
L’Union européenne est rentrée dans 3 zones de danger de portée existentielle. Il faut bien mesurer la signification de ce qui se passe.
Le Conseil de l’Union européenne, dans le cadre de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) a pris des mesures de sanctions contre 12 personnes et 2 entités organisées considérées comme des acteurs » malveillants » et comme » responsables de mettre en œuvre ou de soutenir des actions ou des politiques imputables au gouvernement de la Fédération de Russie qui compromettent ou menacent la stabilité ou la sécurité d’un pays tiers (l’Ukraine) en recourant à la manipulation de l’information et à l’ingérence « .
Le Conseil a officialisé ces mesures de sanctions dans le texte officiel suivant : (PESC) 2025/2572 DU CONSEIL du 15 décembre 2025. Cette Décision de l’UE comprend la liste complète des personnes et entités visées. Elle figure comme document, à la suite de cet article. Vous pouvez aussi accéder à sa version intégrale et en français à l’adresse suivante :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=OJ:L_202502572
Avec cette Décision du Conseil de l’Union (pouvoirs exécutifs et gouvernements) nous atteignons 3 zones de dangers.
Premièrement, une zone rouge. La zone du politique. L’UE sanctionne des personnes et entités (experts, responsables politiques, journalistes…) au nom d’un soutien à la guerre de la Russie contre l’Ukraine et de sa guerre hybride en Europe (déstabilisations, désinformation, ingérences…). Les comportements russes sont certainement problématiques, y compris sur le plan militaire avec la pratique de provocations calculées et de « tests » (comme les drones en survol de certaines zones critiques). Évidemment, nul n’est obligé d’approuver ces actes et la politique qui va avec, le tout contribuant à l’exacerbation des tensions dans un grave contexte de guerre. Sur ces questions, l’auteur de ces lignes dispose de ses propres analyses qui figurent dans l’ouvrage » Poutine, l’OTAN et la Guerre. Sur les causes et les enjeux d’une sale guerre en Ukraine « , aux éditions du Croquant (2022).
Il reste cependant nécessaire de constater que les mêmes autorités, celles des États membres de l’UE, se permettent condamner et de donner des leçons, tout en se gardant de sanctionner les responsables israéliens, Benyamin Netanyahou en particulier, accusés à juste titre, par la Cour Pénale Internationale, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, alors que l’État d’Israël lui même est susceptible d’être demain condamné pour génocide par la Cour Internationale de Justice. Ce génocide, documenté par l’ONU et par des ONG importantes et crédibles comme Amnesty International, continue à l’heure actuelle dans une innommable catastrophe sociale. 71 000 morts à Gaza et une ultra-violence meurtrière perpétrée par les colons avec le soutien de l’armée israélienne en Cisjordanie… Mais pour l’UE tout cela ne mérite que de sempiternelles admonestations écrites ou verbales. Aucun acte réel à la hauteur de cette ignominie criminelle qui marquera l’histoire du Proche-Orient et celle de l’Europe dont la crédibilité s’effondre. Où est la dignité dans une telle irresponsabilité, dans un tel cynisme ? Le deux poids deux mesures et le discrédit des Européens, et notamment de la France officielle, finissent par atteindre des sommets.
Deuxièmement, une zone grise. La zone du judiciaire. Évidemment, les remarques qui suivent concernent d’abord les personnes susceptibles de bénéficier des règles de droit telles que nous les connaissons en France et en Europe occidentale, même si ces règles et les pratiques légitimes qui doivent aller avec, tendent aujourd’hui à s’affaiblir de façon alarmante. Il faut constater qu’aucun tribunal, aucun juge n’aura examiné le cas de certaines de ces personnes, afin d’établir une décision de légalité assurée. L’imposition de sanctions individuelles s’inscrit ainsi unilatéralement dans l’exercice de la mission de sécurité et de défense européennes… fonctions politiques et stratégiques par excellence. Mais peut-on condamner des personnes sans base judiciaire, sans charges et sans jugement d’un tribunal, c’est à dire d’une instance disposant des prérogatives constitutionnelles de justice ? Quelles sont les prérogatives de l’UE pour agir ainsi ? L’UE joue sur l’ambiguïté. Elle condamne pour des raisons strictement politiques, en essayant de se draper dans une légitimité qu’elle n’a pas, et en usant de prérogatives dont elle ne dispose pas. On ne peut pas jouer de cette façon avec le sens et les règles de ce que l’on appelle un » état de droit « . L’UE n’est d’ailleurs ni un État, ni un état de droit. Un état de droit est une exigence universelle, en Europe, en France, en Russie, en Israël… et même en Palestine où il ne peut en être question dans un contexte d’occupation militaire et de colonisation, en contradiction totale avec le droit international et les résolutions des Nations Unies.
Et puis, que vaut aujourd’hui l’idée même d’un état de droit alors que les États-Unis se permettent, sans réaction européenne à la hauteur ici encore, de condamner celles et ceux qui, précisément, sont chargés de faire respecter le droit : notamment Francesca Albanese (rapporteure spéciale de l’ONU sur le territoire palestinien), mais aussi 8 juges et 3 procureurs de la CPI (rien de moins), au nom d’une indéfendable défense d’Israël et des crimes d’une férocité caractérisée commis par les dirigeants de cet État ? Ne faut-il pas sonner l’alarme ?
Troisièmement, une zone noire. La zone du mépris et de la négation des droits humains fondamentaux. Peux-on condamner des personnes pour leurs écrits, pour leurs propos et pour les thèses politiques qu’elles font valoir ? Certainement pas. La déclaration Universelle des Droits de l’Homme, et d’autres textes de cette dimension universelle ne peuvent pas être ainsi passés par pertes et profits… Une condamnation ne peut donc être exceptionnellement obtenue, que s’il y a preuve manifeste de forfaiture, dans un procès équitable, susceptible de déterminer les peines en fonction des lois, de la codification des charges, avec des garanties, des juges indépendants et impartiaux… Il faut des règles pour une justice digne de ce nom. Alors, lorsqu’il n’y a ni garanties, ni procédures légales, ni règles… que devient la liberté d’expression présentée pourtant comme valeur fondamentale des sociétés occidentales ? Où est cet ordre libéral et occidental que l’on persiste à dire » fondé sur des règles » ?.. Si la confrontation stratégique autorise l’écrasement des libertés fondamentales… c’est que les valeurs et les libertés, si étroitement liées à l’histoire du monde occidental, sont en danger, et même en risque existentiel. Ici encore, l’UE ne fait que perdre de son crédit politique et de son autorité morale. Dans un contexte très préoccupant marqué par des faits et par des forces relevant d’un néofascisme montant… Il y a de quoi s’inquiéter.
Soulignons que la question posée n’est pas celle de la Russie et de sa politique de guerre. La question est celle de la France et de l’Europe. Et de l’importance qu’il y a, pour des pays qui se disent démocratiques, de respecter les règles et les pratiques qui s’attachent à un état de droit et aux droits fondamentaux. Même dans le contexte d’aujourd’hui. Les vraies démocraties, ou celles qui prétendent appartenir à cet ordre, ne peuvent pas, ne doivent pas être faibles au point de sacrifier ce qu’elles appellent leurs valeurs essentielles. 21 12 2025
DOCUMENT :
DÉCISION (PESC) 2025/2572 DU CONSEIL du 15 décembre 2025 modifiant la décision (PESC) 2024/2643 concernant des mesures restrictives eu égard aux activités déstabilisatrices menées par la Russie
LE CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE,
vu le traité sur l’Union européenne, et notamment son article 29,
vu la proposition du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité,
considérant ce qui suit:
(1) Le 8 octobre 2024, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2024/2643 (1).
(2) Le 18 juillet 2025, la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (ci-après dénommée «haute représentante») a publié une déclaration au nom de l’Union, dans laquelle elle a condamné résolument les activités malveillantes menées de manière persistante par la Russie, qui s’inscrivent dans le cadre de campagnes hybrides plus larges, coordonnées et de longue date visant à menacer et à compromettre la sécurité, la résilience et les fondements démocratiques de l’Union, de ses États membres et de ses partenaires. La haute représentante a souligné que les activités malveillantes menées par la Russie se sont encore intensifiées depuis le début de la guerre d’agression contre l’Ukraine et il est fort probable qu’elles se poursuivent dans un avenir proche.
(3) L’Union continue de condamner sans réserve les activités malveillantes menées par la Russie contre l’Union, ses États membres, les organisations internationales et les pays tiers.
(4) Compte tenu de la gravité de la situation, le Conseil estime qu’il y a lieu d’ajouter douze personnes physiques et deux entités à la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes figurant à l’annexe I de la décision (PESC) 2024/2643.
(5) Il convient, dès lors, de modifier la décision (PESC) 2024/2643 en conséquence,
A ADOPTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:
Article premier : L’annexe I de la décision (PESC) 2024/2643 est modifiée conformément à l’annexe de la présente décision.
Article 2 : La présente décision entre en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.
Fait à Bruxelles, le 15 décembre 2025. Pour le Conseil : la présidente K. KALLAS
ANNEXE
L’annexe I de la décision (PESC) 2024/2643 est modifiée comme suit:
John Mark DOUGAN : Fonction: ancien shérif adjoint de Floride –
Nationalité: américaine, russe. John Dougan est un ancien shérif adjoint de Floride, qui a fui en Russie en 2016. Il est publiquement accusé d’avoir participé à des opérations informationnelles numériques pro-Kremlin depuis Moscou.
Andrey Andreievich SUSHENTSOV : Fonction: Directeur de l’Institut d’études internationales (IIS), Institut d’État des relations internationales de Moscou. Son institut (IIS MGIMO) relève directement du ministère russe des affaires étrangères et est étroitement intégré aux structures officielles de planification diplomatique et stratégique.
Nationalité: russe
Dmitry Vyacheslavovich SUSLOV : Fonction: directeur adjoint du Centre d’études approfondies européennes et internationales à l’École supérieure d’économie (université HSE), Moscou directeur adjoint chargé des programmes de recherche au Conseil de politique étrangère et de défense (SVOP), expert et orateur fréquent au club de discussion Valdaï, collaborateur de Russia in Global Affairs et d’autres publications qui suivent la ligne du Kremlin.
Nationalité: russe
Fyodor Aleksandrovich LUKYANOV: Fonction: journaliste, présentateur de télévision et politologue rédacteur en chef de Russia in Global Affairs directeur de recherche au club de discussion Valdaï membre du Conseil russe des affaires internationales (RIAC).
Nationalité: russe
Ivan Nikolaevich TIMOFEEV : Fonction: politologue, analyste de politique étrangère, stratégiste politique; directeur général du Conseil des affaires internationales de Russie (RIAC), directeur de programme du club de discussion Valdaï.
Nationalité: russe
Andrey Georgievich BYSTRITSKYI : Fonction: journaliste, responsable des médias, universitaire et dirigeant d’un groupe de réflexion; président du conseil d’administration de la Fondation du club de discussion Valdaï.
Nationalité: russe
Vladislav Yevgenevich BOROVKOV : Fonction: officier (premier lieutenant) GRU, unité 29155. Vladislav Borovkov est membre du GRU (agence de renseignement militaire russe), ainsi que de l’acteur du cyberespace Cadet Blizzard.
Nationalité: russe
Denis Igorevich DENISENKO : Fonction: officier du GRU, unité 29155.
Nationalité: russe
Dmitry Iurevich GOLOSHUBOV : Fonction: officier du GRU, unité 29155
Nationalité: russe
Jacques BAUD : Fonction: ancien colonel de l’armée suisse, ancien analyste stratégique, spécialiste du renseignement et du terrorisme. Jacques Baud est responsable de mettre en œuvre ou de soutenir des actions ou des politiques imputables au gouvernement de la Fédération de Russie qui compromettent ou menacent la stabilité ou la sécurité d’un pays tiers (l’Ukraine) en recourant à la manipulation de l’information et à l’ingérence.
Nationalité: suisse
Xavier MOREAU : Fonction: ancien officier militaire et homme d’affaires franco-russe; fondateur du site web Stratpol. Xavier Moreau est responsable de mettre en œuvre et de soutenir des actions ou des politiques imputables au gouvernement de la Fédération de Russie qui compromettent ou menacent la stabilité ou la sécurité d’un pays tiers (l’Ukraine) en recourant à la manipulation de l’information et à l’ingérence.
Nationalité: française
Diana Vitaliivna PANCHENKO : Diana Panchenko est une journaliste et propagandiste née en Ukraine. Elle produit et diffuse des discours anti-ukrainiens, pro-russes et anti-OTAN.
Nationalité: ukrainienne, russe
142nd Separate Electronic Warfare Battalion (142e bataillon distinct de guerre électronique) : Le 142e bataillon distinct de guerre électronique, basé dans la région de Kaliningrad, fait partie des capacités de guerre électronique et joue un rôle important pour assurer la sécurité et la défense de la région.
International Russophile Movement : Le Mouvement international russophile est un mouvement responsable de l’amplification de discours déstabilisateurs à l’échelle mondiale, au nom du gouvernement de la Fédération de Russie. Le mouvement entretient des liens étroits avec le ministère russe des affaires étrangères, dont il reçoit l’aval pour ses activités.
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