Ou comment interpréter la crise libano-saoudienne dans ses dimensions internationales.
Après 18 jours de vives tensions et d’interrogations sur l’avenir immédiat du Liban, mais aussi sur des hypothèses de crise majeure, voire de guerre… le Premier ministre libanais Saad Hariri, est rentré à Beyrouth le 21 novembre. Le climat politique s’est alors détendu. Hariri a suspendu ou « gelé » sa démission « à la demande du Président Aoun ». Le Hezbollah a indiqué sa disposition à faciliter le dialogue. Bref… un soulagement.
Une telle crise, cependant, n’est pas qu’un moment dramatique transitoire du à l’instabilité récurrente d’un régime confessionnel. Même si cette caractéristique libanaise constitue en soi un problème politique et démocratique permanent, une longue histoire constitutive du fonctionnement originel de l’État. Une autre raison, liée à celle-ci, explique cette crise. Le Liban, en effet, est aussi traversé et divisé, structuré même – pourrait-on dire – par les contradictions politiques et stratégiques régionales et même internationales. Il est une « caisse de résonance », quand ce n’est pas un terrain privilégié de confrontations internationales directes, y compris militaires. On peut même se demander par quel miracle, par quelles prudences politiques, ou bien grâce à quelles retenues, le Liban a réussi à se protéger lui-même, six années durant, du conflit syrien. Et à ne pas se voir emporter par une guerre qui a détruit et décomposé ce voisin si proche… Un voisin, rappelons-le, qui fut trop longtemps si encombrant et si dominateur.
Novembre 2016 : compromis politique et gouvernement d’union nationale.
En novembre 2016, la nomination de Saad Hariri (proche de l’Arabie Saoudite dont il a la nationalité), après l’élection à la Présidence de Michel Aoun (soutenu par le Hezbollah notamment), avait traduit la volonté d’un compromis conforme à la fois aux pratiques confessionnelles traditionnelles (1) et aux rapports de forces politiques libanais… donc régionaux. Ce compromis, malgré de fortes contradictions, permettait au Liban de sortir d’une période de paralysie institutionnelle, après deux années de vacance présidentielle. L’accord partageait le pouvoir et les « zones d’influence politiques » (si l’on peut dire). Il impliquait l’exigence de maintenir le pays à l’écart ou à distance de la guerre en Syrie… même si le Hezbollah était pleinement engagé militairement dans ce conflit, au côté du régime syrien, au moins depuis 2013… Et malgré des attaques meurtrières de l’Organisation de l’État Islamique (OEI) et du Front Al Nosra (Al Qaïda) combattues par l’armée libanaise et par le Hezbollah. C’est ainsi qu’un équilibre, un statut quo s’est alors installé dans un contexte libanais comme toujours fragile et compliqué. Et peut-être plus encore aujourd’hui.
Il fallait aussi sortir le Liban d’une situation économique difficile. La présence sur son sol de plus d’un million et demi de réfugiés syrien ne pouvait pas simplifier les choses. Comme l’a écrit Paul Khalifeh, correspondant de Radio France International (RFI) à Beyrouth (2), « le principal défi du nouveau Premier ministre est de relancer une économie exsangue, afin de sauver le Liban… mais aussi ses propres affaires ».
Le retour de Saad Hariri a donc mis un terme aux interrogations les plus immédiates… provisoirement. Le « gel » de la démission fut une formule habile, à mi-chemin entre une rétractation totale et une confirmation devenue impossible. C’était nécessaire pour ménager les susceptibilités et pour sauver la face des dirigeants saoudiens accusés (non sans raisons, nous allons y revenir) d’avoir forcé Hariri à la démission.
Inch Allah…
La vérité sur les 18 jours de Saad Hariri hors du Liban et sur la signification de ce qui s’est réellement passé est cependant fort éloignée de ces subtiles accommodements. L’agence de presse britannique Reuters a publié un texte « exclusif », manifestement bien renseigné, racontant quelques épisodes du séjour d’Hariri à Riyad. En voici quelques extrait traduits par nos soins.
A partir de l’instant où son avion toucha le sol de l’Arabie Saoudite, Saad Hariri compris la mauvaise surprise qui l’attendait. Il n’y avait ni princes, ni ministres faisant la queue pour le saluer comme cela se fait lors d’une visite officielle au Roi Salmane… Son téléphone lui fut confisqué et le jour suivant, il fut contraint à présenter sa démission dans une déclaration diffusée par une chaîne de télévision appartenant au Royaume saoudien. Hariri avait été convoqué par le Royaume, par téléphone, la nuit du jeudi 2 novembre, pour rencontrer le Roi Salmane.
Hariri se rendit à sa résidence personnelle. Une source proche affirma que le leader libanais a reçu le samedi matin un appel officiel du protocole lui demandant de rencontrer la Prince Mohammed Ben Salmane. Selon cette source, il attendit environ quatre heures avant d’être reçu, avec la déclaration de démission qu’il devait lire à la télévision. Une autre source politique libanaise importante souligna que dès l’instant où il arriva, les saoudiens le traitèrent sans aucun respect.
Hariri venait souvent en Arabie Saoudite. Lors d’une visite, quelques jours auparavant, le Prince Mohammed Ben Salmane lui avait arrangé une entrevue avec Thamer al-Sabhan, Ministre des Affaires du Golfe, et des officiels de haut rang du renseignement. Hariri revint à Beyrouth content et détendu. Il posta un selfie souriant avec Sabhan. Il dit à ses conseillers qu’il avait entendu des déclarations d’encouragement de la part du Prince, y compris la promesse d’une reprise d’aide militaire pour l’armée libanaise.
La source proche de Hariri souligna que celui-ci croyait avoir convaincu les officiels saoudiens de la nécessité de maintenir une entente avec le Hezbollah dans l’intérêt de la stabilité du Liban. Ce qui s’est passé lors de ces rencontres, c’est qu’Hariri a révélé son positionnement concernant la façon de gérer le Hezbollah au Liban… « je pense qu’ils n’ont pas aimé ce qu’ils ont entendu ».
Selon la source, Hariri a dit à Sabhan de « ne pas nous tenir pour responsables de quelque chose qui se situe au delà de mon contrôle ou de celui du Liban ». Mais Hariri a sous-estimé la position saoudienne. Elle est noire ou blanche. Tandis que nous, au Liban, on est habitués au gris.
La démission de Hariri fut un choc pour son équipe.
Des sources proches du leader libanais ont affirmé que cette démission était déterminée par l’effort saoudien pour contrer l’Iran. Selon certaines sources proche de Hariri, les saoudiens, tout en maintenant Hariri en résidence surveillée, ont essayé d’organiser un changement de leadership au sein du Courant du Futur, en installant son frère aîné Bahaa, qui fut écarté de cette tâche de direction à la mort du père. Les deux frères étaient en conflit depuis des années. Dans une déclaration, le Courant du Futur affirma qu’il se tenait fermement au côté de son leader Hariri. Le Ministre de l’intérieur et conseiller de Hariri, Nouhad Machnouk aurait dit : « nous ne sommes pas un troupeau de moutons ou un lopin de terre dont la propriété peut être transférée d’une personne à une autre. Au Liban, les choses se règlent par des élections, pas avec des prises de gages ou par des allégeances ».
Des membres de la famille, des conseillers et des politiciens qui ont contacté Hariri à Riyad rapportent que celui-ci se montre inquiet, et réticent à s’exprimer au delà d’un « ça va… ». Quand on lui demande s’il va rentrer bientôt, ils disent que sa réponse habituelle est : « Inch Allah… ».
Des méthodes dignes d’un État voyou
Ce texte de Reuters ne dévoile rien qui soit exceptionnel ou très différent des informations données par la presse et par les médias durant ces 18 jours. Mais il confirme le stupéfiant comportement du pouvoir saoudien. Et il relate fort bien dans quelle ambiance menaçante et méprisante Saad Hariri a dû se soumettre aux ordres du Royaume saoudien et du Prince héritier Mohammed Ben Salmane. En réalité le texte de Reuters décrit ce qui n’est pas autre chose qu’ une prise d’otage : la prise d’otage du Premier ministre d’un État indépendant par une puissance étrangère qui se croit tout permis, jusqu’à utiliser des méthodes dignes de ce qu’on appelle un État voyou…
Le Prince Mohammed Ben Salmane est allé trop loin. Il s’est mis en difficulté. L’inacceptable traitement infligé à Saad Hariri a provoqué des réactions critiques sur le plan international, et de fortes oppositions au Liban. Avec le sentiment largement partagé dans le pays qu’une telle humiliation nationale ne peut être acceptée. L’ensemble des courants politiques a réclamé son retour, Hezbollah compris. Même le parti de Saad Hariri, le Courant du Futur, allié de l’Arabie Saoudite, ne pouvait cautionner le comportement des autorités de Riyad. Ce parti a déclaré que le retour de Hariri est « une nécessité pour recouvrer la dignité et pour préserver les équilibres internes et externes du Liban ».
C’est la France qui permit de débloquer la situation. Puisque Saad Hariri était officiellement « libre de ses mouvements », rien ne pouvait s’opposer à ce qu’enfin il puisse partir de Riyad (avec sa famille), en répondant à une invitation française. C’était une façon d’aider le Prince héritier MBS en lui permettant de sauver la face. MBS pouvait d’autant plus facilement accepter la démarche d’Emmanuel Macron que Paris n’a pas ménagé ses efforts (depuis longtemps) pour soutenir l’Arabie Saoudite en multipliant les déclarations anti-iraniennes : « tentations hégémoniques de Téhéran », « vision agressive », et même « politique balistique non maîtrisée »… une formule très problématique car c’est une allusion directe à certaine exigences américaines (appuyées par la France) pour affaiblir et tenter de torpiller, si possible, l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien (3).
En suscitant quelques sourires amusés, la gymnastique diplomatique de la France avait conduit Jean-Yves Le Drian à assurer, à la suite des dirigeants saoudiens, que Saad Hariri était « libre de ses mouvements »… Alors qu’on se doutait bien qu’il n’en était rien. Le 24 novembre, lors d’un point de presse, le Ministère des Affaires étrangères osa prétendre que la France « ne choisit pas un camp ». Sourire, encore. Il est vrai qu’au delà des petits arrangements avec la réalité de sa propre politique, la France ne pouvait pas rester sans rien faire, dès l’instant où il s’agit du Liban. Emmanuel Macron voulut montrer sa capacité à prendre des initiatives diplomatiques utiles. Parce que la France doit parler à tout le monde. C’est, en effet, le travail diplomatique de base… Certains organes de presse au Liban indiquent d’ailleurs qu’un « envoyé » français a rencontré des responsables du Hezbollah avant le retour de Saad Hariri à Beyrouth. Il s’agissait de s’assurer que la « rhétorique resterait apaisée », et que le Hezbollah adopterait une attitude responsable vis à vis des initiatives à venir. Aucune indication n’a été donnée quant à l’identité de cet envoyé (4).
Pourquoi le Prince Salmane fait-il exploser le compromis de 2016.
Quelle sera la suite des événements ? Le constat de départ est sans appel : la consternante initiative saoudienne a fait exploser le compromis politique libanais de novembre 2016 ayant permis la mise en place d’un gouvernement d’union nationale comprenant deux ministres du Hezbollah. Cette participation ministérielle du Hezbollah fait problème aux courants politiques libanais alliés ou plutôt proches de Riyad, et plus généralement aux forces politiques ayant combattu le contrôle syrien et l’influence iranienne au Liban. De retour à Beyrouth, dans un contexte où la « rhétorique » politique ne se calme pas, Saad Hariri se retrouve devant la quadrature du cercle. Quelle solution trouver ?…
Et l’escalade verbale continue, avec des avertissements, pour ne pas dire des menaces à peine voilées : « la question de fond de toute cette affaire – dit le Prince Ben Salmane dans son interview au New York Times (5) – est que Hariri, un musulman sunnite, ne peut pas continuer à couvrir politiquement un gouvernement libanais essentiellement contrôlé par la milice chiite du Hezbollah, lui-même essentiellement contrôlé par Téhéran ». MBS va jusqu’à qualifier l’Ayatollah iranien Ali Khamenei de « nouvel Hitler du Moyen-Orient » , ce qui conduisit le Ministre iranien des affaires étrangères à stigmatiser « l’aventurisme du Prince héritier saoudien » qualifié de dictateur. Saad Hariri a donc les problèmes devant lui. Il lui faudra notamment décider, sous pression saoudienne, si le prochain gouvernement comprendra des ministres du Hezbollah.
Deux questions dominent ainsi les débats politiques et médiatiques : celle du « rééquilibrage » et celle de la « distanciation ». Ceux qui parlent de « rééquilibrage » dénoncent, comme MBS, une hégémonie politique du Hezbollah sur le gouvernement et sur les rouages de l’État libanais. Ils s’affirment donc pour un repartage du pouvoir. Ce qui sous-entend une mise en cause de la participation du Hezbollah au gouvernement. Mais comment exclure – sans trop prendre de risques – une telle force politique et militaire appartenant aux réalités libanaises, même si le lien stratégique direct avec Téhéran est plus qu’une évidence ? Ceux (les mêmes) qui insistent sur la « distanciation », et qui en font parfois un « concept » politique (probablement pour tenter de transformer une option politique en principe général…), soulèvent la question de l’engagement du Hezbollah en Syrie et la nécessité, pour le Liban, d’exclure les ingérences dans les affaires et les conflits du monde arabe. Évidemment, l’indépendance du Liban ne saurait poser le moindre problème de principe, mais est-ce vraiment dans ces termes que la question se pose ?
En vérité, le problème essentiel se situe moins dans ces subtilités sémantiques (qui traduisent des enjeux politiques réels) que dans la réalité des rapports de force régionaux mais aussi internationaux, et dans leur expression sur la scène libanaise. Avec la guerre de 2003 en Irak, avec la guerre civile en Syrie et l’échec ou le reflux stratégique des États-Unis dans la région, l’Iran apparaît – avec la Russie – comme la puissance régionale dans la position la plus favorable. Le coup d’éclat du Prince Salmane contre Hariri, à sa façon, révèle cette situation géopolitique issue de nombreuses années de guerre et d’affrontements aux conséquences terribles pour tous les peuples du Proche-Orient. Des années de guerres qui ont fragilisé l’hégémonie américaine installée dans toute cette région depuis la deuxième Guerre mondiale, et surtout la crise de Suez en 1956. Malgré des complexités à ne pas sous-estimer, c’est bien la convergence Téhéran/Ankara/Moscou qui prévaut dans la recherche d’une suite politique à la crise syrienne, maintenant que l’ensemble des interventions militaires ont globalement concouru à un recul des djihadistes et, pour l’essentiel, à une destruction du califat territorial de Daech. C’est un nouveau contexte qui s’ouvre. Et dans ce contexte, les lignes de fracture et les ambitions stratégiques traditionnelles se réaffirment plus nettement autour des principales puissances concernées.
C’est ce que fait l’Arabie Saoudite en faisant éclater le compromis libanais de 2016. Elle veut affaiblir le Hezbollah au Liban, pour essayer de faire reculer l’Iran accusé de visées agressives. Comme si ce pays était le seul à nourrir des ambitions de puissance dans la région… Mais l’enjeu réel est d’abord celui des rapports de forces déjà établis. Ce qui pose problème à Riyad c’est le recul des États-Unis. On observe d’ailleurs une certaine discrétion de Trump et de son administration dans cette crispation libano-saoudienne des 18 jours.
Dans le comportement des dirigeants saoudiens, il y avait peut-être aussi l’espoir de provoquer au Liban une exacerbation violente de la crise, des incidents armés… jusqu’à entraîner une éventuelle intervention militaire du voisin israélien au nom de la menace iranienne et de son allié le Hezbollah. Mais le Royaume Saoudien n’a pas les moyens des confrontations et des guerres dont il semble rêver. Il a donc choisi, c’est maintenant très clair, une forme de collaboration d’intérêt stratégique avec Tel-Aviv.
Le modèle Trump ?
C’est probablement ainsi que l’on peut expliquer la brutalité du Prince Héritier saoudien à l’égard de Saad Hariri et de son gouvernement. Bien sûr, on pourra dire que MBS copie son modèle politique, Donald Trump. Dans l’interview au New York Times, il n’hésite pas à le confirmer : « the right person at the right time », dit-il avec enthousiasme (la bonne personne au bon moment). La rhétorique agressive et grossière du Prince Salmane vis à vis de l’Iran rappelle d’ailleurs irrésistiblement la vulgarité des propos de Donald Trump vis à vis de la Corée du Nord… Plus sérieusement, on peut se demander si l’offensive de Mohammed Ben Salmane, et son caractère provoquant, ne serait pas plutôt une sorte de décalque ou une adaptation de la stratégie de la nouvelle administration américaine : surenchères verbales, recherche de l’escalade dans les menaces et les tensions, politique de force et militarisation immédiate de l’action… On est bien dans le même type de politique étrangère fondée sur l’expression de la puissance et l’exercice de la force… Sauf que ce brave Prince héritier n’en a pas vraiment les moyens.
Mohammed Ben Salmane a tapé du poing sur la table… mais il est en échec. Il dit lui même : « je suis un homme pressé ». Trop pressé, peut-être. Il ne prend pas toujours la mesure du contexte et des contradictions auxquelles il doit faire face. Ses initiatives conduisent à peu près toutes à des impasses. La guerre saoudienne au Yémen est sans résultat probant sauf celui d’une crise humanitaire catastrophique : près de 10 000 morts dans un contexte de famine et d’épidémie de choléra. On peut sur ce point s’étonner que cette insolente offensive militaire du pays le plus riche du monde arabe, dans le pays le plus pauvre du monde arabe ne suscite pas davantage d’indignation et d’initiatives de règlement politique. Par ailleurs, la confrontation de Riyad avec le Qatar – qui gêne les États-Unis et les puissances occidentales – est elle aussi sans issue. The Intercept (6) a publié le 13 novembre dernier un texte qualifiant Mohammed Ben Salmane de « reverse Midas » (Midas inversé), en allusion à ce personnage mythique de l’antiquité possédant la capacité de transformer en or tout ce qu’il touche. De fait, MBS semble pouvoir transformer en désastre tout ce qu’il entreprend.
Pourtant, ce Prince là ne manque pas d’ambition. Il prétend vouloir changer rien moins que le régime et les conditions du développement de son pays. Il l’explique dans son interview au New York Times. Ses objectifs, pour le Royaume, consistent à mettre un coup d’arrêt à la corruption, à installer un islam modéré, c’est à dire à faire de l’Arabie Saoudite une puissance moderne, ouverte et plus crédible. « Mon père – dit-il – avait compris qu’on ne peut pas rester dans le G20 avec ce niveau de corruption ». La confiance des investisseurs, la nécessité d’un libéralisme économique et politique nécessiterait donc maintenant le respect des règles d’un État de droit, surtout dans un contexte social où, manifestement, le niveau des injustices et de la corruption inhérentes au système, ont du mal à passer…
« Printemps arabe au style saoudien… »
L’ambition exprimée est celle de tourner la page du Royaume ultra-conservateur, intégriste et rigoriste mais gangrené par l’échelle des malversations. D’où le grand nettoyage politique engagé. Celui-ci permet, notons-le au passage, une concentration du pouvoir dans les mains du Prince héritier Mohammed Ben Salmane. Quelque 200 personnes, effectivement, ont été arrêtées ou appréhendées dont 11 princes et des dizaines de personnalités : ministres actuels ou anciens, hommes d’affaires, etc… Une modernisation qui passe donc, elle aussi, par une politique de force. Même le richissime Prince Alwalid Ben Talal (patrimoine estimé à 17 milliards de dollars), internationalement connu, adepte de conceptions libérales, présent dans les activités d’une trentaine de groupes multinationaux et dans de grandes sociétés, notamment dans la « high tech » Américaine (Apple, Twitter…), n’y a pas échappé.
Le célèbre éditorialiste du New York Times, Thomas Friedman, apporte ses propres commentaires à l’interview de MBS déjà citée plusieurs fois. Il commence ainsi : « Je n’avais jamais pensé vivre assez longtemps pour pouvoir écrire cette phrase : le processus de réformes en cours le plus significatif dans l’ensemble du Moyen-Orient aujourd’hui, c’est en Arabie Saoudite. Oui, vous avez bien lu. Bien que je soi arrivé ici au début de l’hiver saoudien, j’ai trouvé un pays qui a engagé son propre printemps arabe, au style saoudien. »
Difficile de savoir si ce soit disant « printemps arabe au style saoudien » (rien que la formule vaut le détour) réussira à changer les choses pour faire de l’Arabie Saoudite un État disons… fréquentable. Par exemple, un État où les condamnés ne sont pas décapités au sabre sur la place publique… Il reste que Friedman a raison : prendre le Premier ministre d’un État étranger en otage, lui confisquer ses moyens personnels de communication, le mettre en résidence surveillée… voilà qui semble caractériser le « style saoudien »… Heureusement, il n’y a que dans ce pays là que c’est à la mode. Les autres États voyous, aux pratiques si détestables soient-elles, n’ont jamais pu se permettre ça. 25 11 2017
1) Michel Aoun est de confession chrétienne maronite, et Saad Hariri musulman sunnite, tandis que le Président de la Chambre des députés est musulman chiite (Nabih Berri depuis 1992).
2) « Liban : Saad Hariri chargé par le Président de former un gouvernement », Paul Khalifeh, RFI, 03 11 2016.
3) Voir dans ce blog : « ONU, une assemblée générale très révélatrice. Version longue et modifiée ».
4) Voir « French envoy met Hezbollah ahead of Hariri’s return », The Daily Star, 24 11 2017, et « Aoun to seek consensus on dissociation policy solution », The Daily Star, 25 11 2017.
5) « Saudi arabia’s arab spring, at last », interview du Prince Mohammed Ben Salmane par Thomas L. Friedman, New York Times, 23 11 2017
6) Publication en ligne créée en 2014 afin de divulguer les documents sur la National Security Agency (NSA), révélés par Edward Snowden.
MBS a un allié de poids avec Israël. La question est de savoir qui est le plus actif, au-delà des mots. On aurait tendance à penser que Tel-Aviv a une expérience bien supérieure, avec une volonté irrépressible d’en découdre avec l’Iran. Le risque n’est-il pas dans cette alliance-concurrence contre l’Iran ?
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Oui, bien sûr. Mais comme tu le suggères c’est une « alliance/concurrence ». Ce n’est pas si simple pour Riyad. Jusqu’où les saoudiens pourront ou pourraient aller avec les Israéliens ? Peuvent-ils aller jusqu’à une guerre de convergence contre l’Iran ? J’ai un doute. J’observe d’ailleurs que malgré toutes les tensions recherchées et menaces exprimées, dans l’épisode de 18 jours qui vient de se terminer (ou disons de se transformer en nouvelle situation car rien n’est terminé), ni les Etats-Unis, ni Israël n’ont vraiment montré de soutien fort, actif et concret à MBS. Faire la guerre à l’Iran et au Hezbollah aujourd’hui n’est probablement pas si facile. Chacun a un contexte interne à gérer et un rapport de force à bien mesurer. De toutes façons, rien ne peut se faire sans l’appui de Washington. Pour s’engager dans une guerre dans un tel contexte il faut une situation d’opportunité, des alliances globales et déterminées, des préparatifs… Ce n’est pas encore ce contexte là qui domine. Il me semble que sauf une sorte de répétition de 2006 (limitée à Israël /Hezbollah), une guerre contre l’Iran représente des risques très élevés. Tout le monde y réfléchira à 2 fois… Mais ça peut venir… On ne peut rien exclure.
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