
Ce qui se passe en Palestine n’est pas la seule alarme. Le roulement des tambours de guerre se fait entendre ailleurs. Nous traversons un moment inquiétant de l’histoire du monde.

La reconnaissance de l’État de Palestine est un acte politique dont le sens et la portée font controverse et enjeu. Chacun a compris que cela n’aura pas de conséquences immédiates et concrètes – d’où la qualification de « symbolique » – sur le territoire même, en Palestine, où s’exerce l’occupation militaire, l’extrême violence coloniale israélienne et les crimes qui vont avec.
Elias Sanbar, écrivain et ancien Ambassadeur de Palestine à l’UNESCO, critique cette désignation de symbolique pour retenir un essentiel politique. Il qualifie de « rupture fondamentale » cet acte de reconnaissance. Il est vrai que celui-ci rend visible un peuple contre lequel tout a été entrepris, dans la longue durée, pour organiser sa disparition politique, de la Nakba jusqu’à aujourd’hui. Ce peuple, en effet, a une existence, une légitimité et une longue histoire sur sa terre… Une terre de vie, mais aussi une terre de sang. Cette histoire constitue en soi une contradiction de principe et de réalité à la stratégie coloniale israélienne depuis 1948, mais aussi au comportement occidental dominant depuis des décennies. Ce comportement consista à soutenir, financer et armer Israël comme seul partenaire privilégié, seul titulaire de droits reconnaissables. Au mépris des Palestiniens et du droit international.
Quand tout est fait pour que disparaisse le peuple occupé et dépossédé, y compris aujourd’hui par le nettoyage ethnique, la famine et le processus génocidaire, il serait effectivement peu approprié de sous-estimer ce qui peut faire revivre son droit politique essentiel à l’autodétermination. Le droit d’un peuple résistant et digne face à tant d’épreuves et de désastres imposés.
Désormais, 158 pays sur 193 reconnaissent la légitimité d’un État palestinien. La question de Palestine n’est pas résolue, mais 80 % des pays membres des Nations Unies disent ainsi à leur façon, même si cela est insuffisant, qu’elle devrait l’être. Elle devrait l’être, en effet, au-delà des logiques de puissance et des calculs d’intérêts qui étouffent les relations internationales, y compris le monde arabe. Les acteurs les plus stupides soutiennent maintenant que ces reconnaissances sont un cadeau fait au Hamas. Comme si autant de gouvernements sur tous les continents pouvaient avoir autant d’attention pour cette organisation coupable du massacre du 7 octobre 2023… L’accusation est à la fois dérisoire et méprisable.
Il reste qu’il faudra, enfin, trouver et imposer une solution pour réaliser le droit à la souveraineté du peuple palestinien. La nouvelle situation politique remet cette exigence-là au centre des débats sur les enjeux majeurs du conflit au Proche-Orient. Il faut saisir cette opportunité. Mais il faut aussi comprendre à quel point ce qui se passe en Palestine et dans la région nous interpelle plus globalement sur l’ordre du monde et quant aux risques majeurs du contexte actuel.
La guerre totale d’Israël contre le peuple palestinien, dans sa vérité hautement criminelle, sera considérée et qualifiée, n’en doutons pas, comme la première grande tragédie humaine du 21è siècle. A la fois par la dimension effarante des horreurs commises, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du crime de génocide, dans le plus grand cynisme, mais aussi par la passivité, et la complicité objective des principales puissances occidentales avec Israël.
Cependant, ce qui se passe en Palestine n’est pas la seule alarme. Le roulement des tambours de guerre se fait entendre ailleurs. Dans ce moment inquiétant de notre histoire, nous assistons à un processus d’effondrement moral, à une trahison délibérée des Nations Unies, du multilatéralisme et de la responsabilité collective. Nous mesurons l’inconsistance des prétextes avancés afin de justifier une course folle aux armements, une compétition suicidaire pour la domination et la prédation néo-impériale au sein de l’ordre international… Les ressources, la sécurité, la paix, le climat, la dignité humaine et jusqu’au vivant… tout est mis en question dans une trajectoire de catastrophes et de très grandes guerres possibles. En Europe où les menaces se précisent de jour en jour. En Asie où un éventuelle affrontement majeur sino-américain pourrait changer la face du monde. Et ailleurs encore, là où les tensions montent, entretenues par des politiques de force, des désirs de revanche sur l’histoire, des volontés d’emprise et de conquête… et la loi de la jungle.
Les conséquences des stratégies mises en œuvre sont en même temps des causes et des facteurs déclenchant d’aggravation et d’escalades. Par cet effet de cliquet cette trajectoire se poursuit sans qu’un retour vers l’absolue nécessité de responsabilité et de sécurité humaine puisse s’imposer. Davantage qu’une impasse c’est une sinistre mécanique pour un avenir de menaces directes et de risques primordiaux.
Ce qui domine, c’est le choix de la puissance dans l’arrogance, comme paramètre déterminant des politiques mises en œuvre, contre le droit international, contre la Charte des Nations Unies, contre le besoin de sécurité et, au moins, de maîtrise prudentielle des relations internationales. Il est consternant que cette trajectoire de danger majeur ne soit pas prise en considération comme il le faut et au niveau où il le faut. C’est l’irresponsabilité collective qui tend à dominer. Jusqu’où ira-t-on ainsi ?
Cette question doit être posée en grand pour qu’un débat politique de fond puisse se tenir quant à la vision et à la construction d’un futur différent pour le monde, et pour ce que l’on appelle l’humanité. Réaliser les droits inaliénables du peuple palestinien serait, dans cet esprit, un des meilleurs exemples de ce que cette humanité pourrait faire et devrait être.
En savoir plus sur jacquesfath.international
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.
