USA, OTAN, RUSSIE… A la recherche de l’acteur absent.

Toute cette histoire qui se cristallise sur l’Ukraine est loin d’être finie. Les enjeux sont en effet plus importants, c’est à dire plus vastes et plus compliqués que les tableaux et les commentaires souvent caricaturaux que l’on nous offre politiquement et médiatiquement tous les jours.

Cependant, une question doit être absolument soulevée. Cette question c’est LE problème majeur posé par l’actuelle confrontation de puissances. Une confrontation à la fois vaine et dangereuse. Remarquons l’absence totale d’un acteur politique et symbolique qui devrait pourtant avoir toute sa place, et même davantage que cela. Cet acteur, effectivement, devrait être au cœur des concertations, des débats et des recherches de solutions face à la montée vraiment préoccupante des tensions qui opposent la Russie, les États-Unis, l’OTAN et nombre d’autres protagonistes, notamment la France, l’Allemagne, l’Union européenne…

Cet acteur, si on veut lui donner un nom, c’est Antonio Guterres. Si on veut lui donner un titre, c’est celui de Secrétaire général de l’ONU, nommé par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité. Sa charge est donc politique de par son mode de désignation. Si on veut donner une mission à cet acteur, cela peut être, cela devrait être : susciter des dynamiques diplomatiques, permettre les dialogues et les négociations nécessaires, remplir toutes les fonctions que les organes de l’ONU (Assemblée générale, Conseil de sécurité en particulier) peuvent lui confier… ce qui n’est pas le cas aujourd’hui puisque, pour l’instant, alors que dominent l’unilatéralisme de la force et les logiques de puissance, nul ne fait appel à lui.

Bref, cet acteur silencieux, cet acteur absent, cet acteur trop absent aujourd’hui, c’est celui… du multilatéralisme. Le multilatéralisme comme une exigence politique essentielle qui peut être incarnée par le Secrétaire général de l’ONU. Cet acteur c’est celui de la seule légitimité universelle qui peut, en toute indépendance (article 100 de la Charte) favoriser ou conduire des pourparlers, jouer un rôle de médiateur et de clarificateur, exercer une tâche délicate mais indispensable : spécifier l’état du droit international sur les questions à traiter, rappeler les responsabilités de chacun selon l’esprit et la lettre de la Charte des Nations-Unies. Le Secrétaire général peut peser et contribuer à infléchir le cours des événements, même s’il ne détient pas la décision finale. Dans l’histoire des Nations-Unies, certains secrétaires généraux, par exemple Kofi Annan (prix Nobel de la Paix 2001), ont ainsi assumé un vrai rôle politique positif, parfois même alternatif, dans des moments cruciaux de tension internationale.

Alors, aujourd’hui, qui aura le courage de dire : ça suffit !.. Vous dites ne pas vouloir d’une guerre, mais vous créez au quotidien, dans l’escalade des rhétoriques, des menaces, des sanctions, des raidissements politiques et des crescendos militaires… toutes les conditions susceptibles de provoquer un affrontement armé et un enchaînement – forcément désastreux et certainement meurtrier – que personne n’aura (ouvertement) souhaité, mais dont il sera si difficile de sortir.

Les interrogations mille fois répétées aujourd’hui ont l’apparence de l’évidence : jusqu’où ira Poutine ? Veut-il attaquer l’Ukraine ? Veut-il la guerre ?.. Il faudrait en tous les cas s’y préparer. Alors que la seule question qui vaille vraiment est celle-ci : comment faire pour briser l’engrenage ? Comment faire pour abaisser les tensions et, malgré les difficultés, négocier… Négocier sans désemparer une voie d’issue strictement politique.

La Charte des Nations-Unies repose sur un des principes les plus fondamentaux parmi tous les paramètres permettant d’étouffer tous les risques dans le contexte de relations internationales apaisées : la responsabilité collective. Ce concept de responsabilité collective, que tout le monde ou presque passe maintenant par pertes et profits, est pourtant central et décisif dans le droit international, dans l’esprit d’égalité et de sécurité partagée qui devrait s’imposer.

Bien-sûr, cette exigence de responsabilité collective ne peut s’accommoder de faux semblants ou de mauvaise foi. Cette remarque vise la France. Emmanuel Macron préside pour 6 mois le Conseil de l’Union européenne. Afin de marquer son mandat d’une initiative, il a appelé à un dialogue entre l’UE et la Russie (très bien) sur l’idée d’un « nouvel ordre de sécurité en Europe ». « Nous devons – dit-il – le construire entre Européens, puis le partager avec nos alliés dans le cadre de l’OTAN, puis ensuite le proposer à la négociation à la Russie ». Cette proposition, c’est exactement ce qu’il ne faut pas faire. Un tel processus, comme sa définition même l’indique, ne vise pas à un nouvel ordre de sécurité en Europe, mais à un autre (autre ou pas…) ordre international dans une conception euro-atlantique… Une proposition d’ordre expressément validée par l’OTAN, c’est Emmanuel Macron qui le dit. De quoi continuer à nourrir les crispations et les hostilités. Il faut sortir définitivement de cet esprit de Guerre froide, sortir des postures de menaces et des stratégies de camps antagonistes. C’est d’abord cela la responsabilité collective.

Alors, qui aura le courage d’aller voir le Secrétaire général de l’ONU pour lui dire : Antonio, on y arrive pas. Tu peux nous aider à nous sortir de là ? On va t’aider… Dis autrement, cela signifie remettre l’ONU au centre des enjeux. Imposer les principes et les pratiques du multilatéralisme. Reconstruire en commun de la sécurité. Revenir au droit. Et assumer ensemble notre responsabilité collective… Pourquoi n’y-a-t-il aucune autorité pour rappeler cette exigence ? Est-ce trop demander ? 26 01 2022

3 commentaires sur “USA, OTAN, RUSSIE… A la recherche de l’acteur absent.

  1. Jacques, 100% d’accord avec toi. Il faut absolument entamer une lutte d’envergure mondiale pour que ce soit l’AG de l’ONU et son secrétaire général actuel qui en définitive aient le dernier mot sur tous les problèmes internationaux d’envergure régionale ou mondiale. Le Conseil de sécurité ne doit être qu’un exécutant détenteur ( non exclusif) des moyens matériels de mise en application des décisions de l’AG et de son secrétaire général. Je crois aussi à la nécessité et l’urgence de la mise sur pied d’un Front progressiste international (regroupant les forces politiques, les forces syndicales, les associations défendant de telles idées). Il faut en finir avec la dictature des 1% dont le Conseil de sécurité actuel n’est en définitive que l’émanation. Pour ma part, j’ai déjà essayé de faire progresser ces idées au sein du PCF et je continuerai.

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  2. Très bien, mais la seule « autorité » de l’ONU, c’est bien le Conseil de sécurité, qui d’ailleurs n’a qu’un pouvoir de nuisance et non pas d’action, avec le droit de véto. Le Secrétaire général de l’ONU n’est qu’un fonctionnaire exécutant les missions que les organes de l’ONU veulent bien lui confier. Son « pouvoir », c’est la parole, qui ne peut pas non plus entrer en contradiction avec ces organes. Comme le site de l’ONU le précise « La Charte définit le/la Secrétaire général/e comme étant le/la plus haut/e fonctionnaire de l’Organisation, en charge de remplir toutes les autres fonctions dont il/elle serait chargé/e par le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale, le Conseil économique et social et les autres organes de l’ONU. La Charte autorise également le/la Secrétaire général/e à attirer l’attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales… L’un des rôles essentiels du/de la Secrétaire général/e est d’user de ses bons offices, c’est-à-dire de se prévaloir de son indépendance, de son impartialité et de son intégrité pour faire, publiquement et en privé, des démarches propres à empêcher l’apparition, l’aggravation ou l’extension des conflits internationaux. » Comme tout ceci est gentiment dit!
    Faire des démarches! autant dire ne rien pouvoir faire, ni sanctionner, ni décider d’une action d’intervention, ni engager des recours, mais seulement tenir son blog sur le site de l’ONU sous le contrôle serré de ceux qui l’ont nommé.
    Bref, il n’a aucun pouvoir. Le problème ce n’est donc pas son « absence », absence de pouvoir institutionnelle, le problème c’est l’organisation actuelle de la gouvernance mondiale, archaïsme construit sur ce que représentaient, en terme de populations, les Empires de 1945, avant que la bombe atomique ne soit réalisée et alors que les membres « permanents » se soient autorisé à en disposer tout en l’interdisant à tous les autres, sur une promesse machiavélique de leur élimination totale. Hégémonie perpétuelle garantie!
    Nous voici revenus au bon vieux temps de la Guerre froide, chars massés aux frontières de l’Empire russe, roulement de mécaniques de l’Empire américain et de ses sujets de l’OTAN (France y compris) frémissant en poussant des cris d’orfraie devant cette « menace » qui rappelle à certains peuples les pires souvenirs.
    Il existe une solution très simple: compte tenu de l’incapacité d’action que tu mets en évidence, Jacques. Il faut et il suffit que la France annonce qu’elle se retire de l’Organisation actuelle du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui ne sert plus à rien et aussi longtemps que subsistera le droit de veto, tout en se présentant comme prête à apporter son assistance, dans la mesure de ses capacités, aux Nations qui seraient victimes d’une agression, et qu’elle est prête à sanctionner, encore une fois avec ses moyens, les dirigeants (et non pas les peuples) qui seraient à l’origine de ces agressions. Et que le France exige qu’une nouvelle organisation des Nations soit mise en place en rassemblant toutes les Nations, avec l’Assemblée générale.

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    1. Bonjour Francis,
      D’accord avec bien des choses que tu explicites. Je connais bien la Charte et l’ONU. Comme Obélix, je suis tombé dedans quand j’étais petit… Je me promenais souvent dans les couloirs du Palais des Nations à Genève…
      Mon objectif premier est ici non pas de regretter l’absence du Secrétaire général, même si je le vise quand même un peu en pensant qu’il pourrait se manifester davantage dans le cadre qui lui est imparti… D’autres ont fait un peu mieux.  » L’absence  » dont je parle, c’est dans une logique très westphalienne, le refus de toute initiative des Etats et des gouvernements pour tenter d’enclencher une démarche multilatérale, dans le cadre des Nations-Unies. Je note surtout l’absence de commentaires politiques et médiatiques sur cette question. L’ONU n’existe plus que pour les questions secondaires, et encore. Mais lorsqu’il faut régler des problèmes importants, alors, les logiques de puissance écrasent tout. Et politiquement, tout le monde ou presque avalise cette situation. La presse, les médias… suivent et alimentent idéologiquement et politiquement. J’ai écris ça pour faire réfléchir, susciter des réactions en particulier à gauche, chez ceux qui me lisent. D’où la notion  » d’absence  » qui reste approximative, certes, mais qui vise à attirer l’attention et la curiosité. Et pour une fois j’ai fait un texte court. Tout ce que j’écris sur ce genre de questions cherche à décomposer, à mettre en cause la puissance comme paramètre dominant des relations internationales.
      Enfin, personnellement, je ne suis pas sûr que la France devrait quitter le Conseil de sécurité, même pour faire une démonstration politique… qui ressemble à celle que je voulais faire. Mais au point où on en est j’accepte bien volontiers toute proposition qui pourrait casser l’ambiance et l’ordre actuel…

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