Ukraine… Comment sortir d’une crise internationale majeure ?

Une initiative pour empêcher la guerre.

Il faut le dire clairement : aujourd’hui, 20 février 2022, si la situation continue à se dégrader au rythme que nous connaissons depuis des semaines, depuis des jours, et même quelques heures… alors il faudra constater que la guerre est à nos portes en Europe. C’est un fait probable. Pour ne pas dire certain car le pire ne doit pas être considéré comme inévitable. Il n’y a heureusement pas de fatalité à ce que le Secrétaire général de l’ONU a désigné comme une « catastrophe » possible. Mais il faut se donner les moyens d’agir. Le moment est critique. Des décisions doivent être prises. Maintenant.

Comment ne pas entendre battre les tambours de guerre et comment ne pas voir à quel point la confrontation USA-OTAN-Ukraine-Russie a pris la cadence d’une escalade de moins en moins contrôlée… parce qu’elle est de plus en plus alimentée dans un engrenage de menaces et de militarisation. Dans un contexte où une rhétorique incendiaire ne fait qu’exacerber les tensions et nourrir le danger. Certes, tout le monde (ou presque) certifie ne pas vouloir la guerre, mais ce qui se passe aujourd’hui n’est pas autre chose qu’une forme de préparation à celle-ci.

Lorsque le Président américain Joe Biden se dit aujourd’hui « convaincu » que Vladimir Poutine (malgré les multiples dénégations de celui-ci) a pris « la décision » de lancer l’offensive et d’envahir l’Ukraine dans la semaine ou les jours qui viennent… que fait-il d’autre qu’alimenter les nationalismes et les peurs, en justifiant les hostilités ? Le Président ukrainien Volodymyr Zelensky n’y va pas par quatre chemins en appelant l’Occident à « cesser sa politique d’apaisement » et fixer « un calendrier clair » pour l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN…Autant dire qu’il faut faire la guerre tout de suite. Quand au Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, tout indiquerait pour lui que la Russie prévoit « une attaque complète de l’Ukraine »…

Évidemment, dans le contexte actuel tout est possible. On peut (il faut) évidemment comprendre l’inquiétude légitime de l’Ukraine et de bien d’autres pays devant les stationnements, les renforcements et les exercices militaires russes (y compris navals en Mer noire et en Méditerranée), impliquant non loin des frontières terrestres de l’Ukraine quelque 100 000 soldats et des capacités militaires de haut niveau… Cela fait partie des questions devant être discutées de toute urgence. Et de bonne foi par tous les protagonistes. Comme le souligne Mme Rosemary Di Carlo, Secrétaire générale-adjointe de l’ONU chargée des affaires politiques, « les accusations et les récriminations entre les différents acteurs impliqués dans les discussions en cours ont créé de l’incertitude, et l’appréhension pour beaucoup qu’une confrontation militaire est imminente ».

Les puissances occidentales donnent cependant l’irrépressible sentiment qu’il ne s’agit plus d’obtenir une « désescalade » comme condition à une négociation, mais qu’il faut s’inscrire dans l’endiguement stratégique de la Russie. A force de s’exacerber, la tension change de dimension. Et les logiques de puissance ne cessent de se renforcer. L’escalade des hostilités se transforme de façon périlleuse en mécanique létale et pernicieuse sans frein de sécurité. Les risques sont énormes.

Les responsables politiques et la plupart des médias occidentaux affirment ne pas savoir ce que veut réellement Poutine. La Russie a pourtant présenté ses demandes dès le mois de décembre 2021 sous la forme de 2 projets de traités internationaux très précis. Mais le contenu de ceux-ci n’a pas obtenu autre chose qu’une fin de non recevoir. Les États-Unis et l’OTAN ont rejeté ce qu’ils ont appelé des « non starters », c’est à dire des paramètres irrecevables, des propositions sur lesquelles on refuse à priori d’engager toute forme de discussion. Malgré les formes du discours, ce fut une brutale récusation. Il est vrai que les exigences russes sont particulièrement élevées et probablement, pour certaines d’entre elles, hors d’atteinte pour Moscou qui devait s’en douter. Mais une négociation commence toujours par le haut. La diplomatie est un exercice difficile et patient qui doit servir à chercher et trouver des solutions, des compromis et des consensus. Washington a ainsi repoussé toutes les demandes russes tout en proposant de négocier sur des questions de sécurité d’un tout autre ordre (en elles-mêmes non négligeables). L’Administration américaine, comme elle l’a fait depuis 1989/1990 et le démantèlement de l’URSS, a ainsi éconduit la Russie, ce que ne voulait surtout pas Moscou qui cherche depuis des années à s’imposer comme acteur majeur et puissance que l’on doit respecter.

Alors il est venu le temps de changer radicalement de méthode. Les discours de la menace, de la force et de la dissuasion militaire doivent laisser la place à une vision de responsabilité , avec les pratiques du multilatéralisme. Il faut impérativement et immédiatement bloquer la montée des risques, faire redescendre la tension, et s’extraire de l’impasse politique en changeant l’ensemble du logiciel et le cadre de négociation.

Une tout autre démarche diplomatique doit pouvoir ainsi s’imposer. Les Nations-Unies et leur Secrétaire général doivent prendre la main. Et engager sur décision et sur mandat du Conseil de sécurité des Nations-Unies, avec un appui de l’Assemblée générale, une mission de médiation, de négociations et de propositions, d’abord pour empêcher le pire et faire baisser la tension. C’est une exigence immédiate et absolue. Ensuite ou simultanément pour commencer des pourparlers sur le fond, toujours sous tutelle ONU, selon les buts et les principes de sa Charte, concernant l’ensemble des problématiques soulevées depuis des mois par chacun des acteurs de cette crise. Personne ne dit que ce sera facile. Mais il n’y a pas d’alternative crédible et acceptable à la diplomatie. Surtout pour un conflit si complexe qui, depuis 8 années, contribue à fragiliser si profondément les conditions de la sécurité en Europe.

Les Nations-Unies doivent aussi s’impliquer directement comme aide et garantie dans les négociations dites du « format Normandie » concernant spécifiquement le règlement de la question ukrainienne par l’application des Accords de Minsk validés par l’OSCE et par le Conseil de sécurité de l’ONU. Une attention particulière devra être accordée aux aspects politiques et institutionnels de ces Accords dont la mise en œuvre peut constituer la meilleure assurance multilatérale d’une sécurité durable et partagée par tous.

Qui peut agir ? Qui doit agir ? Les autorités françaises et leurs partenaires européens – en tous les cas ceux qui veulent vraiment travailler à une issue politique – doivent prendre une initiative d’ampleur dans ce sens. Et de façon très déterminée. Il faut sortir des postures politico-militaires, des approches antagonistes et des logiques de puissance pour retrouver le sens de la responsabilité collective et de la sécurité collective. Sans un progrès décisif dans cette voie… bientôt, il sera peut-être trop tard. C’est maintenant que cela doit se décider.