
J’ai lu « Les voies de la puissance », ouvrage écrit par Frédéric Encel (1), docteur en géopolitique (habilité à diriger des recherches), professeur de relations internationales et de sciences politiques, maître de conférence à SciencesPo Paris, membre du Comité de lecture de la revue Hérodote.
C’est surtout le sous-titre qui m’a poussé à acheter ce livre : « penser la géopolitique au XXIè siècle ». On se dit que l’ambition présentée est élevée, et qu’elle tombe à point nommé dans un contexte de guerre, de tensions montantes et de risques majeurs. Et de complexités multiples. Et puis la quatrième de couverture vous prévient : ce livre est « une mine d’informations, une somme d’analyses et de décryptages des grandes orientations stratégiques qui se dessinent sous nos yeux ». J’avais donc hâte de « penser la géopolitique » avec ce Monsieur Encel. Penser la géopolitique… Ça vaut le détour, non ?
Las, je vous le dit tout net, si vous vous aventurez dans la lecture de cet ouvrage vous en sortirez fort dépité. Avec le désagréable sentiment que l’on s’est un peu moqué de vous. Il y a tant de formulations faibles et approximatives ou caricaturales que l’on ne voit pas en quoi cette lecture pourrait soit vous satisfaire politiquement (on ne sait jamais), soit aiguiser positivement votre curiosité et votre goût pour le débat critique.
Je ne vais prendre qu’un seul exemple. Dans un chapitre consacré aux « regroupements d’États » Encel commence par traiter de l’ONU. Il explique une seule chose : avec l’ONU, on ne sort pas de la primauté de l’État. C’est tout. Évidemment, nul n’ira contredire le fait que l’État reste l’acteur essentiel, ou plutôt un acteur essentiel… des relations internationales. Mais au-delà de ce qui n’est peut-être pas seulement une évidence, on ne peut passer outre le fait que les Nations-Unies ont été mises en place précisément pour « gérer » autrement les rapports entre États, pour dépasser ou maîtriser l’ordre westphalien, et surtout pour installer le principe de la responsabilité collective, les pratiques du multilatéralisme et de la sécurité collective… Après la Seconde Guerre mondiale, ce n’était pas rien.
On peut d’ailleurs constater que l’ONU, dans cet ouvrage, est mise sur le même pieds que les ONG, les groupements économiques, politiques et religieux… Pourtant, ce fut une réalisation majeure porteuse d’une tout autre vision des relations internationales. Alors, affaiblir à ce point la signification historique et politique de ce que sont les Nations-Unies, de ce que l’on a voulu faire avec la fondation de l’ONU… alors que, justement, celle-ci est aujourd’hui sérieusement en danger, voilà qui est consternant.
Ainsi, Frédéric Encel ne dit rien sur le sens et sur l’histoire du système des Nations-Unies, sur la volonté de construire ainsi une légitimité différente et universelle, et sur les raisons pour lesquelles l’ONU, dans l’ordre international actuel, se voit tellement écartée et menacée… Comme dans l’ensemble de son livre : rien sur les grands enjeux, rien sur le poids de l’histoire, rien sur le sens. Faiblesse sur les contradictions et sur les dangers du moment historique actuel, et sur les stratégies conduites par les principales puissances… La géopolitique mérite mieux que ça. Et surtout davantage de vision critique et de hauteur de vue.
Encel écrit comme on manie le rabot. Il aplatit les enjeux, il lisse les contradictions… Dans ce livre, il fait perdre de l’épaisseur à tout ce qu’il touche.
1) « Les voies de la puissance. Penser la géopolitique au XXIè siècle », Frédéric Encel, Odile Jacob, 2022. Le fait que ce livre ai pu bénéficier du Prix du livre de géopolitique (2022), attribué sous une forme de patronage du Quai d’Orsay, en dit beaucoup sur la politique étrangère française actuelle.