Quelle solution juridico-sécuritaire pour un problème politico-militaire ?

Dr. Antonios ABOU KASM
Professeur de droit international
Avocat international, Conseil principal plaidant devant les juridictions internationales pénales

La résolution 1701 (1) ne couvre pas le conflit à Gaza. Elle concerne principalement les frontières libanaises avec la Palestine occupée par Israël(2). Ainsi, cette résolution − déjà en déshérence (3) −, pourrait être applicable actuellement pour éteindre le feu de l’agression israélienne contre le Liban, si » l’unité des arènes » (4) concernant le conflit en cours à Gaza depuis le 7 octobre 2023, se dissociait.
La 1701 : un statu-quo négatif pour Israël et pour l’Iran
L’application de la 1701 n’est plus bénéfique ni pour l’Iran, ni pour Israël. Ces deux États en conflit, sont actuellement en train de bloquer et d’obstruer l’application de cette résolution pour plusieurs raisons.
Pour l’Iran, un cessez-le-feu au Liban sud, en application de la 1701, signifierait une solution unilatérale qui écarte le principe de « l’unité des arènes », alors que l’Iran estime puiser son rôle régional à travers un contrôle en convergences de cinq fronts militaires. L’affaiblissement de la résistance islamique au Liban, au cœur de la guerre régionale à laquelle l’Iran contribue par ses proxys (« proxy wars »), fracture son plan de résistance et sa capacité à se présenter en tant que puissance forte, indispensable à la table des négociations. Éteindre le conflit entre Israël et le Hezbollah, en conséquence, voudrait dire éteindre le front le plus brûlant en brisant ce principe de « l’unité des arènes ». Dans cette situation, l’Iran serait forcé de négocier sur chaque front séparément. Il devrait négocier directement avec l’Arabie Saoudite sur la question des Houthistes…alors qu’il cherche à profiter du conflit au Yémen et au Liban pour pouvoir exercer des pressions sur Israël, et participer à une recherche, qui lui soit favorable, d’une solution pour les Palestiniens à la suite du conflit de Gaza.
L’Iran cherche donc à entraver toute initiative française et tout effort international portant la possibilité d’un cessez-le-feu en application de la 1701, puisque celle-ci brise « l’unité des arènes ». L’Iran cherche une approche globale par une démonstration de forces dans les arènes, c’est à dire dans tous les champs conflictuels. Enflammer tous les champs de bataille pour gêner l’armée israélienne selon la doctrine de l’Ayatollah Sayed Ali Husseini Khamenei, Guide suprême de la Révolution islamique guidée par le Wilâyat al-faqîh (5).
Ce qui précède se comprend d’autant mieux que la 1701 en son article 15, « décide » (donc dans les termes du chapitre VII) que tous les États devront prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher la vente et la fourniture d’armes et de matériel connexe de tous types à toute entité ou individu situé au Liban, y compris les armes et leurs munitions, les véhicules et le matériel militaire, les matériels paramilitaires, et leurs pièces de rechange, ainsi que la fourniture de toute formation ou moyen technique lié à la fourniture, à la fabrication, à l’entretien ou à l’utilisation desdits matériels. Cette disposition est certainement une entrave à l’aide et au soutien militaire iranien au Hezbollah et aux autres organisations armées.
Pour Israël, l’application de la 1701, ferme la porte à toute ambition d’éliminer le Hezbollah, alors que celui-ci est considéré, par une bonne majorité politique libanaise, comme une force de résistance anti-occupation.
Les garanties sécuritaires inefficaces de la 1701
Il est certain qu’en exigeant la mise en œuvre de la résolution 1701, le gouvernement libanais entend bien sûr accepter la mise en œuvre des dispositions du paragraphe 8 (b) de cette résolution, paragraphe qui exige « l’établissement, entre la Ligne bleue et le Litani, d’une zone d’exclusion de tous personnels armés, biens et armes autres que ceux déployés dans la zone par le Gouvernement libanais et les forces de la FINUL (…) ». Cependant, cette zone démilitarisée ainsi exigée par la 1701, n’est plus efficace pour Israël. Elle ne protège plus le nord d’Israël, du fait que le Hezbollah a montré qu’il détient des missiles longue-portée et qu’il est capable d’atteindre Tel-Aviv, en tirant des missiles dont la portée dépasse les 150 km, alors que la profondeur maximale de la zone démilitarisée « Zone Sud-Litani » ne dépasse pas les 35 km.
La 1701 et la limitation des envies politiques de Netanyahou
Au niveau politique, Netanyahou, n’offrira jamais la paix avant la présidentielle américaine. Il essaie d’utiliser le choc de l’opération du 7 Octobre, le « déluge d’Al-Aqsa », pour faire oublier à la communauté internationale les crimes odieux et haineux que son armée continue de perpétrer à Gaza. Il essaie de démontrer aux forces politiques israéliennes qui lui sont hostiles, qu’il mène Israël à la victoire, et qu’il élimine les menaces pouvant affaiblir l’État d’Israël. Mais ce faisant, Israël, ne respecte pas le droit international. Sa stratégie unilatérale prime le droit international.
En fait, il existe une compétition irano-israélienne pour « séduire » Washington, Accord nucléaire versus Accords d’Abraham, qui, déjà conclus en septembre 2020 à l’initiative de l’Administration Trump prévoyant la normalisation des rapports diplomatiques entre Israël d’une part et les Émirats arabes unis et le Bahreïn d’autre part (ces accords sont prolongés par ceux avec le Soudan, et le Maroc).
La 1701, un besoin indispensable mais dangereux pour le Liban
L’application totale, complète et inconditionnelle de la résolution 1701 demandée par l’ONU et quelques puissances dont la France, dépasse les capacités du gouvernement libanais. La question la plus épineuse et dangereuse est celle de la question du désarmement de toutes les milices libanaises et étrangères approuvée par la 1701. Son paragraphe 8 (section 3) exige l’application des résolutions 1559 (2005) et 1680 (2006). Ce paragraphe dispose littéralement que « le Conseil de sécurité appelle à l’application intégrale des dispositions pertinentes des Accords de Taëf (6) et des résolutions 1559 et 1680 qui exigent le désarmement de tous les groupes armés au Liban, afin que seul l’État libanais soit autorisé à détenir des armes et à exercer son autorité au Liban ».
La résolution 1701 constitue donc un système juridique complet. Elle a élevé le statut de la résolution 1559, d’une décision adoptée sous Chapitre VI, au statut d’obligation contraignante au titre du Chapitre VII. Alors, plusieurs questions se posent. Les responsables au pouvoir sont-ils vraiment favorables à l’application de la résolution 1701 ? Le Hezbollah armé par l’Iran serait-t-il en position – ou autorisé – à déposer ses armes, ou à les offrir à l’Armée libanaise, de façon similaire à ce que devrait faire la majorité des milices après l’Accord de Taëf ?7 Cette hypothèse parait fictive et même prohibée par l’Iran. L’Armée libanaise est-elle prête ou capable de démilitariser le Hezbollah et les autres milices libanaises et non libanaises ? Pour une bonne majorité de libanais, l’application de la 1559 (8) exigée par la résolution 1701, ouvrirait la porte à une guerre civile au Liban avec la communauté chiite et ses alliés. Une guerre qui n’est pas souhaitée, mais l’application de la résolution 1701 impliquerait le désarmement de tous les partis politiques libanais, et celui des camps de réfugiés Palestiniens, donc toutes les factions politiques alliées entre elles et alliées à la Résistance Islamique. Le désarmement forcé du Hezbollah, que cela se fasse par le gouvernement libanais, ou à travers des forces étrangères sous parapluie onusien, aboutirait à une guerre civile communautaire.
La portée du coté syrien de la 1701
S’ajoute à cela la question de la sécurisation des frontières libano-syriennes, et le contrôle des points d’entrée de manière à empêcher l’entrée au Liban sans son consentement, d’armes ou de matériels connexes, en vertu du paragraphe 14 de la 1701. Cela nécessiterait le renforcement de l’armée libanaise avec des armements adaptés qui lui permettrait, seule, de dissuader les attaques israéliennes, en l’équipant à tous les niveaux militaires, technologiques et logistiques, et d’ouvrir la porte au recrutement d’au moins 15000 soldats. Ce qui dépasse les possibilités du budget national, toujours en déficit. Dans un tel contexte, le régime syrien du Président Assad a-t-il un intérêt quelconque à sécuriser et légaliser les frontières avec le Liban en vertu de la résolution 1680 exigée par la 1701 ?
L’étendu du caractère obligatoire de la 1701
Juridiquement parlant, la résolution 1701 adoptée par le Conseil de sécurité sous Chapitre VII est obligatoire. Il s’agit, conformément à l’article 25 de la Charte, d’une décision « contraignante » pour tous les États membres de l’ONU, dont principalement les États impliqués par le conflit entre Israël et le Hezbollah, à savoir le Liban, Israël, l’Iran et la Syrie. Toutefois, les États-Unis d’Amérique sont tenus de respecter la résolution 1701 – notamment le paragraphe 15 susmentionné –, alors qu’ils ne cessent de procurer des armes et des munitions à Israël, pour que Tel Aviv les utilise dans sa guerre contre le Hamas, le Hezbollah, la Syrie et l’Iran.
Dès lors, quelles mesures ces États ont-ils prises depuis 2006 pour mettre en œuvre cette décision du Conseil de sécurité ? Quel est le mécanisme onusien qui puisse garantir l’arrêt du bellicisme forcené d’Israël, mais aussi du financement des mouvements de résistance, des anciennes et nouvelles milices par les régimes qui utilisent encore le Liban comme carte politique de pression, comme arène d’échange de « messages » politico-militaires, ou comme un espace de confrontation irano-israélienne ?
Le Conseil de sécurité, en raison de la bipolarité produite avec la guerre en Ukraine, est incapable d’adopter une nouvelle résolution exigeant un cessez-le-feu, sans agrandir le fardeau du Gouvernement libanais. Ainsi, la 1701 est la seule résolution disponible, obligatoire et crédible qui peut servir de piste positive pour une trêve… qui parait très lointaine. Tout d’abord, la visite à Beyrouth (le 4 octobre 2024) du Ministre iranien des Affaires étrangères M. Araghchi, notifiant le Gouvernement libanais de son refus de séparer les arènes, ainsi que le discours de Netanyahou (le 5 octobre 2024) en réponse au Président français Macron appelant à la cessation des hostilités selon la 1701, et considérant la position officielle française comme « haineuse »… tout cela ferme la porte au moins pour un moment à toute tentative d’aboutir à un cessez-le-feu.
L’applicabilité de la 1701 et la FINUL face aux problématiques insurmontables
La résolution 1701 reste pourtant le seul instrument disponible qui pourrait en quelque sorte apporter des garanties synallagmatiques aux parties du conflit. Les problématiques qui entravent l’application de la 1701 pour le moment peuvent être résumées comme suit :
• L’absence d’un consensus international et local entre les vraies parties au conflit pour la « réanimation » de la 1701 comme solution de trêve durable
• L’absence d’un mécanisme spécial pour sa mise en œuvre
• Sa dépendance à l’application des résolutions 1559 et 1680 concernant le désarmement des milices.
• L’impossibilité des forces intérimaires de l’ONU (la FINUL) à intervenir en tant que forces de dissuasion des violations commises.
• L’absence de consensus politique local, régional et international pour le déploiement de l’armée au sud du Liban
• L’assujettissement de son application au rôle de l’armée libanaise qui ne bénéficie pas d’un soutien international adapté en termes d’armement et d’équipement afin de lui permettre de faire face à toute agression extérieure contre le Liban.
Une forme de solution pourrait résider dans le renforcement des pouvoirs de la FINUL et l’élargissement du champ d’application de ses opérations. Afin que la FINUL, dans la perception libanaise, ne soit plus considérée comme un gendarme partial chargé de sécuriser les frontières d’Israël au nord. La résolution 2749 du Conseil de sécurité − adoptée le 28 août 2024 − pour la prorogation régulière de la FINUL, a reconduit à statut constant cette force de l’ONU, ce qui fait obstacle à la mise en œuvre de la résolution 1701. Car celle-ci, avec toujours les mêmes pouvoirs, fait de la stabilité sécuritaire l’otage des interventions extérieures, contradictoires avec les fondements mêmes de la souveraineté des États en droit international public.
La violation d’Israël du droit humanitaire au Liban et le silence inquiétant de la communauté internationale
En attendant, l’appareil militaire criminel israélien continue de tuer des civils libanais, de bombarder et de détruire des biens civils, de déplacer par la force des centaines de milliers d’habitants, de détruire des villages, d’utiliser des armes et des munitions prohibées par le droit international humanitaire.
La majorité des libanais, dont le gouvernement qui rassemble des ministres représentant le Hezbollah, considère qu’après l’assassinat du Secrétaire général du Hezbollah Sayyed Hassan Nasrallah, un cessez-le-feu parait indispensable, d’autant que le combat mené par le Hezbollah au Liban-Sud depuis le 8 octobre 2023 n’a pas pu créer d’effet dissuasif qui puisse obliger l’armée israélienne de sortir de Gaza ou d’éteindre le front du nord. Le Hezbollah a jusqu’ici payé pas moins de 2000 morts (martyrs) et 10 000 blessés, dont des dizaines de ses dirigeants politiques et militaires assassinés et piégés.
Quelle(s) puissance(s) a (ont) la possibilité de convaincre Israël à un cessez-le-feu au Liban et de convoquer une conciliation pour la négociation d’une trêve selon les principes de la résolution 1701 ? La question vaut d’être posée alors que l’on voit bien à quel point Netanyahou se moque des prisonniers de guerre israéliens du Hamas. Il est clair qu’il cherche une victoire politique qui puisse lui éviter d’être traduit en justice pour une grande série de délits et de crimes en tous genre.
1) La résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations Unies a été adoptée le 11 août 2006, à l’unanimité des États membres du Conseil, après l’offensive israélienne de 34 jours au Liban en juillet-août 2006. Cette résolution a été votée sous le chapitre 7 de la Charte de l’ONU, ce qui la rend obligatoire pour tous les acteurs concernés.
2)La 1701 délimite la zone démilitarisée, communément nommée « zone sud-Litani », allant des frontières libanaises avec la Palestine occupée jusqu’au bord de la rivière Litani (Voir la carte officielle du déploiement de la FINUL).
3) Des rapports périodiques du Secrétaire général de l’ONU soulignent des violations régulières de cette résolution qui n’a été respectée ni par Israël, ni par le Hezbollah. Voir par exemple « Application de la résolution 1701 (2006) du Conseil de sécurité au cours de la période allant du 21 février au 20 juin 2024 », Rapport du Secrétaire général, S/2024/548, 12 juillet 2024.
4) « L’unité des arènes », pour le Hezbollah, est le principe de la convergence ou de l’unité des fronts du combat. Au-delà de cette approche spécifique au Hezbollah, il est évident que des liens objectifs existent entre toutes les problématiques conflictuelles au Proche-Orient.
5) Cette théorie confère au théologien-juriste le pouvoir exclusif de gouverner la oumma.
6) Accord signé en 1989 à Taëf (Arabie Saoudite), avec l’appui de plusieurs chefs d’États de la région et des États-Unis, pour mettre fin à la guerre intérieure au Liban de 1975 à 1990.
7) Sachant que plusieurs partis politiques libanais avaient un armement et constituaient des milices durant la guerre civile libanaise ; mais désormais après la conclusion de l’Accord de Taëf, les partis politiques libanais à l’exception des milices chiites (sous prétexte de la résistance contre Israël) se sont démilitarisés en offrant leurs armes au Gouvernement.
8) La résolution 1559 (2004) prévoit non seulement le désarmement et le démantèlement de toutes les milices au Liban (y compris le Hezbollah) mais aussi le retrait de toutes les forces étrangères : la Syrie et Israël occupe encore des territoires au sud (les Fermes de Chebaa).
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