
Voici, en quelques mots, ma réaction à ce discours qu’il faut décrypter pour ce qu’il ne dit pas… et contre ce qu’il n’ose pas annoncer. English below

Finalement, malgré une préparation médiatique très calculée, le discours d’Emmanuel Macron sur la défense et les armées, ce dimanche 13 juillet, n’a rien apporté de vraiment nouveau. Ce fut pourtant bien organisé. Avec en particulier une conférence de presse du Chef d’état-major des Armées (CEMA) le 11 juillet. L’intervention du Chef des Armées sur la menace, ou sur les menaces concernant la France, donna le ton de ce qui suivit avec ce discours du Président de la République à l’Hôtel de Brienne, puis le défilé du 14 juillet marqué par la volonté de montrer une armée prête au combat. Notons aussi l’entretien, le 8 juillet sur LCI, de Nicolas Lerner, Directeur général de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure). Cet entretien sur un média grand public, depuis le siège même de la DGSE, visait manifestement à nourrir, à l’avance, la pertinence du discours d’Emmanuel Macron.
Il fallait donc s’attendre (ce fut annoncé) à des informations, des décisions, des orientations de première importance… Il n’en fut rien. Rien sur la diplomatie, sur le règlement politique des conflits. Rien sur le rôle et l’importance des Nations Unies. Rien sur cette question essentielle : comment peut-on construire aujourd’hui de la sécurité en Europe et sur le plan international ? Pourtant, le raisonnement actuellement dominant est fondé sur la montée (réelle) de la conflictualité internationale, sur le nombre croissant de conflits et de guerres. On était en droit d’attendre quelque chose, des options, des idées sur le politique. Rien ne vint…
De la même manière, on aurait pu estimer nécessaire une approche sur les causes et les responsabilités, plus complexes et plus partagées qu’on ne le dit, dans le contexte préoccupant d’aujourd’hui. Toujours rien. Enfin, soulignons que l’absence de l’ONU dans les préoccupations présidentielles soulève un problème de fond : comment justifier cette absence marquante et problématique, alors que l’ordre international actuel, reste fondamentalement défini par la Charte des Nations Unies et par le droit international ? Faudrait-il s’accommoder des effondrements politiques et juridiques d’aujourd’hui pour être crédible ?
Comment parler sérieusement de la sécurité internationale sans référence à ces bases fondatrices des relations internationales ? Comment faire silence sur ce que la Charte définit depuis 1945 : l’exigence d’une sécurité collective dans l’esprit, les règles et les pratiques du multilatéralisme. Tout ceci est d’autant plus important que l’effondrement des principes et du droit international dans le contexte actuel est une problématique centrale, un enjeu qu’il faut traiter prioritairement. La France et les pays de l’Union européenne devraient donc assumer un engagement majeur pour remettre au centre des politiques conduites, cette exigence d’un ordre qui soit solidement normé et respecté.
Cet enjeu est mis en exergue par la réponse strictement militaire que le Président de la République a apporté, ce 13 juillet, à la décomposition de l’ordre international libéral installé en 1945. De ce point de vue, son discours ne fut pas à la hauteur du moment politique que nous traversons aujourd’hui.
Enfin, on peut aussi remarquer la faiblesse étrange du discours sur les contributions européennes possibles en matière de sécurité de défense et de financement. Rien, ici encore. Il ne fut pas question des 800 milliards d’euros censés pouvoir être engagés par l’UE pour financer le réarmement. Concernant la France, il faudra attendre le débat budgétaire général et les propositions du Premier ministre, même si l’objectif du doublement du budget défense est annoncé pour 2027, et non plus pour 2030. D’où le vide du discours présidentiel sur les coûts et surtout sur la façon de les assumer.
On peut d’ailleurs (il le faut) poser la question de la légitimité et de la pertinence de ce réarmement. Présenter la Russie comme LA menace essentielle dans le contexte actuel est une affirmation plus que discutable. Alors que l’armée de Vladimir Poutine n’est pas capable d’amener l’Ukraine à résipiscence, comment pourrait-elle représenter une menace « existentielle » pour la France et pour l’Europe ? Malgré une économie de guerre (au sens propre du terme), et, depuis le début des années 2000, des efforts réels pour reconstruire une force militaire majeure, la Russie vit un problème durable de puissance globale, qui s’est manifesté depuis le 24 février 2022. Certes, en Ukraine, les forces militaires russes avancent. Mais elles gagnent peu de terrain. Si bien que la guerre de Poutine risque de ressembler davantage à un enlisement qu’à une conquête véritable.
Alors, quelles sont les intentions, les motivations réelles du réarmement en France et en Europe ? Pour répondre à cela, il faut prendre du recul et replacer la question à son échelle pertinente : les rapports de forces mondiaux, les stratégies mises en œuvre dans les fractures et les contradictions majeures des relations internationales, les logiques de puissance, les affrontements pour la domination dans le processus d’une mutation de crise de l’ordre international.
Il est ainsi devenu indispensable de présenter la menace russe comme premier enjeu stratégique, qualifié « d’existentiel », afin de permettre aux États-Unis de concentrer leur approche politique, leur puissance et leurs forces sur l’Asie et sur la Chine… en laissant ainsi aux Européens le soin de contrer Moscou, au nom d’une autonomie stratégique hautement revendiquée, mais inscrite dans les faits (cela est officiellement exprimé) dans les convergences d’intérêts du monde occidental, et même dans l’Alliance Atlantique et son organisation militaire. Donald Trump a d’ailleurs clairement répété l’intérêt de Washington pour l’OTAN… qui assure un lien organique et stratégique de dépendance pour les Européens.
C’est dans ce cadre, qui mériterait de beaucoup plus amples explicitations, qu’il faut situer la politique de réarmement en France et en Europe. Il est tellement plus facile, n’est-ce pas, de nommer un ennemi, la Russie, que d’inscrire le choix de la course aux armements dans l’échiquier complexe et récusable des rapports de forces mondiaux et des contradictions de puissance. Emmanuel Macron, à sa façon, l’a assez clairement exprimé : « pour être libre, a-t-il dit, il faut être craint. Pour être craint, il faut être puissant ». Il souhaite manifestement que les citoyens français se réapproprient d’urgence le langage et les obligations de la puissance et de la force comme légitimation du réarmement et de la course aux armements.
Dans le discours du Président de la République, il y a d’ailleurs une volonté d’appuyer le choix politique français sur la liberté, sur le « salut de la patrie », sur la Nation… en espérant probablement que les bons vieux réflexes nationalistes et la désignation de l’ennemi puissent l’emporter, et masquer ainsi une vérité moins reluisante et beaucoup moins médiatique que ce patriotisme de façade, instrumentalisé à des fins géopolitiques et surtout de politique intérieure.
A mesure que les tensions internationales s’exacerbent dans une trajectoire de risques majeurs et de très grandes guerres possibles, le discours officiel français tend à s’affaiblir quant aux valeurs, quant à la pertinence stratégique nécessaire, et quant au sens politique. La vérité tend à perdre ce que gagne un récit d’abord idéologique. Il y a dans ce processus quelque chose d’un abaissement national et d’une distance grandissante avec ce que l’on appelle les valeurs républicaines. On a déjà connu ça dans notre histoire.
Et puis, contrairement à l’insistance présidentielle, ce n’est pas la Liberté (si importante soit-elle comme valeur fondamentale) qui est au centre des questions ainsi soulevées. D’autant que la liberté est ici utilisée, à l’évidence, comme paramètre non dit de confrontation avec la Russie et ses alliés… Ce qui est au centre des enjeux, et de ce débat en cours, c’est la sécurité. C’est LA question clé des relations internationales. La sécurité pour les peuples. C’est bien la nécessité de la sécurité collective et de ses conditions qu’il faut donc remettre au centre des efforts politiques afin de reconstruire un contexte, sinon un nouvel ordre, qui puisse contribuer à nous faire sortir de l’actuelle trajectoire périlleuse des relations internationales. JF 14 07 25
ENGLISH TRADUCTION
Macron addresses the armed forces.
Here, in a few words, is my reaction to this speech, which must be interpreted for what it does not say… and for what it does not dare to announce.
In the end, despite very calculated media preparation, Emmanuel Macron’s speech on defense and the armed forces on Sunday, July 13, did not really bring anything new to the table. It was, however, well organized, with a press conference by the Chief of the Armed Forces Staff (CEMA) on July 11. The Chief of the Armed Forces’ comments on the threat, or threats, to France set the tone for what followed with the President’s speech at the Hôtel de Brienne, followed by the July 14 parade, which was marked by a desire to show an army ready for combat. Also noteworthy was the interview on July 8 on LCI with Nicolas Lerner, Director General of the DGSE (Directorate-General for External Security). This interview on a mainstream media outlet, from the very headquarters of the DGSE, was clearly intended to reinforce the relevance of Emmanuel Macron’s speech in advance.
We should therefore have expected (as announced) information, decisions, and guidelines of the utmost importance… But nothing came of it. Nothing on diplomacy or political conflict resolution. Nothing on the role and importance of the United Nations. Nothing on the essential question: how can we build security in Europe and internationally today? Yet the prevailing thinking is based on the (real) rise of international conflict and the growing number of conflicts and wars. We had a right to expect something, options, ideas on politics. Nothing came…
Similarly, we might have thought it necessary to address the causes and responsibilities, which are more complex and shared than is acknowledged, in today’s worrying context. Again, nothing. Finally, it should be emphasized that the absence of the UN from the president’s concerns raises a fundamental question: how can this striking and problematic absence be justified, when the current international order remains fundamentally defined by the UN Charter and international law? Must we accept today’s political and legal collapses in order to be credible?
How can we seriously talk about international security without reference to these founding principles of international relations? How can we remain silent on what the Charter has defined since 1945: the requirement for collective security in the spirit, rules, and practices of multilateralism? All this is all the more important given that the collapse of principles and international law in the current context is a central issue, a challenge that must be addressed as a matter of priority. France and the countries of the European Union should therefore make a major commitment to putting this requirement for a firmly established and respected order back at the heart of their policies.
This challenge is highlighted by the strictly military response given by the President of the Republic on July 13 to the breakdown of the liberal international order established in 1945. From this point of view, his speech did not rise to the political moment we are currently experiencing.
Finally, we can also note the strange weakness of the speech on possible European contributions to defense security and financing. Once again, nothing was said. There was no mention of the €800 billion that the EU is supposed to be able to commit to financing rearmament. As far as France is concerned, we will have to wait for the general budget debate and the Prime Minister’s proposals, even if the objective of doubling the defense budget has been announced for 2027, and no longer for 2030. Hence the void in the presidential speech on costs and, above all, on how to bear them.
One might also (and indeed one must) question the legitimacy and relevance of this rearmament. Presenting Russia as THE key threat in the current context is a highly debatable assertion. When Vladimir Putin’s army is unable to bring Ukraine to heel, how could it represent an “existential” threat to France and Europe? Despite a war economy (in the literal sense of the term) and, since the early 2000s, real efforts to rebuild a major military force, Russia has been experiencing a lasting problem of global power, which has been evident since February 24, 2022. Admittedly, Russian military forces are advancing in Ukraine. But they are gaining little ground. So much so that Putin’s war risks looking more like a quagmire than a real conquest.
So what are the real intentions and motivations behind the rearmament in France and Europe? To answer this question, we need to take a step back and put it into perspective: the global balance of power, the strategies implemented in the major fractures and contradictions of international relations, the logic of power, and the clashes for domination in the process of a crisis and transformation of the international order.
It has thus become essential to present the Russian threat as the primary strategic issue, described as “existential,” in order to allow the United States to focus its political approach, power, and forces on Asia and China… This leaves it up to the Europeans to counter Moscow, in the name of a highly claimed strategic autonomy, but one that is in fact (as officially stated) part of the Western world’s converging interests, and even of the Atlantic Alliance and its military organization. Donald Trump has, moreover, clearly reiterated Washington’s interest in NATO… which provides an organic and strategic link of dependence for Europeans.
It is in this context, which deserves much fuller explanation, that the policy of rearmament in France and Europe must be situated. It is so much easier, isn’t it, to name an enemy, Russia, than to place the choice of the arms race within the complex and contestable chessboard of global power relations and contradictions. Emmanuel Macron, in his own way, has expressed this quite clearly: “To be free,” he said, “you must be feared. To be feared, you must be powerful.” He clearly wants French citizens to urgently reclaim the language and obligations of power and force as justification for rearmament and the arms race.
In the President’s speech, there is also a desire to base France’s political choices on freedom, on the “salvation of the nation,” , » on the nation… probably hoping that good old nationalist reflexes and the designation of an enemy will prevail, thus masking a less glamorous and much less media-friendly truth than this facade of patriotism, which is being exploited for geopolitical and, above all, domestic political ends.
As international tensions escalate, with the risk of major conflicts and even large-scale wars looming, the official French discourse is becoming weaker in terms of values, strategic relevance, and political meaning. The truth is losing ground to an increasingly ideological narrative. There is something in this process that smacks of national degradation and a growing distance from what are known as republican values. We have already seen this in our history.
And then, contrary to the president’s insistence, it is not Liberty (however important it may be as a fundamental value) that is at the heart of the issues raised, but security. Security for the people. It is indeed the need for collective security and the conditions for it that must be placed at the center of political efforts to rebuild a context, if not a new order, that will bring us out of the current perilous trajectory of international relations. We are far from that.
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Un commentaire sur “Macron s’adresse aux armées.”