Quand la France mène la danse contre l’Iran…

La France, au sein de la troïka dite « E3 » (France Allemagne et Royaume Uni) mène la danse contre Téhéran sur la question du nucléaire iranien. Vendredi 19 septembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a rejeté une résolution (1) visant à prolonger l’allègement des sanctions internationales dont Téhéran a pu très relativement bénéficier dans le cadre de l’Accord de Vienne sur le nucléaire, adopté en juillet 2015 (2), voici maintenant 10 ans. Cet Accord parvient à son terme en cette fin d’année 2025. C’est pour cette raison que les puissances occidentales, en particulier les Européens font le forcing, comme on dit, pour pouvoir exercer, à travers cet Accord, une pression maximale sur l’Iran. Et puis, il faut se dépêcher d’agir avant que la Russie ne prenne la présidence tournante du Conseil de sécurité en octobre… La Chine qui veut privilégier la diplomatie et éviter le retour des sanctions, et la Russie qui, dans le même esprit, estime que la démarche de la troïka est dénuée de pertinence juridique, ont vivement critiqué le rejet de cette résolution (3). Les médias français furent plutôt discrets sur cet aspect des choses, comme si l’initiative européenne allait de soi. C’est plus compliqué que cela.

Quel est le problème ?

La France et ses deux partenaires européens ont décidé d’activer le mécanisme dit du snapback prévu par le JCPOA qui réunit l’ensemble complexe des dispositions d’encadrement du programme nucléaire iranien. Ce mécanisme du snapback est une procédure de retour automatique aux sanctions contre Téhéran, retour qui serait justifié par les manquements iraniens au respect de ses obligations découlant de l’Accord de Vienne et du JCPOA. Un compte à rebours est ainsi enclenché qui devrait se terminer bientôt, probablement le 27 septembre, par une nouvelle décision du Conseil de sécurité, conforme à celle déjà prise le 19. Toutes les sanctions internationales en vigueur avant l’adoption du JCPOA en juillet 2015, devraient donc être réintroduites et mises en œuvre. Cette procédure étant automatique, nul État membre permanent du Conseil ne peut y opposer un veto.

Il est vrai que l’Iran, selon Rafael Grossi, Directeur de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA), dispose désormais de plus de 400 kilos d’uranium enrichi à 60 %, un seuil qui se rapproche fortement du niveau requis pour fabriquer une arme nucléaire. « Une telle accumulation ne peut s’expliquer par un usage civil crédible », avait souligné Rafael Grossi (4). L’AIEA n’ayant plus la possibilité d’inspections régulières, l’AIEA avait aussi reconnu n’avoir plus de continuité dans la connaissance du programme iranien.

Ajoutons qu’une arme nucléaire ne peut atteindre la crédibilité opérationnelle sans une capacité à sa projection à l’aide d’un véhicule porteur, par exemple un missile (5), ce qui constitue un autre défi technique majeur pour l’Iran. Il reste en tous les cas une évidente interrogation sur le programme et sur les intentions iraniennes. On ne peut exclure de la part de Téhéran, malgré les dénégations officielles multiples, le projet d’accéder à une maîtrise complète de l’arme nucléaire, ou bien d’atteindre le seuil d’une telle capacité militaire, comme système de dissuasion stratégique face à Israël et même face aux États-Unis. L’actualité récente (nous allons y revenir) donne une certaine crédibilité à cette hypothèse. Les dés seraient donc jetés. Les torts seraient entièrement du côté iranien. Et la bonne foi, évidemment, ne peut être qu’occidentale…

Est-ce si simple ?

A l’évidence, il y a un problème du nucléaire militaire au Proche-Orient. Par respect du droit international et des traités, et parce qu’il a signé (dès juillet 1968) le Traité sur la non prolifération (TNP), l’Iran ne doit pas accéder à l’arme nucléaire. Il serait par ailleurs nécessaire que le projet d’un Moyen-Orient exempt d’armes nucléaires puisse être réalisé et assumé par tous, notamment par l’Iran, mais par Israël aussi puisque l’État d’Israël dispose d’un arsenal atomique substantiel, dont l’existence n’est plus un secret pour personne. Ce projet d’un Moyen-Orient exempt d’armes nucléaires a fait l’objet de confrontations récurrentes dans le cadre des conférences d’examen régulières du TNP. Il n’a jamais pu aboutir. On imagine aisément pourquoi il en est ainsi. Avec le soutien des États-Unis et des Européens, Israël veut se garantir une domination sans rivalités stratégiques et militaires régionales possibles, à la fois dans les armements conventionnels et nucléaires. On voit à quel point, et avec quelle vision hégémonique très brutale et criminelle, les dirigeants israéliens utilisent aujourd’hui cette supériorité, au mépris de la Cour Pénale Internationale et de la Cour Internationale de Justice, avec le cumul des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, et du crime de génocide perpétré à Gaza.

On touche ainsi à l’essentiel. On ne peut, en effet, juger de la question nucléaire au Moyen-Orient sans traiter les réalités du conflit israélo-palestinien, sans traiter les dimensions historiques et régionales de ce conflit. Dans cet esprit, on peut naturellement considérer que la crise actuelle sur l’Accord de Vienne, le JCPOA et le nucléaire iranien, porte un grave coup supplémentaire à la stabilité et à la sécurité au Proche-Orient, voire au-delà. Mais il faut alors se demander où sont les responsabilités, et comment en sortir.

Rappelons-nous…

Après avoir accepté et signé le JCPOA, l’Iran l’a respecté pendant plus de 3 ans ! Ce fut un constat de l’AIEA. Le contexte régional en aurait pu être positivement changé. Ce qui a déclenché la déstabilisation et la crise majeure actuelle c’est le retrait des États-Unis en 2018, lors du premier mandat de Donald Trump. En contradiction, notons-le au passage (ce que très peu de personnes soulignent) avec l’article 25 de la Charte des Nations Unies qui rappelle la nécessité pour tous les États membres de respecter les décisions prises collectivement. Mais ce choix américain correspondait si bien aux intérêts stratégiques israéliens… Tout ce qui fut enclenché pour bâtir de nouvelles relations régionales, dans « un tournant fondamental » (c’est le JCPOA qui le formule ainsi) a été détruit par une décision unilatérale de Washington. On en paie encore le prix aujourd’hui. La confiance si difficilement acquise après quelque 12 années de tractations, d’échecs et de négociations difficiles, a été réduite à néant. Le régime iranien s’est installé dans ce contexte pour pousser son projet nucléaire officiellement civil… à potentielle destinée militaire.

Mais aujourd’hui, l’Iran se voit cependant confronté à une « offre » consternante de la part des Européens qui exigent notamment de Téhéran une « reprise de négociations directes et sans conditions avec les États-Unis » (6). Comment les Iraniens pourraient-ils accepter de « négocier sans conditions » avec les premiers responsables de la crise actuelle ? Cette crise qui a produit un contexte de guerre et de sanctions maximales contre leur pays… C’est l’expression caractérisée d’une irresponsabilité européenne, doublée d’une certaine arrogance.

Dans la dégradation progressive de la situation régionale, on est, en effet, parvenu à des affrontements israélo-iraniens directs, jusqu’aux frappes israéliennes de juin dernier sur des infrastructures militaires et stratégiques iraniennes, puis, avec les bombardements américains massifs, d’une puissance conventionnelle réputée maximale, sur 3 sites nucléaire, à Fordo, Natanz et Ispahan. Sans que l’on sache qu’elles sont les conséquences réelles de ces bombardements.

On ne pouvait pas mieux faire pour entraîner le Proche-Orient et l’Iran dans une situation de risques majeurs, d’embrasement régional possible. Le processus engagé par Donald Trump en 2018 a permis une escalade militaire, une escalade de la défiance, avec la destruction pure et simple de l’Accord de Vienne. Dans une telle logique de puissance, on touche effectivement à l’irresponsabilité.

Israël, qui a passé beaucoup de temps politique et diplomatique à mettre en avant la seule menace iranienne, a ainsi gagné l’installation d’un long contexte de guerre et de tensions exacerbées, tellement propice à l’expression de la force militaire. Contexte dans lequel tout est possible… Tout, sauf de pertinentes et nécessaires négociations multilatérales pour le respect du droit international et des résolutions de l’ONU, pour une solution juste et durable à la question de Palestine, pour la sécurité dans l’ensemble du Proche-Orient. Israël sait exactement comment façonner et entretenir ses stratégies et ses hostilités pour que les puissances occidentales, avec empressement, puissent les suivre et les alimenter.

En poussant dans le sens du retour des sanctions, en s’appuyant sur un dispositif de procédure, le snapback, prévu par l’Accord de Vienne, alors que cet Accord a été tué dans son fonctionnement et dans son existence même par Washington et par Tel Aviv… la France entérine l’impasse et en rajoute sur un contexte à propos duquel beaucoup se demandent maintenant non pas si, mais quand d’autres affrontements militaires majeurs vont reprendre. En agissant ainsi, les pays de la troïka, France, Allemagne et Royaume Uni, font à leur façon le boulot d’Israël, pour aider Israël.

Quelles seront pour l’Iran les conséquences de la réinstallation des sanctions internationales ? Notons d’abord qu’une partie seulement des sanctions mises en œuvre avant juillet 2015, avaient été levées. Ensuite, il faut prendre en considération les sanctions unilatérales massives des États-Unis, décidées et mises en œuvre dès 2018. Ainsi que les sanctions européennes additionnelles. Ce cumul visant à étouffer un régime en sérieuse difficulté, fait dire à certains experts que le retour des sanctions n’auraient que des effets limités, tellement l’Iran est déjà sous pression maximale. De « bonnes âmes » justifient cette pression énorme (qui touche durement le peuple iranien) par la nécessité de punir un régime dictatorial… il est vrai ultra-répressif et anti-démocratique. Il n’est pas dit, cependant, que les sanctions économiques pourraient faire céder un pouvoir qui a jusqu’ici résisté aux pressions extérieures depuis… 1979.

Il reste que cette volonté d’étouffement pour « raison démocratique », s’il en est, montre une fois encore à quel point le 2 poids 2 mesures occidental survit à toutes les infamies. Peu importe les crimes israéliens, pourvu qu’on ait la peau des iraniens… voilà une formule qui pourrait faire office de mantra officiel pour cette troïka européenne sans principes, dans une éthique à géométrie très variable.

NOTES :

1) Cette résolution a été rejetée par 9 voix contre : France, Allemagne, Royaume Uni, Danemark, Grèce, Slovénie, Panama, Sierra Leone et Somalie, 4 voix pour : Chine, Russie, Algérie et Pakistan. Guyana et République de Corée se sont abstenus.

2) Cet Accord a été installé par la résolution 2231, adoptée le 20 juillet 2015 à l’unanimité du Conseil de Sécurité. Cette résolution a été négociée par les 5 États membres permanents du Conseil, l’Allemagne, l’UE et l’Iran. Elle contient une longue annexe très précise détaillant l’ensemble des mesures de limites et de contrôles concernant le programme nucléaire iranien. C’est ce que l’on appelle le Joint Comprehensive Plan of Action ou Plan d’Action Global Commun, désigné en général sous l’acronyme anglophone JCPOA. https://undocs.org/fr/S/RES/2231(2015)

3) Voir par exemple « China firmly opposes forcible push for snapback of Iran sanctions: envoy », Global Times September 20, 2025. https://www.globaltimes.cn/page/202509/1344037.shtml

4) « Nucléaire iranien : un cap est franchi au Conseil de sécurité » vers un possible retour des sanctions », ONU Info, 19 septembre 2025.https://news.un.org/fr/story/2025/09/1157516?utm_source=UN+News+-+French&utm_campaign=091c7dd65d-EMAIL_CAMPAIGN_2025_09_20_05_03&utm_medium=email&utm_term=0_0264da9d8f-091c7dd65d-107992745

5) Le JCPOA interdit à l’Iran, les missiles en tant que porteurs d’armements nucléaires.

6) Voir le texte déjà cité « Nucléaire iranien : un cap est franchi au Conseil de sécurité » vers un possible retour des sanctions », ONU Info, 19 septembre 2025 . 


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