paix, même si la finalité de la paix est d’une plus grande portée. L’interdiction de ces armes (comme les autres armes de destruction massive, chimiques et biologiques) et leur élimination doivent être ce but… Et ne jamais hésiter ainsi à définir un objectif tellement ambitieux qu’il paraît inatteignable ou utopique aux yeux de certains…

Je n’ai pas d’illusions. Je pense que l’utopie peut être mobilisatrice et fondatrice au sens où non seulement elle définit une perspective mais elle contribue à définir qui on est, quelles sont nos valeurs et notre projet en politique. La politique, me semble-t-il, est probablement cela d’abord : des choix et des volontés, une façon d’être et de s’engager. Alain Badiou a raison d’en appeler, contre la résignation, à une « philosophie de la volonté » qui ouvre à des possibles auxquels on ne croyait pas.

Alors comment faire ?

J’ai la conviction qu’il est nécessaire de définir un horizon, une perspective, un ordre mondial différent comme référence, c’est à dire un monde de paix et de sécurité. Sécurité pour les peuples et sécurité internationale et collective. Le désarmement est un but en soi et en même temps un processus, un moyen pour construire ce nouvel ordre mondial dont le besoin se fait manifestement sentir de plus en plus fortement dans les crises multiples et les tragédies d’aujourd’hui. Le désarmement nucléaire s’inscrit dans cette démarche.

Comment la France, comme puissance dotée de l’arme nucléaire, peut-elle y contribuer ? Les autorités françaises pourraient et devraient faire des gestes significatifs susceptibles de montrer une direction : élimination de la composante aérienne de la dissuasion, mises hors d’alerte… Il y a des actes techniques et politiques possibles pour signifier une volonté… et nourrir de cette façon un débat public sur la nécessité du désarmement nucléaire. Parce que les armes nucléaires sont un danger pour la civilisation. Et parce que ces armes ont perdu la centralité stratégique qui était la leur au temps de la Guerre froide.

Plus décisif, à mon sens : la France doit contribuer à la résolution politique des conflits et prendre des initiatives pour cela. Ces conflits, en particulier au Moyen-Orient, sont pour l’essentiel liés à des enjeux stratégiques et nucléaires. Il y a la question du nucléaire iranien en cours de solution… espérons-le. Il y a l’enjeu du nucléaire israélien, lié à la question de Palestine (voir dans ce blog la critique du No 782 de la RDN) et, là aussi, à celle du nucléaire iranien. Il y a, enfin, le risque d’une prolifération élargie à d’autres puissances (Arabie Saoudite, Egypte, Turquie…) en cas d’aggravation sérieuse de la situation régionale. Une France active pour faire baisser les tensions et contribuer, dans la durée, à résoudre les conflits…c’est un atout, un moyen pour le désarmement nucléaire. C’est une bataille politique à mener.

C’est en fait tout l’esprit et les réalités des relations internationales qu’il faut contribuer à transformer. C’est l’ensemble de la politique internationale et de défense de la France qu’il faut changer… Elle en a bien besoin.

Exiger un désarmement nucléaire unilatéral de la France serait-il moins utopique, plus crédible qu’obtenir une dynamique internationale et multilatérale ? Je ne le pense pas. La crispation française paraît bien une des plus déterminées dans le monde aujourd’hui. S’il n’y a pas de consensus national sur la dissuasion nucléaire (cela n’a jamais existé), il y a bien, en revanche, une convergence évidente des forces politiques majoritaires (droite et PS) pour la dissuasion dans le contexte d’un verrouillage d’ensemble du débat public sur la question. La dissuasion nucléaire est pour la France à la fois un tabou (on en discute pas) et un totem (on est prié d’y croire sans recul critique). Mais la possession de l’arme nucléaire, pour la France, est surtout, un choix politique : s’affirmer comme grande puissance à la table des grands. Et, pour cette raison, même des gestes possibles ne sont pas prêts d’être réalisés.

Vous semblez être convaincu(e) que le désarmement unilatéral de la France pourrait faire exemple. Mais comment dissocier la France de l’ensemble des autres puissances dotées de l’arme nucléaire ? Est-ce que la sécurité internationale peut se diviser ? Même si la France désarme unilatéralement, les risques et l’insécurité internationale majeure issus de l’existence même des armes nucléaires dans le monde, subsisteraient… y compris pour la France. Nous vivons, en effet, dans un monde où la pensée stratégique est dominée par la puissance comme moyen et comme finalité, par l’exercice de la force et par l’idée fausse que la guerre est une donnée immuable de la nature humaine… alors qu’elle est d’abord le fruit de stratégies et de choix politiques. Une telle décision unilatérale – qui ne concernerait d’ailleurs qu’une petite partie des armes sur la planète – risque d’être largement interprêtée comme une acceptation assumée d’affaiblissement stratégique et politique et non comme une avancée positive.

Je ne peux vous suivre sur l’idée d’un exemple et d’une dynamique qui seraient possibles à ce niveau d’enjeu, dans l’ordre mondial actuel. La France sortirait d’un processus de désarmement unilatéral sans que la menace nucléaire ne disparaisse, sans que les insécurités internationales se réduisent si peu que ce soit. C’est l’ordre mondial dans toutes ses réalités concrètes qu’il faut contribuer à transformer. C’est un enjeu global… C’est une bataille politique qui porte sur un ordre international directement et profondément structuré par le nucléaire militaire. Nous vivons le temps des défis globaux : défi de l’écologie,défi du développement, défi de la sécurité… Nos combats doivent en tenir compte.

Je reste persuadé de l’importance d’une bataille politique et populaire nationale, européenne et internationale pour l’interdiction et l’élimination des armes nucléaires. Et cela quelles que soient les différences de positionnement dès lors qu’on partage le but.

– Il faut briser le totem du nucléaire et le mur du silence, engager des campagnes et une information critique permanente en faisant ressortir le rejet de l’arme nucléaire par une immense majorité des États du monde. Les votes aux Nations-Unies le prouvent très nettement. Il est nécessaire de montrer en quoi la dissuasion nucléaire est en train de perdre sa pertinence stratégique dans le nouvel état du monde, post Guerre froide. Expliquer en quoi l’affirmation de la puissance comme facteur stratégique et politique central contribue à aggraver les choses. Elle est, en effet, consubstantielle des politiques hégémoniques qui, dans les crises d’aujourd’hui, aggravent les conditions de la sécurité. La délégitimation de la puissance comme concept dominant est une exigence de fond si l’on veut clarifier le débat et avancer dans la construction d’une autre conception de la sécurité dans un nouvel ordre mondial.

– Il me paraît nécessaire d’exiger que le désarmement nucléaire et l’élimination des armes nucléaires, fassent partie intégrante du débat stratégique proprement dit… Que cela soit considéré comme une option légitime sur le plan politique et parlementaire, et y compris chez les militaires qui sont eux aussi, à leur façon, en débat sur la question.

– Il faut faire converger les approches dites humanitaires de désarmement nucléaire (celles qui s’attachent en particulier aux conséquences d’une détonation) et les approches centrées plus spécifiquement sur les enjeux de sécurité internationale. Toutes les approches sont complémentaires. Elles ont leur pertinence et répondent à des nécessités convergentes.

Le nucléaire militaire dans la Revue Défense Nationale, été 2015, No 782. Sept remarques critiques.

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La Revue Défense Nationale (RDN) a publié un numéro intitulé « Le nucléaire militaire. Perspectives stratégiques » (No 782, été 2015). Dans un pays où le débat politico-médiatique sur la dissuasion nucléaire est traditionnellement verrouillé, une telle publication (plus de 200 pages) ne manque pas d’intérêt. Voici quelques appréciations critiques et réflexions personnelles.

1) Le débat n’est pas encore ouvert. Il semble que l’affirmation, en France et sur le plan international, d’approches contestant la légitimité du nucléaire militaire commence à obtenir de petits effets puisque plusieurs contributions s’inscrivent dans cette ligne de réflexion, et d’appel à l’ouverture du débat. On retient en particulier les contributions du Général Norlain et de Jean-Marie Collin. Cependant, 3 ou 4 textes critiques au total sur 37… c’est peu. Le débat n’est pas encore ouvert comme il devrait l’être. Il est regrettable qu’en cette année 2015, année du 70è anniversaire des bombardements américains sur Hiroshima et Nagasaki, une discussion plus large et plus contradictoire n’ai pas été tentée. Il est vrai, plus généralement, que cet anniversaire n’a pas été marqué, en France, par un débat public, politique et médiatique, suffisamment à la hauteur, sur les problématiques actuelles du nucléaire militaire. La RDN est dans un « main stream » officiel … bien français.

2) Trop peu de place à des approches innovantes. Le contenu de la revue reste globalement une illustration et une explication de la logique actuelle de la dissuasion nucléaire française. Ce n’est pas forcément inintéressant en soi – même pour ceux qui s’opposent à la dissuasion nucléaire – mais cela signe un choix d’orthodoxie officielle, et les critiques adressées aux politiques de désarmement sont quelque fois formulées avec un dédain qui frise l’arrogance (texte de B. Tertrais). Cela conforte le sentiment d’un blocage. Cette conformité politique laisse trop peu de place à des approches innovantes sur les enjeux de sécurité propres au nouvel état du monde, sur les questions touchant à l’affaiblissement de la pertinence de la dissuasion et des armes nucléaires, sur les moyens permettant les contournements de la dissuasion, sur le sort de la souveraineté dans le cadre otanien… Il n’y a guère que les contributions de François Géré, Jean Dufourcq, Alexis Baconnet et l’Amiral Francis Jourdier pour engager des réflexions non convenues. Ce n’est pas si mal mais si on veut « penser l’avenir » comme nous y invite l’Amiral Alain Coldefy (Directeur de la RDN) dans son avant-propos, alors, on ne peut échapper à un débat beaucoup plus incisif sur ces nouveaux enjeux de la sécurité internationale (voir dans ce blog : « Dissuasion nucléaire, pertinence ou obsolescence ? », 18 septembre 2015).

3) Une montée de la dépense nucléaire. La revue confirme un processus de renforcement et de modernisation des forces nucléaires de l’ensemble des pays qui en sont aujourd’hui officiellement dotés, mais elle comporte cependant une lacune qui concerne les États-Unis, les choix et leur stratégie nucléaire aujourd’hui. Une lacune étonnante que la très intéressante contribution d’Alexis Baconnet sur la défense antimissile (DAM), comme stratégie américaine anti-dissuasion, ne peut pas compenser.

Plusieurs textes affirment, de différentes manières, que le 21è siècle sera nucléaire. L’amiral Alain Coldefy souligne qu’on ne peut s’abstraire « d’une réalité prégnante qui perdurera tout au long du siècle ». Les choix nucléaires d’aujourd’hui – qu’ils soient politiques, stratégiques ou financiers – engagent donc les États qui les font pour une très longue durée. Philippe Wodka-Gallien – qui propose une substantielle présentation du numéro – note que la France est à un tournant en matière de politique de défense. La multiplication des missions « toujours plus exigeantes » et la modernisation des forces impliqueraient un programme important d’investissements, de remplacements d’équipements et de systèmes… « Tout cela dessine une force pour 2080 », dit-il … Les explications données ont le mérite de rappeler que le choix actuel de pérennisation de la dissuasion nucléaire signifiera mécaniquement « une montée de la dépense nucléaire ». On le savait déjà. Même le Chef d’état major des armées l’a déjà clairement dit au cours d’auditions parlementaires. Mais cette réalité d’un sérieux accroissement à venir des coûts de la dissuasion est pourtant largement évacuée du discours des autorités politiques françaises et du débat public. A l’heure où il est surtout question d’une « sanctuarisation » du budget de défense pour signifier que celles-ci ne doivent surtout pas diminuer… il est utile que cette question ne soit pas habilement dissimulée – y compris dans l’invocation récurrente d’un consensus politique national qui n’existe pas. Les autorités françaises savent et prévoient donc que leurs choix d’aujourd’hui pour la dissuasion nucléaire augmenteront leurs dépenses de façon substantielle. Or, des choix qui engagent notre pays sur la longue durée, pour des orientations politiques et stratégiques majeures ne peuvent être effectués sans qu’il fassent l’objet d’un grand débat public et populaire, y compris au sein de la représentation nationale afin que toutes les options, propositions et alternatives puissent être mises sur la table, y compris celles des opposants à la dissuasion. Ou alors, il faudrait admettre que le pouvoir exécutif pourrait exercer sa responsabilité sans le peuple, voire contre lui.

4) Aller au bout des grandes questions de notre période. Plusieurs contributions insistent sur une sorte de portée « globale » du nucléaire militaire : une portée économique, industrielle, technologique… avec une capacité « à tirer vers l’excellence » grâce à l’effet d’entraînement sur la recherche-développement (R-D). Ce constat a sa crédibilité puisqu’il n’y a pas de séparation imperméable – pour formuler les choses rapidement – entre les dimensions civiles et militaires de l’industrie et de la R-D. Mais l’excellence peut être aussi le fruit des activités civiles, de la créativité et du travail de l’ensemble des secteurs civils. L’excellence n’est pas le produit privilégié du militaire… Mais le problème essentiel n’est pas là.

Cette portée plus générale du nucléaire militaire rappelle que celui-ci contribue à une cohérence globale – si l’on peut dire – de toute la défense (notamment par les technologies et les équipements à double usage : nucléaire et conventionnel), mais aussi de l’ensemble de l’industrie. Ajoutons que le nucléaire contribue aussi à formater politiquement et institutionnellement un régime de pouvoir. Il implique une centralisation et une personnalisation de l’exécutif et de la prise de décision contre l’exigence démocratique. Il impose une conception stratégique et une culture politique fondées prioritairement sur la puissance et sur l’exercice de la force. Le nucléaire militaire, ce n’est pas seulement de la recherche, de la technologie et de l’industrie… C’est le moyen d’une unilatérale raison d’État et celui d’une affirmation de puissance. C’est un moyen de domination qui permet de structurer un certain ordre international aujourd’hui particulièrement hiérarchisé, conflictuel et inégal…mais en crise. Comment la France pourrait-elle jouer un rôle différent et ne plus contribuer à cet ordre des puissances ? On aurait aprécié un débat sur cette question de la crise de l’ordre international alors que toutes les guerres occidentales depuis la chute du mur ont conduit à des échecs, des déstabilisations élargies, sans rien régler des problèmes – sociaux et politiques – du monde actuel. Cette crise de l’ordre international est aussi une crise de la pensée stratégique dominante qui est d’abord une pensée de la guerre, de la force et du militaire. Une pensée politique qui se nourrit du nucléaire militaire et de la dissuasion. Poser la question du désarmement nucléaire et de l’élimnation des armes nucléaires, c’est donc poser aussi celle d’un nouvel ordre international et d’un nouveau mode de développement économique, institutionnel et politique… Il faut aller au bout des enjeux et des grandes questions qui surgissent de notre période.

5) Le désarmement comme facteur de sécurité et de stabilité. Rien n’indique qu’un monde dénucléarisé serait plus sûr, écrit Ph. Wodka-Gallien. Il ajoute que la dissuasion a un effet stabilisateur des relations internationales. Olivier Kempf, dans le même esprit, va jusqu’à prétendre que la terreur serait facteur d’équilibre et source de stabilité. Evidemment, cela fait débat. Ces affirmations évacuent le fait que la dissuasion n’est pas seulement l’emploi impossible des armes nucléaires puisqu’elle est, en effet, tout autant la menace de leur emploi… Ces affirmations minimisent aussi les dérives vers des armes nucléaires dites tactiques ou préstratégiques considérées comme utilisables en certaines circonstances. Enfin, elles font trop de silence sur les risques d’accidents (il y en a eu de nombreux dans l’histoire…). La dissuasion n’est qu’une théorie abstraite et l’histoire concrète du 20è siècle ne nous apprend pas que la sécurité internationale est un patrimoine garanti par l’existence des armes nucléaires. Ce qui fait problème, en réalité, c’est le refus de penser le désarmement comme un processus politique et social nécessaire et complexe. Ce n’est pas seulement, en effet, une volonté d’éliminer des armes, de réduire des arsenaux…même si de simples diminutions chiffrées constituent en soi un réel progrès. Désarmer c’est, dans la pratique, un effort pour passer de l’unilatéralisme, du choix préalable de la force, de la course aux armements et de l’expression de la puissance… à des formes de négociations, de multilatéralisme, de confiance mutuelle. Cela signifie inévitablement changer l’esprit et la configuration de l’ordre international et social. Ce n’est pas une simple comptabilité de missiles, de charges et de systèmes. C’est une construction politique. C’est un choix de responsabilité dans une autre définition de l’avenir et des relations internationales. Le désarmement, notamment nucléaire, ne règle pas tout, mais il est un facteur de sécurité, d’équilibre et de stabilité, bien davantage que cet oxymore consternant de « l’équilibre de la terreur ».

6) Le désarmement nucléaire est une obligation. Une remarque à propos de Traité de Non Prolifération (TNP) : Ph. Wodka-Gallien est un des seuls à aborder cette question avec François Géré qui souligne à juste titre la contradiction qu’il y a à insister sur la non-prolifération sans pour autant agir en faveur du processus d’élimination des armes nucléaires pourtant effectivement prévu à l’article 6 du TNP. Pour Ph. W-G, le TNP n’impose cependant « ni engagement concret des États dotés d’armes nucléaires et adhérents au TNP, ni mesures de vérification »… Certes, mais le TNP reste un engagement politique et juridique. Il est dangereux de relativiser la portée de ce texte qui pèse en permanence comme un rappel solennel, une exigence légale qui s’impose à tous ses signataires. Quant au rapport avec les États non signataires, donc non liés par le traité, nous dirons que nul État membre de l’ONU ne peut se soustraire à sa propre responsabilité et refuser de s’incliner devant la Charte qu’il a signé et qui met la paix et la sécurité internationale au centre des buts et des principes des Nations-Unies. Il est aujourd’hui difficile de penser la sécurité internationale et la responsabilité collective sans inscrire le désarmement (même si le mot n’est pas dans la Charte) et l’élimination des armes nucléaires (voire leur interdiction), comme une priorité de l’agenda international. Ni le TNP, ni la Charte des Nations-Unies ne peuvent être considérées comme des textes aux effets facultatifs, lointains ou incertains. Il n’y a pas de multilatéralisme sans ambition et sans contraintes politiques et/ou juridiques. Le désarmement nucléaire est une ambition et une une obligation.ĺ

7) Israël et les « 3i »… Pierre Razoux signe une contribution concernant Israël. Le texte est centré sur la problématique de la posture nucléaire israélienne : poursuite de la doctrine d’ambiguïté délibérée (ni confirmation, ni démenti de la capacité nucléaire), ou bien reconnaissance officielle d’une capacité de dissuasion. En fait, l’ambiguïté ne peut plus porter sur les capacités elles-mêmes. Il est devenu évident, en effet, que Tel Aviv possède un arsenal nucléaire substantiel. Même des officiels israéliens l’ont confirmé. Parfois en rappelant l’aide initiale secrète mais décisive de la France dès les années cinquante, pour qu’il en soit ainsi. Si ambiguïté il y a, celle-ci porte sur la nature de la stratégie adoptée. Le silence entretenu sur la doctrine – si on peut parler de doctrine – permet de s’autoriser toute forme de dissuasion et d’emploi éventuel. Le nucléaire israélien est un moyen de domination et d’accompagnement de la stratégie permanente de l’État d’Israël, de sa politique d’occupation militaire et de colonisation du territoire palestinien. Puisqu’une telle politique suscite une hostilité dans le monde arabe et au delà, les capacités nucléaires israéliennes sont présentées comme une garantie de sécurité. Mais on ne peut pas séparer la question de la sécurité et la politique israélienne vis à vis des Palestiniens. On devrait dire que la politique nucléaire donne la garantie militaire d’une capacité israélienne à continuer l’expansion coloniale et la dépossession nationale de tout un peuple quel que soit le contexte régional. Et cela passe en même temps par le mépris systématique du droit international et des résolutions de l’ONU. Il est regrettable que la contribution de Pierre Razoux ne rappelle pas cette réalité qui est à la racine des crises, des guerres et des violences depuis si longtemps, pour ne pas dire depuis la création de l’Etat d’Israël. Le nucléaire israélien trouve une synthèse dans ce qu’on pourrait appeler « les 3i », comme Invulnérabilité, Impunité et Irresponsabilité.

– Invulnérabilité pour garantir non pas l’existence de l’État d’Israël mais la possibilité pour cet Etat à imposer sa politique coloniale. L’existence de l’Etat d’Israël n’est sérieusement menacée par personne, Iran compris. L’accord sur le nucléaire conclu entre l’Iran et les 5+1 (= P5 + Allemagne), témoigne de la rationalité des choix politiques de Téhéran, au delà des échanges rhétoriques et des inacceptables formules antisémites qui, il est vrai, n’ont pas manqué au temps d’Ahmadinedjad…

– Impunité parce qu’il faut être une puissance incontestée – en l’occurence pas seulement nucléaire – pour pouvoir bafouer si longtemps, autant de principes et de règles du droit international, autant de conventions et de résolutions de l’ONU sans risquer la moindre représaille, avec le soutien des États-Unis, de la France et de quelques autres puissances qui se font les garants de cette scandaleuse immunité.

– Irresponsabilité car l’actualité brulante annonce les impasses d’une telle politique que le gouvernement Netanyahou s’acharne pourtant à vouloir poursuivre. Le peuple palestinien est au bout de ce qu’il peut supporter. La violence tend à investir tout l’espace tandis que Netanyahou fait le choix de la force pour une répression sans limites. On peut craindre à terme des embrasements plus graves encore tant que les questions de la souveraineté et de la justice pour le peuple palestinien n’auront pas obtenu les réponses sérieuses et durables indispensables. Il est dommageable et préoccupant que cet enjeu de la responsabilité ne soit ni mis au centre du débat public, ni pris en compte au niveau où il faut dans les politiques de la plupart des États concernés, notamment parmi les membres permanents du Conseil de Sécurité.

Cette question du nucléaire israélien rappelle que le désarmement nucléaire est intimement lié à l’effort nécessaire de résolution des conflits, en particulier cette dramatique confrontation sur la question de Palestine qui témoigne à quel point le courage politique n’est pas la première vertu de ceux qu’on appelle des puissants.

Une dernière question : le choix d’accorder dans ce numéro de la RDN une tribune particulière à un seul parti, Europe Ecologie Les Verts (EELV), à l’exception de toute autre contribution de forces politiques est discutable. Pourquoi ne pas ouvrir la RDN – d’une façon ou d’une autre, mais dans le pluralisme – à toutes les forces politiques… et sociales ? Les syndicats, les ONG, les mouvements de lutte pour la paix et le désarmement, cela compte aussi.