Gaza et les vidéastes de l’inacceptable.

Le New York Times (NYT) a publié dans son numéro des samedi 10, et dimanche 11 février 2024 un reportage très révélateur sur les méthodes de l’armée israélienne, sur son mépris des règles pourtant imposées par le droit international humanitaire en temps de guerre (1).

Ce reportage a le mérite de montrer les finalités véritables de la guerre israélienne à Gaza. C’est une explicitation, avec forces détails, des vidéos réalisées par des soldats israéliens au cours de la guerre. Le grand quotidien américain a examiné des centaines de ces vidéos. Lorsque l’on se reporte au site du NYT, on peut visionner quelques unes d’entre elles, particulièrement éloquentes d’une violence désinhibée contre les Palestiniens, contre leur cadre de vie, leur territoire, et contre leur dignité.

Avec ces vidéos, on constate très concrètement que la stratégie israélienne n’est pas seulement l’éradication du Hamas, mais aussi – et surtout – la volonté de détruire tout l’environnement des Palestiniens : l’habitat, les bâtiments publics, des écoles, des magasins, des véhicules… Ces vidéos confirment clairement que les opérations militaires engagées visent l’ensemble du peuple palestinien dans une vaste entreprise de destruction de Gaza, d’écrasement par la force militaire du cadre de l’existence sociale de ce peuple à Gaza. Une vidéo publiée par le NYT (et visible sur son site) montre des soldats faisant exploser un bâtiment. Les images de l’explosion sont associées (on voit un militaire jouant le rôle du DJ comme dans une soirée électro) à un rythme musical dansant connu en Israël… Un véritable clip de joyeux vidéastes amateurs… Certes, la direction de l’armée a condamné en parlant de comportement déplorable ne respectant pas les ordres de l’armée. Mais le reportage le souligne, de nouvelles vidéos continuent d’apparaître en ligne.

Et puis, quelles que soient les réactions officielles, ces « clips » constituent désormais une démonstration in vivo quant à la vérité de la guerre israélienne à Gaza. Parmi les centaines de vidéos examinées par le NYT, certaines apparaissent comme banales, mais d’autres, nombreuses, traduisent à ce point la stratégie israélienne qu’elles pèseront dans la qualification des crimes commis par l’armée qui se fait désigner comme « la plus morale du monde ». Selon le NYT « l’une d’entre elles a été visionnée et cinq autres ont également été citées comme preuves dans l’affaire que l’Afrique du Sud a portée devant la Cour Internationale de Justice, accusant Israël de génocide ».

Dans une vidéo TikTok, les soldats dédient la destruction d’un bâtiment aux victimes du 7 octobre et à Eyal Golan, un chanteur israélien qui a appelé à la destruction complète de Gaza. L’Afrique du Sud a cité cette vidéo comme preuve de ce qu’elle a appelé le discours génocidaire des soldats. Certaines vidéos montrent d’ailleurs des tortures et des exécutions, mais aussi des soldats appelant à la construction de colonies israéliennes dans la Bande de Gaza. Dans un autre enregistrement, on peut voir un soldat israélien levant le pouce tandis qu’il conduit un bulldozer dans une rue de Beit Layia. Dans la légende de cette vidéo on peut lire les propos tenus par le conducteur : « j’ai arrêté de compter, dit-il, le nombre de quartiers que j’ai effacé ».

Il est possible de rapprocher tout ceci d’un autre reportage, celui-ci publié le 10 février sur le site de France Info (2). Cet article raconte l’engagement et les convictions d’Eliott (ce n’est pas son vrai prénom). Il s’agit d’un franco-israélien, aujourd’hui tireur d’élite au sein d’un commando des forces spéciales de l’armée israélienne. Dans ce reportage, Eliott n’a pas l’air de se poser beaucoup de questions, même s’il voit bien l’ampleur des destructions. Il a bien appris les éléments de langage israéliens… Pour lui, la masse consternante des victimes civiles représente « des dommages collatéraux, impossibles à éviter ». Il se permet même de légitimer politiquement ce désastre humain et politique en affirmant que, certes, tous les civils ne sont pas des terroristes, mais il l’affirme : « c’est une population qui a élu le terrorisme ». Vous avez bien lu : « une population qui a élu le terrorisme ». Ce crétin ne se rend même pas compte que la formule d’un peuple « qui a élu le terrorisme » (au-delà de son ridicule et de son absence totale de crédibilité), confirme en elle-même l’intention d’une punition collective assumée par Israël pour faire payer militairement à l’ensemble du peuple palestinien à Gaza, le prix du massacre commis par le Hamas le 7 octobre. De quoi confirmer la pertinence de l’ordonnance de la Cour Internationale de Justice visant Israël, en date du 26 janvier : une suspicion légitime de génocide.

Il faut enfin correctement mesurer la nature et l’ampleur de l’intention israélienne. Les Nations Unies ont récemment dénoncé la destruction généralisée d’infrastructures civiles par l’armée de Tel Aviv en réduisant à néant tous les bâtiments de la Bande de Gaza à moins d’un kilomètre de la barrière entre Israël et Gaza. On ne peut pas ne pas constater aussi que les destructions de blocs et de quartiers de résidences populaires dans de multiples zones de la Bande de Gaza, poussent au déplacement massif des Palestiniens vivant dans ces zones, et rendent impossibles leur retour. Le Haut commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, Volker Türk, a rappelé que le transfert forcé de civils peut constituer un crime de guerre (3). On retrouve, ici encore, cette même problématique du nettoyage ethnique qui fit de la Nakba (la catastrophe de 1948) un moment fondateur du sionisme politique et du colonialisme israélien.

Est-ce qu’il y aura, en France et en Europe, suffisamment de justes courageux pour résolument dénoncer et mettre en garde contre les conséquences de cette inacceptable stratégie israélienne sur le plan des valeurs et sur celui du politique ?

NOTES :

1) « What Israeli Soldiers’ Videos Reveal: Cheering Destruction and Mocking Gazans », by Aric Toler, Sarah Kerr, Adam Sella, Arijeta Lajka and Chevaz Clarke. The New York Times, February 6, 2014.

2) « Dans mon viseur, j’ai des milliers de civils qui défilent » : un tireur d’élite franco-israélien raconte l’offensive à Gaza de l’intérieur », Pierre-Louis Caron, 10 février 2024. https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/temoignage-dans-mon-viseur-j-ai-des-milliers-de-civils-qui-defilent-un-tireur-d-elite-franco-israelien-raconte-l-offensive-a-gaza-de-l-interieur_6347386.html#at_medium=5&at_campaign_group=1&at_campaign=best-of&at_offre=3&at_variant=V3&at_send_date=20240210&at_recipient_id=726375-1620827107-c932ded8

3) « L’ONU dénonce la destruction généralisée d’infrastructures civiles par l’armée israélienne », paix et sécurité, 8 février 2024. https://news.un.org/fr/story/2024/02/1142997?utm_source=UN+News+-+French&utm_campaign=8de8d07d37-EMAIL_CAMPAIGN_2024_02_08_03_23&utm_medium=email&utm_term=0_0264da9d8f-8de8d07d37-%5BLIST_EMAIL_ID%5D


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