Cette note est une première approche de réflexion et d’hypothèses sur la politique internationale et de défense de Donald Trump. Elle est rédigée alors que le Secrétaire d’État des États-Unis, qui aura en charge les relations internationales de l’administration américaine, n’est pas encore nommé. Ce texte ne traite que les aspects liés à la politique étrangère et de sécurité, et n’aborde pas – sauf par quelques courtes allusions – les questions économiques et environnementales et les enjeux intérieurs.
Son élection fut une surprise, tellement les médias – et pas seulement eux – ont nourrit comme une évidence, et dans une grande partialité, la victoire d’Hillary Rodham Clinton (HRC). La faute aux sondages semble avoir bon dos, mais il est vrai que HRC a devancé Donald Trump (DT) de plus de 2 millions de voix…
Peut-on s’étonner, cependant, de devoir constater que le système politique et médiatique existant n’ait pas intégré comme possible la victoire d’un candidat à la fois porteur d’un discours incendiaire, et porté par les conséquences sociales d’une crise majeure questionnant le système étatsunien lui-même, et jusqu’à la nature de l’ordre mondial. Dans le quotidien britannique The Guardian (09 11 2016), Naomi Klein () l’exprime très bien. « Voici, écrit-elle, ce que nous devons comprendre : beaucoup de gens souffrent. A cause des politiques néolibérales de dérégulation, privatisation, austérité et de libre-échange des entreprises, leur niveau de vie a décliné précipitamment. Ils ont perdu leur emploi. Ils ont perdu leur pension de retraite. Ils ont perdu beaucoup de la sécurité qui rendait ces pertes moins effrayantes. Ils voient le futur de leurs enfants encore pire que leur présent précaire. En même temps, ils ont constaté la montée de la classe Davos, un réseau hyper-connecté de banquiers, de milliardaires de la technologie, de leaders élus terriblement à l’aise dans ce type d’intérêts, et, avec tout ça, des célébrités hollywoodiennes insupportablement glamour. Le succès est une fête à laquelle ils n’ont pas été invités, et ils savent au fond d’eux mêmes que la croissance de la richesse et du pouvoir est quelque part directement liée à leur dette croissante et à leur pauvreté. Pour les gens qui considèrent leur sécurité et leur statut comme un droit de naissance – et cela veut dire les hommes blancs particulièrement – ces pertes sont inacceptables. Donald Trump s’est adressé directement à cette souffrance. »
Affirmation nationaliste et monde global
On ne peut pas essayer de saisir ce que sera – ou risque d’être – la politique étrangère et de défense de DT si on ne comprend pas quel fut le moteur essentiel de sa victoire électorale. Il faut donc quitter l’ordre de la polémique pour mesurer les logiques à l’œuvre. Celles-ci sont réellement difficiles à identifier tellement DT a multiplié les formulations inconséquentes et les déclarations contradictoires. Il a évacué certains dossiers (l’Afrique par exemple et tant d’autres questions concernant d’autres continents…). Il a manié une rhétorique anti-système et passablement démagogique en fonction des gains électoraux espérés. La politique annoncée était donc difficilement identifiable… Ce qui ouvre sur une situation internationale inédite.
Il n’est pas impossible, malgré tout – il est même nécessaire – de distinguer, au delà des critiques compréhensibles visant un langage politique très inconstant, quelques lignes de force et une certaine cohérence. Un petit nombre de slogans de campagne connus, lapidaires mais significatifs, cristallisèrent un esprit ou un sens politique global. D’abord « Make America great again »… C’est une expression datant de 1979, reprise de Ronald Reagan. Ensuite, « America first », qui devrait être – selon Trump lui-même – le thème majeur prioritaire de son administration. Ce slogan date de 1920… Enfin, dans un discours de référence sur la défense (), il place au centre de sa politique étrangère trois mots qu’il qualifie de cruciaux : Peace Through Strength (la paix par la puissance).
Ces formules doivent être considérées hors des innombrables commentaires qui les ont associées à un nouvel isolationnisme touchant à la politique étrangère et à la défense, et à la nature d’ensemble de la politique internationale des États-Unis. La réalité est beaucoup plus complexe. Selon bien des commentateurs, serait isolationniste toute politique non assortie d’un engagement très clair en faveur d’une implication internationale directe et d’un interventionnisme militaire au nom d’un certain messianisme, et des « valeurs de l’Amérique ». La formule « America first » suggérerait donc à l’inverse une conception étroite ou resserrée des intérêts des États-Unis dans le monde, de leur politique étrangère et de leurs intérêts de sécurité. Cette interprétation, quelque peu simpliste, ne donne pas à voir la réalité. Celle-ci ne se situe pas dans une opposition entre globalisation d’une part et nationalisme/isolationnisme, d’autre part. La réalité est plutôt celle du processus contradictoire et des paramètres d’une affirmation nationaliste dans un monde global.
Trump, en effet, n’est pas un interventionniste « messianique » décidé à multiplier les guerres à l’extérieur – nous y reviendrons – mais il n’a jamais dit que les États-unis se replieraient sur eux-mêmes ou bien qu’il allait « retirer les États-Unis des affaires du monde » (). Et cela devrait se vérifier. Dans une formulation remarquée (), il a souligné : « Je n’hésiterai pas à déployer la force militaire lorsqu’il n’y a pas d’alternative. Mais si l’Amérique livre bataille, elle ne doit livrer bataille que pour gagner ». Cette formulation du discours de Washington est une claire allusion aux guerres sans fin (« endless wars »), aux chaos et aux échecs mal assumés par HRC et par Barak Obama. Dans une allocution consacrée au terrorisme et aux questions de sécurité internationales prononcée dans l’Ohio, DT n’hésite pas à dire : « la montée de l’État islamique est le résultat direct des décisions politiques du Président Obama et de la Secrétaire Clinton » (). Dans son discours de Philadelphie, DT a aussi beau jeu de dénoncer une Libye en ruine, une Syrie dans le désastre d’une guerre civile, une Egypte en proie au terrorisme, un Irak dans le chaos… Il accuse même HRC d’avoir laissé faire Daech en Libye, faute d’intervention. Il aurait dû cependant aussi rappeler – ce qu’il omet de faire – la lourde responsabilité de G.W. Bush dans cette tragique réalité, en tous les cas pour l’Irak et la guerre de 2003, moment décisif de déstabilisation régionale et dans le développement du djihadisme actuel. Trump dénonce avec force les guerres de B. Obama et de H. Clinton mais il ne se présente pas comme un « sheriff » réticent ou hésitant. Le New York Times (), d’ailleurs, s’est inquiété de voir que nombre de postes de haute responsabilité autour du Président élu pourraient finalement être occupés par des militaires, des officiers généraux, ce qui donneraient à la nouvelle administration un caractère nettement plus agressif que celle de Barak Obama.
Trump définit et caractérise avec beaucoup plus d’insistance qu’Obama et son administration, un ennemi à combattre () : Daech, et Daech seulement puisque la Russie, passée au stade de partenaire possible, ne devrait plus, logiquement, être considérée comme une menace à la sécurité internationale par Washington. Trump assimile l’Organisation de l’État islamique – ou bien la lie directement – à l’Islam et aux Musulmans, parfois sans le moindre recul, sans la moindre différenciation. « Il y a un sérieux, sérieux problème avec les Musulmans, et il faut s’en occuper… », dit-il lors d’une grande interview au Washington Post (02 03 2016). Nul doute qu’avec Michael Flynn, nommé dès après l’élection comme Conseiller à la Sécurité nationale, il aura trouvé quelqu’un pour l’aider à « s’en occuper ». Flynn est connu pour être un anti-Islam déclaré et virulent. C’est un Général, ancien Directeur de l’Agence du renseignement militaire (DIA), ayant acquis une grande expérience dans les guerres au Moyen-Orient et en Afghanistan. On peut évidemment s’interroger et redouter qu’une politique explicitement et fortement islamophobe n’alimente encore la montée du djihadisme et de islamisme politique radical. Comme s’il fallait entretenir l’existence de l’ennemi ainsi désigné…
Le choix fondamental de Trump n’est donc pas un retrait isolationniste au sens où les États-Unis manifesteraient une forme de renonciation par choix, ou de pusillanimité par contrainte, à l’implication internationale et à l’exercice de la force. Il s’agit de bien autre chose : une conception néo-impériale totalement fondée sur la reconstruction d’une puissance militaire « incontestée », une puissance capable de s’imposer d’elle-même à tous, sans conditions d’alliances préalables. On est dans un unilatéralisme qui se rapproche de la doctrine élaborée dès les premières années de la présidence de G. W. Bush.
On remarque une évidente parenté politico-stratégique avec la façon dont l’administration Bush définissait sa propre stratégie, après le 11 septembre, et dans le contexte existant quelque dix années après la chute du mur et l’écroulement du bloc de l’Est : recherche d’une nouvelle relation stratégique avec la Russie (avec un rapprochement Bush/Poutine), augmentation spectaculaire du budget défense, traitement distancié de l’OTAN, relativisation du rôle de celle-ci et transformation de cette alliance en réservoir de capacités militaires additionnelles ou de « boîte à outils ». Une boîte à outil dans laquelle les États-Unis iront puiser des moyens, selon leurs besoins, pour des opérations militaires dirigées par eux. Et à la tête, éventuellement, de coalitions de circonstances non institutionnalisées. A cette époque, il est aussi question d’une modernisation et d’un renforcement de l’arsenal nucléaire, avec un débat sur une « banalisation » de l’arme nucléaire, c’est à dire sur une dangereuse stratégie d’emploi possible de cette arme dans un conflit… Cette évolution aboutissant à une forme de « banalisation » par effacement de la frontière entre guerre nucléaire et guerre conventionnelle. Cette banalisation de l’arme nucléaire a comme conséquence une mise en cause de la théorie de la dissuasion au sens « strict » (), si l’on peut dire. Elle est encore liée à un autre débat qui se développe alors, concernant la pertinence du régime de non-prolifération, et de l’engagement des États-Unis vis à vis du Traité de non-prolifération (TNP). On retrouve aujourd’hui, avec l’élection de Donald Trump, toutes ces questions, toutes ces « marques » qui caractérisent une politique.
Relance de la puissance militaire américaine, définition d’un unilatéralisme stratégique, mise en cause de l’ONU et du multilatéralisme, mise à l’écart des contraintes institutionnelles liées aux traités et aux engagements internationaux… L’ensemble de ces options de la doctrine Bush réapparaissent bien dans les annonces de Trump. Et déjà, au début de la présidence Bush, les Européens faisaient un diagnostic inquiétant quant aux orientations de la politique américaine. Aujourd’hui, une même inquiétude n’a pas cessé de se manifester en Europe depuis la victoire de Donald Trump à la présidentielle.
Tout cela permet de comprendre le rejet des accords multilatéraux, des traités et des organisations internationales, confirmé à maintes reprises par Trump. C’est le refus de la gestion collective, de ses contraintes et de ses coûts. Il ne s’agit pas d’isolationnisme (). C’est le prolongement direct de « l’America first », c’est à dire l’affirmation d’une puissance dont les intérêts et les choix s’imposent au monde par la vertu prioritaire et brutale des rapports de force.
Un « recalibrage » de la politique étrangère des États-Unis.
L’ordre mondial selon Trump serait donc à la fois la prééminence abrupte et « décomplexée » des politiques de puissance qui s’imposent aux plus faibles, avec le cynisme des ententes et des rivalités entre les plus forts. A peine élu, DT semble d’ailleurs vouloir établir des relations diplomatiques « normalisées » notamment avec le Japon et même, dans un premier temps, avec la Chine, bien loin des discours acrimonieux et polémiques de campagne… mais cette figure classique de la diplomatie entre grands acteurs ne règle évidemment aucun des problèmes stratégiques et économiques existants. Y compris ceux relatifs à la question cruciale des concurrences et des confrontations en matière de commerce et d’investissements sur le plan international, notamment en Asie. Y compris concernant le sort du « pivot » stratégique d’Obama et la priorité accordée ainsi au défi posé par la puissance chinoise et par la nécessité d’établir avec cette grande puissance une relation d’intérêt commun. La forte tension politique américano-chinoise ayant suivi la retentissante conversation téléphonique entre Trump et Tsai ing-wen, Présidente de Taïwan, éclaire cependant un des aspects complexes de la politique extérieure du Président américain nouvellement élu.
Naturellement, nul ne peut croire à la fable selon laquelle Trump se serait contenté de décrocher le téléphone afin de répondre à l’aimable appel de Madame Tsai. La conversation téléphonique en cause est un choix politique dont la concrétisation a été minutieusement préparée. D’ailleurs, on ne voit pas comment la Présidente de Taïwan aurait pu s’aventurer à appeler Trump sans savoir à l’avance qu’une telle conversation était possible, souhaitée… et proposée. La question posée porte sur le sens réel de cet échange téléphonique. Que dévoile-t-il ?
Il serait d’abord inapproprié d’affirmer qu’à Washington la prochaine administration décidera de reconnaître la République de Chine et d’établir ainsi des relations officielles avec Taïwan. Ce n’est pas ce que Donald Trump a dit. En diplomatie, même pour Trump, les mots sont importants. DT a clairement affirmé dans une interview sur la chaîne Fox News Channel : « je comprends fort bien la politique d’une seule Chine, mais je ne sais pas pourquoi nous devrions nous conformer à cette politique d’une seule Chine, sauf si nous parvenons à un accord avec la Chine sur d’autres questions, y compris sur le commerce » ().
Sur la relation avec la Chine comme sur le sort de l’Accord de Vienne concernant le nucléaire iranien, voire sur d’autres sujets… Trump met ainsi des conditions. Il fait monter les enchères. Il se permet de susciter des escalades verbales non exemptes de pressions directes et de menaces. On comprend que Trump cherche à obtenir des concessions commerciales, et pas seulement commerciales. Dans son interview à Fox News il détaille même quelques uns de ses griefs vis à vis de Pékin : dévaluation, protectionnisme, présence massive de « forteresse » en Mer de Chine, indulgence vis à vis de la Corée du Nord. « Je ne veux pas que la Chine me dicte ce que j’ai à faire », dit-il enfin. Mais le bras de fer économique est-il la seule motivation de ce qui apparaît comme une provocation évidemment peu appréciée des autorités chinoises ? La politique d’une seule Chine représente en effet pour Pékin une condition sine qua non des échanges puisqu’il s’agit d’une question de souveraineté très sensible et non négociable.
Trump introduit de l’incertitude et de la tension à forte dose dans la relation sino-américaine pour des raisons qui sont aussi plus politiques et stratégiques. Il annonce un nouvel esprit plus agressif ou plus pugnace de la politique étrangère des États-Unis. Il veut jouer différemment et pas avec les règles traditionnelles. Plus précisément, ce nouvel esprit est probablement l’accompagnement de ce que certains observateurs américains appellent un « recalibrage » stratégique. En outre, Taïwan est un client privilégié pour les ventes d’armements… surtout dans un contexte d’une montée de tensions.
La conversation téléphonique Trump/Tsai apparaît donc révélatrice d’un changement de ton, de pratiques et d’objectifs. Son Secrétaire à la défense, le général James Mattis, l’a confirmé à sa façon dans une longue et très significative conférence donnée, plusieurs mois avant l’élection, au Center for Strategic and International Studies (). Mattis, ne traite pas alors des relations sino-américaines. Il décrit surtout ce qui constitue, selon lui, la menace – prioritaire – iranienne tout en portant un jugement singulièrement modéré quant à l’accord de Vienne sur le nucléaire. Un accord qui, selon lui, présente « quelques avantages » et « qui n’est pas sans mérite »… En vérité, ce que Mattis reproche manifestement à Barak Obama, c’est beaucoup moins la signature de cet accord que sa politique générale. Celle-ci manquerait de fermeté, de cohérence stratégique et d’attention pour les alliés. Pourtant, le « pivot » stratégique d’Obama en direction de l’Asie et des pays amis de Washington, avait déjà comme dessein – mis en échec – une forme d’encerclement ou de « containment » de la Chine. D’une certaine façon, Trump et sa logique de force ne sont pas en rupture totale avec l’administration sortante. DT va-t-il chercher à réaliser autrement ce qu’Obama n’aura pas réussi à faire ?
On peut penser que le « recalibrage » de la politique étrangère américaine cherche effectivement un renforcement des liens stratégiques entre alliés, dans une affirmation de puissance nettement plus intrusive ou incisive vis à vis des tiers. Cela, en l’occurrence, au prix d’une escalade verbale américano-chinoise peu diplomatique, et pas sans risques puisqu’il s’agit d’une rivalité politique très vive et d’un engrenage potentiel entre deux très grandes puissances de capacité nucléaire dans une région de nationalismes et d’antagonismes latents ou explicites. On se demande évidemment jusqu’où Donald Trump peut aller dans cet exercice périlleux de l’escalade des tensions. Peut-on impunément jouer avec une puissance comme la Chine ? L’essentiel est que la volonté d’une maîtrise des événements et l’ intérêt commun finissent par dominer sans que des dommages déraisonnables soient infligés aux relations et à la sécurité internationales.
Une deuxième mutation stratégique
Barak Obama, dans une approche politique souvent qualifiée de faiblesse ou d’indécision (), avait défini, après Bush, les paramètres d’une autre forme d’hégémonie, plus négociatrice, impliquant un usage différent de la force armée. Celle-ci incluait l’abandon des opérations de guerre massives, avec ce qu’on appelle la recherche d’une conception « light footprint » c’est à dire « d’empreinte légère » sur le terrain des conflits et, pour aller dans ce sens, l’engagement des forces spéciales, l’usage des drones, le développement des cyber-capacités… La guerre de Libye fut l’occasion pour les médias de désigner une nouvelle doctrine (c’est eux qui inventèrent la formule), celle du « leading from behind » soit un leadership par l’arrière, permettant aux États-Unis de ne pas tout centraliser et de ne pas engager toutes leurs forces, en fonction de leurs propres choix… Cette autre forme d’hégémonie, aux conceptions militaires spécifiques, ne signifiaient pas la fin des interventions militaires américaines (on le voit bien au Moyen-Orient et singulièrement en Irak). L’objectif était d’intervenir d’une autre manière, avec d’autres types de moyens… et des coûts moins élevés.
Avec Trump, on assiste à une nouvelle mutation ou transformation stratégique. Pour DT, Obama et Clinton ont affaibli les États-Unis et leur défense. L’ordre du jour est donc à la redéfinition d’une prédominance unilatérale pour une puissance renforcée et sans partage… sauf pour les coûts. Ce qu’il annonce en détail, à Washington en avril, et à Philadelphie en septembre, ne laisse aucun doute sur la volonté de développer l’outil militaire de façon volontariste : « reconstruire » la défense, augmenter les budgets, moderniser et renouveler l’arsenal nucléaire, renforcer l’Armée de terre, la Navy et l’Air Force. Il accuse aussi Obama d’avoir vidé le projet de défense anti-missile de sa substance. « Notre prédominance militaire, affirme-t-il, doit être incontestée, et si je dis incontestée c’est par quiconque et par tout le monde ».
Dans son discours de Philadelphie, Trump demande explicitement que tous les pays de l’OTAN paient promptement leur note, ce que beaucoup – souligne-t-il – ne font pas puisque cinq pays membres de l’OTAN seulement (y compris les États-Unis), atteignent aujourd’hui le minimum requis des 2 % du PIB pour les dépenses de Défense. Et il déclare (ce qui ne figure pas dans la transcription publique de son discours) : « ils n’ont pas de respect pour notre leadership ». Il souligne enfin : « je demanderai respectueusement à des pays comme l’Allemagne , le Japon, la Corée du Sud et l’Arabie Saoudite de payer davantage pour l’extraordinaire sécurité que nous leur procurons ». Pour Trump, faire payer les alliés apparaît donc comme un des moyens essentiels pour financer l’augmentation considérable du budget de la défense, que ses projets impliquent. Il en fait même un axe éminent de sa politique, motivé par l’exigence de respect que l’on doit à l’Amérique (pour reprendre sa formule)… ce qui est une façon de flatter de patriotisme tout en liant celui-ci au renforcement de la Défense, au financement des dépenses militaires et même à l’emploi… mais aussi à l’affirmation d’un leadership fort dans la relativisation des cadres multilatéraux.
C’est dans ce même esprit que DT annonça effectivement ne pas se sentir contraint par la défense collective, principe fondateur de l’OTAN, inscrit dans l’article 5 du Traité de Washington. Celui-ci, rappelons-le, stipule : « les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’un ou plusieurs d’entre elles, survenant en Europe ou en Amérique du Nord, sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties… ». Cet article 5 implique donc un engagement militaire des pays membres, donc des États-Unis, dans le cas d’un conflit armé concernant directement l’Alliance atlantique. Trump a cependant relativisé et minimisé cet automatisme dans le cas où il s’agit d’alliés n’ayant pas assumé leurs responsabilités financières, ce qui revient (dans une sorte de norme « pay to play » – payer pour jouer) à suspendre unilatéralement, pour insuffisance de contribution financière, la garantie collective, et américaine en particulier, de sécurité mutuelle. Évidemment, une telle menace ne dispose pas en elle-même d’une très grande crédibilité. En cas de conflit ouvert, l’importance des enjeux stratégiques face à la Russie dépasserait très vraisemblablement le poids des questions financières. En cas de crise, l’engagement militaire de l’Alliance, et notamment de Washington, ne dépendrait certainement pas des contributions financières des uns et des autres. En revanche, cette posture de l’administration américaine constitue la confirmation d’une volonté de relativisation de l’OTAN, au grand dam de Jens Stoltenberg, son Secrétaire général qui s’en est fort diplomatiquement inquiété. C’est bien l’affirmation du primat de la décision unilatérale américaine. Mais il faut noter que DT relativise sa propre… relativisation en proposant aussi une amélioration des missions et de la structure d’une OTAN qui reste, selon lui, une instance issue de la Guerre froide et à ce titre obsolète. Pour Trump, le cadre OTAN resterait donc, au final, un cadre nécessairement réformable mais stratégiquement pertinent. On se souvient, d’ailleurs, que la distanciation prise naguère par G. W. Bush vis à vis de cette organisation s’est, en fin de compte, progressivement émoussée devant les avantages d’une instance qui n’a cessé de structurer l’ascendant politique des États-Unis sur les Européens. En sera-t-il de même aujourd’hui ?..
Alors que la politique de Vladimir Poutine, en Ukraine surtout, a été jusqu’ici considérée comme un défi immédiat de sécurité, cette prise de distance de Trump vis à vis de l’OTAN et de son principe directeur ne manquera pas d’accentuer au sein de l’Union européenne, les inquiétudes des Pays baltes et de la Pologne particulièrement. Ces pays disent redouter un affaiblissement de l’implication stratégique des États-Unis en Europe. Ce chantage (comment désigner autrement cette pression pour un repartage du fardeau financier de la défense commune) ne restera probablement pas sans effet, au bénéfice de Washington.
On peut penser que cette insistance de Trump sur la reconstruction nécessaire d’une puissance militaire, comme argument patriotique et de fierté nationale, a joué un rôle actif dans la victoire électorale. Trump fut cependant accusé de désinvolture et de déclarations insultantes pour des propos visant les vétérans (). Son attitude fit dire, y compris dans les médias, que cet homme là n’est pas fait pour devenir le prochain « Commandant en chef ». Pourtant, les vétérans (18,8 millions de personnes en 2015) ont très majoritairement voté pour lui (dans une proportion de 2 à 1). Dans une société « fatiguée » par les guerres, mais où beaucoup de vétérans se sentent abandonnés ou exclus (), Trump n’a pas manqué d’inscrire cet enjeu électoral et idéologique dans sa campagne. « Une grande nation prend aussi soin de ses soldats », souligna-t-il dans son discours de Washington. « Notre engagement envers eux est absolu, dit-il encore. Une administration Trump donnera au service de ces hommes et de ces femmes le meilleur équipement et soutien dans le monde, là où ils servent, et les meilleurs soins du monde, lorsqu’ils reviennent, comme vétérans, à la vie civile ».
Ainsi, Trump a su apparaître à la fois en capacité de défendre ceux qui ont concrètement fait les guerres, les soldats, et en mesure de dénoncer celles et ceux – Clinton et Obama directement – qui en ont pris la responsabilité, et qui les ont conduites : « après avoir perdu des milliers de vies et dépensé des milliards de dollars – affirme-t-il – nous sommes maintenant, au Moyen-Orient, dans une situation pire que toutes celles ayant précédé. Je défi quiconque de pouvoir expliquer la vision stratégique de la politique étrangère d’Obama/Clinton. Ce fut un désastre total complet ».
Ambiguïté sur la dissuasion nucléaire
Donald Trump fut accusé de « manquer de consistance » et d’avoir des « comportements erratiques » en particulier à propos de la dissuasion nucléaire. Il fut critiqué pour des « gaffes à répétition », pour avoir dit à plusieurs reprises à propos des armes nucléaires : « si nous en avons, pourquoi ne pas les utiliser ?.. » Cette formulation fut largement interprétée comme le reflet d’une ignorance voire d’une irresponsabilité… Comment imaginer que l’on puisse pouvoir utiliser de telles armes ?.. Trump, pour beaucoup, y compris pour HRC, ne serait donc pas une personne à qui l’on peut confier la cruciale gestion de la dissuasion.
Le Président élu ne maîtrise peut-être pas les complexités et les subtilités réelles de la dissuasion. Mais il y a des experts pour ça, pour lui comme pour tous ceux qui l’ont précédé à la plus haute fonction… Le discours de référence prononcé à Philadelphie fut d’ailleurs préparé avec quelques conseillers spécialisés ayant tenu des postes importants comme Joseph Schmitz, ancien Inspecteur général du Département de la Défense (2002-2005) et ancien haut cadre du Groupe Prince et de Blackwater, société militaire privée liée à ce groupe, et de triste renom. Elle est, en effet, accusée d’assassinat extrajudiciaires et de crimes de guerre par des familles irakiennes. Ce discours de Philadelphie fut aussi rédigé avec l’aide d’une fondation (Heritage Foundation) qui est un organisme politique ultralibéral et ultraconservateur, spécialisé notamment dans les questions de défense. R. Reagan et G.W. Bush se sont appuyés sur ses travaux dans l’élaboration de leur politique. Cette fondation, durant la Guerre froide, a soutenu politiquement et militairement les mouvements anti-communistes et les organisations en guerre contre les régimes alliés de l’URSS : les Contras du Nicaragua ou l’Unita de Jonas Savimbi, par exemple.
Trump n’a donc probablement pas manqué de gens « compétents » – mais particulièrement réactionnaires – pour donner un début de cohérence à sa politique étrangère et de défense. Il reste que la formulation choisie par DT à propos des armes nucléaires suscite quelques questions. Trump, dans son ambition d’une « puissance militaire incontestée » aurait-il la tentation (comme ce fut le cas au temps G.W. Bush) de considérer les armes nucléaires comme des armes réellement utilisables ?.. Après tout, il ne serait pas le seul, loin de là, dans l’histoire complexe des théories de la dissuasion, à légitimer l’idée (particulièrement redoutable) selon laquelle ces armes peuvent être
des « armes d’emploi », c’est à dire des armes dont on peut se servir sur un champ de bataille, à condition que leur puissance, leur précision et leur capacité de pénétration soient déterminées pour cela. Mais on peut aussi interpréter les formulations de DT comme une confirmation de la prévalence, chez lui, de la conception plus commune ou plus stricte de la dissuasion selon laquelle les armes nucléaires sont à l’inverse des armes de non-emploi, des armes dont la puissance est telle qu’elles dissuadent par elles-mêmes l’agression. Il reste donc une ambiguïté. Une ambiguïté qui n’est peut-être pas due qu’à l’ignorance de DT, à la multiplicité et à la diversité de ses déclarations.
De quoi, s’agit-il, en effet, sinon de la définition même de la dissuasion qui impose un certain degré d’incertitude à l’adversaire (c’est un débat d’experts) afin de fragiliser ses plans et sa détermination. Là encore, le problème posé n’est pas celui de l’incompétence de Trump… qui s’est lui-même réclamé de l’imprévisibilité comme tactique nécessaire. Le problème est dans la nature même de la politique choisie. Et celle-ci, finalement, sur le nucléaire comme sur d’autres questions, recouvre bien des options choisies par ses prédécesseurs, Démocrates comme Républicains, même si son style et ses approches politiques – pour autant qu’on puisse en juger si peu de temps après les élections – font de lui un ultraconservateur non-orthodoxe mais un peu plus cohérent qu’on ne le dit. Il n’est certainement pas le fou ou le clown de la politique que certains ont voulu voir à travers sa rhétorique souvent variable et outrancière. C’est plus grave que cela.
Trump présenta son allocution de Philadelphie comme « a speech of military readiness », ce que l’on peut traduire par « un discours de volonté, ou d’investissement dans la défense ». Il y souligne ce qui doit correspondre, selon lui, aux « piliers d’une stratégie de sécurité nationale ». C’est en réalité un discours de posture politique générale. Mais ce qu’il dessine comme approche stratégique et militaire est très préoccupant. DT n’exclut rien : ni les armes nucléaires dites tactiques (celles qui seraient théoriquement utilisables sur un champ de bataille), ni la possibilité d’une frappe en premier ou frappe préventive (), et jusqu’à l’éventualité d’un bombardement nucléaire en Europe… Il affirme vouloir ne se priver d’aucune option. Il annonce qu’il retirera ses forces du Japon et de Corée du Sud si ces deux pays n’accroissent pas leur contribution financière au coût de la présence militaire américaine sur leur territoire. Et si cela ne se produit pas, il se dit prêt à entériner le fait que Tokyo et Séoul se dotent de l’arme nucléaire notamment pour se garantir contre la Corée du Nord (). Il y a bien, ici encore, une logique mais elle conduit à mettre en cause le régime de non-prolifération et le traité qui va avec. Trump, manifestement l’assume, même s’il enveloppe ce choix consternant pour l’avenir des relations internationales, dans quelques contorsions verbales témoignant de la difficulté à légitimer de telles options.
Les conceptions stratégique et militaire de DT sont donc très préoccupantes… Mais aussi, au delà des vétérans, très séduisantes pour la « communauté » militaire américaine, qui a bien voté pour lui, et pour le complexe militaro-industriel des États-Unis. La Bourse ne s’y est pas trompée qui a, dès après l’élection, enregistré une progression en forte hausse des actions correspondant aux principaux groupes industriels et équipementiers américains de la défense.
Iran : un « kill deal » bien difficile.
Trump a manifesté brutalement son hostilité à l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien, conclu en juillet 2015 entre l’Iran et les 5+1 (). Sans faire de commentaires sur son contenu, il parla même de « l’accord le plus stupide de tous les temps » qui donnera « absolument » à l’Iran la possibilité de maîtriser l’arme nucléaire. Une telle opposition permettait, au cours de la campagne, d’accuser l’administration Obama d’avoir tout cédé et de permettre à l’Iran, jusqu’ici affaiblie par les sanctions, d’accéder au rang des grandes puissances nucléaires. En outre, cette hostilité convergeait parfaitement avec celle des autorités de Tel Aviv et des sympathies américaines pour Israël.
Cette rhétorique violemment dénonciatrice et apparemment sans nuances – to « kill the deal » (tuer l’accord)…fut la formule utilisée – était cependant accompagnée de propositions plutôt modératrices. Trump et ses conseillers (Walid Phares par exemple) n’ont pas insisté sur une abrogation de l’accord pour, en revanche, s’engager à réagir fermement à toute violation de l’accord et du Plan d’action qu’il contient. Ce qui est fort différent… Remarquons que cette posture ne contient aucune précision quant à la nature des violations visées. Cela dans un contexte où, précisément, Téhéran a globalement respecté l’accord. Et remarquons enfin que les menaces de Trump s’accompagnent de la volonté explicitement formulée de négocier… un « meilleur accord ».
Sur ce dossier du nucléaire iranien, comme sur d’autres, on constate ainsi un positionnement politique général destiné à montrer une intention de rupture franche et très rude par rapport à la politique Clinton/Obama, tout en apportant des nuances ou en ménageant quelques « portes de sorties » plus proches du compromis que de la confrontation directe (). Mais on ne peut pas encore mesurer ce qui finira par ressortir de la gestion par Trump et son gouvernement de ce dossier majeur qui servira de test grandeur nature quant aux dispositions réelles et à la crédibilité du nouveau Président et de son équipe en matière de politique internationale et de défense. Mais aussi vis à vis de l’ONU, directement concernée par l’accord de Vienne et par son application. L’ONU où une ultra-conservatrice mais novice en politique étrangère () vient d’être nommée par Trump comme ambassadrice des États-Unis.
Évidemment, cette question du nucléaire militaire iranien nécessitait de la part de Trump un peu plus d’habileté ou de circonspection qu’on lui en a prêté. Ce qui est en jeu, en effet, ce n’est pas seulement un compromis sur le nucléaire avec plus ou moins de sanctions à la clé. Ce sont toutes les relations entre Washington et Téhéran, c’est la crédibilité internationale de la signature des États-Unis, et rien moins que l’état des relations internationales et stratégiques au Moyen-Orient.
Si Trump s’aventurait à démanteler l’accord de Vienne, l’Iran accepterait difficilement une autre négociation. Comment Téhéran pourrait, en effet, concéder à la renégociation d’un accord si difficilement acquis, simplement parce que la position officielle américaine aurait été modifiée ? Le résultat d’une telle décision serait inévitablement des tensions internationales nouvelles, des risques d’escalade et de relance du programme nucléaire iranien, mais aussi des divergences aux États-Unis et entre les États-Unis et les Européens, pour des raisons politiques mais aussi pour le futur des investissements occidentaux en Iran. Les conséquences pourraient enfin être lourdes pour les rapports de forces politique internes à l’Iran où les ultraconservateurs ne manqueraient pas de saisir une situation de crise pour contester les orientations réformatrices de Hassan Rohani. Et cela ne peut pas ne pas peser sur les relations internationales.
Même pour Trump et son Amérique censée retrouver la grandeur… il est compliqué de jouer avec tout cela. D’autant que l’accord de Vienne et son Plan d’action, ne constituent pas un simple compromis bilatéral entre Washington et Téhéran. C’est le fruit d’une diplomatie multilatérale ayant abouti par un travail complexe, à des engagements collectifs majeurs. L’Accord de Vienne, en effet, a été endossé par une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU (). Cette résolution, en son article 1 « approuve le Plan d’action global commun et appelle instamment à son application intégrale conformément au calendrier qu’il prévoit ». Cette application doit s’effectuer sous le contrôle de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA). Enfin, la résolution rappelle l’attachement des États membres du Conseil au Traité de non-prolifération (TNP), que l’Iran est censé respecter… En conséquence, si l’administration Trump dénonçait l’Accord de Vienne au nom du refus de voir l’Iran devenir une puissance nucléaire et bafouer ainsi le TNP, alors, cette administration étasunienne devra, pour sa propre crédibilité, renoncer elle-même à tout positionnement international susceptible, pour des raisons financières ou pour toute autre raison, de mettre en danger ce même TNP.
Ce traité reste effectivement le seul instrument juridique et politique existant apportant un cadre aux développements actuels du nucléaire militaire dans le monde. Dans le contexte international d’aujourd’hui, outrageusement dominé par des logiques de puissance, on mesure la fragilité du multilatéralisme et des traités internationaux. Ni le TNP, ni l’Accord de Vienne n’échappent aux risques de cette vulnérabilité. Conserver un ordre international où le droit et la responsabilité collective aient encore un sens constitue donc une priorité et une urgence. Si Trump balayait cette exigence ou se contentait d’en relativiser l’importance… les conséquences internationales pourraient être douloureuses. Enfin, la future administration américaine ne peut d’ailleurs pas oublier que l’Iran et les États-Unis font militairement face au même ennemi, Daech, en Irak et en Syrie. Les intérêts communs sont maintenant un peu plus serrés qu’on ne le croit. Trump n’a pas fini de mesurer la complexité des relations internationales et les contradictions multiples inhérentes à ses propres choix. Il a choisi un discours pour se faire élire. On ne sait pas encore quel type d’action il choisira pour gouverner. On mesure cependant la portée des enjeux.
Trump, pas si loin d’Obama…
Pour autant qu’on puisse en juger aujourd’hui, Donald Trump s’est globalement positionné sur une stratégie différente et moins interventionniste que celle d’Hillary Clinton et des néoconservateurs traditionnels (), c’est à dire ceux qui ont approuvé ou nourri les guerres de Bush, par exemple John McCain. Celui-ci fait partie de ces « néocons » classiques pour qui collaborer ou sympathiser avec la Russie constitue une faute grave en soi. John McCain, ancien candidat à la présidentielle de 2008, est aujourd’hui Sénateur, Président de la Commission des Services de l’Armée du Sénat. Trump devra compter avec cette forte personnalité (issue d’une longue lignée familiale de militaires). McCain a déjà vivement critiqué DT durant la campagne de la présidentielle pour avoir approuvé certaines pratiques de torture, et pour un dérapage verbal concernant la famille d’un soldat musulman de l’armée américaine. Le consensus républicain sur la politique de Trump n’est pas encore réalisé…
Dès le mois d’août 2016, dans son discours de l’Ohio, DT affirme que la stratégie de « nation building » et de « régime change » est en échec. C’est un net rejet de l’option « bushienne » des engagements militaires massifs pour imposer des changements de régime par la force. C’est une façon d’entériner l’approche actuelle – celle de Barak Obama – résumée dans la formule imagée « no boots on the ground » (pas de bottes militaires sur le terrain). Mais se désengager d’Afghanistan , d’Irak, de Syrie et de Libye ne peut pas être si simple. Même si une forme de concertation avec Moscou – c’est ce que Trump a dit vouloir rechercher – pourrait éventuellement faciliter les choses en contribuant à quelques avancées pour un règlement politique, en particulier concernant la Syrie. L’extrême complexité de ces conflits et les liens entre eux, ne permettent pas les postures simplistes. Mais à l’évidence, Trump n’est pas si loin des prudences de Barak Obama. Il prend cependant le contre-pieds politique de son prédécesseur en dénonçant le discours du Caire de 2009 () comme le plus « malencontreux » que le Président Obama ait délivré en direction du monde musulman. Alors que ce discours, en contradiction avec la thèse du choc des civilisations, relevait précisément de la volonté d’un nouveau départ avec ce monde, en particulier le monde arabe, traumatisé par les guerres de « régime change » de G.W. Bush… Mais c’est un monde aujourd’hui profondément déçu par Obama. Il n’est pas sûr que DT se prépare à faire mieux !..
Trump n’est pas d’abord un idéologue, et la thèse du choc des civilisations ne sera plus cette sorte de prérequis idéologique, cadre doctrinaire préalable. Mais dans la pratique, ce qui nourrit et accompagne cette thèse réactionnaire, fonctionnera, et fonctionne déjà à plein : xénophobie, racisme, nationalisme… autant d’attitudes très concrètes qui semblent faire partie de l’exercice du politique selon Trump. Dans cet esprit, celui-ci ira jusqu’à dire, toujours dans son discours de l’Ohio: « au delà du terrorisme, comme on l’a vu en France, les populations étrangères (= les migrants et les réfugiés) apportent avec elles leurs attitudes antisémites. (…) En clair, Hillary Clinton veut être l’Amérique d’Angela Merkel, et vous savez quel désastre cette immigration massive a été pour l’Allemagne et pour le peuple d’Allemagne : le crime s’est développé à des niveaux auxquels personne ne pensait et n’aurait souhaité voir. Nous avons assez de problèmes dans notre pays, nous n’avons pas besoin d’en rajouter un ». D’où l’idée d’un mur sur la frontière avec le Mexique. Trump, il est vrai, a sensiblement reculé sur ce projet initialement pharaonique, et très hostile vis à vis des Mexicains. Cette entreprise a été depuis sensiblement pondérée, pour être plus modestement présentée en barrière dont une partie (une partie seulement) est déjà construite.
La presse américaine et d’autres organes de presse nous apprennent cependant aujourd’hui quelles sont les pratiques de l’homme d’affaires milliardaire. Trump, en effet, a déjà construit un mur… en Écosse. Et plus précisément à la frontière d’un terrain de golf réservé aux membres du « Trump International Golf Links », et d’un complexe hôtelier appartenant à son groupe. Installations situées dans le Nord-Est écossais, près de la mer, sur une côte sauvage et dans une zone écologiquement fragile. Il a fait construire ce mur, constitué d’une barrière et d’arbres, afin de bloquer la vue des résidents locaux qui n’ont pas accepté de vendre leur maison pour que Trump puisse, sur ces terres, étendre son « green » 18 trous particulier. Il leur a même envoyé la facture !.. Trump – qui a même insulté certains des habitants locaux – avait obtenu, en 2008, une autorisation du Gouvernement écossais de l’époque, mais en outrepassant la position des autorités officielle locales (). On a beau se dire, qu’à un tel niveau de responsabilité, le politique tendra toujours à l’emporter en fonction des circonstances et des contraintes … il reste que des pratiques aussi consternantes laissent mal augurer de la suite. La déclaration outrageante du Président élu, rendue public après la mort de Fidel Castro, confirme largement ce sentiment d’une agressivité non contrôlée et d’un manque de décence caractérisé.
Trump et la question de Palestine : des périls et des inconnues
Environ une semaine avant le scrutin présidentiel, l’équipe de Trump a annoncé en faveur d’Israël, des promesses d’aide considérables, allant bien au delà du niveau habituel… mais – notons-le – ne reprenant pas le projet de mise en cause de l’Accord de Vienne.
Il y avait fort à faire puisque – par la grâce d’Obama – l’engagement de Washington auprès de Tel Aviv sur le plan militaire atteint déjà un niveau record. Le protocole d’entente entre Obama et Netanyahou prévoyant une assistance de 38 milliards de dollars sur 10 ans fut jugé par Trump comme « un bon premier pas » ne devant cependant pas constituer une limite (). Ses conseillers assurèrent aussi que la future administration déplacera l’ambassade américaine à Jérusalem, et ne se permettra pas de « dire où Israël ne doit pas construire en Cisjordanie »… formule alambiquée qui équivaut à un permis de coloniser sans remontrances et sans les rappels de principe traditionnels (dénués d’effets) au droit international.
Il y avait d’autant plus à faire pour gagner un peu du vote juif que DT n’a pas toujours été si radical dans le soutien à Israël, et qu’une certaine montée d’antisémitisme et de racisme dans la campagne a suscité une préoccupation dans l‘électorat Juif. Le quotidien The Times of Israël () rappelle que l’année dernière « Trump avait dit qu’il serait neutre dans le processus de paix Israélo-palestinien et qu’il ne s’engagerait pas à reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël ». Le journal souligne aussi qu’en mars dernier « Trump avait flirté avec l’idée de diminution dans l’aide à Israël ». D’où l’importance (électorale) cruciale pour DT d’exposer un positionnement politique pro-israélien total, y compris en soulignant une volonté d’élargir la bataille anti-BDS (boycott, désinvestissements, sanctions).
Malgré les assurances de son entourage sur le thème « Monsieur Trump est sérieux lorsqu’il annonce sa volonté de déménager l’ambassade américaine à Jérusalem »… ou tout autre promesse de cette nature, on ne sait pas encore quelle sera vraiment la politique de l’administration Trump. Mais, là aussi, on mesure les dégâts et les risques d’une campagne électorale brutale et cynique. D’autant que les réactions de la droite et des autorités israéliennes furent du même niveau que la campagne de Trump. Avec la même volonté d’instrumentalisation. Des responsables politiques et des ministres, notamment ceux étant le plus marqués à l’extrême-droite (Avigdor Lieberman, Ministre de la défense ou Naftali Bennet, Ministre de l’éducation, par exemple) se sont rués sur les déclarations de Trump et sur sa victoire pour essayer d’acter et de légitimer la dépossession territoriale et politique du Peuple palestinien comme un fait inéluctable. D’où les consternantes formulations du type « l’ère de l’État palestinien est terminée »… Comme si l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis pouvait permettre à Israël d’échapper à tout rappel à l’ordre, et aux résolutions des Nations-Unies, pour obtenir ainsi un feu vert à la colonisation et à la légalisation des avants-postes d’implantation coloniale. Quand on se rappelle la formule utilisée par Newt Gingricht (), ultra-conservateur réputé proche de Trump : le peuple palestinien est un « peuple inventé », on réalise, dans un contexte où il n’y a plus de « processus de paix », les dangers immédiats, mais aussi les risques de tensions dans le monde arabe, les menaces de confrontation directes dans les territoires occupés, voire en Israël même.
C’est peut-être en mesurant la réalité de ces risques que DT a finalement demandé à la droite israélienne de « calmer son euphorie » (). Mais il a aussi annoncé vouloir lancer une initiative de négociation… pas une initiative de plus, a-t-il insisté, mais une initiative qui puisse aboutir… Comment, et à quelles conditions ? Son entourage ayant souligné que les « implantations » coloniales ne sont pas un obstacle à la paix, et qu’une solution à deux États n’est pas la priorité… on se demande bien quelle proposition pourrait sortir du chapeau. D’autant que toute solution, selon Trump et ses conseillers devrait dépendre du « désir des parties de négocier pour conduire un accord »… ce qui ramène le débat à l’affirmation, tant de fois répétée par les autorités israéliennes, selon laquelle il n’y a pas de chemin possible et acceptable hors d’une stricte négociation bilatérale… Exit le droit international, la responsabilité collective et le cadre multilatéral des Nations-Unies.
Trump devra, ici encore, sortir de la rhétorique électorale pour faire des choix. Quels seront-ils ? Sera-t-il si simple pour son administration, et pour la pertinence globale de sa politique, de replacer, sur des options de bases brutales, la question de Palestine au centre des enjeux internationaux alors qu’il y a bien d’autres sujets immédiats de préoccupation au Moyen-Orient ? Cette administration pourra-t-elle se mettre à dos au moins une partie du monde arabe, peuples et gouvernements, en appuyant davantage encore que Barak Obama et Hillary Clinton n’ont pu le faire, la politique israélienne d’apartheid, l’occupation militaire et la colonisation du territoire palestinien ? Tout semble cependant possible tellement les convergences idéologiques réactionnaires apparaissent fortes entre Donald Trump et les dirigeants de Tel Aviv. Mais les marges de manœuvre sont-elles si fortes ?
Rhétorique électorale et principe de réalité
Trump devra compter avec la Constitution, avec un Parti Républicain divisé, avec le Congrès, avec la Cour suprême, avec la presse, avec une culture politique américaine faite de libéralisme social et de libertés individuelles… Autant de contraintes réelles… et théoriques. Il n’aura donc pas tous les pouvoirs. Mais il aura beaucoup de pouvoir, même si l’on sait que système institutionnel américain est plus équilibré que le système français. (Celui-ci est beaucoup plus marqué par un surplomb du pouvoir exécutif, en particulier du Président, sur l’ensemble de la vie politique).
Trump n’aura pas non plus les mains complètement libres dans un monde de crises, d’émergences de puissances nouvelles, de guerre économique, de concurrences et de rétorsions commerciales… Déjà, et l’ONU et l’OTAN, en des termes ajustés, ont rappelé au Président élu, mais pas encore en fonction, les règles de l’ordre mondial actuel. Un ordre particulièrement complexe où les puissances occidentales ne peuvent plus prétendre à une hégémonie sans partages et sans problèmes. Elles ne sont plus capables de maîtriser les relations internationales à leur guise. Même la première puissance mondiale ne peut déterminer les « agendas » de l’ international à elle seule.
Ceux qui ont comparé l’élection de Donald Trump au Brexit ont raison. Trump lui même l’avait affirmé : « ce sera un Brexit plus, plus, plus… ». Ces deux séquences sont effectivement le produit des limites politiques atteintes aujourd’hui dans les économies occidentales, par l’ensemble des politiques conduites. L’élection de Trump, obtenue avec le slogan « une Amérique qui doit retrouver sa grandeur », est en réalité l’expression d’un (relatif) affaiblissement, et la traduction d’une nouvelle recherche d’adaptation politique et stratégique destinée à poursuivre à la fois une logique de puissance, un système de domination, de production de richesse et de profit. Cela dans des rapports de classe et dans un ordre international qui le permettent. C’est ce qui pourra donner la cohérence de la présidence Trump, au delà des excès, des effets de rhétorique, du dédain plus ou moins marqué pour les pratiques de la diplomatie et le politiquement correct.
Il est donc fort probable que Trump se montrera plus pragmatique qu’idéologue, et qu’il va préférer les « deals » liés à la pratique, aux « dogmes » liés au respect des principes (). A peine a-t-il été élu qu’il a su déjà effacer de son programme les mesures les plus rédhibitoires comme l’expulsion de 11 millions d’immigrés pour vouloir n’en chasser qu’un maximum de 3… c’est à dire pas plus que Barak Obama entre 2009 et 2015. Trump a aussi dessiné les contours d’un réalisme qui sied à l’homme d’affaires… mais aussi à la nature actuelle des relations internationales. La reconstitution d’une puissance massive et unilatérale, dégagée la plus possible (lorsque c’est possible) des contraintes collectives du droit donnera ou redonnera à son administration les coudées franches pour négocier des compromis, pour s’arranger tant avec la Russie qu’avec la Chine, avec la Turquie comme avec bien d’autres acteurs afin de se partager les zones d’influence, les espaces, les ressources dans un équilibre (qui peut être précaire) des rivalités, des intérêts, des visées stratégiques. La logique de Trump c’est un ordre mondial plus que jamais fondé sur les rapports de forces et sur l’exercice de la force. Un ordre dans lequel il faut être à l’initiative pour dominer.
Quelques commentateurs et experts ont, précisément, voulu voir dans cette évolution la fin d’un ordre international, celui qui suivit la Guerre froide. Il est évidemment trop tôt pour savoir ce que Trump et ses équipes pourront réellement changer, ruiner, réaliser… durant le mandat de quatre ans qui va s’ouvrir. Mais on perçoit que le mythe entretenu d’une Amérique porteuse d’un idéal démocratique et d’un message universel, le mythe de la puissance positive « indispensable », ce mythe là, déjà sérieusement usé et ébranlé depuis les guerres de G.W Bush, va sombrer encore un peu plus profondément. Les États-Unis sont en train de perdre cet accompagnement constitué de valeurs idéologiquement honorables mais totalement usurpées. Cette annexion morale pour convenance stratégique sera, en effet, beaucoup moins nécessaire dans un réalisme qui a le « mérite » de montrer plus nettement ce qu’il y a de pire dans un ordre mondial néo-impérial où les plus puissants se partagent les pouvoirs et les richesses.
Dans quel monde voulons-nous vivre ?
Trump a su saisir les potentialités politiques dangereuses de cette crise essentielle en cristallisant les peurs et les attentes qu’elle suscite sur quelques options fortes et symboliques celle des « 4 P » : Protection, Patriotisme, Puissance … et même la Paix, concept qu’il a su retourner contre Clinton et Obama en stigmatisant la politique ayant produit les désastres, les guerres et les chaos du monde arabe et du Moyen-Orient.
On comprend aussi la satisfaction exprimée en Russie. Non seulement HRC, perçue comme une interventionniste plus dure qu’Obama est battue mais, en plus, DT semble vouloir rompre avec les paramètres d’un ordre international et européen qui, après l’écroulement du bloc de l’Est, a permis l’extension de l’OTAN jusqu’aux portes de la Fédération de Russie. Le projet porté par Vladimir Poutine de la reconstitution et de l’affirmation d’une puissance russe y trouve son compte. La crise existentielle de l’Union européenne, le Brexit, les divisions européennes, les courants populistes et pro-russes en Bulgarie, en Moldavie, en Hongrie… tout cela converge et valide l’ambition russe. C’est aussi pour cela que l’ordre international et européen issue de la fin de la Guerre froide s’épuise. C’est bien l’hégémonie occidentale qui est sur la sellette dans un processus de hiérarchisation nouvelle et de redistribution mondiale de la puissance. Certains ont parlé « d’événement révolutionnaire » devant un ordre mondial en péril (). Depuis la chute du mur et l’exacerbation de la crise dans les années 90, l’ordre mondial est dans une mutation de crise permanente. A mesure que montent les attentes et les enjeux issus de l’exaspération sociale, des inégalités, des insécurités pour les peuples… attentes sans réponses, dans une escalade néolibérale et autoritaire dramatique… les contradictions explosent, les conflits se durcissent, les antagonismes de puissances et les concurrences s’exacerbent. Trump sera-t-il l’acteur contraint d’une adaptation et d’une forme de nouvelle régulation, ou celui d’une aggravation et d’une surenchère conflictuelle dangereuse ? Ou bien les deux à la fois ?
Les dirigeants de l’Union européenne ont-ils mesuré l’ampleur du défi ? Pour la énième fois ils se sont engagés à faire progresser la construction européenne, cette fois-ci en définissant un Plan global de mise en œuvre de la stratégie déjà existante de l’UE en matière de sécurité et défense. On peut donc soutenir que la réponse européenne, d’une certaine façon, se restreint au cadre définit par Trump. La pression de Washington et de l’OTAN en faveur de l’augmentation des dépenses militaires () de chacun des pays de l’Alliance va se renforcer, mais elle n’est pas nouvelle. L’UE reste dans ses problèmes, dans l’incapacité à définir une vision propre, pour le futur immédiat et pour l’avenir, c’est à dire au delà de la présidence Trump. L’espace politique à investir est pourtant énorme. L’Union et chaque État membre ont devant eux les enjeux de la sécurité internationale et européenne, de la coopération et des partenariats pour le développement, du multilatéralisme et de la responsabilité collective… Il est notamment absolument nécessaire de construire quelque chose comme une « obligation » diplomatique de la négociation d’intérêt mutuel, dans le cadre de principe prioritaire d’égalité, de souveraineté et de coopération.
La situation ouverte par l’élection de Trump devrait au moins pousser à l’ouverture d’une redéfinition radicale de la relation avec la Russie. Elle devrait permettre l’élaboration d’options alternatives sur le désarmement nucléaire et sur la pertinence – plus précisément la perte de pertinence dans le contexte international actuel – de la dissuasion, sur l’établissement d’une zone dénucléarisée au Moyen-Orient, sur les conditions du règlement des conflits, en particulier dans le monde arabe, notamment pour le règlement de la question de Palestine. N’est-ce pas aussi l’occasion d’un débat de fond sur la nature du lien transatlantique, sur la légitimité de l’OTAN, sur la nécessité impérieuse de dépasser la subordination stratégique politique et culturelle de cette Europe qui ne peut avoir d’avenir que dans une rupture nette avec les politiques conduites jusqu’ici.
L’élection de Trump devrait interroger les Européens pour ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent être. En sont-ils capables ?
Imaginons, enfin, que Donald Trump puisse d’aventure mettre en œuvre tout ce qu’il a annoncé… L’inévitable résultat serait un bouleversement majeur de l’ordre mondial, un basculement géopolitique global de grande dimension. Ce que dessine globalement les idées de Trump, c’est en effet, une fin de ce qu’on appelle « le monde libre », c’est à dire, ce monde capitaliste occidentalo-centré, structuré sur quelques conceptions politiques et thématiques institutionnelles et idéologiques : lien stratégique euro-atlantique, économie de marché, libre-échange, régime parlementaire et État de droit, référents démocratiques et Droits humains…
Un monde dont le modèle néo-libéral, hier triomphant, les institutions et les mythes fondateurs sont usés et dépassés par une crise globale de système. Trump s’est permis de réhabiliter la torture () et les assassinats ciblés dans la lutte contre le terrorisme. Il a désigné Stephan Bannon comme Conseiller stratégique à la Maison Blanche alors qu’il s’agit d’un individu d’extrême droite salué par le Ku Klux Kan, les suprémacistes blancs et les néonazis (). Il a instrumentalisé sans vergogne les peurs et les rancœurs. Il s’est nourri électoralement de la désespérance sociale, des ressentiments et les désirs de revanche… Il va s’adjoindre des ministres et des collaborateurs controversés (pas tous) et parmi eux les plus réactionnaires, farouchement opposés à l’avortement, au mariage homosexuel, au contrôle du port d’armes, à « l’Obama care », à l’ONU, à l’Accord de Paris sur le changement climatique… c’est à dire des ultra-libéraux, des ultra-sécuritaire, souvent racistes, anti-sémites, anti-Islam, anti-immigrés… Trump, pourrait faire bien pire et, sur de redoutables arguments, installer les bases d’un ordre mondial plus sauvage encore que celui d’aujourd’hui. On observe d’ailleurs, mais ce n’est pas nouveau, des reculs institutionnels significatifs. Par exemple des mises en cause judiciaires et politiques répétées de la Cour pénale internationale dont la crédibilité est effectivement en question. Trump et son entourage risquent bien d’être des accélérateurs de ces effondrements, de toutes ces dérives, et de ce monde-là. C’est un monde finissant. Le débat, en tous les cas, doit se situer à ce niveau de problématique.
Reste cependant une question. Trump, Président élu, n’est pas le Trump candidat. Et pas un commentaire n’échappe à l’évidence d’une considérable incertitude sur le monde qui vient, sur ce monde selon Trump et sur ses conséquences pour tous. On comprend bien que Donald Trump, en réaliste et en pragmatique, devra sérieusement accommoder ce qui lui a servi de programme et d’argument électoral avec les réalités et les contraintes du système, avec les contradictions de l’ordre et du désordre international actuel. L’incertitude reste naturellement qu’on ne peut savoir où se placera le curseur de cette inévitable adaptation.
La politique de Trump, naturellement, n’est pas encore lisible. Comment le serait-elle, d’ailleurs, puisque cet homme d’affaires n’a pas vraiment de doctrine stratégique élaborée à faire valoir, n’a pas de vision internationale explicite, n’a pas de projet politique digne de ce nom, hormis une logique ou une cohérence d’ensemble fondée sur des valeurs ultra-conservatrices. Une logique incontestable mais évidemment incapable, dans ses contenus et sa portée, de former l’appareil intellectuel et politique nécessaire pour faire face à la crise actuelle du système capitaliste et crise de civilisation.
Il est donc temps de contribuer à bâtir des conceptions nouvelles pour un ordre mondial qui puisse en particulier interroger et mettre en cause le concept central de Puissance. La puissance est un moteur politique et idéologique. Elle est à la fois moyen et finalité dans le capitalisme. Une telle approche critique doit permettre une réflexion de fond sur la question essentielle : dans quel monde voulons-nous vivre ?
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