Turquie : forages alarmants, et risque de conflit régional ouvert…

L’engagement d’un navire de forage turc dans une partie Est de la Méditerranée, revendiquée par Chypre, tend à pousser la région vers un conflit régional ouvert.

La Turquie a annoncé cette semaine qu’elle veut «déchirer les cartes» dans la zone Est de la Méditerranée, avec l’engagement d’un navire de forage, le Yavuz, pour la recherche de gisements de gaz au sud-ouest de Chypre.

Le Yavuz est exploité par la société d’État Turkish Petroleum (TPAO). Il est stationné dans une zone revendiquée par Chypre. L’enjeu est un imposant gisement de gaz découvert par l’Égypte, Chypre et Israël. La Turquie prétend qu’ elle a un droit de participation à l’exploitation des hydrocarbures dans la région.

Le vice-président turc Fuat Oktay a déclaré que le déploiement du navire valait déclaration d’intention. La Turquie revendique depuis longtemps une zone Est de la Méditerranée, qu’elle appelle sa  » patrie bleue ». Début juin, il a élargi encore cette revendication au sud de Chypre. Les revendications turques sont rejetées par Chypre, par la Grèce et par de nombreux États signataires de la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer. Cette convention, ratifiée par 168 pays, attribue à chaque État une Zone économique exclusive (ZEE) jusqu’ à 200 miles de ses côtes. La Turquie n’a pas ratifié cette convention.

La Turquie et le Gouvernement d’accord national (GNA) en Libye – qui n’a pas non plus ratifié la convention – ont énoncé de nouvelles revendications de ZEE (qui se rejoignent) au large de leurs côtes. Leurs conjointes revendications rentrent en contradiction avec le projet de gazoduc israélo-chypriote qui devrait acheminer du gaz vers la Grèce et vers les marchés européens.

Mexique : la quatrième transformation. Un article d’ Obey Ament.

« Andrés Manuel Lopez Obrador et la quatrième transformation du Mexique en temps de Covid-19 »

Il est possible de lire la version espagnole de ce texte sur la page du Groupe Amérique Latine du Parti de la Gauche européenne

18 mois se sont écoulés depuis l’élection d’Andrés Manuel Lopez Obrador. Cette élection a été qualifiée d’historique car elle marquait la chute du système établi par le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) depuis 1929, et renforcé par la droite représentée par le Parti d’action nationale (PAN) de 2000 à 2006. Alors qu’il était parvenu à revenir au pouvoir en 2012, le PRI traverse actuellement la pire crise de son histoire : il n’est parvenu à remporter que 16 % des suffrages en 2018. Lors de ces mêmes élections, le PAN a atteint 22 % en s’alliant au Parti de la révolution démocratique (PRD). Ce dernier fait partie de l’opposition au gouvernement d’Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO) mais n’est plus que l’ombre de ce qu’il fut, et il s’en est fallu de peu pour qu’il disparaisse de la liste des partis officiels avec un score d’à peine 5 %.

L’opposition s’est servie de la pandémie de Covid-19 pour lancer une nouvelle offensive à l’encontre du gouvernement d’AMLO. Les critiques pleuvent sur chacune des décisions prises par le président pour faire face à la crise qui s’annonce et qui devrait faire perdre au Mexique 6 à 8 % de PIB. L’opposition s’attaque également à la stratégie du Secrétariat à la santé face à la pandémie, et toute erreur sur le plan médical est exploitée pour dénigrer le gouvernement. La faiblesse des partis d’opposition, le PAN, le PRI et le PRD, a créé un vide que les organisations patronales ont comblé.

1.– Objectifs, défis, stratégies, réussites

Andrés Manuel Lopez Obrador a déclaré à maintes reprises que son objectif était de sortir le pays du néolibéralisme dans lequel il a été plongé pendant 40 ans. Pour résumer rapidement, ses principaux objectifs sont les suivants : démanteler le système établi par le PRI, en finir avec la corruption et l’impunité et mener une politique de lutte contre la pauvreté et les inégalités, qui touchent plus de la moitié de la population. Les 1 % des Mexicains les plus riches détiennent 40 % des richesses du pays, tandis que 50 % de la population, soit 65 millions de pauvres, doivent se partager seulement 3,5 % des richesses.

Concrètement, les mesures économiques, politiques et sociales grâce auxquelles le Président Lopez Obrador souhaite transformer le pays sont les suivantes : arrêter la privatisation de la compagnie pétrolière mexicaine PEMEX et y investir pour en faire l’un des moteurs du développement du pays. Relancer également la Compañía Federal de Electricidad (CFE) avec de nouveaux investissements, et annuler le projet de construction d’un nouvel aéroport international à Mexico ainsi que les contrats conclus dans le cadre d’appels d’offres opaques et dans un contexte de favoritisme envers les chefs d’entreprise alliés au gouvernement du PRI. Un nouvel aéroport sera néanmoins construit mais sur la base de nouveaux appels d’offres à 45 km de Mexico. Cette décision a eu un coût élevédans la mesure où le gouvernement a dû indemniser les investisseurs pour les travaux qui avaient déjà commencé pour la construction du projet de Peña Nieto.

Le gouvernement vise également à rénover les institutions : Lopez Obrador souhaite séparer le pouvoir politique du pouvoir économique, mettant fin aux privilèges et à l’impunité dont jouissent ceux qu’il désigne comme des membres de la « mafia du pouvoir ».

De la même manière, les réformes ont pour objectif d’obtenir une séparation réelle des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Elles mettent fin au pouvoir absolu de l’exécutif, caractéristique des gouvernements antérieurs, et les chambres disposent désormais d’une réelle autonomie, allant parfois même plus loin que les propositions du gouvernement.

À mi-mandat, le Président de la République se soumettra au vote populaire au travers d’un référendum national, qui offrira la possibilité de le démettre de ses fonctions. Le salaire du président et des hauts-fonctionnaires ont été réduits de manière significative comme mesure d’austérité et d’exemplarité.

L’immunité judiciaire du président et des hauts-fonctionnaires va être supprimée, et ils pourront faire l’objet de poursuites. Il s’agit de l’une des mesures prises pour lutter contre la corruption qui, d’après Lopez Obrador, aurait coûté au pays 500 milliards de pesos (20 milliards d’euros), qui vont désormais pouvoir être injectés dans les politiques de développement du pays. Lopez Obrador a proposé une politique « d’austérité républicaine » réduisant les dépenses somptuaires, les grands luxes et les hauts salaires de toutes les personnes exerçant le pouvoir et assumant des responsabilités publiques. Le président et les membres du gouvernement ne disposeront plus d’avions, d’hélicoptères ou de voitures de fonction et devront emprunter des vols commerciaux.

Cette politique d’austérité présente différentes facettes et s’est attirée autant de critiques que de soutiens. Dès son élection, Lopez Obrador avait annoncé la suppression de 200 000 emplois au sein de la fonction publique. En effet, la politique clientéliste du régime imposait à l’État la charge d’emplois fictifs accordés à des alliés, proches ou amis, ces fameux « aviateurs » qu’on ne voit dans les bureaux que le jour de la paie. Dès le premier jour de son gouvernement, Lopez Obrador a annoncé que de nombreux postes allaient disparaître, à commencer par 70 % des contrats « de confiance », c’est-à-dire des « contractuels » ne faisant pas partie de la fonction publique.

La culture, la recherche et l’enseignement supérieur ont perdu une partie de leur budget et les intéressés ont été priés de revoir leur politique de dépenses, sous-entendant que leur gestion était trop laxiste et certaines dépenses injustifiées, sans exclure la possibilité de cas de favoritisme et de corruption. Certes, il existe un précédent qui plaide pour la mise en place d’une politique d’austérité : certaines des plus grandes universités du pays ont en effet participé à un détournement d’argent d’une valeur de plusieurs milliards de pesos en faveur de ministres et responsables du PRI. Le problème, c’est que si les abus et la corruption existent très certainement, de telles coupes budgétaires comportent le risque de faire payer des innocents pour la mauvaise conduite de quelques brebis galeuses. Par exemple, la réduction de 75 % du budget accordé au Conseil national des sciences et technologies conjuguée à la suppression par le gouvernement de fonds fiduciaires dédiés au financement de projets à long terme a suscité l’incompréhension parmi la communauté scientifique, en particulier à un moment où la pandémie impose un renforcement du travail scientifique. La suppression de ces fonds ne concerne pas uniquement la science, mais également d’autres domaines tels que la culture, le cinéma, etc. Le gouvernement a décidé de les supprimer dans le cadre des mesures mises en place pour faire face à la crise résultant de la pandémie et d’intégrer les fonds à la trésorerie de la fédération. Le Secrétariat à la fonction publique considère que « par le passé, ces fonds fiduciaires ont favorisé la corruption et ont été utilisés pour dissimuler des quantités colossales d’argent public ».

Autre facette de « l’austérité républicaine » : la redéfinition des priorités budgétaires, désormais concentrées sur une série de programmes sociaux et de projets de développement des infrastructures. Par exemple, le Secrétariat (ministère) au travail et à la prévision sociale a vu son budget bondir de 320 % en 2019, et celui de la sécurité sociale, qui s’occupe des programmes sociaux, de 29 %. Le budget de la sécurité sociale a quant à lui augmenté de 6,7 % et celui de la défense de 10,6 %.

En revanche, les budgets d’autres secrétariats ont été réduits de manière drastique : Tourisme -74 %, Intérieur -34,8 %, Affaires étrangères -30 %, Agriculture -33,8 %, Fonction publique -37,6 %. Le budget de la présidence a lui-même reculé de 84 %.

Ces coupes budgétaires portent en grande partie sur le fonctionnement des ministères. Par exemple, celui des Affaires étrangères a vu ses voyages et dépenses de fonctionnement se réduire au maximum pour se concentrer sur l’essentiel. Celui de l’Agriculture recule, mais les aides ont été réorientées vers les petits producteurs et les collectivités, tandis que les grands producteurs vont devoir se débrouiller seuls.

Dans le même temps, la politique budgétaire est soumise à une ligne très orthodoxe, dans le sens où le gouvernement surveille de près son niveau d’endettement, l’inflation, les déficits, et tente même d’atteindre l’excédent. Cela contribue très certainement à rassurer les « marchés », la bourse et les investisseurs. Par ailleurs, AMLO défend l’idée d’une sortie du néolibéralisme et s’est heurté à l’opposition de certains membres de son gouvernement. Carlos Urzua, Secrétaire aux Finances, a dû remettre sa démission suite à ses désaccords avec le Lopez Obrador. Le président a qualifié ses choix politiques de « néolibérales »

Les politiques sociales et les grands projets

Certains critiques ont reproché aux politiques sociales de Lopez Obrador de favoriser l’assistanat et d’être trop coûteuses. Pourtant, il existe une grande cohérence entre ces politiques, les grands projets d’infrastructures et les objectifs de lutte contre l’insécurité. Il s’agit d’une vision globale dont les résultats mettront du temps à apparaître, car elle est basée sur des projets qui porteront leurs fruits à moyen et long terme. Ces projets ont été élaborés pour lutter contre la pauvreté, favoriser la création d’emplois et offrir une formation aux jeunes.

Les grandes priorités du nouveau gouvernement se concentrent sur 30 programmes sociaux et une série de projets d’infrastructures : retraite universelle pour les personnes âgées, pensions d’invalidité pour les handicapés, 10,5 millions de bourses pour favoriser l’accès à l’éducation à tous les niveaux, création d’un système de santé universel auquel auront accès tous ceux qui n’ont pas de sécurité sociale (les travailleurs du secteur informel par exemple), création de 230 000 emplois avec le programme de plantation de millions d’arbres fruitiers et à bois, construction de 100 universités, bourses pour les mères qui travaillent, 750 jeunes ont intégré le programme d’apprentissage en entreprise dans l’objectif d’obtenir une formation et un emploi, aide directe aux familles qui participent à la gestion de l’entretien des écoles, 356 000 crédits pour de petites entreprises, aides directes, engrais et prix garantis pour les petits agriculteurs, soutiens à la pêche… la liste est longue.

Les retraites, les bourses pour les étudiants aux faibles revenus, les pensions pour personnes handicapées ainsi que le système de santé universel ont été inscrits dans la Constitution.

Les aides sociales ne passent plus par des intermédiaires du pouvoir qui servaient à établir des réseaux de clientélisme. Désormais, elles sont directement remises aux ayants droit au travers de la banque « Banco del Bienestar » nouvellement créée, qui est le premier distributeur de ressources et de programmes sociaux, mais également au travers de leurs comptes auprès de l’Institut mexicain de la sécurité sociale ou de leurs cartes de crédit s’ils en ont. Les personnes qui n’ont pas de compte bancaire ou ne peuvent accéder aux filiales de la banque « Banco del Bienestar » pour une raison ou pour une autre peuvent obtenir leurs aides via la banque Banco Azteca.

Grands projets d’infrastructures

Dans le même temps, le Plan national de développement (PND) prévu dans le programme électoral d’AMLO se concrétise avec la réalisation de grands projets d’infrastructures qui devront permettre créer de l’emploi et d’intégrer les régions les plus pauvres au développement du pays. Le PND prévoit aussi la construction d’un nouvel aéroport international, réinvestir dans le développement de PEMEXavec l’objectifd’assurer l’autonomie énergétique du Mexique. Le pillage de la compagnie pétrolière a notamment eu pour conséquence que ce pays producteur d’hydrocarbures soit obligé d’importer jusqu’à 60 % du pétrole et du carburant qu’il consomme. Six raffineries laissées à l’abandon vont être rénovées et deux autres vont être construites pour produire entre 600 et 700 000 barils de pétrole brut par jour. Toujours suivant cette ligne de reprise en mais par l’État du secteur énergétique , la CFE, la Compañía Federal de Electricidad, reçoit désormais les moyens nécessaires à son développement afin de pouvoir faire bénéficier les zones les plus défavorisées de l’accès à l’énergie électrique.

Dans le sud du pays, où vivent les populations les plus pauvres, le projet Train Maya a été lancé pour favoriser le tourisme et la création d’emplois. Un corridor interocéanique est également prévu entre la côte du Golfe du Mexique et l’Océan Pacifique pour permettre le transport de 30 % des marchandises actuellement transportées par le Canal de Panama et d’une part importante des marchandises qui transitent par Vancouver, San Diego ou Los Angeles. Ce corridor de 300 km implique la construction ou la modernisation de routes et chemins de fer et pourrait créer 550 000 emplois, non seulement dans le domaine de la construction et du transport, mais également grâce à l’implantation d’entreprises de l’industrie aéronautique ou automobile.

Ces grands projets ont provoqué une levée de boucliers de la part des écologistes de la Convención Nacional Indígena (Convention nationale indigène) et d’autres organisations indigènes présentes dans le sud du Mexique comme l’EZLN. Ces organisations voient dans ces projets une manière de consolider une vision néolibérale de la propriété de la terre et critiquent l’absence de concertation avec les communautés indigènes. Le gouvernement de son côté avance qu’il y a bien eu une concertation, que les communautés indigènes font partie des priorités sociales du gouvernement et que ces projets vont créer de l’emploi et permettront de désenclaver les régions les plus pauvres du pays.

Cette polémique sur la consultation de la population avait déjà eu lieu lorsque le gouvernement de Lopez Obrador avait arrêté les travaux de construction du nouvel aéroport international de Mexico décidépar l’équipe d’Enrique Peña Nieto en raison d’irrégularités dans l’attribution des marchés publics, et parce qu’il constituait une menace pour l’environnement du lac de Texcoco. Lopez Obrador proposa la construction d’un nouvel aéroport à un autre endroit, avec de nouveaux appels d’offres. Il organisa un référendum dans les régions concernées dont le résultat appuya les décisions du nouveau gouvernement. Les défenseurs du projet de Peña Nieto ont critiqué ce référendum en considérant que les participants étaient peu représentatifs de l’opinion du pays. Ceux qui s’opposent à la réalisation des grandes infrastructures émettent les mêmes critiques à l’encontre du référendum organisé dans le sud du pays. Dans les deux cas, les consultations, il est vrai, ont étéorganisées de manière un peu hâtive et pas assez organisées mais cela résulta davantage de la volonté du gouvernement de lancer ses projets le plus rapidement possible, plutôt que de la volonté d’ignorer la volonté populaire. En effet, ces projets font partie du programme pour lequel les Mexicains ont voté lors des élections présidentielles, dans le cadre dun mandat qui se limitera aux six ans prévus par la Constitution, sans possibilité de réélection pour le Président de la République. Andrés Manuel Lopez Obrador sait que l’horloge tourne et qu’il doit faire vite pour mettre en œuvre sa politique s’il souhaite que son projet de transformation soit consolidé avant la fin de son mandat de six ans sans réélection.

Salaire minimum, démocratie syndicale, droit du travail

Outre ces grands projets, sous le gouvernement de Lopez Obrador, le salaire minimum a été augmenté de 20 %, soit la hausse la plus importante en 40 ans. La nouvelle Loi fédérale du travail impose la démocratisation des syndicats, avec la possibilité pour les travailleurs de créer leurs propres syndicats et de choisir leurs dirigeants syndicaux par vote à bulletin secret, sans être obligés d’adhérer aux syndicats existants créés par le PRI, qui se sont distingués par leur corruption et leurs arrangements avec les chefs d’entreprise au détriment des droits des travailleurs. Les conventions collectives seront la règle et non plus l’exception, et la sous-traitance (outsourcing) sera régulée : elle ne pourra plus être utilisée pour priver les travailleurs de leurs droits et son usage sera limité aux cas où le recours à des employés spécialisés serait absolument nécessaire. Cette question de la sous-traitance est l’un des motifs de désaccord entre le Secrétariat au travail, qui défend sa régulation, et certains députés, qui aimeraient la rendre totalement illégale, et que la loi soit appliquée rétroactivement pour que les personnes travaillant déjà dans le cadre de la sous-traitance puissent récupérer leurs droits et salaires.

La réforme de l’éducation que le gouvernement de Peña Nieto avait fait adopter a été abrogée et remplacée par une nouvelle loi suite à une négociation parfois difficile avec la Coordinadora nacional de trabajadores de la Educación (Coordination nationale des travailleurs de l’éducation) et le Sindicato nacional de trabajadores de la Educación (Syndicat national des travailleurs de l’éducation). Cette abrogation est une victoire contre une loi d’inspiration néolibérale qui avait mobilisé les professeurs des écoles dans une lutte de longue haleine. Néanmoins, la promesse du gouvernement de réembaucher les professeurs qui avaient été licenciés par le gouvernement précédent en représailles de leur mobilisation n’a pas encore été tenue, et les mesures requises pour accroître le niveau de vie du personnel enseignant n’ont pas encore été prises non plus.

2.– Résistances institutionnelles, politiques et patronales

Outre les désaccords pouvant apparaître entre le gouvernement et certains militants, députés ou sénateurs de la majorité MORENA-PT, les politiques du nouveau gouvernement ont soulevé de nombreuses résistances de la part de différents secteurs, comme dans les cas du Train Maya et du corridor interocéanique évoqués précédemment. « L’austérité républicaine » a elle aussi suscité des protestations et des plaintes dans l’enseignement supérieur, de la part de certains chercheurs et scientifiques ainsi que dans le secteur de la culture, qui ont tous vu disparaître une partie de leurs ressources. Ce malaise est le résultat d’une baisse réelle du budget des universités, pourtant déjà dans une situation dramatique. Du point de vue du gouvernement, les universités ont elles aussi fonctionné pendant des années avec une gestion peu transparente, avec des cas de favoritisme et de détournement de fonds. Sans augmentation, le budget universitaire baisse de fait en raison de l’inflation et des déficits existants. La culture connaît une situation similaire : en plus de voir ses budgets gelés après des années d’oubli de la part des gouvernements précédents, elle a été soudainement confrontée à une réduction significative de 26 % de ses ressources.

Les syndicats des professeurs, le Sindicato nacional de trabajadores de la Educación (Syndicat national des travailleurs de l’éducation) d’origine priiste, et sa branche dissidente de gauche, la Coordinadora nacional de trabajadores de la Educación (Coordination nationale des travailleurs de l’éducation), qui s’étaient opposés à la réforme de l’éducation adoptée sous Peña Nieto ont continué de se battre pour obtenir son abrogation totale. Après de longues négociations, une nouvelle loi a finalement été adoptée et acceptée par les syndicats. Certains membres de la CNTE ont même été élus à la Chambre des députés en 2018 sur des listes MORENA.

La lutte contre le vol massif de carburants a mis au jour un trafic mêlant les autorités locales, des responsables de la compagnie pétrolière nationale PEMEX, des policiers et des organisations criminelles.

Cette activité appelée « huachicoleo » ou « ordeña » consiste à voler de l’essence et du diesel directement sur les oléoducs qui parcourent certaines régions du pays ou dans les entrepôts de PEMEX. Son coût s’élèverait à 3 milliards d’euros, une fortune dont la perte a évidemment fragilisé encore davantage PEMEX. D’après le Président Lopez Obrador, cette activité a aujourd’hui reculé de 95 %. C’est une victoire clé, puisque fin 2018, chaque jour, 12 500 prélèvements clandestins étaient réalisés, dérobant 15 millions de litres de pétrole.

Des chefs d’entreprise qui comblent le vide laissé par l’opposition

Les résistances les plus fortes proviennent néanmoins du patronat, de ces chefs d’entreprise qui faisaient autrefois partie de ce que Lopez Obrador appelle « la mafia du pouvoir », qui mêlait pouvoir économique et pouvoir politique, favoritisme, corruption, impunité… Aujourd’hui, les grands chefs d’entreprise montrent qu’ils ne se sont pas contentés de se résigner au changement de régime : ils continuent de s’organiser pour fragiliser le gouvernement et le faire tomber avant la fin de son sextennat. Les organisations patronales occupent le vide laissé par la défaite écrasante subie par les partis traditionnels, le PRI et le PAN, et le PRD, qui n’a toujours pas pris ses distances avec la droite la plus nauséabonde.

Il est important de souligner qu’avec le temps, une partie non négligeable d’entre eux en termes de poids économique s’est rapprochée du nouveau gouvernement pour les raisons décrites ci-dessous.

Durant la campagne pour les élections présidentielles, les organisations patronales mexicaines, mais également certains représentants des capitaux étrangers comme le président de BBVA, ont activement participé à une initiative visant à empêcher l’élection de Lopez Obrador. Cette offensive incluait notamment une campagne médiatique associant le candidat de MORENA à la violence, au chavisme, au castrisme, au retour aux années du « desarrollismo » responsable selon eux de la crise de la dette. Après l’élection de Lopez Obrador, les organisations patronales, le Consejo Coordinador Empresarial (CCE) (Conseil de coordination patronal), la Confederación patronal de la República mexicana (COPARMEX) (Confédération patronale de la République mexicaine) et la Cámara nacional de la Industria de la transformación (CANACINTRA) (Chambre nationale de l’industrie et de la transformation) entre autres ont bien dû accepter l’évidence : la population avait massivement soutenu le nouveau président. Pourtant, elles n’ont jamais perdu de leur combativité et ont répondu coup pour coup à chacune des mesures mises en œuvre par le nouveau gouvernement.

L’annulation du projet de nouvel aéroport international à Mexico dans lequel ces chefs d’entreprise avaient investi des milliards de dollars a donné lieu à une campagne visant à mobiliser la société mexicaine contre cette décision. Lopez Obrador a répondu en soulignant que ce gigantesque projet avait été attribué à certains investisseurs en raison de leur proximité avec le gouvernement précédent, dans un contexte de copinage généralisé. Il a alors proposé l’organisation d’un référendum auprès de la population de la région, qui a soutenu sa décision. Ce référendum a déclenché une bataille de plus, durant laquelle le patronat a affirmé qu’il n’était pas possible de baser cette décision sur le choix d’habitants ne disposant pas des connaissances techniques requises. Finalement, le gouvernement a imposé son choix et les investisseurs ont été indemnisés par le gouvernement.Le nouveau projet d’aéroport international est désormais en cours de construction à Santa Lucia par l’armée mexicaine sur des terrains qui étaient autrefois une base militaire, à 45 km de Mexico. Certains capitaux qui avaient participé au projet initial de Peña Nieto ont fini par s’associer à ce nouveau projet.

Les politiques « d’austérité républicaine » du nouveau gouvernement ont également mis à l’arrêt beaucoup d’autres projets cédés aux capitaux privés par Peña Nieto, provoquant la colère des organisations patronales. Une colère qui n’a fait qu’augmenter avec le lancement de la lutte contre l’évasion fiscale, qui a donné de bons résultats, ainsi qu’avec la décision du gouvernement de mettre un terme aux anciennes pratiques d’annulation des dettes des grandes entreprises envers le fisc. Le patronat a qualifié cette nouvelle politique de « terrorisme fiscal » ruinant la « confiance » des chefs d’entreprise et établissant un climat « d’incertitude » peu propice à l’investissement.

D’après le Président Lopez Obrador, la récupération de l’argent détourné par la corruption et récupéré grâce à la lutte contre la fraude fiscale devrait suffire à financier une bonne partie de la transformation du Mexique. Les montants donnent le tournis : la corruption coûte 20 milliards d’euros. Pour ce qui concerne l’évasion fiscale, d’après une liste officielle, 15 grands contribuables devraient — entre les dettes, les amendes et les majorations — un total de 2 milliards d’euros (50 milliards de pesos) au fisc.

La politique énergétique du gouvernement, qui a arrêté la privatisation de PEMEX et de la Compañía Federal de Electricidad (CFE), met elle aussi le patronat en rage. La réforme énergétique adoptée par le gouvernement d’Enrique Peña Nieto n’a pas été abrogée par le nouveau gouvernement, et les contrats et appels d’offres qui avaient été conclus avec des capitaux privés ont été respectés, bien qu’aucune nouvelle concession n’ait été accordée au capital privé. PEMEX et la CFE sont deux des piliers prioritaires du plan de développement du gouvernement actuel. L’objectif est non seulement de mettre un terme au démantèlement entraîné par leur privatisation, mais également de permettre au Mexique de produire ses propres carburants et sa propre énergie. À cause de l’abandon de ces deux grandes entreprises, le Mexique, pourtant producteur de pétrole, doit actuellement importer 60 % du carburant qu’il consomme.

En mai dernier, suite au recul de la consommation d’énergie électrique lié à la pandémie de Covid-19, le gouvernement a publié un « Accord visant à garantir l’efficacité, la fiabilité, la continuité et la sécurité du système électrique national », qui suspend notamment toutes les opérations réalisées par des investisseurs privés sur les installations éoliennes et photovoltaïques. La réaction des chambres patronales de l’industrie et des représentants de l’Union européenne, du Canada et des États-Unis a été immédiate pour condamner cette décision. Elle implique que le gouvernement refuse d’assumer les coûts que représente cette activité pour la CFE, qui se voit obligée d’acheter l’électricité produite par le secteur privé, en réalisant par ailleurs d’importants investissements pour la soutenir. Cette confrontation n’a rien d’anecdotique : il s’agit d’une confrontation avec le grand capital qui participait au démantèlement du secteur public de l’énergie et à sa privatisation sous couvert de la loi énergétique adoptée à l’époque de Peña Nieto. Lopez Obrador a accusé directement les compagnies étrangères, et notamment Iberdrola, de participer au pillage du pays. Outre les organisations patronales, les entreprises ont également reçu le soutien de sept gouverneurs appartenant à l’opposition PRI, PAN et PRD, un soutien qui politise l’affrontement et l’inscrit dans une confrontation entre le projet de transformation de Lopez Obrador et les forces qui bataillent pour revenir au pouvoir.

Les politiques d’accès universel à la santé et à des médicaments gratuits ont révélé les complicités entre les administrations corrompues de certains centres de santé et hôpitaux et les entreprises de distribution des médicaments. Quatre entreprises jouaient un rôle d’intermédiaire et monopolisaient la vente de médicaments au profit de 10 grandes compagnies pharmaceutiques internationales et au détriment des 1500 entreprises qui produisent des médicaments au Mexique. Deux de ces entreprises de distribution contrôlaient à elles seules 40 % de la distribution de médicaments.

Ces contrats ont été annulés et le gouvernement a établi des relations directes avec les entreprises productrices de médicaments pour approvisionner les centres de santé. C’est alors qu’est apparue une pénurie de médicaments organisée par les entreprises touchées et la direction des hôpitaux, et certainement accentuée par la réorganisation du système de santé. L’opposition s’est également servie de cette pénurie pour attaquer le gouvernement qui « mettait en péril la vie des patients ».

L’absence d’investissements au cours de la première année de mandat de Lopez Obrador peut être interprétée comme la première réaction du patronat à son élection. En cette première année, l’économie et la création d’emplois n’ont pas progressé, et la droite s’est emparée de cette situation pour dénoncer « l’incompétence » du gouvernement. Dans ce contexte, les politiques de soutien aux plus pauvres, aux personnes âgées et aux jeunes n’ont pas non été suffisantes pour une relance de l’économie. Dans le même temps, malgré les coups reçus et les cris d’alarme, les classes dominantes ont pu profiter de la stabilité de la valeur du peso et sont au fond favorables aux politiques d’austérité qui réduisent les coûts de fonctionnement de l’appareil étatique et permettent de maîtriser l’inflation. De son côté, Lopez Obrador n’a cessé de critiquer et de dénoncer la « mafia du pouvoir », répondant aux attaques sans se laisser intimider. Face aux faibles résultats économiques de la première année de mandat, il a finalement adopté une attitude plus conciliante avec le patronat, dont les investissements représentent 75 % du PIB.

Épaulé par le chef de cabinet de la présidence et par ailleurs grand chef d’entreprise dans le milieu de l’industrie agroalimentaire Alfonso Romo, Lopez Obrador a organisé un rapprochement avec les chefs d’entreprise : des rencontres ont été organisées au plus haut niveau, et une table de négociation a été mise en place avec les entreprises qui s’opposaient le plus vigoureusement au gouvernement. Il a arrondi les angles avec Carlos Slim, l’un des hommes les plus riches du monde et principal investisseur du projet d’aéroport international annulé.

Son discours s’est fait plus conciliant. « Nous n’avons aucun différend, aucun problème avec le monde des affaires, au contraire nous avons tâché d’établir de bonnes relations, et je remercie les représentants des chefs d’entreprise qui agissent avec un grand sens des responsabilités », a-t-il déclaré en août 2019.

En écho, Carlos Slim lui a manifesté son soutien en novembre de la même année, approuvant sa stratégie et expliquant que la première année de mandat du sextennat ne devait pas soulever d’inquiétude car le gouvernement « a mis en place une politique de suppression des dépenses inutiles et un plan d’austérité, a réduit la haute bureaucratie, et force est de constater que nous avons désormais un gouvernement plus sobre, plus austère ». En décembre 2019, Carlos Slim a de nouveau fait l’éloge de la politique de Lopez Obrador, qui « a permis de maintenir une discipline fiscale, d’éviter d’accroître le poids de la dette publique, de réduire l’inflation et d’augmenter le salaire minimum ». Lors de cette même intervention, à la demande de Lopez Obrador, Carlos Slim a présenté un « Accord national d’investissement et d’infrastructure » qui établit les bases d’une nouvelle collaboration entre le gouvernement et le Consejo Coordinador Empresarial (Conseil de coordination des chefs d’entreprise) qui réunit sept grandes organisations patronales.

Cet accord prévoit un investissement dans les infrastructures équivalent à 5 % du PIB. En trois ans, 147 projets seront menés sous l’impulsion de capitaux privés et avec le soutien du gouvernement dans les domaines de la logistique, de l’industrie, de l’énergie et du tourisme. Ces investissements représentent 45 milliards de dollars et concernent directement la région sud, où sera mis en place le projet Train Maya, ainsi que le développement des télécommunications, gazoducs, routes, chemins de fer, ports, aéroports, énergie, tourisme et santé, le tout mené sans endetter le pays.

Ce qui ressemblait à un nouveau pacte entre la « Quatrième transformation » et le patronat a manqué de dérailler à maintes reprises. Les dirigeants de la CCE sont revenus à leurs plaintes habituelles début 2020 et le plan que Lopez Obrador a annoncé pour faire face à la crise économique qui s’annonce suite à la crise sanitaire du Covid-19 les a incités à prendre de nouveau leurs distances avec le gouvernement.

Covid-19, stratégie face à la crise économique et sanitaire et organisation de l’opposition

Dans un pays où la moitié de la population vit dans la pauvreté et où le système de santé s’est fortement dégradé en 40 années de néolibéralisme, les conséquences de la pandémie de Covid-19pourraient être dramatiques. D’autant plus pour cette moitié de la population qui vit de l’économie informelle et doit sortir travailler chaque jour pour pouvoir nourrir sa famille. Dans certaines zones du pays, l’accès à l’eau reste difficile ou presque impossible, et les conditions d’hygiène sont plus que précaires. La faim commence à apparaître dans certaines régions du pays, et les habitants s’organisent en associations pour apporter de la nourriture et du soutien à ceux qui en ont besoin. Certains groupes d’opposition ont intégré ces associations et mènent un travail politique pour renverser l’opinion des plus pauvres qui soutiennent le Président Lopez Obrador.

Depuis le départ, la droite critique la manière dont le gouvernement mexicain gère la pandémie. Certes, Lopez Obrador a fait plusieurs fois preuve de maladresse et semblait peu au courant de l’importance de la pandémie. L’opinion publique a notamment été marquée par la manière dont il a répondu aux questions de la presse qui l’interrogeait notamment sur le maintien de ses tournées en province, où il prenait dans ses bras et embrassait ses partisans et leurs enfants. Naïvement, Lopez Obrador a alors montré face aux caméras le scapulaire et les amulettes que tel ou tel admirateur lui avait offerts. Si cet épisode peut sembler anodin, il a sans aucun doute nuit à la crédibilité du président auprès d’une partie de la population qui est consciente de la gravité de la situation et considère que le Président de la République doit avoir une conduite exemplaire.

Alors que la crise sanitaire commençait sérieusement à se profiler, Lopez Obrador, très certainement bien conseillé par son équipe et par le Sous-secrétaire à la prévention et à la promotion de la santé Hugo Lopez-Gattel, a adopté une attitude différente, plus pédagogue, et a surtout pris une série de mesures pour mobiliser le secteur de la santé, faire face à la crise économique et en atténuer les conséquences potentielles pour les populations les plus pauvres. Pour Lopez Obrador, « le coronavirus est venu précipiter la crise du néolibéralisme ». Plus de quarante années de néolibéralisme ont laissé le système de santé exsangue, sous l’effet combiné des politiques d’abandon, de la réduction des budgets et de la corruption.

Les prévisions tablent sur une diminution drastique de l’activité économique du pays, avec une chute d’au moins 4 % du PIB, voire 8 % pour certaines. Le gouvernement a demandé aux entreprises de maintenir les emplois et les salaires malgré le confinement et la baisse d’activité. Bien que seules les entreprises indispensables soient autorisées à continuer à fonctionner, un certain nombre de chefs d’entreprise, 15 % selon le Secrétariat au travail, ne respecteraient pas la consigne et obligeraient leurs employés à se présenter dans l’entreprise. Dans les maquiladoras (usines d’assemblage) situées à la frontière, de nombreux cas de contamination et de décès liés au Covid-19 ont été enregistrés.

La plupart des mesures qui ont été prises ont pour objectif de protéger les plus pauvres en donnant la priorité aux programmes sociaux et aux grands projets d’infrastructures, notamment le nouvel aéroport international, la construction de raffineries et le Train Maya, autant de projets qui permettront la création de nombreux emplois et constituent des piliers du plan de développement du pays à moyen et long terme.

Le gouvernement a avancé de quatre mois le paiement des pensions de retraite et des pensions pour enfants handicapés, 450 000 crédits ont été mis à la disposition des petites entreprises en plus des 356 000 déjà existants, 200 000 emplois ont été ajoutés au programme « Sembrando vida » et un programme de soutien a été mis en place pour les agriculteurs en plus des prix garantis pour le maïs, le riz, le blé, les haricots et le lait. Les budgets destinés à l’accès à l’eau potable, à l’assainissement et à l’écoulement ont été renforcés, et 50 000 logements supplémentaires devraient ainsi pouvoir être équipés dans les zones marginalisées de 51 communes.

Dans le secteur de la santé, le gouvernement a terminé la construction de 72 hôpitaux que le gouvernement précédent avait laissés à l’abandon, et 45 médecins et infirmières ont été recrutés. Avec leurs hôpitaux, leurs hôpitaux de campagne et leur personnel médical, l’armée et la marine nationale font également partie du dispositif mis en place face à la pandémie.

Dans le même temps, dix sous-secrétariats ont été supprimés, les fonctionnaires ont été relocalisés, et le salaire des hauts fonctionnaires a été réduit de 25 %.

L’opposition et les organisations patronales ont réagi avec véhémence lorsque la possibilité a été accordée au Président de la République de procéder par décret pour modifier la loi de finances, décision qui a servi de prétexte au lancement d’une campagne accusant Lopez Obrador de s’accaparer tous les pouvoirs. De nouveau, sont réapparues les déclarations dénonçant la volonté du président de « diriger le pays vers le communisme » et ses « tentations autoritaires ».

Les organisations patronales ont alors exigé que le gouvernement débloque des aides pour les entreprises, un moratoire pour le paiement de leurs impôts et le recours à l’endettement. Un paradoxe pour ceux qui se sont toujours opposés aux subventions et aides de l’État. La réponse de Lopez Obrador a été un refus net de tout nouvel endettement du pays et de l’annulation des dettes des entreprises envers le fisc. Il a également rejeté la proposition d’un moratoire pour le paiement des impôts des entreprises. Au contraire, Lopez Obrador a rappelé qu’après la crise financière de 1994, les banques avaient été sauvées grâce au « Fonds de protection de l’épargne » (FOBAPROA), ce qui avait plongé le pays dans l’endettement : 20 milliards de pesos il y a 20 ans et 1 milliard d’intérêts. Le sauvetage des banques avait coûté l’équivalent de 14 % du PIB. Les Mexicains continuent de payer cette dette et, d’après les prévisions, devraient continuer à le faire au moins jusqu’en 2070.

Le président a déclaré récemment : « Pour maintenir la confiance dans le pays, pour ne pas provoquer de crise, pour respecter nos accords, nous avons décidé de continuer à payer les intérêts de cette dette… Moi qui ai pourtant toujours été opposé au Fobaproa. Depuis l’année dernière, il me revient d’envoyer le budget à la Chambre, et je dois prévoir 40 milliards de pesos (2 milliards de dollars) d’intérêts par an ; nous n’allons pas poursuivre sur cette voie ».

« Nous ne pouvons pas accorder un traitement de faveur à ceux qui disposent de moyens économiques alors qu’il y a encore tant de pauvreté au Mexique » a affirmé Lopez Obrador, exigeant que les impôts, si nécessaires pour faire face à la crise, soient payés, tout comme les sommes dues en raison de l’évasion fiscale.

Malgré les mesures mises en œuvre, les défaillances du système de santé apparaissent au grand jour, et notamment le manque d’équipements de protection pour le personnel médical. 11 394 soignants ont été contaminés, et 49 en sont décédés (21 % du nombre total de contaminés dans le pays) par manque d’équipements de protection. Le gouvernement s’est mobilisé pour importer 2000 respirateurs des États-Unis, et le Conseil national de la science et de la technologie a annoncé que 500 respirateurs seraient fabriqués chaque semaine à partir du mois de mai. Un pont aérien a été mis en place entre la Chine et le Mexique et a déjà permis l’arrivée de 10 avions remplis de matériel, tandis que 590 médecins cubains ont été déployés dans le pays pour soutenir les médecins mexicains.

Le 31 mai, le bilan du Covid-19 au Mexique s’élevait à 9930 morts, les régions les plus touchées étant Mexico et son agglomération et la Basse-Californie. D’après une étude de l’Université nationale, le bilan pourrait atteindre les 37 000 morts d’ici au mois d’octobre.

Après avoir tenté de s’appuyer sur les déclarations maladroites du Président Lopez Obrador, l’opposition et les médias proches de l’opposition ont tenté de faire vaciller le Sous-secrétaire à la santé Hugo Lopez-Gattel, d’abord en lui intentant un procès en incompétence, puis en mettant en doute sa stratégie face au virus, et enfin en l’accusant de dissimuler le véritable bilan de contaminations et de décès. Jusqu’à en arriver à certaines extrémités : des journaux de l’État de Chihuahua ont publié en une des photos de corps empilés dans des sacs noirs. Or, ces photos, en réalité, avaient été prises en Équateur.

Ce qui pourrait le plus ternir la bonne image du gouvernement, ce sont les accusations de corruption. La campagne lancée dans la presse pour porter le discrédit sur le gouvernement a certainement déjà laissé des traces dans l’opinion publique, avec l’accusation lancée par une députée du PAN à l’encontre du fils du directeur de la CFE Manuel Bartlett, qui aurait vendu 20 ventilateurs à l’Institut de la sécurité sociale à des prix surfacturés et reçu 11 contrats sans appel d’offres officiel. La Secrétaire à l’énergie fait également l’objet d’attaques. D’après le journal « Reforma », certains de ses amis auraient obtenu des contrats pour l’aménagement des terrains où sera construite la raffinerie de Dos Bocas, l’un des grands projets lancés par Lopez Obrador. Dans les deux cas, le président a défendu l’intégrité de ses ministres, mais ces campagnes ont instillé le doute. Les antécédents de Manuel Bartlett ne jouent pas en sa faveur : il a été ministre de l’Intérieur à l’époque du Président de la Madrid et Secrétaire à l’éducation à l’époque de Salinas de Gortari avant d’abandonner le PRI et de passer à l’opposition en soutenant la candidature à la présidence de Lopez Obrador en 2006.

L’opposition a vu dans cette conjoncture la possibilité de s’organiser. Les partis politiques n’apparaissent pas directement en tête de cette mobilisation, mais mettent en lumière des organisations qui peuvent se réclamer de la société civile. Certaines comme le groupe FRENA (Frente nacional anti-AMLO) se revendiquent d’une droite très extrême liée à certains milieux d’affaires du nord du pays, réclament la démission du président et ont organisé 41 caravanes qui défilent dans des chars dans différentes régions du pays. Ce groupe commence d’ores et déjà sa campagne pour gagner le référendum révocatoire prévu pour mars 2022.

Il peut également s’agir d’intellectuels et d’universitaires restés fidèles à l’ancien pouvoir qui s’organisent dans la perspective des prochaines élections partielles de 2021 (législatives et gouverneurs). Cette opposition fait campagne en affirmant que Lopez Obrador concentre trop de pouvoirs, davantage que ce que la Constitution attribue au Président de la République et que sa gestion de la crise sanitaire du Covid-19 « est criminelle ». Profitant des difficultés du secteur de la santé, de la peur et de l’incertitude qui règne dans le pays, ces personnes participent à la campagne qui cherche à faire passer Lopez Obrador et son gouvernement pour des incompétents et des irresponsables.

Parmi elles figurent Héctor Aguilar Camin, proche du PRI, et l’historien Enrique Krauze, proche de la droite du PAN. Pour Héctor Aguilar Camin, le président est en train de mener une révolution qui « vise à tout effacer et à tout recommencer à zéro ». D’après lui, la révocation est hors de portée, mais les élections du 21 peuvent affaiblir le gouvernement, préparant ainsi le terrain pour une victoire aux présidentielles de 2022. Son calcul est loin d’être absurde. De fait, les conflits et affrontements au sein même de MORENA pourraient être déterminants. Trop occupé à régler ses comptes en interne, le mouvement abandonne la présence sur le terrain, sans organisation de ses militants ni présence d’un discours à même de politiser la population.

Conclusion

Comment identifier Andrés Manuel Lopez Obrador et sa politique. ? Est-il de gauche ? Est-il populiste ? Est-il, finalement, une nouvelle version priiste ? Pour répondre à ces questions, il faut tenir compte à la fois de tout ce que le candidat a fait et dit pour arriver à la présidence de la République, et de ce que le président élu fait et dit. Sur cette base, on pourrait dire que Lopez Obrador est un libéral progressiste comme l’ont été Benito Juárez, Ignacio Madero et Venustiano Carranza. Un libéralisme qui défend un État fort, qui respecte la démocratie et le droit et se caractérise par une orientation sociale très marquée. D’où la priorité donnée à la lutte contre la pauvreté, avec pour slogan « Primero los pobres » (Les pauvres d’abord), dans un cadre où l’État joue pleinement son rôle de chef de file. Lopez Obrador a tendance à se donner des airs de moralisateurs quand il appelle à renforcer la famille en tant que garantie de solidarité et avec sa manière d’exiger l’honnêteté la plus totale de la part des fonctionnaires. Lopez Obrador considère que le peuple est « sage », qu’il « ne se trompe jamais », mais contrairement au Président Lazaro Cardenas, il n’appelle pas à l’organisation des travailleurs. Il préfère appeler chacun à la responsabilité et individualiser les avantages des programmes sociaux. Par ailleurs, après avoir attaqué de front les grands chefs d’entreprise, membres de la « mafia du pouvoir », il s’est rendu compte qu’il ne pourrait pas se passer d’eux et de leurs fonds pour faire fonctionner l’économie. Il a accepté de ne pas renationaliser PEMEX et la CFE, mais a arrêté la privatisation et l’attribution de nouveaux contrats, en respectant néanmoins ceux déjà signés. Le patronat joue le jeu pour ne pas se couper de la réalisation des grands travaux, auxquels participent des capitaux étrangers comme la société para-étatique chinoise China Communications Construction Company et China Railway Construction Corporation, mais ne serait pas fâché de voir Lopez Obrador perdre la majorité en 2021 ou le référendum révocatoire en 2022.

Le peuple mexicain a voté massivement pour Andrés Manuel Lopez Obrador afin qu’il mette un terme au régime de corruption, d’abus et d’impunité. Le président a mis en place une série de changements dans l’objectif de démanteler les institutions du régime priiste. Pour ce faire, il a dû procéder d’une manière qui peut paraître brutale. Créer de nouvelles institutions prend généralement plus de temps que d’en détruire, c’est pourquoi des failles et des dysfonctionnements peuvent apparaître çà et là, donnant lieu à de vives critiques. Malgré tout, les sondages montrent que la majorité de la population continue de faire confiance au Président Lopez Obrador. Cette confiance pourrait néanmoins se voir ternie par les éventuelles affaires de corruption qui pourraient apparaître au sein du gouvernement. Par exemple, l’attribution de certains des grands travaux publics a été remise en question par la presse, sans qu’aucune violation de la loi n’ait été révélée jusqu’à maintenant. Il y a bien eu quelques litiges, comme « l’invitation directe » lancée par le gouvernement à Banco Azteca pour que la banque distribue les « cartes de sécurité sociale » sur lesquelles seraient déposées les aides à destination des bénéficiaires des programmes sociaux. Le problème, c’est que la banque a obtenu ce contrat de distribution « à l’invitation directe » des autorités et sans appel d’offres, et que par ailleurs elle appartient à Ricardo Salinas Pliego, l’un des hommes les plus riches du pays, qui fait partie des chefs d’entreprise à avoir soutenu le candidat Lopez Obrador. L’argument mis en avant est que Banco Azteca est la seule banque commerciale à être présente dans tout le pays, et la Secrétaire aux finances a expliqué « qu’il n’y a pas eu d’appel d’offres car les contrats de services financiers ne sont pas soumis à la loi sur les marchés publics dans la mesure où il s’agit de contrats commerciaux ». Rien d’illégal donc, mais la proximité entre Salinas Pliego et Lopez Obrador fait naître le doute au sein d’une population qui a appris à se méfier de tout rapprochement entre le pouvoir politique et le pouvoir économique.

Les manifestations organisées le 31 mai dernier par le groupe FRENA n’ont réuni que quelques centaines de personnes qui ont défilé dans leur voiture dans différentes villes du pays. Cet événement a mis en lumière la faiblesse de cette opposition extrémiste qui demande la démission de Lopez Obrador. Le reste de l’opposition attend son heure en préparant les élections partielles de 2021 qui auront pour but d’élire une nouvelle Chambre des Députés, les gouverneurs de 15 États ainsi que les nouveaux Congrès locaux et quelques maires. Cette élection aura un caractère national et constituera la première épreuve du feu pour les représentants de la Quatrième transformation.Leur majorité au Sénat et à la Chambre seront en enjeu..

La façon dont le gouvernement gérera la sortie de crise du Covid-19 et l’efficacité avec laquelle il fera face à la crise économique qui s’annonce seront déterminantes dans cette élection. Le niveau d’insécurité et de violence dans le pays joueront également. Pour le moment, l’un des quelques sondages publiés accorde 18 % des intentions de vote à MORENA (46 % en 2019), 10 % au PAN et 10 % au PRI, tandis que les indécis représentent 60 % des personnes interrogées.

Obey Ament, Juin 2020.

« Révolution » – Un livre de Bernard Deschamps

« L’Algérie, Abdelaziz Bouteflika, le Hirak »

Cet ouvrage de Bernard Deschamps aide à comprendre ce qu’est l’Algérie aujourd’hui. L’Algérie dans ses difficultés, dans ses contradictions… dans une période où l’ensemble du monde arabe est travaillé en profondeur, et souvent dans la violence, par les mutations de l’ordre mondial, par un capitalisme en crise, par les aspirations sociales et démocratiques des peuples en recherche de dignité et d’égalité. Le regard français sur ce grand pays, qui osa faire ses propres choix indépendants, fut marqué durant tant d’années par l’arrogance de l’ancien colonisateur qu’on apprécie cette approche sérieuse et sincère de la réalité. JF

Liban: le gouvernement de Hassan Diab KO…

Un article de Marie Nassif-Debs, ex-Secrétaire générale adjointe du Parti communiste libanais, Coordinatrice du Forum de la gauche arabe qui regroupe 30 partis de 11 pays arabes.

Beyrouth, 10 juin 2020

Quand, à la fin de l’année précédente et à la suite de beaucoup de tergiversations, le président de la République annonça que M. Hassan Diab formerait le nouveau gouvernement libanais, beaucoup de Libanais (dont nous ne faisions pas partie) s’étaient réjouis parce que ce nom qui ne faisait pas partie du club des présidents du Conseil pouvait – selon eux – aider à juguler la crise dans laquelle le Liban est plongé, depuis fin de la guerre civile, à cause d’une classe dominante pourrie par la corruption et le clientélisme, et protégée par un système de quotas confessionnels très particuliers doublé d’allégeance à l42trqnger. L’optimisme chez certains avait même atteint des degrés tels qu’ils avaient cru que bientôt tout rentrerait dans l’ordre puisque le nouvel élu s’était juré que les revendications du soulèvement du 17 octobre 2019 formeraient les titres essentiels de son programme et qu’il serait toujours le porte-parole du peuple…

Bien plus, ces optimistes, parmi lesquels nous comptons des amis très proches et qui connaissaient bien le parcours de certains nouveaux ministres, sont allés jusqu’à nous demander de nous tenir tranquilles pendant les « cent jours » requis par le gouvernement, faisant fi de nos avertissements portant sur le fait que Hassan Diab et ses ministres vont exécuter l’agenda mis au point par « ceux » qui les ont nommés et que les promesses ne vont pas tarder à s’évaporer…

Malheureusement, Hassan Diab ne nous a pas « déçus » sur toute la ligne.

En effet, le programme rédigé par son gouvernement constitue une copie conforme des grandes lignes que contenaient les programmes présentés par tous ceux qui se sont, depuis 1992, succédés à ce poste. Quand aux « nouveautés » qui y sont introduits, on y retrouve le plan de restructuration économique que la société McKinsey avait mis au point en 2018 ainsi que la feuille des « réformes » que le gouvernement sortant de Saad Hariri avait présentée avant de démissionner et qui contenait l’augmentation des taxes et des impôts indirects touchant surtout les petits salaires, en plus des projets de vente (ou de privatisation) des entreprises productives du secteur public… Tout cela accompagné d’une nouvelle restructuration des salaires et des retraites, dans la fonction publique en particulier, telle que l’avaient exigé le Fonds monétaire international et les autres pays créditeurs réunis à la conférence de « CEDRE » qui se tint à la hâte avant les dernières élections législatives, dans le but d’aider les constituants de la classe au pouvoir à consolider leurs positions branlantes et, par suite, de poursuivre leur exploitation des biens que recèle notre pays.

D’ailleurs, si quelqu’un nous demande de compter les « réalisations » que le gouvernement libanais a pu enregistrer durant les cent jours escomptés en plus d’un nouveau mois que sont la vie de ce gouvernement, nous dirons qu’elles sont tellement nombreuses qu’il nous sera difficile de les nommer toutes… à commencer par le faire-part du ministre des finances annonçant, le jour même de la prise de la photo officielle, la mort de notre monnaie nationale, ou, encore, les tergiversations entre le premier ministre et le gouverneur de la Banque centrale qui ont eu les effets les plus néfastes sur cette même monnaie nationale ; sans oublier la destruction par forces de la police des tentes érigées sur les grandes places à Beyrouth et la violence qu’ils opposent aux manifestants. Ajoutons à cela l’immixtion dans les affaires du pouvoir judiciaire, le refus de mettre fin à la contrebande vers la Syrie (surtout le marché des dollars et du fuel), le dernier scandale concernant le fuel frelaté (qui nous coûte de nouvelles coupures de courant), le dollar qui est passé de 1515 à 6000 livres, le chômage qui a dépassé le seuil des cinquante pour cent de la population active, ainsi que le scandale des dernières nominations administratives… Tout cela à l’ombre de la pandémie du Covid 19 et tout ce qui en a résulté. Cependant, dans ce décompte, le danger le plus virulent reste celui créé par les directives données par le groupe mondial de conseil financier Lazard et par les diktats du FMI qui fut appelé parmi nous depuis plus d’un mois.

Et, tandis que la famine frappe à nos portes et que des milliers et des milliers de PME, suivies par quelques grandes entreprises, ferment leurs portes au nez des ouvriers et employés, la classe au pouvoir brandit le spectre de la guerre civile face au peuple soulevé : telle fut l’image captée, le 6 juin, dans les rues de Beyrouth et de sa banlieue sud, image dessinée par les deux factions de la bourgeoisie libanaise (appelées communément les groupes du 8 et 14 mars).

Tous ces faits et, surtout, méfaits nous poussent à brandir le mot d’ordre d’en finir avec tous les corrompus-corrupteurs qui sont toujours prêts à mettre le pays à feu et à sang afin de se maintenir sur les sièges du pouvoir qu’ils gardent jalousement depuis trente ans (et plus pour certains d’entre eux).

Oui, le gouvernement de Hassan Diab est KO, non seulement parce qu’il a suivi les traces de ses prédécesseurs qui ont pressuré le peuple depuis trente ans et plus, mais aussi par le fait des personnes qui la composent, ou qui lui assurent sa force, et le programme qu’elle a adopté. Le gouvernement est surtout KO parce qu’il nous a mis à nouveau au bord du gouffre appelé « guerre civile »… et ce KO lui fut asséné par ceux qui avaient demandé à ce que nous lui donnions le temps de réaliser ses promesses et qui eurent la plus mauvaise surprise de leur vie quand ils ont vu la guerre civile se profiler devant leurs yeux.

Devant de tels dangers, il était devenu indispensable d’appeler au départ de ce gouvernement et, avec lui, toutes les composantes de la classe dirigeante, tant celles au pouvoir aujourd’hui que celles qui se trouvent dans « l’opposition ».

Il est temps de revenir aux titres sur lesquels la majorité des composantes du mouvement populaire s’était entendue le 17 octobre 2019, et que nous avions résumés par l’appel à un gouvernement d’union populaire ayant de larges prérogatives dans les trois directions suivantes :

La première direction étant la restructuration de l’économie nationale dans le sens du développement des secteurs productifs et de la sortie de l’économie rentière, tout en déterminant les priorités qui peuvent sortir les pays de la crise à court et moyen termes.

La seconde consistant à prendre des décisions, précises et rapides, sur les plans financiers et monétaires, dont le problème des petits épargnants, ainsi que celui de la dette publique et le rôle des banques (qui ont gagné des sommes mirobolantes durant les dix dernières années) afin d’aider à sortir le pays de l’impasse dans laquelle il se trouve.

Quant à la troisième direction, elle consiste à la création d’un conseil spécial formé de juges aux mains propres. Le but en est de traduire en justice toutes celles et tous ceux qui étaient des personnalités publiques depuis trente ans, et, ce, afin de récupérer les deniers publics là où ils se trouvent.

… Tout cela accompagné, bien entendu, de la promulgation d’une nouvelle loi électorale anti-confessionnelle, basée sur la proportionnelle et la circonscription unique, afin de créer des institutions représentatives et non basées sur les quotas confessionnels.

LES EXPORTATIONS D’ARMES DE LA FRANCE UNE MENACE POUR LA SÉCURITÉ DES ÉTATS — Armer Désarmer

En pleine crise du COVID, le ministère des armées reconnait dès le 1er chapître du rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France 2020[1] que le réarmement : « du monde s’illustre par l’accroissement des arsenaux, la dissémination non contrôlée d’équipements conventionnels modernes et l’utilisation toujours plus innovante des technologies civiles à des fins militaires. […]

via LES EXPORTATIONS D’ARMES DE LA FRANCE UNE MENACE POUR LA SÉCURITÉ DES ÉTATS — Armer Désarmer

« Iran: épidémie du Covid-19, tsunami des privatisations » – Behrouz Farahani

Manifestation Iran

Photos extraite du site ESSF. Manifestation d’étudiants iraniens progressistes.

ESSF

Cet article de juin 2020 a été publié sur le site Europe Solidaire Sans Frontières (ESSF)

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article53550&var_mode=calcul

Cet article de Behrouz Farahani, consacré aux questions économiques et sociales intérieures de l’Iran, en période de crise du coronavirus, propose un tableau très préoccupant des réalités actuelles dans ce pays qui, sous la pression américaine en particulier, subit sans discontinuer, depuis 25 ans, un régime de sanctions et d’embargos très lourd. L’Union Européenne a, elle aussi, pris sa part dans cet étranglement financier que l’Administration Trump a choisi d’aggraver encore en se retirant de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien et en renforçant les sanctions. Cet accord, dont nous avons déjà largement traité dans ce blog, a été ainsi vidé de son contenu et rendu obsolète alors qu’il aurait pu permettre un processus d’amélioration de la situation, voire un règlement de la crise. On sait aussi que le Président Rouhani, le 8 avril dernier, a « exhorté » le FMI d’accorder à l’Iran un prêt de 5 milliards de dollars pour faire face à la situation économique et sociale. Deux mois plus tard, soit le 11 juin 2020 exactement, date de la dernière mise à jour de la liste des pays ayant pu bénéficier d’une aide, l’Iran ne figure toujours pas parmi les bénéficiaires, alors que Téhéran est en droit d’y accéder. Pourtant, le FMI prétend officiellement fournir « une aide financière d’urgence et un allègement de la dette aux pays membres confrontés à l’impact de la pandémie du Covid-19 ». Le FMI connaît d’abord les amis de Washington… Mais on le savait. Une ignominie américaine supplémentaire. La France va-t-elle se taire et laisser faire ?  Jacques Fath

Voir: https://www.imf.org/en/Topics/imf-and-covid19/COVID-Lending-Tracker#MCD

Iran : Epidémie de Covid – 19, Tsunami des privatisations

L’Iran a été l’un des pays touchés dès le début de la pandémie. Selon les dernières statistiques officielles, il y aurait à ce jour plus de 169 000 personnes contaminées et 8209 décédées. La fiabilité de ces chiffres est contestée de façon quasi-unanime, y compris au sein même du Gouvernement Rouhani et de l’appareil d’État. Un membre du Conseil de la ville de Téhéran, monsieur Ahmad Hagh Shénasse, a même été convoqué par le redoutable organe sécuritaire du gouvernement central, le Ministère de l’Information, pour « mise en doute » des chiffres officiels !

Au-delà de ce contexte, une chose est sûre : après le déni initial, un vent de panique a rapidement soufflé sur les hôpitaux publics du pays, en raison du nombre exponentiellement croissant des malades présentant des symptômes qui ont pris d’assaut leurs services.

Ironie de l’histoire, l’origine de l’épidémie se trouvait dans la ville sainte de Qom, le « Vatican » de l’Iran. La réponse du gouvernement fut semblable à celle des dirigeants d’extrême droite comme Trump et Bolsonaro : minimiser le danger et mettre l’accent sur l’importance de continuer la vie économique.

Considérant l’importance du symbole de la ville sainte censée « produire des miracles » , fournir des remèdes aux maladies incurables, ainsi que constituer une énorme source de revenus pour le clergé, la ville de Qom n’a pas été mise en quarantaine. Et elle n’a été concernée par aucune mesure de restriction de voyage ou d’obligation de rester chez soi. Le Président Rouhani a passé son temps à rassurer la population et inviter tout le monde à continuer comme si rien de rien n’était. Sa formule répétée chaque fin de semaine, « la semaine prochaine tout rentrera dans l’ordre ! », a provoqué d’innombrables moqueries sur les réseaux sociaux.

Même les prières du vendredi, où la foule traditionnellement constituée de fidèles regroupés en situation de forte promiscuité, ainsi que les événements sportifs, n’ont été interdits que pendant les 45 premiers jours après la découverte du « patient zéro ». La plupart des vols internationaux des compagnies iraniennes ont pour leur part été maintenus.

Mais avec l’explosion du nombre de malades touché-es par le Covid-19, le gouvernement, sans imposer de quarantaine, ni interdire les voyages et déplacements interurbains, a appelé à la vigilance, fermant les écoles et les universités, les services de l’État et les commerces « non-essentiels », interdisant les prières collectives, les concerts et les événements sportifs, etc.

Quelques personnalités religieuses de haut rang ont été touchées par la pandémie. Le gouvernement a alors été contraint de fermer aux pèlerins le mausolée de l’Imam Réza (huitième imam des chiites) dans la ville sainte de Meched, ainsi que celui de Hazrat é Massoumeh à Qom. Selon les dires sarcastiques des citoyen-nes, il espérait peut-être que dans ces centres de « méditation et de spiritualité religieuse », il soit ainsi mis fin à la « production par milliers de malades en lieu et place des manifestations de miracles ! » Chose jamais arrivée dans toute l’histoire religieuse d’Iran ! Tout en invitant, toujours, les iranien-nes à se rendre au travail « avec précaution ».

Le manque d’équipement et d’objets essentiels en la circonstance comme du gel désinfectant, des masques, et des appareils à oxygène était criant, même pour le personnel médical. Officiellement, 107 médecins iranien-nes sont tombé-es malades pendant cette période en luttant contre le Covid-19, une hécatombe à l’ampleur inédite dans le pays. Partout sur les réseaux sociaux et même sur les chaînes de télévision d’État, les critiques ont fusé.

En ce qui concerne l’aide à celles et ceux ayant perdu leur emploi, les colporteurs de rue en sont exclus sans ménagement, et aucune aide sérieuse ne leur a été proposée. Sous la pression, le Président Rouhani a demandé au Guide Suprême Khamenei l’autorisation de débloquer, en urgence, un milliard de dollars de la réserve nationale, gérée directement par Khamenei. Le Guide a mis 11 jours pour répondre favorablement à cette demande. L’opposition, à juste titre, a souligné le contraste entre ces hésitations et la promptitude à verser la prime de 200 millions de dollars accordée par Khamenei aux forces de Qods, le bras armé des Gardiens de la révolution pour les opérations à l’étranger, au lendemain de l’assassinat de leur chef, le général Qassem Soléimani, par les américains.

La réponse tardive et limitée du gouvernement iranien a amplifié la crise économique, déjà bien profonde. Plus de 50 banques centrales dans le monde ont pris des mesures importantes pour réduire les taux d’intérêt bancaires, poursuivant une politique monétaire expansionniste pour réduire les coûts des entreprises et stimuler celles-ci. La Banque centrale d’Iran, elle, se garde toujours d’annoncer une possible réduction des taux d’intérêt bancaires. Elle a même disqualifié comme « rumeurs » l’idée d’éventuelles délégations par l’État de ces décisions aux banques elles-mêmes, ou l’idée que le gouvernement s’apprêterait à séparer les taux d’intérêt bancaires des demandeurs réels et légaux, et leur appliquer des taux différents.

Par ailleurs, une politique budgétaire qui consisterait à abaisser les taux d’imposition ou augmenter le niveau des exonérations fiscales, n’a pas reçu beaucoup d’attention de la part des décideurs économiques iraniens. La politique de soutien aux marchés financiers, qui a été conçue et mise en œuvre dans un certain nombre de pays à travers le monde, n’a pas non plus été à l’ordre du jour des planificateurs économiques iraniens, au vu de l’état des finances publiques (voir plus bas). Dans ces domaines, seul le report de trois mois du remboursement des échéances des prêts bancaires, ainsi que celui des paiements d’impôts au cours de cette période, ont été annoncés comme programmes de soutien.

Quels ont donc été les plans et politiques du gouvernement iranien pour répondre à la crise provoquée par la Covid-19 ?

A ce jour, le gouvernement a budgété 100 000 milliards de tomans (moins de 6.25 milliards de dollars au taux du marché) pour la mise en œuvre de ses programmes de soutien. Sur ce montant, comme l’a déclaré Mohammad Nahavandian, le Vice-président de la République d’Iran chargé de l’économie, 25 000 milliards de tomans (1.56 milliards de dollars) seront alloués à des subventions. Par ailleurs, 75 000 milliards de tomans (4.67 milliards de dollars) seront alloués aux ménages et aux entreprises sous forme de crédit et de facilités, mais avec un taux d’intérêt de 12% remboursable en 2 ans, le taux moyen en vigueur étant entre 15 et 18%. L’aide aux entreprises est conditionnée à la continuation d’activité et le non-licenciement des employé-es. Mais, en pratique, la mise en application de cette aide est restée floue. Seule une aide dérisoire d’un million de tomans, équivalant à 2/3 d’un mois de salaire minimum par famille, a été versée.

Dans les entreprises restées ouvertes, aucune mesure de distanciation sociale n’a été imposée aux patrons, ni la moindre contrainte sanitaire. N’ont été édictées que de vagues « recommandations ». En d’autres termes, les salarié-es d’Iran ont été envoyé-es à l’abattoir. D’après les chiffres officiels, plus de 107 médecins sont décédé-es des suites d’une infection par le virus. Il faut y ajouter des centaines des soignant-es, des enseignant-es, des travailleurs-euses de l’industrie, des salarié-es du secteur de service, etc. Ils/elles sont mort-es pour avoir été contraint-es de continuer à travailler, sans la moindre protection fournie par le patronat ou l’État. Partout les salarié-es ont eu recours au système « D » pour se protéger sur le lieu du travail.

En somme, l’attitude de l’État iranien doit être classée sous le signe de la priorité absolue donnée à l’économie, en sacrifiant pour ce faire la santé des citoyen-nes et en particulier celle des salarié-es. Si le nombre de mort-es reste limité (bien qu’indéterminé encore à ce jour), on le doit surtout à la vigilance de la société civile qui s’est imposée elle-même une auto-quarantaine, autant que possible, a respecté la distanciation sociale, a créé des comités d’entraide dans plusieurs grandes villes (surtout au Kurdistan iranien), et a mobilisé des moyens financiers par des dons privés et le volontariat des citoyen-nes.

Il ne faut pas négliger un autre facteur très important, voir déterminant, qui est l’âge moyen très jeune des iranien-nes : plus de la moitié des iranien-nes ont moins de 35 ans, et il n’y a que 5.5% (ou 7%, selon les sources) de citoyen-nes âgé-es de plus de 65 ans, beaucoup moins que la moyenne mondiale. On peut donc raisonnablement imaginer qu’existe une résistance naturelle contre le Covid-19 malgré l’importance du nombre de malades contaminé-es par le virus. En somme l’État iranien n’a joué aucun rôle déterminant dans le contrôle de l’épidémie de Covid-19.

Par contre sur la scène économique, Rouhani et ses ministres ont été très actifs, agressifs et même très « innovants ». Avant même l’épidémie, une politique agressive de vente de biens appartenant à l’État était en place, ce qui a affolé la Bourse de Téhéran. Et ce, malgré le fait que l’économie iranienne est en récession, et que le nombre d’entreprises réduisant leur production sous prétexte de manque de liquidités et de faible demande, augmente de jour en jour. La conséquence en est l’envoi de milliers des travailleurs-euses en congés forcés, ainsi que des licenciements tout court à tour de bras.

Les exportations de pétrole et de produits non pétroliers sont tombées à leur plus bas niveau de ces dernières années. Le gouvernement n’a même pas été en mesure de financer le budget des « programmes du développement » entrepris selon le plan quinquennal et a décidé d’externaliser au secteur privé les projets en cours. Pourtant, malgré cette situation, la Bourse de Téhéran est en plein essor et établit chaque jour un nouveau record.

Comment cela est-il possible ?

Pour trouver une explication il faut revenir quelques mois en arrière. Lorsqu’en décembre 2019, le gouvernement a présenté son projet de budget, appelé « Budget de la Résilience » pour l’année en cours, l’ensemble des observateurs ont constaté que non seulement celui-ci souffrait d’un déficit budgétaire abyssal de plus de 23% (131 sur 563 00 milliards de tomans de recette selon les calculs, déjà optimistes, du Centre des recherches de l’Assemblée Islamique), mais qu’en plus, les projections de ressources estimées par l’État n’étaient pas réalistes, notamment pour des prévisions de revenus pétroliers inatteignables, car basés sur la vente théorique d’un minimum d’un million de barils à 40 à 50 dollars. Afin de combler ce déficit, des nouvelles recettes néolibérales ont été mises sur la table et l’on raconte qu’une délégation du FMI était même allée à Téhéran pour prodiguer ses conseils avisés !

Des investisseurs privés et/ou de riches citoyens détiennent d’énormes liquidités, dont le montant total, qui a doublé au cours des 5 dernières années, est estimé à plus de 4 fois le revenu actuel de l’État iranien. Ces sommes ne sont pas réinvesties dans le secteur de la production industrielle considéré comme insuffisamment rentable à court terme. Elles alimentent, tour à tour, les marchés de l’or et devises ou le marché immobilier, créant à chaque fois une bulle spéculative énorme. Tirant prétexte de cette situation, Rouhani et ses conseillers ont décidé de canaliser ces liquidités vers la bourse.

En ce sens, et dans le but de « stimuler » la bourse des valeurs, le gouvernement a introduit 10% des actions de Shasta (nom abrégé de l’immense holding de 178 sociétés géré par l’organisme de Sécurité Sociale) pour « alimenter », disent-ils, le marché boursier depuis le début de la nouvelle année. L’introduction des stocks d’actions du « Fonds Négociables de l’État » (équivalent iranien d’EFT – Exchange Traded Fund) est aussi à l’ordre du jour. Rouhani a ordonné une augmentation de l’offre d’actions des grandes entreprises d’État. Le Conseil des Ministres a ainsi approuvé le transfert des actions négociables des fonds d’investissement.

Dans un premier temps, les actions de Bank Méllate, Bank Téjarate, Bank Sadérate, Amin Reliance Insurance et Alborz Insurance sont entrées en bourse. Par la suite, les actions de « Trading Investment Fund of Automotive and Metal Industries », y compris les actions restantes détenues par le gouvernement ou des sociétés d’État, seront offertes à la vente en bourse. Une remise de 25% (s’il vous plaît !) sera accordée, concernant Iran Khodro, Saipa, National Iranian Copper Industries et Mobarakeh Steel. Sera également concerné le « Fonds d’investissement pour les industries du raffinage du pétrole et de la pétrochimie », qui comprend les parts détenues par l’État ou des sociétés d’État dans les Industries Pétrochimiques du Golfe Persique, la raffinerie de Tabriz, la raffinerie de Bandar Abbas, la raffinerie d’Ispahan et la raffinerie de Téhéran.

Et pour couronner le tout, dans la soirée du mardi 28 avril, Ali Khamenei a accepté l’introduction en bourse des « Actions de Edalate (=Justice) ». Ces actions avaient été accordées à des millions d’Iraniens au cours des vastes projets de privatisation entrepris par le Président Ahmadinéjad, afin de créer un « actionnariat populaire » ! Ces actions étaient bloquées et interdites de transaction. Avec cette décision historique, la Bourse de Téhéran a poursuivi sa tendance à la hausse le mercredi 1er mai, avec une augmentation de 31 876 points d’indice, établissant un nouveau record historique.

Pour la forme, vue la surchauffe et l’invasion de la Bourse de Téhéran par des « hordes » d’investisseurs privés, le ministre de l’Économie et des Finances a mis en garde contre l’achat « d’actions » par des « profiteurs ». Mais le nombre de candidats aux achats d’actions a explosé, et « une montagne d’argent liquide », selon les représentants du gouvernement, a « erré » dans la salle de bourse. Les analystes économiques critiques du gouvernement sont unanimes, et considèrent les conséquences de la stimulation des marchés boursiers comme très dangereuses, et l’apparition d’une « super bulle » boursière inévitable à moyen terme. Le gouvernement entend cependant dynamiser les fonds d’investissement en proposant encore plus d’actions détenues par l’État ou des sociétés d’État.

L’indice boursier a déjà augmenté d’environ 68% au cours des trois derniers mois. Cependant, ce chiffre n’est pas conforme à la situation actuelle de l’économie iranienne qui est en forte récession de -9.5% (-5% en 2018) avec des prévisions beaucoup plus sombres pour 2020, aggravée par la crise du Covid-19. Mais le gouvernement Rouhani est satisfait de la situation. Rouhani a appelé « à libérer » encore plus d’actions du « Fonds d’Investissement d’État », déjà cotées en bourse. L’esprit de Madame Thatcher semble s’être emparé du corps de Monsieur Rouhani ! Une telle liquidation des avoirs d’État est tout simplement du jamais vu, même à l’époque du président Ahmadinéjad, pourtant champion en titre des privatisations, félicité en 2010 pour cela par Monsieur Strauss-Kahn, alors président du FMI.

Ainsi en pleine crise du Covid-19, un tsunami de ventes de divers avoirs d’État a déferlé sur les biens publics iraniens avec l’aval explicite du Guide suprême. Au même moment à Kerman, 3 500 ouvriers des mines ont organisé la plus grande grève de leur histoire … contre la décision de la direction d’introduire 40% des actions de leur société en bourse. Déjà au cours de l’année dernière, les salarié-es de la Sucrerie de Haft Tapeh, privatisée il y a plusieurs années, avaient mené des actions de protestation, réclamant la nationalisation de leur société, tout comme les travailleurs du complexe de Hépco, Mines d’Agh Ghaléh, etc. qui demandent la reprise de leurs sociétés par l’État à cause de sa gestion catastrophique et des faillites provoquées par la vente de ces sociétés d’État. En effet, ces ventes avaient eu lieu dans des conditions et des termes les plus opaques au cours des privatisations précédentes, mises en œuvre par les gouvernements Rafsandjani, Khatami et Ahmadinéjad, tous sans exception.

Cela montre que les actions récentes du gouvernement Rouhani, et il faut le répéter, avec l’aval du Guide Suprême, vont à l’encontre des revendications des travailleurs-euses d’Iran. Dans un pays où en pleine crise de pandémie, trois à quatre mouvements de protestations et/ou grèves ont lieu par jour, la situation va inévitablement déboucher sur un conflit frontal et des soulèvements de l’ampleur comme l’Iran en avait connu en décembre 2017 et novembre 2018.

Affaire à suivre…

Behrouz Farahani

50 millions de personnes menacées par la faim en Afrique de l’Ouest – OXFAM, 21 avril 2020.

OXFAM (2)

Valérie Mukangerero, 53 ans, travaille sur ses terres, dans le village de Rwamurema (district de Kirehe, Rwanda). Photo : Aurelie Marrier d’Unienville/Oxfam

Un appel de 8 organisations de solidarité

D’après la CEDEAO, avec l’impact du COVID 19, le nombre de personnes en crise alimentaire et nutritionnelle en Afrique de l’ouest pourrait passer de 17 à 50 millions entre juin et août 2020.

Alors que débute cette semaine le ramadan, 8 organisations régionales et internationales alertent sur l’impact du coronavirus conjugué à la période de soudure et à l’insécurité, qui va mettre à l’épreuve les populations d’Afrique de l’Ouest dans une période de jeûne pour certains et de partage.

Les agriculteurs, éleveurs, pêcheurs et transformateurs peinent à poursuivre leurs activités et voient leurs moyens d’existences menacés. Des mesures doivent être prises pour protéger les plus vulnérables et assurer la production alimentaire, pour que la faim et la malnutrition ne soient plus un danger quotidien.

Dans les villes comme dans les zones rurales de la région, malgré les efforts des États, les populations sont aujourd’hui confrontées à des difficultés d’accès aux marchés alimentaires, à un début de hausse des prix, à une baisse de la disponibilité de certaines denrées de base, conséquences des mesures restrictives mises en place, confinement ou couvre-feu, la fermeture des frontières et insécurité dans certaines zones.

Au Burkina Faso, Amadou Hamadoun DICKO, président de l’Association pour la Promotion de l’Elevage au Sahel et en Savane (APESS) raconte : « En quelques jours le sac de 100 kg de mil est passé de 16 000 à 19 000 CFA et le litre d’huile pour la cuisine a presque doublé. De même, pour les éleveurs, le prix du sac de tourteau de coton pour nourrir les animaux a augmenté. Avec le virus en plus de l’insécurité, je me demande comment le mois de Ramadan sera vécu cette année. »

La crise du coronavirus conjuguée à l’insécurité, exacerbe la menace de la stabilité des marchés et frappe de plein fouet une situation alimentaire déjà très fragile. Dans les pays confrontés à des crises humanitaires, l’accès à la nourriture est devenu très difficile. Au Burkina-Faso ou au Niger, l’aide humanitaire ne parvient pas à atteindre et à couvrir les besoins alimentaires des milliers de déplacés, l’urgence est devenue vitale.

Alors que débute également la campagne agricole, les producteurs et les agriculteurs sont déjà sévèrement touchés économiquement par la crise et ont des difficultés pour accéder aux semences et aux engrais de qualité. L’agriculture contribue à 30,5% de l’économie de l’Afrique de l’Ouest qui est la plus grande source de revenus et de moyens d’existence pour 70 à 80 % de la population , des femmes principalement qui se retrouvent en première ligne. Au Burkina-Faso, Madame TOE HAZARA Promotrice de la laiterie Café Rio témoigne : « Nous avons perdu 75% de notre marché à cause du confinement de la ville de Bobo Dioulasso. Cette situation est intenable car on ne peut plus supporter les charges de nos 13 employés et payer nos fournisseurs. »

Les communautés pastorales, confrontées déjà durement aux impacts du changement climatique, sont également impactées, ne pouvant plus assurer la transhumance du bétail, rendue impossible à cause de la fermeture des régions ou des frontières, ce qui risque d’augmenter les conflits entre éleveurs et agriculteurs. Ismael AG, éleveur membre du Réseau Billital Maroobé (RBM) témoigne : « L’instauration du couvre-feu restreint la possibilité d’abreuver les animaux pendant la nuit, du coup l’affluence autour des points d’eau est très forte pendant la journée. »

Pour surmonter cette crise, les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs et les acteurs de la transformation agroalimentaire comptent sur le soutien des Gouvernements, afin de mener à bien cette campagne de production qui a commencé dans la plupart des localités. Ibrahima COULIBALY, Président du Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA) ajoute : « Nous espérons aussi une prise de conscience des décideurs politiques et des citoyens, encourager la production et la consommation locale a encore plus de sens et d’enjeu aujourd’hui. »

Nous, responsables des réseaux d’Organisations Paysannes et des ONG internationales appelons l’ensemble des gouvernements à, d’une part contrôler les prix, assurer l’approvisionnement des marchés en denrées alimentaires issues des exploitations familiales et les transports de marchandises, et d’autre part, mettre en place des filets sociaux, pour venir en aide aux plus vulnérables.

Dans cette crise globale, la solidarité régionale et internationale est également de mise et l’appui des bailleurs de fonds aux Etats ouest-africains, aux organisations paysannes et à la société civile pour les aider à affronter cette crise dans un contexte régional fragile est indispensable.

Les organisations signataires :

  • Action Contre la Faim
  • Association pour la promotion de l’élevage au Sahel et en Savane (APESS)
  • Care
  • Oxfam
  • Réseau Billital Maroobé (RBM) – RBM est un cadre régional ouest africain des éleveurs et pasteurs
  • Réseau des Organisations Paysannes et de Producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA)
  • Solidarités International
  • Save the Children

Sur l’élimination du chef d’AQMI au Sahel. Un article de Bernard Deschamps

7 juin 2020

L’élimination d’Abdelmalek Droukdel, un succès militaire en trompe-l’œil.

L’élimination le 3 juin du chef d’AQMI au Sahel, par l’armée française avec l’aide du renseignement américain, est abondamment commentée par les médias. « Un succès majeur pour l’armée française.», écrit Le Point. La mise hors combat d’un chef terroriste est évidemment un coup dur pour son organisation. Mais cela ne peut faire oublier l’échec de l’option militaire au Sahel qui, depuis l’opération Serval lancée en 2013 par François Hollande, suivie de l’opération Barkhane en cours, n’a pu enrayer la montée de la violence et apparaît au regard des populations autochtones comme une ingérence étrangère qui alimente les ralliements aux groupes terroristes.

Le terreau sur lequel prospère le terrorisme est en effet la persistance du retard économique et de la misère et la négation des spécificités culturelles de cette région. Voici ce que déclarait le 25 septembre dernier, Antonio Guterres, le Secrétaire général de l’ONU (1): « Je crains que nous n’ayons collectivement échoué à enrayer les causes profondes de la crise – la pauvreté, les failles de gouvernance, l’impunité – qui nourrissent la montée de l’extrémisme violent. Les groupes terroristes instrumentalisent les conflits locaux et se positionnent en défenseurs des communautés », a-t-il ajouté. « Tout cela est aggravé par le changement climatique. La raréfaction des ressources naturelles exacerbe les tensions. Au Nigeria, les heurts entre éleveurs et agriculteurs ont l’année dernière fait plus de victimes que Boko Haram ».

Selon lui « partout, ce sont les civils qui en payent le prix. Dans les seuls pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), le nombre de morts civils entre 2012 et 2018 a été multiplié par quatre. Plus de 5 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire, plus de 4 millions ont été déplacées, 3 millions d’enfants ne sont pas scolarisés et près de 2 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire. » Il a estimé que « ces efforts devaient d’abord être centrés sur le front politique ».

Ce n’est pas l’orientation retenue par Emmanuel Macron qui, le 13 janvier a réuni à Pau les responsables du G5 pour intensifier les opérations de guerre.

Les groupes armés qui ont fait allégeance à AQMI n’étaient pourtant pas à l’origine radicalisés. La plupart ont tenté de faire valoir pacifiquement leurs revendications en passant des accords avec les gouvernements en place. Ceux-ci ne respecteront pas la parole donnée.

Le 26 mars 1991, est conclu l’Accord de Tamanrasset entre le Mali et Ansar Dine.

Voici comment le Nouvel Observateur (2) décrivait le chef d’Ansar Dine, Iyad Ag Ghali : « 53 ans […] ancien bassiste du célèbre groupe Tinariwen […] militaire formé en Libye, il est envoyé par Kadhafi pour faire la guerre au Liban contre Israël (1980-1982) avant de diriger les opérations commandos contre l’armée tchadienne […] il connaît tout du désert, sait se battre et vaincre. Iyad Ag Ghali est le leader charismatique, notable et chef de guerre, une icône, une légende, celui devant qui tous les Touaregs, même les plus bouillants, s’inclinent.» Ansar Dine « apparaît comme le mouvement clé de la guerre du désert […] avec ses trois mille hommes armés, sa nature exclusivement touarègue, sa légitimité historique, un chef charismatique et des tribus fidèles. »

En 2002, Iyad Ag Ghali servira de médiateur pour faire libérer 32 touristes enlevés à Djanet en Algérie. « Le fondateur d’Ansar Dine était en effet médiateur, chargé de libérer les otages occidentaux. D’ailleurs c’est lui-même en personne qui a négocié la libération de l’humanitaire Pierre Camatte, premier français enlevé au Mali, à Ménaka le 26 novembre 2009, avant d’être relâché le 23 février 2010, par Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Selon les médias suisses, il a aussi été la clé de la libération de nombreux otages helvétiques en 2003, 2009 et 2012 »(3).

En 2006, nouvelle rébellion, nouveaux accords et nouvel échec.

Le 15 mai 2015 est signé L’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger, à l’initiative de l’ONU et sous la médiation de l’Algérie en raison de ses bonnes relations avec les États voisins et avec les groupes touaregs. Accord conclu entre l’Etat malien et la « Coordination des mouvements de l’Azawad » (CMA) qui regroupait le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), une aile du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA).

Le principal signataire, le MNLA « est né de la fusion entre le MNA (Mouvement national de l’Azawad) et le MTNM (Mouvement touareg du Nord Mali). Les deux mouvements, pacifique pour le premier, armé pour le second, se sont réunis du 7 au 15 octobre 2011 afin d’œuvrer à la création d’une nouvelle organisation politique touareg, soucieuse d’asseoir les revendications de tous les Touareg de « l’ Azawad […] Le MNLA est l’héritier d’une longue histoire conflictuelle entre Touareg du nord-Mali et gouvernement malien. […] depuis trente ans, on discute avec le gouvernement, on signe des accords, mais ils restent sans effet », déclare le président du bureau politique du MNLA. Revendications qui se sont traduites depuis l’indépendance du pays en 1960 par trois rébellions touareg : en 1963, en 1990 et en 2006. En 1962-1963, la première rébellion touareg est durement réprimée par l’armée malienne et le mouvement est affaibli. Ce n’est qu’en 1990 que les combats reprennent, amenant la signature en 1991 des accords de Tamanrasset et du Pacte national en 1992 » (4).

Ces accords décident tous de la fin des opérations armées et prennent en compte les revendications économiques, sociales, culturelles et politiques des populations défavorisées.

L’Accord de Tamanrasset de 1991 :

« ARTICLE 1er : Il est mis fin aux opérations militaires et à toute action armée sur l’ensemble du territoire et principalement dans les 6è et 7è régions du Mali le 06/11/91 à 14 heures. ARTICLE 2 : Les deux parties s’engagent à interdire tout recours aux actes de violences, collectifs ou individuels. Toute action clandestine ou contraire à l’ordre publié doit prendre fin ainsi que toute infiltration d’éléments armés venant de l’extérieur.

Les deux parties ont convenu que les populations des trois régions du nord du Mali géreront librement leurs affaires régionales et locales par le biais de leurs représentants dans des assemblées élues, selon un statut particulier consacré par la loi.

Dans ce cadre, les assemblées locales constituées d’un organe délibérant et d’un organe exécutif, réglementent dans tous les domaines liés à leurs spécificités en matière économique, sociale et culturelle.

Ces assemblées élisent en leur sein leurs représentants qui se constituent en un conseil consultatif régional chargé de délibérer sur toutes questions intéressant les trois régions.

Dans le cadre du développement régional, 47,3% des crédits du quatrième programme d’investissement seront affectés à ces trois régions. »

En 2015, l’Accord d’Alger se prononce sans ambiguïté contre « le terrorisme et la criminalité transnationale organisée.» (Préambule et Titre III, Chap. 11) et il précise les conditions du désarmement, de la démobilisation, de la réinsertion des combattants et de leur intégration dans l’armée nationale. (Titre II, Chap.8, 9, 10 et Annexe 2/ II et III).

Il reconnaît l’appellation Azawad (zones saharienne et sahélienne du Nord- Mali habitées par les touaregs) et entend dans le cadre de « l’unité nationale, respecter la diversité humaine caractéristique de la Nation malienne […] éthique, culturelle, géographique, socio-économique […] socio-historique. » (Préambule et Titre I, Chap.1, Art.1). Il insiste sur les décisions qui devront être appliquées pour « une plus grande représentation des populations du Nord au sein des institutions nationales.» (Préambule et Titre I, Chap. 2, Art. 15). Il énumère les politiques à mettre en œuvre dans les domaines économique, social, éducatif, culturel afin de faire reculer le sous-développement du Nord dont on sait qu’il est le terreau du terrorisme. Afin de ne laisser aucun intervalle à une interprétation restrictive, il décide de la création d’une Zone de développement des régions du Nord-Mali, avec la création de Villages artisanaux, et des aides aux micro-entreprises. Cette Zone devra être pilotée par un Comité consultatif interrégional et il énumère un certain nombre de réalisations à entreprendre, avec leur implantation : points d’eau, routes, aéroports, hôpitaux, écoles, (y compris l’aide aux cantines scolaires), etc.(Annexes II et III). L’État malien s’engageait par cet accord à dégager les moyens financiers indispensables qui devaient être abondés par des apports internationaux.

Aucun de ces accords ne sera appliqué, les gouvernements du Mali n’ayant pas respecté leurs engagements. Ce qui entraînera la radicalisation des groupes touaregs et leur ralliement à AQMI, Al-Qaida au Maghreb islamique, descendant du GIA algérien puis du GSPC.

Le 10 mars 2020, Le Point annonçait cependant que : «Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), principale alliance djihadiste du Sahel affiliée à Al-Qaïda, s’est dit prêt à accepter de négocier avec Bamako à la suite de la récente décision du président malien Ibrahim Boubacar Keïta de rompre avec la ligne directive suivie officiellement depuis 2012. Mais à une condition : que la France et l’ONU retirent leurs forces du Mali. »

L’État français saisira-t-il cette opportunité ?

Bernard DESCHAMPS, 7 juin 2020

1) ONU info/ news.un.org › story › 2019/09

2) le Nouvel Observateur du 5 décembre 2012, site nouvelobs.com

3)Afrik.com, Iyad ag Ghaly, un poète devenu djihadiste par Assanatou Baldé – 27 février 2013.

4) Julia Dufour, 2012, Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité.

Même Mattis condamne…

The Atlantichttps://www.theatlantic.com/politics/archive/2020/06/james-mattis-denounces-trump-protests-militarization/612640/?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=atlantic-daily-newsletter&utm_content=20200603&silverid-ref=MzMwNDY3ODcxNDI5S0

Même l’illustre Général américain James Mattis, connu pour être un « faucon », condamne la brutale répression de l’Administration Trump contre les manifestions anti-racistes, avec une sévérité exceptionnelle…

Dans l’éminent et très ancien magazine culturel « The Atlantic » du 3 juin, le Général James Mattis, ancien Secrétaire à la Défense de Donald Trump, rompt le silence. Dans une déclaration exceptionnelle de condamnation, Mattis dénonce le Président Donald Trump, en le présentant comme une menace à la Constitution.

« Donald Trump est le premier président, de toute ma vie, qui n’essaie pas d’unir le peuple américain – et ne prétend même pas essayer », écrit Mattis. «Nous assistons aux conséquences de trois ans dans cette volonté délibérée.»

« J’ai observé, en colère et consterné, les événements qui se sont déroulés cette semaine, écrit Mattis. Les mots Égalité dans la justice en vertu de la loi sont gravés sur le fronton de la Cour suprême des États-Unis. C’est précisément ce que les manifestants demandent à juste titre. C’est une demande saine et unificatrice – une exigence que nous devrions tous pouvoir soutenir. »