Michel Delplace  – Témoignage au procès des attentats du 13 novembre 2015.

audience du 21 octobre 2021

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs de la Cour,

Le 13 novembre, ma fille Elsa, sa maman Patricia, ma première épouse, et mon petit-fils sont au Bataclan.

Elsa et Patricia sont tuées. Elles se trouvaient devant le « stand marchand ».

Mon petit-fils est indemne physiquement.

*****

Je voudrais avant tout poser quelques repères :

Je suis né en 1950 et j’habite en Seine-Saint-Denis.

Je me marie avec Patricia en 1978.

De ce mariage, naissent Elsa en 1980 et Fabien en 1984.

Nous divorçons en 1992.

Patricia se remarie avec Franck en 2002,

et moi-même, je me remarie avec Isabelle en 2009.

Maintenant à la retraite, j’ai exercé différents métiers qui relèvent de l’éducation populaire mais je crois utile de préciser,

que j’ai fait des études de géographie consacrées spécialement à la connaissance du monde arabe,

que je me suis rendu dans les années 70 au Liban, en Syrie, en Irak,… Au Maghreb également et tout particulièrement en Algérie,

et cela, régulièrement jusqu’en 1987.

Peu de temps après, nous entrons dans la « décennie noire ».

Je suis retourné en Algérie seulement en 2013.

Et, si j’ai choisi d’être athée, je connais un peu les religions du Livre.

*****

Cela fait des mois que je pense à ce témoignage

comme chacun et chacune ici.

Comme chacun et chacune ici, je me suis demandé :

En quoi peut-il être utile ?

Quels mots ? Quel sens donner devant cette Cour ?

Comment servir ?

Etre à la barre aujourd’hui,

je sais que c’est une grande responsabilité.

C’est pourquoi j’ai préféré écrire ce témoignage pour

m’assurer d’aller au bout,

en respectant tout le sens que je veux lui donner.

*****

Pendant combien de minutes, combien de secondes, Elsa et Patricia se sont-elles vues mourir ?

Peut-on imaginer ce que mon petit-fils a vécu cette nuit-là ?

Il a 11 ans maintenant. //

Mon épouse, Isabelle, a retrouvé le policier qui, avec ses collègues de la BAC75N, a sorti notre petit-fils du Bataclan.

Tout part d’un article paru dans la revue syndicale « La Tribune du Commissaire ».

Dans cet article signé « Un commissaire de la DSPAP » -c’est lui qui a témoigné ici le 22 septembre dernier- on peut lire :

« Un de mes effectifs est allé chercher dans ses bras un petit garçon de 5 ans qui était sous une personne… Cette image fut terrible pour tous. »

Voici le témoignage qu’Isabelle a recueilli

(et c’est avec l’autorisation du policier que je le livre à la Cour, Monsieur le Président) :

«Un commissaire de police -mon chef- et son chauffeur sont arrivés les premiers.

5 minutes après, avec 2 équipiers, j’arrive à mon tour sur place. Nous entendons la fusillade à l’intérieur.

Nous faisons une première tentative pour entrer dans la salle, sur le côté après le vestiaire. Nous faisons demi-tour car trop exposés et sous-armés.

2ème tentative : entrés sur le côté droit, nous voyons, à environ 5 mètres, les pieds d’un enfant bouger sous un corps inanimé (une femme ou un homme ? je ne sais pas). Nous faisons à nouveau demi-tour car trop exposés, puis nous attendons l’arrivée de la BRI.

Arrivée de la BRI, silence de cathédrale. Notre équipe progresse très lentement vers l’enfant, avec d’infinies précautions.

Nous parvenons enfin à extraire le petit en le tirant par les pieds. Je le prends dans mes bras ; j’ouvre tout de suite mon blouson pour y cacher sa tête. Il portait un casque anti-bruit sur les oreilles.

Il n’oppose aucune résistance.

J’ai bien vérifié qu’il n’avait aucune blessure. Je le porte ensuite jusqu’au poste médical avancé et je repars à l’intérieur du Bataclan rejoindre mes collègues.

Tout le temps où le petit est dans mes bras, il me répète

« Vous êtes gentil, monsieur, vous êtes gentil, monsieur ».

Nous gardons ce sentiment d’impuissance, de colère, d’avoir dû attendre l’arrivée de la BRI faute d’équipement,

ce sentiment de frustration de ne pas avoir pu faire plus ce soir-là. »

Fin de son témoignage.

Nous pensons souvent à eux et à ce qu’ils ont vécu et réalisé cette nuit-là. Nous les assurons de toute notre reconnaissance.

Mon petit-fils est conduit ensuite à l’hôpital Bégin.

Plus tard dans la nuit, il retrouve son papa, Jeremy.

Aujourd’hui, on peut dire qu’il va bien grâce à tous ceux et celles qui l’entourent.

Cette année, il est entré au collège.

Il fait du karaté, du foot, de la musique. Il adore Dragonball et les mangas, (cela ne surprendra personne…)

Il a beaucoup de copains, de copines,…

enfants du monde issus de tous les horizons…

Et il continue de voir une pédopsychiatre chaque semaine…

Et pour longtemps encore…

*****

Faut-il répéter ici qu’il y a un avant et un après-13 novembre ?

(« Tu te rappelles ? Quand nous sommes allés à tel endroit, c’était avant ou après 2015 ? »).

Il s’est passé 6 ans. 6 ans ! Toutes les images sont là,

et l’inquiétude,

l’attente des nouvelles,

l’angoisse,

l’irréparable désastre,

la colère.

Et quand bien même on réussit à apprivoiser la douleur,

on continue à porter ce poids terrible.

Sans fin.

Je veux remercier à ce moment tous les professionnels, toutes les personnes que je rencontre depuis 2015 qui m’aident, qui nous aident encore…

*****

Le 1er septembre 2016, j’adressais une longue lettre à quelques ami.es.

(Plusieurs d’entre eux, plusieurs d’entre elles, sont ici, dans cette enceinte. Merci à vous, merci d’être là)

J’avais besoin, depuis un bon moment, de mettre noir sur blanc

ce que j’avais vécu,

ce que je vivais…

Je voudrais,

monsieur le Président,

en donner quelques extraits :

« Cher.es ami.es,

Je viens vous donner des nouvelles, dix mois bientôt après la mort au Bataclan d’Elsa et Patricia.

Je vais vous parler de moi. Je ne dirai rien de mon petit-fils ni de ceux et celles qui m’entourent. Il est impensable que je parle en leur nom.


Mais comment donner des nouvelles à vous,

des centaines qui êtes si proches,

même si vous habitez à l’autre bout de la France, en Allemagne, en Espagne, au Chili ou sur l’autre rive de la Méditerranée ?

Quelles nouvelles ?… Quelles nouvelles alors que je tiens tant à ces quelques vers écrits il y a 1000 ans par le poète persan Omar Khayyam ?

Je le cite :

« Si assuré et ferme que tu sois, ne cause de peine à personne ;
Que personne n’ait à subir le poids de ta colère .
Si le désir est en toi de la paix éternelle,
Souffre seul, sans que l’on puisse, ô victime, te traiter de bourreau. »

Après cet avertissement, je commençais ainsi :

« …Aujourd’hui, nous sommes le 1er septembre 2016, jour de rentrée scolaire.

Il y a trente ans, c’est en chantant « Allons enfants de la patrie… » qu’Elsa faisait son entrée à l’école élémentaire Paul Éluard. Au fronton de l’école, il y avait, -il y a encore heureusement,

« J’écris ton nom, Liberté ».

Quel beau signe pour une enfant de six ans !

Libre, Elsa l’a toujours été. Parfois un peu trop à mon goût. Elle suivait son chemin… »

Je continuais un peu plus loin :

« …Le 10 novembre 2015, en fin de journée, elle m’appelait (elle était dans le métro ou le RER) pour m’apprendre, joyeuse et fière, que son employeur (…), sans attendre la fin de sa période d’essai, la passait en CDI. Ils appréciaient, je reprends leurs propos, « son grain de folie ».

Comme j’étais heureux de voir qu’elle avait trouvé enfin un point de stabilité après tant d’années de recherches.

Épanouie, elle l’était.

C’était trois jours avant le Bataclan !

C’est la dernière fois que je l’entendais.

***

« Des images, des moments que je revis sans cesse :

Le samedi 14 novembre, la recherche frénétique d’informations fiables (police, hôpitaux) sur ce que Elsa et Patricia étaient devenues.

Fort heureusement, le petit était à l’abri dans la famille.

En milieu de journée, nous arrive l’information, officieuse, qu’elles étaient sur la liste des victimes.

Désespoir, colère (les murs sont solides). Mais rien n’est encore sûr, n’est-ce pas ? Même si elles ne répondent pas sur leur portable.

On me dit : «Il faut attendre l’annonce officielle ; dans ces cas-là, ce n’est pas par téléphone, quelqu’un se déplace au domicile des proches ». Les heures passent. Anxiété.

Le samedi soir, rien n’a bougé. Nous allons de nous-mêmes à l’Ecole Militaire où se trouve la cellule interministérielle d’aide aux victimes (CIAV).

100 personnes sont , dans l’attente de nouvelles de leurs proches.

, la prise en charge est totale pour recevoir la voix officielle d’un juge d’instruction.

Il n’y a plus de doutes.

Et pourtant…

Oui, monsieur le Président, vous le savez : on garde espoir jusqu’au bout…

« Le dimanche soir, nous nous rendons à l’institut médico-légal.

Quelle attente ! Oui, il y a beaucoup de monde. Le personnel est débordé.

Mais maintenant, c’est sûr. Je les ai vues : ma fille Elsa et sa mère Patricia ont été tuées au Bataclan alors qu’elles se faisaient une joie avec le petit (chez mamie Paulette, son arrière-grand-mère, il dansait sur le CD) d’assister au concert des Eagles of Death Metal… »

A cet endroit de ma lettre, je posais cette question :

« …Les assassins sont-ils des fous, des forcenés ?

Non, ils sont tous passés par la Syrie rejoindre Daech. Une organisation, une logistique puissantes, nous expliquent les juges d’instruction chargés de l’enquête.

Et contrairement à ce que certains ici ont avancé après l’assassinat du père Jacques Hamel, il ne s’agit pas d’une guerre de religions. Je connais un peu l’Islam. Je connais beaucoup de musulmans, je sais que eux n’ont rien à voir avec le 13 novembre, avec Nice, avec Saint-Étienne-du-Rouvray.

Daech tue aussi des musulmans partout dans le monde. »

Un peu plus loin dans ma lettre, je faisais référence à un ami qui m’avait dit ceci :

«Et si on se posait les bonnes questions :

Pourquoi nos sociétés européennes produisent-elles tant de jeunes djihadistes ?

Pourquoi notre monde se déchire-t-il si cruellement au Proche-Orient, en Afrique… ?

Pourquoi des Etats s’effondrent-t-ils ?

Pourquoi des idéologies violentes, sectaires et mortifères gagnent-elles des sociétés ?

Que faut-il changer ici et là-bas ?».

Ces quelques mots, monsieur le Président, m’ont beaucoup aidé à reprendre le dessus,

à faire face…

Comprendre pour mieux combattre, oui.

*****

Je reprends ma « lettre aux ami.es » :

«…aucune logique de guerre n’a jamais engendré un monde où l’on devrait vivre en harmonie,

seule une logique de paix pourra faire naître un monde tel que ceux qui nous ont quittés brutalement l’aurait imaginé…»,

c’est ce que j’écrivais au Président de la République le 27 novembre 2015, jour de l’hommage aux Invalides.

Le jour des obsèques, un quotidien titrait

« A quand un monde selon Elsa ? »

Non,

la mort d’Elsa,

la mort de Patricia,

la souffrance du petit,

la souffrance de toutes ces familles,

non, il n’y avait rien de fatal à cela…

Et je ne ferai jamais l’amalgame entre une croyance religieuse légitime et la folie meurtrière d’individus criminels envoyés par l’Etat islamique… »

Plus loin, j’écrivais ceci :

« … Le 30 novembre. Le funérarium des Joncherolles. Le cimetière.

Souvent je revois vos visages, je ressens la stupéfaction et la reconnaissance que j’ai eus à vous savoir là,

venus du quartier voisin,

des régions (comme on dit maintenant),

venus de l’étranger spécialement…

Je relis tous les mots manuscrits, les mails, les SMS, messenger…

Cela fait chaud au cœur, cela tire les larmes.

J’entends souvent les notes de musique qui ont rempli la salle des Joncherolles,

la musique qui remplissait la vie d’Elsa.

Son violoncelle, je l’ai avec moi. Peut-être le petit voudra-t-il en jouer un jour ?

***

La vie continue, dit-on. Mais, vous ne serez pas surpris, elle ne continue pas comme avant.

Je poursuivais, monsieur le Président, en rappelant ceci :

« L’association « 13onze15-Fraternité et Vérité » s’est créée en Janvier 2016. J’y ai adhéré. Elle regroupe des victimes et proches de victimes des attentats du 13 novembre.

C’est un des moyens pour que cette catastrophe ne soit pas oubliée…

Pour, disent les statuts,

« contribuer à toute réflexion et action s’inscrivant dans la lutte contre le terrorisme ».

Lutter contre l’oubli, contre la banalisation, pour les droits, pour la vérité.

***

…Maintenant, qu’y a-t-il devant ?

Nous approchons du 13 novembre 2016. Quelle attitude prendre ?

Être partie prenante des manifestations commémoratives ?

Me tenir retranché, loin de tout cela ?

Je ne sais pas encore… »

Et je terminais ma lettre par ces mots que Paul Eluard écrivait en 1936 au moment de la Guerre d’Espagne :

« On s’habitue à tout

Sauf à ces oiseaux de plomb

Sauf à leur haine de ce qui brille

Sauf à leur céder la place. »

*****

« Sauf à leur céder la place. »

, étaient la conviction et l’engagement de Patricia et Elsa.

Loin de toute haine,

défendant joyeusement l’idée qu’un monde de paix était possible…

Je pense qu’elles ont participé à toutes les manifestations contre les guerres en Irak ou en Syrie…

Aussi, quand j’entends les assassins d’Elsa et Patricia tenter de justifier leurs actes par la vengeance,

ça ne passe pas,

monsieur le Président

NON, ça ne passe pas !…

Pour eux,

le petit n’existe pas,

Elsa et Patricia sont des morts anonymes…

…Mais elles étaient faites de chair ! de cœur ! d’esprit !

Elles sont la vie !

Ce ne sont pas seulement des noms sur une plaque !

Ce sont des êtres humains… pas des objets désignés au hasard d’une vengeance fanatique !

*****

Qui est donc Patricia ? Qui est Elsa ?

Patricia est née au Chili en 1954.

Après le coup d’état du général Pinochet, le 11 septembre 1973, son père, Rolando, comme des milliers d’autres démocrates chiliens, est arrêté et contraint à l’exil.

En 1976, il doit partir pour la France où Patricia et sa maman, Betty, vont le rejoindre.

La solidarité ici s’était organisée sous toutes les formes. C’est ainsi que Patricia va rejoindre une troupe de théâtre chilienne qui est accueillie, depuis un moment déjà, en région parisienne :

le Théâtre de la Résistance.

La première pièce présentée s’intitule « Chili Liberté » et s’ouvre avec la chanson « Gracias a la vida »,

« merci à la vie qui m’a tant donné… ».

Devenue agent de la fonction publique dans une commune de Seine-Saint-Denis, Patricia s’engage dans l’action syndicale où elle se trouve rapidement en charge de responsabilités.

Au lendemain du 13 novembre, ses ami.es lui rendent hommage et écrivent ceci :

(je cite)

« …Patricia a fui l’oppression pour venir s’installer dans notre pays, patrie des droits de l’homme.

Qui aurait pu imaginer qu’un jour, dans son pays d’accueil, elle aurait pu être victime de fanatiques adeptes du pire obscurantisme ?

Patricia luttait pour un monde plus juste, pour un monde de paix, de fraternité…

Nous avons été nombreux à savourer son accent et son phrasé inimitables.

La voix de Patricia continuera de chanter dans nos souvenirs et dans nos cœurs…»

Fin de citation

Et c’est vrai, Elsa et Fabien sont, pour elle, « Elsita »et« Fabito »… Et, pour son petit-fils, elle restera « abuelita »

*****

Elsa est arrivée au monde en 1980.

Elsa, c’est le refus du compromis et une langue bien pendue.

Elle ne fait aucune concession. Tous ceux et toutes celles qui l’ont connue, s’en souviennent encore ! Moi le premier.

Elsa, c’est l’image d’une vie trépidante avec cette grande fragilité qu’elle cache au fond d’elle-même…

Attentive aux autres, généreuse, elle entreprend une foule de choses, surtout dans le domaine de la culture, et elle va finalement intégrer un cabinet international de Conseil en Management.

Et, parmi toutes les expériences qu’elle a lancées,

je pense tout particulièrement à cette aventure photographique que l’on peut difficilement raconter

et qu’elle appelle avec ses ami.e.s

« Les instants folies »…

Elle affiche alors sur les réseaux sociaux :

« Chaque jour est une vie entière ».

Et il y a ce mot qu’elle porte en tatouage : « Levantate»,

« Lève-toi », c’est le titre d’une chanson de Victor Jara, assassiné par les militaires chiliens…

Levantate…

« Lève-toi et regarde la montagne

Apporte-nous ton royaume de justice et d’égalité… » dit la chanson.

//

Et puis, monsieur le Président, je souhaite partager avec vous l’étonnement que j’ai eu en rangeant les affaires qu’Elsa a laissées derrière elle :

J’ai retrouvé la copie d’une lettredont j’avais perdu le souvenir. Elle est datée du 9 décembre 1987. Je ne savais pas qu’Elsa l’avait gardée. Elle devait compter pour elle…

Cette lettre, je l’adressais à son institutrice : (je cite)

« Aujourd’hui le monde connaît un moment d’espoir extraordinaire, mais combien sous-estimé, avec la signature de l’accord qui prévoit la destruction de missiles nucléaires pour la première fois dans l’Histoire

-ou bien la Préhistoire ?-.

Nous avons cherché avec Elsa ce qui pourrait marquer cette journée, étape nouvelle pour l’avenir de tous les enfants du monde.

Ils ne doivent plus apprendre la guerre mais la paix.

C’est pourquoi nous nous permettons de vous remettre pour votre classe une sérigraphie du peintre chilien Jose Balmes en souvenir de ce premier pas vers une nouvelle façon de penser et de vivre :

détruire des armes au lieu de les construire.

Vous savez combien la vie mérite tous les efforts patients et obstinés. »

(fin de citation)

Espoir, Espérance…

Amertume ?

En tout cas,

C’est ainsi qu’Elsa grandit et j’en suis fier.

*****

Elsa repose maintenant dans un cimetière de Seine-Saint-Denis auprès de son grand-père de France.

Les cendres de Patricia ont été déposées au Chili, sa terre natale, par Fabien, mon fils, et Franck, son mari.

Patricia avait souvent dit sa volonté de reposer au Chili le jour venu. C’est ce qui a été fait, mais qui peut accepter l’idée que ce jour était venu ?

*****

Aujourd’hui,

les questions restent entières :

Pourquoi Elsa et Patricia ont-elles été tuées ?

Pourquoi mon petit-fils a-t-il vécu le pire ?

Pourquoi ces attentats du 13 novembre ?

Ce procès permettra de dégager les réponses, j’en suis persuadé.

Mais,

monsieur le Président,

à la fin du mois de mai, le jugement une fois rendu,

nous n’en aurons pas fini.

D’autres questions sont là, qui ne relèvent pas de ce tribunal :

Quelles sont les causes profondes du terrorisme djihadiste ?

Comment le prévenir ?

Comment l’éradiquer ?… si cela est un jour possible.

Que faut-il changer dans ce monde pour que plus personne,

où que ce soit,

ne vive ce que nous vivons ?

J’ai en mémoire ce qu’a dit Rachid Benzine, auteur de « Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? ». Avec son autorisation, je le cite :

« Il est possible de détruire le territoire physique de Daesh. Mais le territoire des esprits, c’est une autre paire de manche ».

Je pense que là est le défi que doit relever notre humanité :

« Bousculer toutes les intelligences,…

les yeux de la curiosité, l’esprit de la raison, le cœur, grand ouverts »

comme je le disais l’an passé, lors de l’hommage rendu dans ma ville à Samuel Paty.

*****

Pour terminer, Monsieur le Président,

Je veux dire ma conviction, toute simple :

Rien ne fera disparaître les victimes du 13 novembre,

au Stade de France,

sur les terrasses,

au Bataclan,

tuées

ou blessées dans leur chair et dans leur âme,

Rien ne fera disparaître Elsa et Patricia,

ni leur idéal de liberté et de justice.