Quelle solution politique à la guerre ?

Voici quelques idées et propositions pour la réflexion sur la nécessité d’une issue politique à la guerre en Ukraine. A partir des évolutions les plus récentes, ce texte complète mais ne remplace pas une lecture de mon livre « Poutine, l’OTAN et la guerre… » (éditons du Croquant). Ce livre apporte en effet, sur cette guerre impérialiste déclenchée par Vladimir Poutine et son régime, des clés de compréhension plus que jamais nécessaires sur les causes, sur les enjeux, et quant à la question des responsabilités dans une page d’histoire de 30 années de confrontations de puissances.

A mesure que l’issue de la guerre se joue dans l’escalade et l’incertitude, dans un rapport de forces évolutif et incertain… les risques augmentent, et la rationalité des choix effectués par les acteurs de la guerre est mise à l’épreuve. L’éventualité s’accroît d’un engrenage et d’un embrasement plus général dans une guerre ouverte OTAN / Russie. Dans ce contexte, les dangers y compris nucléaires s’accentuent. Et les conditions de la sécurité internationale poursuivent une trajectoire de dégradation très préoccupante. Cette évolution est périlleuse, mais le débat sur les options stratégiques à privilégier ne cesse pas pour autant de se concentrer sur la façon de poursuivre la guerre, sur la question des « vertus » respectives de la victoire et de la défaite militaire.

Notons d’abord qu’une situation manifeste de « victoire » ou de prépondérance militaire gagnée par la Russie dans le Donbass, soulèverait des problématiques politiques essentielles liées à la souveraineté de l’Ukraine, et acterait les faits accomplis d’une agression d’État et d’une acquisition de territoires par la force. Naturellement, une telle fragilisation / négation de principes politiques et juridiques fondamentaux est inacceptable en soi. Contraire à l’idée que l’on se fait d’un ordre international fondé sur le droit et sur la Charte des Nations-Unies. Alors que l’exercice des politiques de force et de domination dans les relations internationales, et les crimes qui vont avec, ne cessent de gagner du terrain au fil des années.

On constate ainsi qu’Israël impose au peuple palestinien les prises de guerre de sa politique illégale et illégitime d’occupation militaire et de colonisation. Cela dans une totale impunité. On peut même affirmer qu’Israël (depuis fort longtemps) agit en Palestine comme la Russie se conduit aujourd’hui en Ukraine, au mépris des règles et du droit existants. Il y a donc deux poids deux mesures dans une conception de l’universalité du droit à géométrie très variable. Que ce soit en Ukraine, en Palestine, au Kurdistan, au Sahara occidental ou ailleurs, on ne peut accepter ni un tel mépris de la légalité internationale et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ni la moindre banalisation de l’usage de la force comme paramètre inévitable d’un ordre international en déliquescence sous les coups de boutoir permanents des logiques de puissance et des politiques de force et de domination.

A l’inverse, il faut mesurer qu’une défaite militaire de la Russie, que de nombreux responsables politiques appellent de leurs vœux, y compris en France, serait d’abord le meilleur moyen pour entretenir la volonté persistante d’une revanche ultérieure de la Russie. Il faut en effet se souvenir que la sanction d’un rapport de forces n’est jamais une « solution » mais toujours un état de fait qui s’impose, et qui trop souvent créée le désir de revanche. Un défaite militaire de la Russie, au-delà du problématique sentiment de vengeance qu’elle peut susciter, pourrait avoir d’autres conséquences critiques pour l’ordre international et pour la sécurité. Une telle défaite (encore faudrait-il définir mieux de quoi l’on parle ici…) pourrait en effet produire en Russie des enchaînements de crises déstabilisatrices ayant une portée internationale.

On aura noté à ce propos les déclarations de Kyrylo Boudanov, Chef du renseignement militaire ukrainien, dans le quotidien Le Monde du 24 février. Il souligne que la Russie sera forcée de se retirer d’Ukraine, « sinon cela mènera à l’effondrement du régime russe ». Il ajoute que « la question de l’architecture politique et sécuritaire de cette région, qui va de l’Europe de l’Est à la partie asiatique de la Russie, se posera. (…) Le monde n’a pas besoin, dit-il, d’une Fédération de Russie telle qu’elle existe aujourd’hui, et qui menace le monde entier ». Naturellement, le temps de la guerre est aussi un temps de batailles idéologiques qui pousse à toutes sortes de calculs et de spéculations, y compris les plus extrêmes. Mais ce n’est pas la première fois que l’option d’un démantèlement de la Fédération de Russie est brandie comme une possibilité sinon un souhait, au mépris des risques inhérents à une telle éventualité.

Il est vrai qu’une déstabilisation de l’État russe et une crise politique interne, un affaiblissement ou une mise en cause de l’intégrité et de l’unité de la Fédération de Russie pourraient aboutir à ce que la situation créée soit considérée par Moscou comme une menace provoquée, touchant aux intérêts vitaux de la Russie. Le risque nucléaire en serait sérieusement accentué. On entrerait ainsi dans les circonstances officiellement prévues par la doctrine russe (voir le document de planification stratégique de juin 2020) en vue d’une mise en œuvre de la dissuasion pour un emploi éventuel de l’arme nucléaire. Le contexte international en serait très sérieusement affecté par un risque de guerre OTAN / Russie décuplé. On en est pas là… Mais il faut faire attention, l’exigence impérieuse de la responsabilité dans le temps de la guerre se mesure à l’aune de la rationalité des choix effectués.

Choisir entre les risques majeurs de la guerre et les difficultés de la paix

On pourrait multiplier ainsi les extrapolations liées aux possibilités de victoire ou de défaite dans la guerre. Mais il faudrait encore évaluer dans quelle mesure l’une et l’autre restent encore possibles, alors que les armées qui s’affrontent semblent affaiblies après une année de guerre de haut niveau d’intensité. Une année meurtrière et destructrice au point où l’on serait demain probablement choqués et surpris lorsque l’on pourra (peut-être) mieux évaluer l’hécatombe des victimes militaires et civiles…

La question essentielle n’est donc pas de savoir, pour chacun des protagonistes, comment gagner ou comment ne pas perdre la guerre, mais comment enclencher un processus politique qui puisse mener à une solution juste, conforme au droit et susceptible de garantir des conditions de sécurité collective solides et durables. Avec le retrait des troupes russes et dans le respect de la souveraineté et de l’intégrité de l’Ukraine.

Personne ne dira que c’est un objectif facile à réaliser. Mais tout le monde peut comprendre que plus la guerre se poursuit, plus les risques de grande conflagration sont élevés, et plus il sera difficile d’en sortir. Entre les risques majeurs de la guerre et les difficultés de la paix… il faut choisir. Il est maintenant plus urgent que jamais de forcer le chemin d’une solution négociée. Toute proposition dans ce sens – il y en existe maintenant – doit être prise en considération. Nous allons y revenir.

Vladimir Poutine et son régime portent évidemment la responsabilité écrasante du déclenchement de la guerre et de ses conséquences. Mais on ne peut pas faire comme si les puissances occidentales étaient étrangères aux origines, aux causes de cette guerre, et aux processus de confrontations ayant contribué, avec la Russie, durant une page d’histoire de 30 ans, à réunir le contexte favorable à la guerre. Pourtant, ces puissances font comme si leur « victoire » d’hier, dans la Guerre froide, pouvait se prolonger aujourd’hui dans une légitimité indiscutable et dans un « sans faute » stratégique. Ce n’est pas le cas. La question des causes de la guerre est évidemment plus compliqué qu’on ne le dit généralement. Il en sera de même pour une solution. Une solution politique devra se pencher et décider en particulier sur deux catégories d’options : celles relevant du principe de la souveraineté, et celles liées aux principes de la sécurité collective. Des principes non dissociables qui sont au cœur de la Charte des Nations-Unies. Les plus lucides ont donc raison, qui reconnaissent la nécessité de concrétiser un ordre de sécurité européen incluant nécessairement la Russie. Ce qui devrait impacter positivement l’ensemble de l’ordre international pour sa stabilité, dans ses règles et ses fonctionnements. Il ne faut pas penser une victoire, mais préparer une solution.

Ce qui n’a pas été volontairement construit après l’effondrement de l’URSS devrait enfin être vraiment conçu et édifié aujourd’hui, lorsque les combats de cette longue et terrible guerre en Ukraine seront enfin terminés. Au moins pour pouvoir installer des équilibres et de nouvelles règles de vie communes qui soient acceptées par tous, pour la sécurité de tous. On se souvient en effet qu’au tout début des années 90, un nouvel ordre devint absolument nécessaire dans un moment géopolitique qui, alors, change le cours de l’histoire. Rien de moins que cela… Pourtant, dans ce moment de basculement, de façon consternante, rien de déterminant ne se fera, hormis l’élargissement de l’OTAN à l’Est. Comme si les États-Unis et leurs alliés européens n’avaient qu’une seule chose à faire : encaisser le butin de leur « victoire » dans la guerre froide, sans la moindre attention aux exigences qui pourtant s’imposent alors : une sécurité mutuelle coopérative avec la réorganisation stratégique et politique d’ensemble de l’espace européen. Cette faute historique sera commise malgré les très nets avertissements d’experts reconnus et de personnalités conscientes des risques. Il y a là un constat qui confine à l’évidence, celui d’une carence politique béante mais volontaire, car il s’agissait d’un choix stratégique effectué en toute conscience par les États membres de l’Alliance atlantique.

Faire face à toutes les réalités de l’histoire

Cette carence aux conséquences dramatiques n’est pas étrangère à ce qui suivra : 30 ans de hautes tensions, de conflits permanents, d’emploi de la force et d’initiatives militaires, notamment russes, pour aujourd’hui, en arriver à une guerre de haute intensité dans un conflit opposant de facto l’OTAN et la Russie. Une page d’histoire violente dans un chaos de menaces et d’instabilité structurelle. Il n’est pas acceptable que ces réalités de l’histoire, de notre histoire en Europe, puissent être aujourd’hui tellement évacuées du débat public. Combien de morts, combien de destructions, combien de tragédies les peuples devront-ils endurer pour qu’enfin puisse s’imposer un minimum de sécurité commune et de responsabilité collective ? L’histoire des guerres en Europe n’est-elle pas suffisante ?

La guerre est une tragédie. Une tragédie pour celles et ceux qui en subissent les lourdes conséquences. Une tragédie pour celles et ceux qui la font et qui combattent sur le terrain jusqu’à y perdre leur vie. Mais une tragédie pour quoi faire ?.. Vladimir Poutine, en dépit des territoires dont il pourra peut-être encore s’emparer, doit faire face à un échec stratégique caractérisé. Il se voit tenu en échec sur ses ambitions de puissance et de revanche, là où il pensait pouvoir aisément s’imposer. C’est une leçon. Une leçon que d’autres ont déjà expérimentée dans d’autres circonstances très différentes. Y compris en France, certains n’ont pas mesuré ce que la guerre ne peut pas leur offrir.

Comment ne pas se souvenir de François Hollande exultant le 2 février 2013 à Bamako. Emporté par l’enthousiasme, il déclara, pathétique, « je viens sans doute de vivre le plus beau jour de ma vie politique ». Il eut alors le sentiment d’une victoire complète contre des groupes rebelles considérés comme terroristes dans une opération des forces françaises au Mali. Près de 20 ans plus tard, la France est tenue en échec dans ce pays, au Burkina Faso et plus généralement au Sahel. Le désastre libyen en a sérieusement rajouté. Comment ne pas rappeler aussi les échecs de Washington en Irak et en Afghanistan malgré l’ampleur des forces militaires engagées. Le sauve-qui-peut des forces américaines fuyant Kaboul en août 2021, avec l’échec de l’OTAN, signent, ici encore, la contrainte de la réalité de ces guerres que l’on ne peut pas gagner, celle des victoires impossibles. Beaucoup de ceux qui fustigent la guerre de Poutine en Ukraine ont souvent quelques difficultés à se rappeler leurs ambitions illusoires de puissance, et leurs propres déroutes stratégiques.

La Chine et le Brésil à l’initiative

Le 24 février 2023 (la date n’est pas un hasard) la Chine a présenté deux documents politiques. D’abord une « initiative de sécurité globale », et dans la foulée, une « position sur le règlement politique de la crise ukrainienne ». Le premier document est un texte général proposant une conception globale des enjeux de la sécurité internationale, conception qui met l’ONU au centre d’une approche traduisant surtout une évolution du positionnement politique chinois, une volonté affirmée de s’inscrire comme puissance jouant un rôle positif dans l’ordre international. Il faut néanmoins constater que la politique réellement menée par la Chine, notamment dans ses zones proches et sur les mers adjacentes où Washington parade en force, n’apparaît pas systématiquement conforme aux principes énoncés dans ce texte.

Le deuxième document trace en 12 points les principes devant guider une solution politique à la crise ukrainienne (le mot guerre n’est jamais utilisé), ainsi qu’un certain nombre de mesures sur des questions concrètes. La Chine avance prudemment. Dans le monde politique occidental et otanien, cette initiative d’ensemble a été critiquée pour un manque de crédibilité du fait que la Chine n’a pas condamné l’agression russe. En vérité, c’est précisément parce que Pékin est un très proche et puissant partenaire de Moscou que la Chine peut avoir du poids et une réelle influence sur la Russie. Ce qui, évidemment, peut donner de la pertinence à l’initiative chinoise, y compris sur le plan international.

C’est certainement pour cette raison qu’Antony Blinken, Secrétaire d’État américain, dans une remarquable concordance des temps, a manifestement cherché à casser la crédibilité de l’effort diplomatique chinois, en déclarant que Pékin « s’apprêterait » à fournir des armes à la Chine. A cette date, l’Administration américaine ne dispose pas d’information corroborant une telle accusation, mais il paraît que des précisions sur cette question seront données plus tard. La critique américaine consiste donc à dénoncer le fait que Pékin garderait ainsi deux fers au feu : celui de la négociation, et celui de l’implication dans la guerre. Sans que ce soit démontré. Monsieur Blinken ne précise pas combien de fers Washington garde au feu.

Et puis, malgré les réserves toujours possibles dans un contexte de compétitions de puissances auquel les uns et les autres contribuent activement, on ne peut pas refuser de constater que la Chine est le premier pays à s’engager explicitement dans un processus très formalisé de règlement politique, loin du débat dominant dans le monde occidental, puisque ce débat, on l’a vu, tourne quasi exclusivement sur les enjeux respectifs de la victoire ou de la défaite militaire. Il faudra bien en sortir.

Une situation nouvelle

On notera aussi l’initiative de Lula da Silva, Président brésilien. Le 9 février, lors de sa visite aux États-Unis Lula a proposé la création, non formalisée et sans précisions, d’un « club de la paix » ou d’un groupe de pays qui prendraient en charge la question d’un règlement politique du conflit en Ukraine. Ce groupe comprendrait la Chine, l’Indonésie, l’Inde (qui préside le G20 pour 2023) et d’autres pays neutres ou non impliqués dans la guerre. On voit donc ainsi que se dégagent des convergences et une situation nouvelle grâce aux pays dits du Sud. Un Sud qui n’est pas « global », comme certains persistent à le dire, mais au sein duquel ne cesse de monter une volonté d’indépendance et de libre choix, quant ce n’est pas un net rejet de la politique des puissances occidentales.

Ce qui concentre davantage l’attention des États-Unis et des Européens c’est d’abord de laisser la décision des pourparlers à Kiev, de donner la priorité à la nécessité stratégique d’une défaite militaire de la Russie, et d’assurer à l’Ukraine une future capacité militaire pour faire face à la Russie en toute circonstance. Dans le Wall Street Journal du 24 février Bojan Pancevski et Laurence Norman écrivent que « les principaux membres européens de l’OTAN envisagent un « pacte de défense » avec l’Ukraine. Les journalistes soulignent que « l’Allemagne, la France et la Grande Bretagne voient dans le renforcement des liens entre l’OTAN et l’Ukraine un moyen d’encourager Kiev à entamer des pourparlers de paix avec la Russie plus tard cette année ». Ils ajoutent que « Washington a déclaré vouloir que l’Ukraine soit suffisamment armée après la guerre pour dissuader toute attaque russe future. (…) Il faut s’assurer, disent-ils encore, que l’Ukraine a la capacité de dissuader une agression et, si nécessaire, de se défendre efficacement contre elle. »

Les journalistes du Wall Street Journal ne traitent pas des initiatives chinoise et brésilienne, mais ils soulignent la montée des doutes de plus en plus grands quant à la capacité de l’Ukraine à gagner la guerre, avec la conviction que les puissances occidentales ne pourraient contribuer trop longtemps à soutenir l’effort de guerre ukrainien. Ce qui est en même temps une sorte d’aveu quant au caractère illusoire et fragile des « solutions » fondées sur la force et sur le militaire.

Quelles solutions pour arrêter la guerre ?

Évidemment, une négociation s’impose. Les belligérants doivent pour cela se mettre autour d’une table. Mais la seule nécessité d’un dialogue ne suffit pas. Et ce n’est pas comme cela que les choses se passe. Un processus politique peut prendre d’abord des chemins compliqués, indirects et confidentiels. L’idée même de la négociation… se négocie, se teste mutuellement. Chacun a besoin de savoir quelle perspective il veut pour lui-même, qu’est-ce qui s’avère possible, quelles sont les intentions réelles de l’autre. La différence doit être identifiée entre une simple posture et une volonté de véritablement s’engager. La négociation d’un règlement politique nécessite des contributions extérieures, des parrains, des médiateurs / facilitateurs décidés à favoriser l’enclenchement et la bonne marche d’un processus politique crédible, « professionnel » et transparent. Ils doivent résolument pousser dans ce sens pour faire du politique la priorité non contestée. C’est donc aussi pour ces raisons que les positionnements (comme celui de la France) consistant à ménager la chèvre des rapports de forces militaires, et le choux de négociations futures ne peuvent guère constituer une contribution positive.

Il est indispensable, en effet, de contribuer à un climat, un contexte et surtout une volonté collective ou multilatérale de règlement politique. Le cadre des Nations-Unies ou un rôle pilote majeur de l’ONU devraient pour cela s’imposer. Le but n’est pas seulement de sortir de l’impasse tragique des combats, même si un cessez-le feu doit être obtenu au plus tôt. Il est d’amener les protagonistes à prendre des décisions qui peuvent être difficiles afin d’aboutir à un règlement le plus incontestable possible dans ses fondements, dans ses intentions et dans ses conséquences. Pour cela, l’appui extérieur doit être net, sans ambiguïté et très déterminé.

Un règlement n’exclut pas des compromis, ce dont on parle beaucoup, mais on ne commence par là. On ne préjuge pas des conclusions. On négocie sur des enjeux. Une telle approche doit donc s’appuyer sur des principes fondamentaux : la souveraineté, l’interdiction du recours à la force, l’intégrité territoriale… Il faut veiller à l’application du droit international et au respect des règles et des pratiques relevant de la sécurité collective telle qu’elle est formulée dans la Charte des Nations-Unies. Avec en particulier, pour l’Ukraine, le respect des frontières internationalement reconnues et le retrait des troupes russes. Cette approche doit aussi prévoir des règlements pragmatiques sur des questions spécifiques sensibles afin de contribuer, avec minutie, à l’établissement d’une issue assurée pour chacun des acteurs.

Le respect des principes fondamentaux et du droit doit pouvoir intégrer cette nécessité de dispositions particulières d’intérêt commun pour assurer les conditions d’une solution durable mutuellement acceptée jusque dans les détails. Puisqu’en diplomatie aussi le diable se cache ainsi… On peut penser, par exemple, à l’élaboration d’un statut stratégique de neutralité pour l’Ukraine, à une convention particulière pour les forces navales de la Russie en Crimée, à des agréments mutuels sur le plan militaire, à une autonomie pour les territoires du Donbass ou à défaut un processus référendaire… La liste et la nature des problèmes à résoudre est aussi à négocier, sachant que de tels « avenants » sont très importants, et doivent obtenir des garanties internationales solides, sauf à maintenir les conditions d’une prochaine guerre.

Couvrir l’ensemble des causes ayant conduit à la guerre

Enfin, il est indispensable qu’un règlement politique puisse s’inscrire dans une démarche visant à couvrir l’ensemble des causes ayant conduit à la guerre. La solution à construire dépasse donc le conflit russo-ukrainien stricto sensu. D’ailleurs, tout est lié. Certains des enjeux politiques et stratégiques caractérisant la relation OTAN / Russie devront obtenir des débuts de réponse sous la forme d’engagements mutuels entre les États-Unis, les Européens et la Russie afin d’engager de nouveaux pourparlers touchant notamment à la nécessité d’un dialogue stratégique durable, à la maîtrise des armements, notamment nucléaires, au désarmement, aux conditions générales d’un nouvel ordre de sécurité collective en Europe. Il faudra montrer qu’on a bien compris cette page d’histoire de 30 années de confrontations.

Dans cet esprit, la question du « périmètre » de l’OTAN, donc de l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance Atlantique doit être posée comme un enjeu majeur. Veut-on exacerber encore les confrontations stratégiques par une telle adhésion, ou bien faut-il chercher, à l’inverse, une stabilisation garantissant un épuisement maximum des causes du conflit ?

Élargir le processus politique de règlement à ces grandes questions ne complique pas les négociations. Elle les situe au niveau nécessaire, au niveau de l’ensemble des enjeux globaux caractérisant cette guerre qui, dès le départ fut en réalité, et quoiqu’on en dise, un conflit OTAN / Russie.

Un processus devant conduire à une solution juste doit donc avoir pour visée essentielle d’apporter des réponses fondatrices d’une nouvelle situation, pour l’ensemble des questions posées. L’histoire montre, en effet, que les problèmes non réglés (ils sont nombreux) contribuent à l’accumulation des bombes politiques à retardement. Et celles-ci finissent toujours par exploser. C’est le résultat inévitable des affrontements de puissances et des politiques de force qui créent des contextes dans lesquels la diplomatie et le multilatéralisme ont bien du mal à survivre. Si l’on parvenait demain à une solution politique acceptable à cette guerre, alors on pourra dire qu’une avancée aura malgré tout, en dépit de la tragédie, été accomplie avec la démonstration de ce que peut accomplir la diplomatie et le politique contre la force. Mais non seulement le prix à payer est exorbitant, injustifiable, mais en plus cette sale guerre n’est pas terminée. Dans les jours, dans les semaines et les mois qui suivent, il faudra juger l’action des États, des gouvernements et des responsables politiques à l’aune des efforts qui seront accomplis par eux pour en finir avec la guerre. Pour le peuple ukrainien. Pour la dignité humaine… et pour leur propre honorabilité. 01 03 2023