Ukraine… Comment sortir d’une crise internationale majeure ?

Une initiative pour empêcher la guerre.

Il faut le dire clairement : aujourd’hui, 20 février 2022, si la situation continue à se dégrader au rythme que nous connaissons depuis des semaines, depuis des jours, et même quelques heures… alors il faudra constater que la guerre est à nos portes en Europe. C’est un fait probable. Pour ne pas dire certain car le pire ne doit pas être considéré comme inévitable. Il n’y a heureusement pas de fatalité à ce que le Secrétaire général de l’ONU a désigné comme une « catastrophe » possible. Mais il faut se donner les moyens d’agir. Le moment est critique. Des décisions doivent être prises. Maintenant.

Comment ne pas entendre battre les tambours de guerre et comment ne pas voir à quel point la confrontation USA-OTAN-Ukraine-Russie a pris la cadence d’une escalade de moins en moins contrôlée… parce qu’elle est de plus en plus alimentée dans un engrenage de menaces et de militarisation. Dans un contexte où une rhétorique incendiaire ne fait qu’exacerber les tensions et nourrir le danger. Certes, tout le monde (ou presque) certifie ne pas vouloir la guerre, mais ce qui se passe aujourd’hui n’est pas autre chose qu’une forme de préparation à celle-ci.

Lorsque le Président américain Joe Biden se dit aujourd’hui « convaincu » que Vladimir Poutine (malgré les multiples dénégations de celui-ci) a pris « la décision » de lancer l’offensive et d’envahir l’Ukraine dans la semaine ou les jours qui viennent… que fait-il d’autre qu’alimenter les nationalismes et les peurs, en justifiant les hostilités ? Le Président ukrainien Volodymyr Zelensky n’y va pas par quatre chemins en appelant l’Occident à « cesser sa politique d’apaisement » et fixer « un calendrier clair » pour l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN…Autant dire qu’il faut faire la guerre tout de suite. Quand au Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, tout indiquerait pour lui que la Russie prévoit « une attaque complète de l’Ukraine »…

Évidemment, dans le contexte actuel tout est possible. On peut (il faut) évidemment comprendre l’inquiétude légitime de l’Ukraine et de bien d’autres pays devant les stationnements, les renforcements et les exercices militaires russes (y compris navals en Mer noire et en Méditerranée), impliquant non loin des frontières terrestres de l’Ukraine quelque 100 000 soldats et des capacités militaires de haut niveau… Cela fait partie des questions devant être discutées de toute urgence. Et de bonne foi par tous les protagonistes. Comme le souligne Mme Rosemary Di Carlo, Secrétaire générale-adjointe de l’ONU chargée des affaires politiques, « les accusations et les récriminations entre les différents acteurs impliqués dans les discussions en cours ont créé de l’incertitude, et l’appréhension pour beaucoup qu’une confrontation militaire est imminente ».

Les puissances occidentales donnent cependant l’irrépressible sentiment qu’il ne s’agit plus d’obtenir une « désescalade » comme condition à une négociation, mais qu’il faut s’inscrire dans l’endiguement stratégique de la Russie. A force de s’exacerber, la tension change de dimension. Et les logiques de puissance ne cessent de se renforcer. L’escalade des hostilités se transforme de façon périlleuse en mécanique létale et pernicieuse sans frein de sécurité. Les risques sont énormes.

Les responsables politiques et la plupart des médias occidentaux affirment ne pas savoir ce que veut réellement Poutine. La Russie a pourtant présenté ses demandes dès le mois de décembre 2021 sous la forme de 2 projets de traités internationaux très précis. Mais le contenu de ceux-ci n’a pas obtenu autre chose qu’une fin de non recevoir. Les États-Unis et l’OTAN ont rejeté ce qu’ils ont appelé des « non starters », c’est à dire des paramètres irrecevables, des propositions sur lesquelles on refuse à priori d’engager toute forme de discussion. Malgré les formes du discours, ce fut une brutale récusation. Il est vrai que les exigences russes sont particulièrement élevées et probablement, pour certaines d’entre elles, hors d’atteinte pour Moscou qui devait s’en douter. Mais une négociation commence toujours par le haut. La diplomatie est un exercice difficile et patient qui doit servir à chercher et trouver des solutions, des compromis et des consensus. Washington a ainsi repoussé toutes les demandes russes tout en proposant de négocier sur des questions de sécurité d’un tout autre ordre (en elles-mêmes non négligeables). L’Administration américaine, comme elle l’a fait depuis 1989/1990 et le démantèlement de l’URSS, a ainsi éconduit la Russie, ce que ne voulait surtout pas Moscou qui cherche depuis des années à s’imposer comme acteur majeur et puissance que l’on doit respecter.

Alors il est venu le temps de changer radicalement de méthode. Les discours de la menace, de la force et de la dissuasion militaire doivent laisser la place à une vision de responsabilité , avec les pratiques du multilatéralisme. Il faut impérativement et immédiatement bloquer la montée des risques, faire redescendre la tension, et s’extraire de l’impasse politique en changeant l’ensemble du logiciel et le cadre de négociation.

Une tout autre démarche diplomatique doit pouvoir ainsi s’imposer. Les Nations-Unies et leur Secrétaire général doivent prendre la main. Et engager sur décision et sur mandat du Conseil de sécurité des Nations-Unies, avec un appui de l’Assemblée générale, une mission de médiation, de négociations et de propositions, d’abord pour empêcher le pire et faire baisser la tension. C’est une exigence immédiate et absolue. Ensuite ou simultanément pour commencer des pourparlers sur le fond, toujours sous tutelle ONU, selon les buts et les principes de sa Charte, concernant l’ensemble des problématiques soulevées depuis des mois par chacun des acteurs de cette crise. Personne ne dit que ce sera facile. Mais il n’y a pas d’alternative crédible et acceptable à la diplomatie. Surtout pour un conflit si complexe qui, depuis 8 années, contribue à fragiliser si profondément les conditions de la sécurité en Europe.

Les Nations-Unies doivent aussi s’impliquer directement comme aide et garantie dans les négociations dites du « format Normandie » concernant spécifiquement le règlement de la question ukrainienne par l’application des Accords de Minsk validés par l’OSCE et par le Conseil de sécurité de l’ONU. Une attention particulière devra être accordée aux aspects politiques et institutionnels de ces Accords dont la mise en œuvre peut constituer la meilleure assurance multilatérale d’une sécurité durable et partagée par tous.

Qui peut agir ? Qui doit agir ? Les autorités françaises et leurs partenaires européens – en tous les cas ceux qui veulent vraiment travailler à une issue politique – doivent prendre une initiative d’ampleur dans ce sens. Et de façon très déterminée. Il faut sortir des postures politico-militaires, des approches antagonistes et des logiques de puissance pour retrouver le sens de la responsabilité collective et de la sécurité collective. Sans un progrès décisif dans cette voie… bientôt, il sera peut-être trop tard. C’est maintenant que cela doit se décider.

Afghanistan: an ignominy signed by Biden.

Le texte original en français figure après cette version anglaise.

What Joe Biden and the U.S. Administration have just decided is a real ignominy on the ethical and political levels. It is the discretionary extortion of 7 billion dollars belonging to the Afghan Central Bank. It is as if the United States can pre-empt the bank assets of another state so that it can unilaterally seize them and use them as it sees fit. This is beyond the pale for a power that prides itself on the « exceptionalism » of its founding values.

Biden gives reasons, his own, for this approach. They are more akin to the practice of international gangsterism. Certainly, predation is part of the parameters belonging to any form of imperialism and to the modes of management of power politics. It is not, far from it, a novelty. But here we reach the height of cynicism and moral unacceptability.

Afghanistan is on the brink of an economic, social and political precipice. Humanitarian aid, thanks to the United Nations and the NGOs, will be able to help face the most absolute human emergencies. But this will not be enough, as I have previously explained in articles on my blog JFi, and on the website of the « Cahiers de santé publique et de protection sociale ». In spite of the Taliban regime, this country needs means to get out of a major crisis. The International Red Cross and other organizations consider that this crisis has reached a critical threshold. More than half of the population (about 25 million people) needs help. Now. And in the long run. The situation is so economically and socially perilous that Afghanistan will not recover unless the structural causes of the problems are addressed. For example, aid for agriculture, for the survival and functioning of the health system, for education, for justice… The needs are colossal.

But Biden has just shamelessly taken a totally opposite decision: to seize $7 billion from the Afghan Central Bank to pay for humanitarian aid ($3.5 billion), and to finance compensation for the victims of September 11 ($3.5 billion). What is the real meaning of such a choice? First of all, it is to make the Afghans themselves pay for the humanitarian aid they urgently need… while dispossessing them of important financial means for a country like Afghanistan, one of the poorest in the world. And this while the current threat of total economic and social collapse, in the context of a failed state, comes largely from the consequences of 20 years of American war, systemic corruption, massive poverty and underdevelopment.

And then, to make the victims of September 11 pay compensation in this way… this is also unacceptable. It was not Afghanistan, and it was not Afghans who killed 3000 people on September 11, 2001 in New York. It was 15 Saudis out of 19 terrorists. The others came from Yemen, Lebanon, Egypt and the United Arab Emirates. We know how many individuals, rich personalities and Saudi « clerics » or sheikhs have participated in financing jihadism, having found a financial and ideological engine for their political aims. The regime of the Saudi princes has a solid reputation in criminal dirty tricks (see for example the Khashoggi affair in October 2018). However, it has never been proven that this kingdom, a privileged ally of Western powers, is the actor responsible for the plot and the attack of September 11… But when it comes to compensation, it is rather Riyadh that should and could finance. And certainly not Kabul.

Afghanistan, indeed, has paid enough and illegitimately with 20 years of murderous and destructive war. Having sheltered Osama Bin Laden, the leader of Al Qaeda, cannot justify either 20 years of war, or the arrogant strategy of « regime change » and American domination, whose vain pretension is now measured in a complete political, strategic and military failure. Biden is obviously trying to regain his credibility in the face of this total failure, crowned by the unbelievable chaos of the retreat of Washington’s and NATO’s troops. In reality, these 3.5 billion dollars in compensation to the victims of September 11 do not represent much compared to what the United States spent (more than 2.3 trillion dollars) on this unwinnable war… which it actually lost. But Biden chooses to preserve the richest and crush the weakest.

Certainly, the Taliban regime is not a reliable partner, democratic, respectful of universal human values. That is the least that can be said. But there are limits that must not be crossed. There is an Afghan people. Yes, a people, and not just a de facto authoritarian regime, brutal, hostile to women, to freedoms, to education, to culture…a regime that precisely holds its power from the American failure. These Afghan people must be helped and respected. In truth, Biden, in political difficulty, is using 9/11 as an instrument. He is using vulgar populist demagoguery to try to regain his electorate. This sordid maneuver is as morally repulsive as it is politically illegitimate.

We thought we had reached a plateau of unacceptability with Guantánamo, with Abu Ghraib and many other criminal exactions that Washington must assume. But Biden has just made the United States take a further step in ignominy… We will see who will dare to say it clearly. (12 02 22)

(Translated into english with deepl)

Afghanistan : une ignominie signée Biden.

Ce que vient de décider Joe Biden et l’Administration américaine constitue une véritable ignominie sur les plans éthique et politique. Il s’agit de l’extorsion discrétionnaire de 7 milliards de dollars appartenant à la Banque centrale afghane. Comme si les États-Unis pouvaient préempter les avoirs bancaires appartenant à un autre État afin de pouvoir s’en emparer unilatéralement pour les utiliser comme bon leur semble. Cela dépasse les bornes pour une puissance qui s’enorgueillit d’un « exceptionnalisme » issu de ses valeurs fondatrices.

Biden donne des raisons, les siennes, à cette manière de faire. Elles ressortent plutôt d’une pratique de gangstérisme international. Certes, la prédation fait partie des paramètres appartenant à toute forme d’impérialisme et aux modes de gestion des politiques de puissance. Ce n’est pas, loin de là, une nouveauté. Mais on atteint ici un summum du cynisme et du moralement inacceptable.

L’Afghanistan est au bord du précipice économique, social et politique. L’aide humanitaire, grâce aux Nations-Unies et aux ONG, pourra aider à faire face aux urgences humaines les plus absolues. Mais cela ne suffira pas comme je l’ai précédemment expliqué dans des articles figurant sur mon blog JFi, et sur le site des « Cahiers de santé publique et de protection sociale ». En dépit du régime des Talibans, il faut à ce pays des moyens pour sortir d’une crise majeure. La Croix rouge internationale et d’autres organisations considèrent que cette crise a atteint un seuil critique. C’est en effet plus de la moitié de la population (environ 25 millions de personnes) qui a besoin d’aide. Maintenant. Et dans la durée. La situation est si économiquement et socialement périlleuse que l’Afghanistan ne s’en sortira pas sans que l’on puisse s’attaquer aux causes structurelles des problèmes. Par exemple des aides à l’agriculture, à la survie et au fonctionnement du système de santé, de l’éducation, de la justice… Les besoins sont colossaux.

Mais Biden vient de prendre sans vergogne une décision totalement contraire : s’emparer de 7 milliards de dollars de la Banque centrale afghane pour payer l’aide humanitaire ($ 3,5 milliards), et pour financer des indemnisations aux victimes du 11 septembre ($ 3,5 milliards). Quel est le sens véritable d’un tel choix ? Il s’agit d’abord de faire payer par les Afghans eux-mêmes l’aide humanitaire dont ils ont un besoin urgent… tout en les dépossédant de moyens financiers importants pour un pays comme l’Afghanistan, un des plus pauvres du monde. Et cela alors que l’actuel menace d’effondrement économique et social total, dans un contexte d’État déliquescent, provient largement des conséquences de 20 ans de guerre américaine, de corruption systémique, de pauvreté massive et de sous-développement.

Et puis, faire payer ainsi des indemnisations aux victimes du 11 septembre… voilà qui ressort aussi de l’inacceptable. Ce n’est pas l’Afghanistan, et ce ne sont pas des Afghans qui ont tué 3000 personnes ce 11 septembre 2001 à New York. Ce sont 15 saoudiens sur 19 terroristes. Les autres venant du Yémen, du Liban, d’Égypte et des Émirats Arabes Unis. On sait comment nombre d’individus, de riches personnalités et des « religieux » ou cheikh saoudiens ont participé au financement d’un djihadisme ayant trouvé ainsi un moteur financier et idéologique pour leur visées politiques. Le régime des princes saoudiens a d’ailleurs une solide réputation dans les coups tordus criminels (voir par exemple l’affaire Khashoggi en octobre 2018). Cependant, il n’a jamais été prouvé que ce royaume, allié privilégié des puissances occidentales, est l’acteur responsable du complot et de l’attaque du 11 septembre… Mais en matière d’indemnisation, c’est plutôt Riyad qui devrait et pourrait financer. Et certainement pas Kaboul.

L’Afghanistan, en effet, a suffisamment et illégitimement payé avec 20 années de guerre meurtrière et destructrices. Avoir hébergé Oussama Ben Laden, chef d’Al Qaïda, ne peut justifier ni 20 ans de guerre, ni l’arrogante stratégie de « regime change » et de domination américaine dont on mesure aujourd’hui la vaine prétention dans un échec politique, stratégique et militaire complet. Biden, à l’évidence, cherche à se refaire une crédibilité vis à vis de cette totale bérézina couronnée par l’inénarrable chaos ayant présidé à la retraite des troupes de Washington et de l’OTAN. En réalité, ces 3,5 milliards de dollars d’indemnisation à des victimes du 11 septembre ne représentent pas grand-chose au regard de ce que les États-Unis ont dépensé (plus de 2300 milliards de dollars) pour cette guerre ingagnable… qu’ils ont effectivement perdue. Mais Biden choisit ainsi de préserver les plus riches et d’écraser les plus faibles.

Certes, le régime des Talibans n’est pas un partenaire fiable, démocratique, respectueux des valeurs humaines universelles. C’est le moins que l’on puisse dire. Mais il y a des limites à ne pas franchir. Il y a un peuple afghan. Oui, un peuple, et pas seulement un régime de facto autoritaire, brutal, hostiles aux femmes, aux libertés, à l’éducation, à la culture…un régime qui, précisément, tient son pouvoir de l’échec américain. Ce peuple afghan doit être aidé et respecté. En vérité, Biden, en difficulté politique, instrumentalise le 11 septembre. Il utilise une vulgaire démagogie populiste pour essayer de se refaire une santé dans son électorat. Cette sordide manœuvre est aussi moralement repoussante que politiquement illégitime.

On croyait avoir atteint un palier dans l’inacceptable avec Guantánamo, avec Abou Ghraïb et bien d’autres exactions criminelles que Washington doit assumer. Mais Biden vient de faire faire aux États-Unis un pas supplémentaire dans l’ignominie… Nous allons voir qui osera le dire clairement. (12 02 22)

DOCUMENT : lettre de Sergey Lavrov aux États membres de l’OSCE sur la sécurité en Europe.

« Lettre du Ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, sur l’indivisibilité de la sécurité, envoyé le 28 janvier dernier aux ministres des Affaires étrangères des États-Unis, du Canada et de plusieurs pays européens. »

Cette lettre de Sergey Lavrov (reproduite ci-dessous en français puis en russe) est en réalité une réponse à la réponse que les États-Unis ont adressée à la Russie (voir sur ce blog) après que Moscou eut formalisé ses demandes initiales en matière de sécurité sous la forme de 2 projets de traités adressés aux États-Unis et à l’OTAN, et rendus publics le 17 décembre 2021. Vous pouvez consulter ces 2 projets (à l’origine confidentiels) qui figurent aussi en intégralité sur ce blog.

Dans le contexte actuel d’une très forte tension, cette lettre de Sergey Lavrov vise manifestement à sortir de l’affrontement et à recentrer le débat sur la recherche d’un accord USA-OTAN / Russie concernant l’architecture et les normes de la sécurité en Europe, et l’indivisibilité de la sécurité, c’est à dire la nécessité d’une sécurité collective dans les mêmes conditions pour tous. Mais il n’y a pas de vision commune en la matière tellement la confrontation actuelle est surdéterminée par les logiques de puissance, et certainement par des enjeux de politique interne.

Pour l’instant, à l’évidence, c’est une impasse diplomatique sévère qui domine, due aux fins de non recevoir (les « non-starters ») imposées par Washington aux propositions et aux demandes de garanties sécuritaires de Moscou, il est vrai d’un niveau d’exigence très élevé. Demandes qui, de facto, n’ont pas encore fait l’objet d’une négociation digne de ce nom.

Je continuerai à publier sur ce blog tous les documents officiels dans leur intégralité (lorsque c’est possible) afin de clarifier les enjeux de ce qui est en train de se passer aujourd’hui dans une confrontation à la fois européenne et internationale, et dont les risques sont importants… même si la dramatisation fait partie des choix de confrontation. 05 02 2022

Le Ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie. 01 02 2022

Lettre de Sergey Lavrov :

Vous savez très bien que la Russie est sérieusement préoccupée par la montée des tensions politico-militaires à proximité immédiate de ses frontières occidentales. Afin d’éviter une nouvelle escalade, la Russie a présenté, le 15 décembre 2021, les projets de deux documents juridiques internationaux interdépendants – le traité américano-russe sur les assurances de sécurité et l’accord sur les mesures de sécurité entre la Russie et les États membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord.

Les réponses des États-Unis et de l’OTAN à nos propositions, qui ont été reçues le 26 janvier 2022, indiquent qu’il existe des différences substantielles dans la compréhension du principe de sécurité égale et indivisible, fondamental pour l’ensemble de l’architecture de sécurité européenne. Nous estimons qu’il est urgent de clarifier cette question, qui est décisive pour l’avenir du dialogue.

La Charte de sécurité européenne, signée lors du sommet de l’OSCE à Istanbul en novembre 1999, énonce les droits et engagements fondamentaux des États participants de l’Organisation en ce qui concerne l’indivisibilité de la sécurité. Le droit de chaque État participant de choisir ou de modifier librement ses arrangements de sécurité, y compris les traités d’alliance, au fur et à mesure de leur évolution, est souligné, tout comme la neutralité. Dans le même paragraphe de la Charte, cela est explicitement soumis à l’obligation de chaque État de ne pas renforcer sa sécurité au détriment de celle des autres. Elle stipule également qu’aucun État, groupe d’États ou organisation ne peut se voir confier la responsabilité principale du maintien de la paix et de la stabilité dans la région de l’OSCE, ni considérer une partie de celle-ci comme sa sphère d’influence.

Lors du sommet de l’OSCE à Astana en décembre 2010, nos dirigeants ont approuvé une déclaration réaffirmant cet ensemble intégral d’engagements interconnectés.

Cependant, les pays occidentaux ne cessent d’en retirer que les positions dont ils ont besoin, à savoir le droit des États à choisir librement des alliances pour assurer exclusivement leur sécurité. L’expression « à mesure qu’elles évoluent » est honteusement omise, car cette disposition faisait également partie de la conception de l' »indivisibilité de la sécurité », à savoir le retrait obligatoire des alliances militaires de leur fonction initiale de dissuasion et leur intégration dans l’architecture paneuropéenne sur une base collective plutôt que de groupe restreint. Le principe de l’indivisibilité de la sécurité a été interprété de manière sélective pour justifier l’expansion irresponsable de l’OTAN.

Il est révélateur que dans les commentaires sur la volonté de développer un dialogue sur l’architecture de sécurité en Europe, les représentants occidentaux évitent soigneusement de mentionner la Charte de sécurité européenne et la déclaration d’Astana. Ils ne font référence qu’à des documents antérieurs de l’OSCE, notamment la Charte de Paris pour une nouvelle Europe de 1990, qui ne contient pas l’engagement, aujourd’hui « gênant », de ne pas renforcer la sécurité de ses États au détriment des autres. Les capitales occidentales tentent également d’ignorer l’un des documents clés de l’OSCE, le Code de conduite de 1994 relatif aux aspects politico-militaires de la sécurité, qui stipule explicitement que les États « tiendront compte des intérêts légitimes des autres États en matière de sécurité » lorsqu’ils choisiront la manière d’assurer la sécurité, y compris l’adhésion à des alliances.

Ce n’est pas comme ça que les choses vont fonctionner. Le point sur l’indivisibilité des accords de sécurité est que la sécurité est soit unique pour tous, soit inexistante pour tous. Et, comme le stipule la Charte d’Istanbul, chaque État participant de l’OSCE a un droit égal à la sécurité, et pas seulement les membres de l’OTAN qui interprètent ce droit comme s’appliquant exclusivement aux membres du club « exclusif » de l’Atlantique Nord.

Je ne commenterai pas les autres attitudes et actions de l’OTAN, caractérisées par la recherche par ce bloc « défensif » de la supériorité militaire et du recours à la force, en contournant les prérogatives du Conseil de sécurité de l’ONU. Je dirai seulement que de telles actions sont contraires aux obligations européennes communes fondamentales, y compris les engagements contenus dans les documents en question de maintenir des capacités militaires « à la mesure des besoins légitimes de sécurité individuelle ou collective, compte tenu des obligations découlant du droit international ainsi que des préoccupations légitimes des autres États en matière de sécurité ».

En ce qui concerne la situation actuelle en Europe, nos collègues des États-Unis, de l’OTAN et de l’UE ne cessent d’appeler à la « désescalade » et d’exhorter la Russie à « choisir la voie de la diplomatie ». Nous tenons à vous rappeler que nous suivons cette voie depuis des décennies. Les jalons les plus importants – les documents des sommets d’Istanbul et d’Astana – sont le résultat direct de la diplomatie. Le fait que l’Occident tente maintenant, de manière flagrante, de réviser unilatéralement en sa faveur ces réalisations diplomatiques des dirigeants de tous les pays de l’OSCE est profondément inquiétant. La situation exige une clarification honnête de la position.

Nous voulons une réponse claire à la question de savoir comment nos partenaires comprennent leur engagement à ne pas renforcer leur propre sécurité au détriment de la sécurité d’autres États sur la base d’un engagement au principe de l’indivisibilité de la sécurité ? Comment votre gouvernement compte-t-il mettre cet engagement en pratique dans les circonstances actuelles ? Si vous vous retirez de cet engagement, veuillez le faire savoir clairement.

Sans une clarté totale sur cette question clé de l’interaction des droits et des responsabilités entérinée au plus haut niveau, l’équilibre des intérêts inscrit dans les documents des sommets d’Istanbul et d’Astana ne pourra être atteint. Votre réponse nous aidera à mieux comprendre le degré d’accommodation de nos partenaires, ainsi que la possibilité d’avancer ensemble dans la réduction des tensions et le renforcement de la sécurité paneuropéenne.

Nous attendons une réaction rapide. Cela ne devrait pas prendre longtemps – il s’agit de clarifier l’accord sur la base duquel votre président (premier ministre) a signé les engagements pertinents.

Nous supposons également que la réaction à ce message sera nationale, car les engagements mentionnés ont été pris par chacun de nos États individuellement et non au nom ou dans le cadre d’un quelconque bloc.

Текст послания Министра иностранных дел Российской Федерации С.В.Лаврова по тематике неделимости безопасности, направленного 28 января с.г. главам внешнеполитических ведомств США, Канады и ряда европейских стран

01 02 2022

Вам хорошо известно, что Россия всерьез обеспокоена ростом военно-политической напряженности в непосредственной близости от ее западных границ. В целях предотвращения дальнейшей эскалации российская сторона 15 декабря 2021 г. представила проекты двух взаимосвязанных международно-правовых документов – Договора между Россией и США о гарантиях безопасности и Соглашения о мерах обеспечения безопасности России и государств-членов Организации Североатлантического договора.

Поступившие 26 января 2022 г. ответы США и НАТО на наши предложения свидетельствуют о существенных расхождениях в понимании фундаментального для всей архитектуры европейской безопасности принципа равной и неделимой безопасности. Считаем необходимым незамедлительно прояснить этот определяющий с точки зрения перспектив диалога вопрос.

В Хартии европейской безопасности, подписанной на саммите ОБСЕ в Стамбуле в ноябре 1999 г., сформулированы основные права и обязательства государств-участников Организации в отношении неделимости безопасности. Подчеркнуто право каждого государства-участника на свободный выбор или изменение способа обеспечения своей безопасности, включая союзные договоры, по мере их эволюции, равно как и на нейтралитет. В том же параграфе Хартии это прямо обусловлено обязательством каждого государства не укреплять свою безопасность за счет безопасности других. Там же сказано, что ни одно государство, группа государств или организация не могут быть наделены преимущественной ответственностью за поддержание мира и стабильности в регионе ОБСЕ или рассматривать какую-либо его часть как сферу своего влияния.

На саммите ОБСЕ в Астане в декабре 2010 г. лидерами наших стран была одобрена Декларация, подтвердившая этот целостный пакет взаимосвязанных обязательств.

Однако западные страны продолжают выдергивать из него только нужные им позиции, а именно – право государств на свободный выбор союзов для обеспечения исключительно своей безопасности. Стыдливо опускается «по мере их эволюции», поскольку это положение также являлось составной частью понимания «неделимости безопасности», а именно – обязательного ухода военных союзов от изначальной функции сдерживания и их интеграции в общеевропейскую архитектуру на коллективных, а не узкогрупповых началах. Принцип неделимости безопасности избирательно трактуется для обоснования взятого курса на безответственное расширение НАТО.

Показательно, что в комментариях о готовности развивать диалог об архитектуре безопасности в Европе представители Запада старательно избегают упоминания Хартии европейской безопасности и Астанинской декларации. Ссылаются лишь на более ранние документы ОБСЕ, особенно часто – на Парижскую хартию для новой Европы 1990 г., в которой не содержится ставшего «неудобным» обязательства не укреплять безопасность своих государств за счет других. В западных столицах также пытаются не замечать один из ключевых документов ОБСЕ – Кодекс поведения, касающийся военно-политических аспектов безопасности 1994 г., где прямо говорится о том, что при выборе способов обеспечения безопасности, включая членство в союзах, государства будут «учитывать законные интересы безопасности других государств».

Так дело не пойдет. Смысл договоренностей о неделимости безопасности заключается в том, что безопасность либо одна для всех, либо ее нет ни для кого. И, как предусмотрено в Стамбульской Хартии, каждое государство-участник ОБСЕ имеет равное право на безопасность, а не только члены НАТО, которые толкуют это право как относящееся исключительно к членам североатлантического «эксклюзивного» клуба.

Не буду комментировать другие установки и действия НАТО, характеризующиеся стремлением этого «оборонительного» блока к военному превосходству и применением силы в обход прерогатив Совета Безопасности ООН. Скажу лишь, что подобные действия идут вразрез с фундаментальными общеевропейскими обязательствами, включая содержащиеся в упомянутых документах обязательства поддерживать военные потенциалы, «соизмеримые с законными индивидуальными или коллективными потребностями в области безопасности, с учетом обязательств по международному праву, а также законных интересов безопасности других государств».

Рассуждая о нынешней ситуации в Европе, наши коллеги из США, НАТО и Евросоюза постоянно взывают к «деэскалации» и призывают Россию «выбрать путь дипломатии». Хотим напомнить: мы уже не одно десятилетие шли этим путем. Важнейшие вехи – документы саммитов в Стамбуле и Астане – есть прямой результат именно дипломатии. Тот факт, что сейчас Запад откровенно пытается в одностороннем порядке ревизовать в свою пользу эти дипломатические достижения лидеров всех стран ОБСЕ, вызывает глубокую тревогу. Ситуация требует честного прояснения позиции.

Мы хотим получить четкий ответ на вопрос о том, как наши партнеры понимают свое обязательство не укреплять собственную безопасность за счет безопасности других государств на основе приверженности принципу неделимости безопасности? Как конкретно Ваше правительство намерено выполнять это обязательство на практике в современных условиях? Если Вы отказываетесь от данного обязательства, просим четко сообщить об этом.

Без внесения полной ясности в этот ключевой вопрос, касающийся взаимосвязи прав и обязанностей, одобренных на высшем уровне, невозможно обеспечить баланс интересов, закрепленный в документах саммитов в Стамбуле и Астане. Ваш ответ поможет лучше понять степень договороспособности наших партнеров, а также возможность совместного продвижения в деле снижения напряженности и укрепления общеевропейской безопасности.

Ожидаем оперативной реакции. Она не должна занять много времени – ведь речь идет о прояснении понимания, на основе которого Ваш президент (премьер) подписал соответствующие обязательства.

Также исходим из того, что реакция на данное послание поступит в национальном качестве, поскольку упомянутые обязательства принимались каждым из наших государств индивидуально, а не от имени или в составе какого-либо блока.

DOCUMENT : déclaration conjointe Poutine/Xi Jinping

Déclaration conjointe de la Fédération de Russie et de la République populaire de Chine sur les relations internationales entrant dans une nouvelle ère et le développement durable mondial. 4 février 2022

Vous trouverez ci-dessous, à titre documentaire (en français puis en anglais), l’intégralité de la déclaration conjointe Russie/Chine du 4 février 2022, adoptée à l’occasion de la rencontre entre V. Poutine et Xi Jinping, à l’ouverture des Jeux Olympique de Pékin. Cette déclaration très substantielle traite les questions internationales et stratégiques d’actualité. Elle trace un vaste ensemble de points de convergences et d’actions communes. Elle montre le niveau élevé d’entente politique atteint par Moscou et Pékin.
Choisir de rendre public un tel « manifeste » dans le contexte international actuel est, en soi, un choix politique qui ne doit rien au hasard. On est pas tenu d’approuver toutes les dispositions de ce texte, mais il est utile d’en prendre connaissance.

À l’invitation du Président de la République populaire de Chine Xi Jinping, le Président de la Fédération de Russie Vladimir V. Poutine s’est rendu en Chine le 4 février 2022. Les chefs d’État ont eu des entretiens à Pékin et ont participé à la cérémonie d’ouverture des XXIVe Jeux olympiques d’hiver.

La Fédération de Russie et la République populaire de Chine, ci-après dénommées les parties, déclarent ce qui suit.

Aujourd’hui, le monde connaît des changements considérables et l’humanité entre dans une nouvelle ère de développement rapide et de transformation profonde. Elle voit se développer des processus et des phénomènes tels que la multipolarité, la mondialisation de l’économie, l’avènement de la société de l’information, la diversité culturelle, la transformation de l’architecture de la gouvernance mondiale et de l’ordre mondial ; l’interrelation et l’interdépendance entre les États s’accroissent ; une tendance à la redistribution du pouvoir dans le monde se dessine ; et la communauté internationale manifeste une demande croissante de leadership visant un développement graduel et pacifique. Dans le même temps, alors que la pandémie du nouveau coronavirus se poursuit, la situation en matière de sécurité internationale et régionale se complique et le nombre de défis et de menaces planétaires augmente de jour en jour. Certains acteurs, qui ne représentent qu’une minorité à l’échelle internationale, continuent de préconiser des approches unilatérales pour traiter les questions internationales, et de recourir à la force ; ils s’immiscent dans les affaires intérieures d’autres États, portant atteinte à leurs droits et intérêts légitimes, et incitent aux contradictions, aux discordances et à la confrontation, entravant ainsi le développement et le progrès de l’humanité, contre l’opposition de la communauté internationale.

Les parties appellent tous les États à rechercher le bien-être pour tous et, à ces fins, à instaurer le dialogue et la confiance mutuelle, à renforcer la compréhension mutuelle, à défendre des valeurs humaines universelles telles que la paix, le développement, l’égalité, la justice, la démocratie et la liberté, à respecter le droit des peuples à déterminer de manière indépendante les voies de développement de leur pays, ainsi que la souveraineté et les intérêts des États en matière de sécurité et de développement, à protéger l’architecture internationale pilotée par les Nations-Unies et l’ordre mondial fondé sur le droit international, à rechercher une véritable multipolarité, les Nations-Unies et le Conseil de sécurité jouant un rôle central et de coordination, à promouvoir des relations internationales plus démocratiques et à garantir la paix, la stabilité et le développement durable dans le monde.

I

Les parties partagent l’idée que la démocratie est une valeur humaine universelle, plutôt qu’un privilège d’un nombre limité d’États, et que sa promotion et sa protection sont une responsabilité commune de la communauté mondiale tout entière.

Les parties estiment que la démocratie est un moyen de faire participer les citoyens au gouvernement de leur pays en vue d’améliorer le bien-être de la population et de mettre en œuvre le principe du gouvernement populaire. La démocratie s’exerce dans toutes les sphères de la vie publique dans le cadre d’un processus à l’échelle nationale et reflète les intérêts de l’ensemble du peuple, sa volonté, garantit ses droits, répond à ses besoins et protège ses intérêts. Il n’existe pas de modèle unique pour guider les pays dans l’instauration de la démocratie. Une nation peut choisir les formes et les méthodes de mise en œuvre de la démocratie qui conviennent le mieux à son état particulier, sur la base de son système social et politique, de son contexte historique, de ses traditions et de ses caractéristiques culturelles uniques. C’est uniquement au peuple du pays de décider si son État est démocratique.

Les parties notent que la Russie et la Chine, en tant que puissances mondiales dotées d’un riche patrimoine culturel et historique, ont de longues traditions démocratiques, qui reposent sur une expérience millénaire du développement, un large soutien populaire et la prise en compte des besoins et des intérêts des citoyens. La Russie et la Chine garantissent à leur population le droit de participer par divers moyens et sous diverses formes à l’administration de l’État et à la vie publique, conformément à la loi. Les peuples des deux pays sont certains de la voie qu’ils ont choisie et respectent les systèmes et traditions démocratiques des autres États.

Les parties constatent que les principes démocratiques sont mis en œuvre à un niveau global, ainsi que dans l’administration de l’État. Les tentatives de certains États d’imposer leurs propres « normes démocratiques » à d’autres pays, de monopoliser le droit d’évaluer le niveau de conformité aux critères démocratiques, de tracer des lignes de démarcation fondées sur des motifs idéologiques, notamment en établissant des blocs exclusifs et des alliances de complaisance, s’avèrent n’être rien d’autre qu’une négation de la démocratie et vont à l’encontre de l’esprit et des véritables valeurs de la démocratie. De telles tentatives d’hégémonie constituent de graves menaces pour la paix et la stabilité mondiales et régionales et compromettent la stabilité de l’ordre mondial.

Les parties estiment que la défense de la démocratie et des droits de l’homme ne doit pas être utilisée pour faire pression sur d’autres pays. Elles s’opposent à l’abus des valeurs démocratiques et à l’ingérence dans les affaires intérieures d’États souverains sous le prétexte de protéger la démocratie et les droits de l’homme, ainsi qu’à toute tentative d’inciter à la division et à la confrontation dans le monde. Les parties appellent la communauté internationale à respecter la diversité culturelle et civilisationnelle et les droits des peuples de différents pays à l’autodétermination. Elles sont prêtes à travailler ensemble avec tous les partenaires intéressés pour promouvoir une véritable démocratie.

Les parties notent que la Charte des Nations-Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme fixent de nobles objectifs dans le domaine des droits de l’homme universels, énoncent des principes fondamentaux que tous les États doivent respecter et observer dans les faits. En même temps, comme chaque nation a ses propres caractéristiques nationales, son histoire, sa culture, son système social et son niveau de développement social et économique, la nature universelle des droits de l’homme doit être vue à travers le prisme de la situation réelle de chaque pays particulier, et les droits de l’homme doivent être protégés en fonction de la situation spécifique de chaque pays et des besoins de sa population. La promotion et la protection des droits de l’homme sont une responsabilité partagée de la communauté internationale. Les États doivent accorder la même priorité à toutes les catégories de droits de l’homme et les promouvoir de manière systémique. La coopération internationale en matière de droits de l’homme doit être menée comme un dialogue d’égal à égal impliquant tous les pays. Tous les États doivent avoir un accès égal au droit au développement. L’interaction et la coopération en matière de droits de l’homme doivent être fondées sur le principe de l’égalité de tous les pays et du respect mutuel, afin de renforcer l’architecture internationale des droits de l’homme.

II

Les parties estiment que la paix, le développement et la coopération sont au cœur du système international moderne. Le développement est un moteur essentiel pour assurer la prospérité des nations. La pandémie actuelle avec la nouvelle infection du coronavirus constitue un sérieux défi pour la réalisation du programme de développement durable des Nations-Unies à l’horizon 2030. Il est essentiel de renforcer les relations de partenariat dans l’intérêt du développement mondial et de veiller à ce que la nouvelle étape du développement mondial soit définie par l’équilibre, l’harmonie et l’inclusion.

Les parties cherchent à faire avancer leurs travaux pour relier les plans de développement de l’Union économique eurasienne (UEE) et l’initiative « la Ceinture et la Route » en vue d’intensifier la coopération pratique entre l’UEE et la Chine dans divers domaines et de promouvoir une plus grande interconnexion entre les régions Asie-Pacifique et Eurasie. Les parties réaffirment l’importance qu’elles accordent à la construction du Grand partenariat eurasiatique, parallèlement et en coordination avec la construction de « la Ceinture et la Route », afin de favoriser le développement des associations régionales ainsi que les processus d’intégration bilatérale et multilatérale au profit des peuples du continent eurasiatique.

Les parties sont convenues de continuer à intensifier de manière cohérente la coopération pratique pour le développement durable de l’Arctique.

Les parties renforceront la coopération au sein des mécanismes multilatéraux, notamment les Nations-Unies, et encourageront la communauté internationale à donner la priorité aux questions de développement dans la coordination macro-politique mondiale. Elles appellent les pays développés à mettre en œuvre de bonne foi leurs engagements formels en matière d’aide au développement, à fournir davantage de ressources aux pays en développement, à s’attaquer au développement inégal des États, à œuvrer pour compenser ces déséquilibres au sein des États et à faire progresser la coopération mondiale et internationale en matière de développement. La partie russe confirme qu’elle est prête à continuer à travailler sur l’Initiative mondiale pour le développement proposée par la Chine, notamment en participant aux activités du Groupe des amis de l’Initiative mondiale pour le développement sous les auspices des Nations-Unies. Afin d’accélérer la mise en œuvre de l’Agenda 2030 des Nations-Unies pour le développement durable, les parties appellent la communauté internationale à prendre des mesures concrètes dans les domaines clés de la coopération tels que la réduction de la pauvreté, la sécurité alimentaire, les vaccins et le contrôle des épidémies, le financement du développement, le changement climatique, le développement durable, y compris le développement vert, l’industrialisation, l’économie numérique et la connectivité des infrastructures.

Les parties appellent la communauté internationale à créer des conditions ouvertes, égales, justes et non discriminatoires pour le développement scientifique et technologique, à intensifier la mise en œuvre pratique des avancées scientifiques et technologiques afin d’identifier les nouveaux moteurs de la croissance économique.

Les parties appellent tous les pays à renforcer la coopération dans le domaine des transports durables, à établir activement des contacts et à partager les connaissances dans la construction d’installations de transport, y compris les transports intelligents et les transports durables, le développement et l’utilisation des routes arctiques, ainsi qu’à développer d’autres domaines pour soutenir la reprise post-épidémique mondiale.

Les parties prennent des mesures sérieuses et apportent une contribution importante à la lutte contre le changement climatique. Célébrant conjointement le 30e anniversaire de l’adoption de la convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques, elles réaffirment leur attachement à cette convention ainsi qu’aux objectifs, principes et dispositions de l’accord de Paris, y compris le principe des responsabilités communes mais différenciées. Les parties travaillent ensemble pour assurer la mise en œuvre complète et effective de l’accord de Paris, restent déterminées à remplir les obligations qu’elles ont contractées et attendent des pays développés qu’ils assurent effectivement la mise à disposition annuelle de 100 milliards de dollars de financement climatique aux États en développement. Les parties s’opposent à la mise en place de nouvelles barrières dans le commerce international sous le prétexte de lutter contre le changement climatique.

Les parties soutiennent fermement le développement de la coopération et des échanges internationaux dans le domaine de la diversité biologique, en participant activement au processus de gouvernance mondiale correspondant, et ont l’intention de promouvoir conjointement le développement harmonieux de l’humanité et de la nature ainsi que la transformation verte pour assurer un développement mondial durable.

Les chefs d’État évaluent positivement l’interaction efficace entre la Russie et la Chine dans les formats bilatéraux et multilatéraux axés sur la lutte contre la pandémie de COVID-19, la protection de la vie et de la santé de la population des deux pays et des peuples du monde. Elles renforceront leur coopération dans le développement et la fabrication de vaccins contre la nouvelle infection du coronavirus, ainsi que des médicaments pour son traitement, et amélioreront leur collaboration en matière de santé publique et de médecine moderne. Les parties prévoient de renforcer la coordination des mesures épidémiologiques afin de garantir une solide protection de la santé, de la sécurité et de l’ordre dans les contacts entre les citoyens des deux pays. Les parties ont salué le travail des autorités compétentes et des régions des deux pays pour la mise en œuvre de mesures de quarantaine dans les zones frontalières et pour assurer le fonctionnement stable des points de passage frontaliers, et ont l’intention d’envisager la création d’un mécanisme conjoint de contrôle et de prévention des épidémies dans les zones frontalières afin de planifier conjointement les mesures anti-épidémiques à prendre aux points de contrôle frontaliers, de partager les informations, de construire des infrastructures et d’améliorer l’efficacité du dédouanement des marchandises.

Les parties soulignent que la détermination de l’origine de la nouvelle infection par le coronavirus est une question de science. La recherche sur ce sujet doit se fonder sur des connaissances mondiales, ce qui nécessite une coopération entre les scientifiques du monde entier. Les parties s’opposent à la politisation de cette question. La Russie se félicite des travaux menés conjointement par la Chine et l’OMS pour identifier la source de la nouvelle infection à coronavirus et soutient le rapport conjoint Chine-OMS sur la question. Les parties appellent la communauté mondiale à promouvoir conjointement une approche scientifique sérieuse pour l’étude de l’origine du coronavirus.

La partie russe est favorable à ce que la Chine accueille avec succès les Jeux olympiques et paralympiques d’hiver à Pékin en 2022.

Les parties apprécient hautement le niveau de la coopération bilatérale dans le domaine des sports et du mouvement olympique et se déclarent prêtes à contribuer à son développement progressif.

III

Les parties sont gravement préoccupées par les graves problèmes de sécurité internationale et estiment que les destins de toutes les nations sont liés. Aucun État ne peut ni ne doit assurer sa propre sécurité indépendamment de la sécurité du reste du monde et au détriment de la sécurité des autres États. La communauté internationale doit s’engager activement dans la gouvernance mondiale pour assurer une sécurité universelle, globale, indivisible et durable.

Les parties réaffirment leur ferme soutien mutuel à la protection de leurs intérêts fondamentaux, de la souveraineté des États et de leur intégrité territoriale, et s’opposent à l’ingérence de forces extérieures dans leurs affaires intérieures.

La partie russe réaffirme son soutien au principe d’une seule Chine, confirme que Taïwan est une partie inaliénable de la Chine et s’oppose à toute forme d’indépendance de Taïwan.

La Russie et la Chine s’opposent aux tentatives des forces extérieures de porter atteinte à la sécurité et à la stabilité dans leurs régions communes adjacentes, ont l’intention de contrer l’ingérence des forces extérieures dans les affaires intérieures des pays souverains sous quelque prétexte que ce soit, s’opposent aux révolutions de couleur et renforceront leur coopération dans les domaines susmentionnés.

Les parties condamnent le terrorisme dans toutes ses manifestations, promeuvent l’idée de créer un front mondial unique de lutte contre le terrorisme, les Nations-Unies jouant un rôle central, préconisent une coordination politique plus forte et un engagement constructif dans les efforts multilatéraux de lutte contre le terrorisme. Les parties s’opposent à la politisation des questions de lutte contre le terrorisme et à leur utilisation comme instruments d’une politique de deux poids, deux mesures, condamnent la pratique de l’ingérence dans les affaires intérieures d’autres États à des fins géopolitiques par le biais de groupes terroristes et extrémistes ainsi que sous couvert de lutte contre le terrorisme international et l’extrémisme.

Les parties estiment que certains États, certaines alliances et coalitions militaires et politiques cherchent à obtenir, directement ou indirectement, des avantages militaires unilatéraux au détriment de la sécurité des autres, notamment en recourant à des pratiques de concurrence déloyale, intensifient la rivalité géopolitique, alimentent l’antagonisme et la confrontation et portent gravement atteinte à l’ordre de sécurité international et à la stabilité stratégique mondiale. Les parties s’opposent à un nouvel élargissement de l’OTAN et demandent à l’Alliance de l’Atlantique Nord d’abandonner ses approches idéologisées de la guerre froide, de respecter la souveraineté, la sécurité et les intérêts des autres pays, la diversité de leurs contextes civilisationnels, culturels et historiques, et d’adopter une attitude juste et objective à l’égard du développement pacifique des autres États. Les parties s’opposent à la formation de structures de blocs fermés et de camps opposés dans la région Asie-Pacifique et restent très vigilantes quant à l’impact négatif de la stratégie indo-pacifique des États-Unis sur la paix et la stabilité dans la région. La Russie et la Chine ont déployé des efforts constants pour construire un système de sécurité équitable, ouvert et inclusif dans la région Asie-Pacifique (APR) qui ne soit pas dirigé contre des pays tiers et qui favorise la paix, la stabilité et la prospérité.

Les parties se félicitent de la déclaration commune des dirigeants des cinq États dotés d’armes nucléaires sur la prévention de la guerre nucléaire et la prévention des courses aux armements et estiment que tous les États dotés d’armes nucléaires devraient abandonner la mentalité de la guerre froide et les jeux à somme nulle, réduire le rôle des armes nucléaires dans leurs politiques de sécurité nationale, retirer les armes nucléaires déployées à l’étranger, mettre fin au développement sans restriction du système mondial de défense contre les missiles balistiques (ABM) et prendre des mesures efficaces pour réduire les risques de guerre nucléaire et de tout conflit armé entre les pays dotés de capacités nucléaires militaires.

Les parties réaffirment que le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires est la pierre angulaire du système international de désarmement et de non-prolifération nucléaire, un élément important du système de sécurité international d’après-guerre, et qu’il joue un rôle indispensable dans la paix et le développement du monde. La communauté internationale devrait promouvoir la mise en œuvre équilibrée des trois piliers du traité et travailler ensemble pour protéger la crédibilité, l’efficacité et la nature universelle de l’instrument.

Les parties sont gravement préoccupées par le partenariat de sécurité trilatéral entre l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni (AUKUS), qui prévoit une coopération approfondie entre ses membres dans des domaines impliquant la stabilité stratégique, et notamment par leur décision d’entamer une coopération dans le domaine des sous-marins à propulsion nucléaire. La Russie et la Chine estiment que de telles actions sont contraires aux objectifs de sécurité et de développement durable de la région Asie-Pacifique, augmentent le danger d’une course aux armements dans la région et posent de sérieux risques de prolifération nucléaire. Les parties condamnent fermement de telles actions et appellent les participants à l’AUKUS à respecter de bonne foi leurs engagements en matière de non-prolifération nucléaire et de missiles, et à travailler ensemble pour préserver la paix, la stabilité et le développement dans la région.

Les parties sont profondément préoccupées par les projets du Japon de rejeter dans l’océan l’eau contaminée par des substances nucléaires provenant de la centrale nucléaire détruite de Fukushima et par l’impact environnemental potentiel de ces actions. Les parties soulignent que l’élimination de l’eau contaminée par des substances nucléaires doit être gérée de manière responsable et effectuée de façon appropriée sur la base d’arrangements entre la partie japonaise et les États voisins, les autres parties intéressées et les agences internationales compétentes, tout en garantissant la transparence, le raisonnement scientifique et le respect du droit international.

Les parties estiment que le retrait des États-Unis du traité sur l’élimination des missiles à portée intermédiaire et à plus courte portée, l’accélération de la recherche et du développement de missiles terrestres à portée intermédiaire et à plus courte portée et le désir de les déployer dans les régions Asie-Pacifique et Europe, ainsi que leur transfert aux alliés, entraînent une augmentation de la tension et de la méfiance, accroissent les risques pour la sécurité internationale et régionale, conduisent à l’affaiblissement du système international de non-prolifération et de contrôle des armements et sapent la stabilité stratégique mondiale. Les parties appellent les États-Unis à répondre positivement à l’initiative russe et à abandonner leurs plans de déploiement de missiles terrestres à portée intermédiaire et à plus courte portée dans la région Asie-Pacifique et en Europe. Les parties continueront à entretenir des contacts et à renforcer la coordination sur cette question.

La partie chinoise comprend et soutient les propositions avancées par la Fédération de Russie pour créer des garanties de sécurité à long terme juridiquement contraignantes en Europe.

Les parties notent que la dénonciation par les États-Unis d’un certain nombre d’importants accords internationaux de contrôle des armements a un impact extrêmement négatif sur la sécurité et la stabilité internationales et régionales. Les parties expriment leur inquiétude quant à l’avancement des plans américains visant à développer une défense antimissile mondiale et à déployer ses éléments dans diverses régions du monde, combinés au renforcement des capacités des armes non nucléaires de haute précision pour des frappes de désarmement et d’autres objectifs stratégiques. Les parties soulignent l’importance des utilisations pacifiques de l’espace, soutiennent fermement le rôle central du Comité des Nations-Unies sur les utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique dans la promotion de la coopération internationale, le maintien et le développement du droit international de l’espace et la réglementation dans le domaine des activités spatiales. La Russie et la Chine continueront à accroître leur coopération sur des questions d’intérêt mutuel telles que la durabilité à long terme des activités spatiales et le développement et l’utilisation des ressources spatiales. Les parties s’opposent aux tentatives de certains États de transformer l’espace en une arène de confrontation armée et réitèrent leur intention de faire tous les efforts nécessaires pour empêcher l’arsenalisation de l’espace et une course aux armements dans l’espace. Elles s’opposeront aux activités visant à obtenir une supériorité militaire dans l’espace et à l’utiliser pour des opérations de combat. Les parties affirment la nécessité de lancer rapidement des négociations en vue de conclure un instrument multilatéral juridiquement contraignant basé sur le projet de traité russo-chinois relatif à la prévention du placement d’armes dans l’espace et de l’emploi ou de la menace de la force contre des objets spatiaux, qui offrirait des garanties fondamentales et fiables contre une course aux armements et l’arsenalisation de l’espace.

La Russie et la Chine soulignent que des mesures appropriées de transparence et de confiance, y compris une initiative internationale / engagement politique de ne pas être le premier à placer des armes dans l’espace, peuvent également contribuer à l’objectif de prévention d’une course aux armements dans l’espace, mais que ces mesures devraient compléter et non remplacer le régime efficace juridiquement contraignant régissant les activités spatiales.

Les parties réaffirment leur conviction que la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction (BWC) est un pilier essentiel de la paix et de la sécurité internationales. La Russie et la Chine soulignent leur détermination à préserver la crédibilité et l’efficacité de la convention.

Les parties affirment la nécessité de respecter pleinement et de renforcer encore la Convention sur l’Interdiction des Armes Biologiques (CIAB), notamment en l’institutionnalisant, en renforçant ses mécanismes et en adoptant un protocole juridiquement contraignant à la convention, assorti d’un mécanisme de vérification efficace, ainsi que par le biais de consultations et d’une coopération régulières pour traiter toute question liée à la mise en œuvre de la convention.

Les parties soulignent que les activités nationales et étrangères des États-Unis et de leurs alliés en matière d’armes biologiques suscitent de graves préoccupations et questions de la part de la communauté internationale quant à leur respect de la CIAB. Les parties partagent le point de vue selon lequel ces activités constituent une menace sérieuse pour la sécurité nationale de la Fédération de Russie et de la Chine et sont préjudiciables à la sécurité des régions respectives. Les parties appellent les États-Unis et leurs alliés à agir de manière ouverte, transparente et responsable en rendant compte de manière appropriée de leurs activités biologiques militaires menées à l’étranger et sur leur territoire national, et en soutenant la reprise des négociations sur un protocole à la Convention sur les armes biologiques juridiquement contraignant, assorti d’un mécanisme de vérification efficace.

Les parties, réaffirmant leur attachement à l’objectif d’un monde exempt d’armes chimiques, appellent toutes les parties à la convention sur les armes chimiques à travailler ensemble pour préserver sa crédibilité et son efficacité. La Russie et la Chine sont profondément préoccupées par la politisation de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques et appellent tous ses membres à renforcer la solidarité et la coopération et à protéger la tradition de la prise de décision consensuelle. La Russie et la Chine insistent pour que les États-Unis, en tant que seul État partie à la convention qui n’a pas encore achevé le processus d’élimination des armes chimiques, accélèrent l’élimination de leurs stocks d’armes chimiques. Les parties soulignent l’importance de trouver un équilibre entre les obligations des États en matière de non-prolifération et les intérêts d’une coopération internationale légitime dans l’utilisation des technologies avancées et des matériaux et équipements connexes à des fins pacifiques. Les parties prennent note de la résolution intitulée « Promouvoir la coopération internationale en matière d’utilisations pacifiques dans le contexte de la sécurité internationale », adoptée lors de la 76e session de l’Assemblée générale des Nations-Unies à l’initiative de la Chine et coparrainée par la Russie, et attendent avec intérêt sa mise en œuvre cohérente conformément aux objectifs qui y sont énoncés.

Les parties attachent une grande importance aux questions de gouvernance dans le domaine de l’intelligence artificielle. Les parties sont prêtes à renforcer le dialogue et les contacts sur l’intelligence artificielle.

Les parties réaffirment leur volonté d’approfondir la coopération dans le domaine de la sécurité internationale de l’information et de contribuer à la mise en place d’un environnement Technologies Information et Communication (TIC) ouvert, sûr, durable et accessible. Les parties soulignent que les principes de non-recours à la force, de respect de la souveraineté nationale et des droits de l’homme et libertés fondamentales, et de non-ingérence dans les affaires intérieures d’autres États, tels qu’ils sont consacrés par la Charte des Nations-Unies, sont applicables à l’espace d’information. La Russie et la Chine réaffirment le rôle clé de l’ONU dans la réponse aux menaces pesant sur la sécurité internationale de l’information et expriment leur soutien à l’Organisation dans l’élaboration de nouvelles normes de conduite des États dans ce domaine.

Les parties se félicitent de la mise en œuvre du processus de négociation mondial sur la sécurité de l’information internationale au sein d’un mécanisme unique et soutiennent dans ce contexte les travaux du Groupe de travail à composition non limitée des Nations-Unies sur la sécurité des technologies de l’information et de la communication (TIC) 2021-2025 (GTCNU) et expriment leur volonté de parler d’une seule voix en son sein. Les parties considèrent qu’il est nécessaire de consolider les efforts de la communauté internationale pour élaborer de nouvelles normes de comportement responsable des États, y compris sur le plan juridique, ainsi qu’un instrument juridique international universel réglementant les activités des États dans le domaine des TIC. Les parties estiment que l’initiative mondiale sur la sécurité des données, proposée par la partie chinoise et soutenue, en principe, par la partie russe, constitue une base pour que le groupe de travail discute et élabore des réponses aux menaces pour la sécurité des données et aux autres menaces pour la sécurité internationale de l’information.

Les parties réitèrent leur soutien aux résolutions 74/247 et 75/282 de l’Assemblée générale des Nations-Unies, soutiennent les travaux du comité spécial d’experts gouvernementaux compétent, facilitent les négociations au sein des Nations-Unies en vue de l’élaboration d’une convention internationale sur la lutte contre l’utilisation des TIC à des fins criminelles. Les parties encouragent la participation constructive de toutes les parties aux négociations afin de convenir dès que possible d’une convention crédible, universelle et globale et de la présenter à l’Assemblée générale des Nations-Unies lors de sa 78e session, dans le strict respect de la résolution 75/282. À ces fins, la Russie et la Chine ont présenté un projet commun de convention qui servira de base aux négociations.

Les parties soutiennent l’internationalisation de la gouvernance de l’Internet, prônent l’égalité des droits à sa gouvernance, estiment que toute tentative de limiter leur droit souverain de réglementer les segments nationaux de l’Internet et d’en assurer la sécurité est inacceptable, sont intéressées par une plus grande participation de l’Union internationale des télécommunications au traitement de ces questions.

Les parties ont l’intention d’approfondir la coopération bilatérale en matière de sécurité internationale de l’information sur la base de l’accord intergouvernemental pertinent de 2015. À cette fin, les parties sont convenues d’adopter dans un avenir proche un plan de coopération entre la Russie et la Chine dans ce domaine.

IV

Les parties soulignent que la Russie et la Chine, en tant que puissances mondiales et membres permanents du Conseil de sécurité des Nations-Unies, ont l’intention d’adhérer fermement aux principes éthiques et d’assumer leurs responsabilités, de défendre fermement le système international avec le rôle central de coordination des Nations-Unies dans les affaires internationales, de défendre l’ordre mondial fondé sur le droit international, y compris les buts et principes de la Charte des Nations-Unies, de faire progresser la multipolarité et de promouvoir la démocratisation des relations internationales, de créer ensemble un monde encore plus prospère, stable et juste, de construire conjointement des relations internationales d’un nouveau type.

La partie russe note l’importance du concept de construction d’une « communauté de destin commun pour l’humanité » proposé par la partie chinoise pour assurer une plus grande solidarité de la communauté internationale et la consolidation des efforts pour répondre aux défis communs. La partie chinoise note l’importance des efforts entrepris par la partie russe pour établir un système multipolaire juste de relations internationales.

Les parties ont l’intention de défendre fermement les aboutissements de la Seconde Guerre mondiale et l’ordre mondial existant post-conflit, de défendre l’autorité des Nations-Unies et la justice dans les relations internationales, de résister aux tentatives de nier, de déformer et de falsifier l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.

Afin d’empêcher que la tragédie de la guerre mondiale ne se reproduise, les parties condamneront fermement les actions visant à nier la responsabilité des atrocités commises par les agresseurs nazis, les envahisseurs militaristes et leurs complices, à salir et à ternir l’honneur des pays victorieux.

Les parties appellent à l’établissement d’un nouveau type de relations entre les puissances mondiales sur la base du respect mutuel, de la coexistence pacifique et de la coopération mutuellement bénéfique. Elles réaffirment que les nouvelles relations interétatiques entre la Russie et la Chine sont supérieures aux alliances politiques et militaires de l’époque de la guerre froide. L’amitié entre les deux États n’a pas de limites, il n’y a pas de domaines de coopération « interdits », le renforcement de la coopération stratégique bilatérale n’est ni dirigé contre des pays tiers ni affecté par l’évolution de l’environnement international et les changements circonstanciels dans les pays tiers.

Les parties réitèrent la nécessité de consolider et non de diviser la communauté internationale, la nécessité de coopérer et non de se confronter. Les parties s’opposent au retour des relations internationales à l’état de confrontation entre grandes puissances, lorsque le faible devient la proie du fort. Les parties entendent résister aux tentatives de substituer des formats et des mécanismes universellement reconnus et conformes au droit international à des règles élaborées en privé par certaines nations ou certains blocs de nations ; elles s’opposent à ce que les problèmes internationaux soient abordés de manière indirecte et sans consensus ; elles s’opposent aux rapports de force, aux humiliations, aux sanctions unilatérales et à l’application extraterritoriale du droit, ainsi qu’à l’abus des politiques de contrôle des exportations ; elles soutiennent la facilitation des échanges conformément aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Les parties ont réaffirmé leur intention de renforcer leur coordination de politique étrangère, de poursuivre un véritable multilatéralisme, de renforcer la coopération sur les plateformes multilatérales, de défendre les intérêts communs, de soutenir l’équilibre international et régional des pouvoirs et d’améliorer la gouvernance mondiale.

Les parties soutiennent et défendent le système commercial multilatéral fondé sur le rôle central de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), prennent une part active à la réforme de l’OMC et s’opposent aux approches unilatérales et au protectionnisme. Les parties sont prêtes à renforcer le dialogue entre partenaires et à coordonner les positions sur les questions commerciales et économiques d’intérêt commun, à contribuer à assurer le fonctionnement durable et stable des chaînes de valeur mondiales et régionales, à promouvoir un système de règles commerciales et économiques internationales plus ouvert, inclusif, transparent et non discriminatoire.

Les parties soutiennent le format du G20 en tant que forum important pour discuter des questions de coopération économique internationale et des mesures de réponse à la crise, encouragent conjointement l’esprit de solidarité et de coopération revigoré au sein du G20, soutiennent le rôle de premier plan de l’association dans des domaines tels que la lutte internationale contre les épidémies, la reprise économique mondiale, le développement durable inclusif, l’amélioration du système de gouvernance économique mondiale de manière équitable et rationnelle afin de relever collectivement les défis mondiaux.

Les parties soutiennent l’approfondissement du partenariat stratégique au sein des BRICS, encouragent l’élargissement de la coopération dans trois domaines principaux : la politique et la sécurité, l’économie et la finance, et les échanges humanitaires. En particulier, la Russie et la Chine entendent encourager l’interaction dans les domaines de la santé publique, de l’économie numérique, de la science, de l’innovation et de la technologie, y compris les technologies d’intelligence artificielle, ainsi que la coordination accrue entre les pays des BRICS sur les plateformes internationales. Les parties s’efforcent de renforcer davantage le format BRICS Plus/Outreach en tant que mécanisme efficace de dialogue avec les associations et organisations d’intégration régionale des pays en développement et des États aux marchés émergents.

La partie russe soutiendra pleinement la partie chinoise qui présidera l’association en 2022, et contribuera à la tenue fructueuse du XIVe sommet des BRICS.

La Russie et la Chine entendent renforcer globalement l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et accroître encore son rôle dans l’élaboration d’un ordre mondial polycentrique fondé sur les principes universellement reconnus du droit international, du multilatéralisme, de la sécurité égale, conjointe, indivisible, globale et durable.

Elles considèrent qu’il est important de mettre en œuvre de manière cohérente les accords relatifs à l’amélioration des mécanismes de lutte contre les défis et les menaces pour la sécurité des États membres de l’OCS et, dans le cadre de cette tâche, elles préconisent d’élargir la fonctionnalité de la structure régionale antiterroriste de l’OCS.

Les parties contribueront à conférer une nouvelle qualité et une nouvelle dynamique à l’interaction économique entre les États membres de l’OCS dans les domaines du commerce, de l’industrie manufacturière, des transports, de l’énergie, des finances, des investissements, de l’agriculture, des douanes, des télécommunications, de l’innovation et d’autres domaines d’intérêt mutuel, notamment par l’utilisation de technologies avancées, économes en ressources, efficaces sur le plan énergétique et « vertes ».

Les parties prennent note de l’interaction fructueuse au sein de l’OCS dans le cadre de l’accord de 2009 entre les gouvernements des États membres de l’Organisation de coopération de Shanghai sur la coopération dans le domaine de la sécurité internationale de l’information, ainsi qu’au sein du groupe d’experts spécialisé. Dans ce contexte, ils se félicitent de l’adoption du plan d’action conjoint de l’OCS sur la garantie de la sécurité internationale de l’information pour 2022-2023 par le Conseil des chefs d’État des États membres de l’OCS le 17 septembre 2021 à Douchanbé.

La Russie et la Chine procèdent de l’importance toujours croissante de la coopération culturelle et humanitaire pour le développement progressif de l’OCS. Afin de renforcer la compréhension mutuelle entre les peuples des États membres de l’OCS, elles continueront à favoriser efficacement l’interaction dans des domaines tels que les liens culturels, l’éducation, la science et la technologie, les soins de santé, la protection de l’environnement, le tourisme, les contacts entre les peuples, les sports.

La Russie et la Chine continueront à œuvrer au renforcement du rôle de l’APEC en tant que principale plateforme de dialogue multilatéral sur les questions économiques dans la région Asie-Pacifique. Les parties ont l’intention d’intensifier leur action coordonnée pour mettre en œuvre avec succès les « lignes directrices de Putrajaya pour le développement de l’APEC jusqu’en 2040 », en mettant l’accent sur la création d’un environnement commercial et d’investissement libre, ouvert, équitable, non discriminatoire, transparent et prévisible dans la région. Un accent particulier sera mis sur la lutte contre la pandémie d’infection par le nouveau coronavirus et la reprise économique, la numérisation d’un large éventail de sphères de vie différentes, la croissance économique dans les territoires éloignés et l’établissement d’une interaction entre l’APEC et d’autres associations multilatérales régionales ayant un programme similaire.

Les parties ont l’intention de développer la coopération dans le cadre du format « Russie-Inde-Chine », ainsi que de renforcer l’interaction dans des lieux tels que le sommet de l’Asie de l’Est, le forum régional de l’ASEAN sur la sécurité, la réunion des ministres de la défense des États membres de l’ASEAN et les partenaires de dialogue. La Russie et la Chine soutiennent le rôle central de l’ASEAN dans le développement de la coopération en Asie de l’Est, continuent d’accroître la coordination de la coopération approfondie avec l’ASEAN et encouragent conjointement la coopération dans les domaines de la santé publique, du développement durable, de la lutte contre le terrorisme et de la lutte contre la criminalité transnationale. Les parties ont l’intention de continuer à travailler dans l’intérêt d’un renforcement du rôle de l’ASEAN en tant qu’élément clé de l’architecture régionale. (traduction Deepl révisée)

Joint Statement of the Russian Federation and the People’s Republic of China on the International Relations Entering a New Era and the Global Sustainable Development. February 4, 2022

Ce texte est issu du site de la Présidence de Russie.

At the invitation of President of the People’s Republic of China Xi Jinping, President of the Russian Federation Vladimir V. Putin visited China on 4 February 2022. The Heads of State held talks in Beijing and took part in the opening ceremony of the XXIV Olympic Winter Games.

The Russian Federation and the People’s Republic of China, hereinafter referred to as the sides, state as follows.

Today, the world is going through momentous changes, and humanity is entering a new era of rapid development and profound transformation. It sees the development of such processes and phenomena as multipolarity, economic globalization, the advent of information society, cultural diversity, transformation of the global governance architecture and world order; there is increasing interrelation and interdependence between the States; a trend has emerged towards redistribution of power in the world; and the international community is showing a growing demand for the leadership aiming at peaceful and gradual development. At the same time, as the pandemic of the new coronavirus infection continues, the international and regional security situation is complicating and the number of global challenges and threats is growing from day to day. Some actors representing but the minority on the international scale continue to advocate unilateral approaches to addressing international issues and resort to force; they interfere in the internal affairs of other states, infringing their legitimate rights and interests, and incite contradictions, differences and confrontation, thus hampering the development and progress of mankind, against the opposition from the international community.

The sides call on all States to pursue well-being for all and, with these ends, to build dialogue and mutual trust, strengthen mutual understanding, champion such universal human values as peace, development, equality, justice, democracy and freedom, respect the rights of peoples to independently determine the development paths of their countries and the sovereignty and the security and development interests of States, to protect the United Nations-driven international architecture and the international law-based world order, seek genuine multipolarity with the United Nations and its Security Council playing a central and coordinating role, promote more democratic international relations, and ensure peace, stability and sustainable development across the world.

I

The sides share the understanding that democracy is a universal human value, rather than a privilege of a limited number of States, and that its promotion and protection is a common responsibility of the entire world community.

The sides believe that democracy is a means of citizens’ participation in the government of their country with the view to improving the well-being of population and implementing the principle of popular government. Democracy is exercised in all spheres of public life as part of a nation-wide process and reflects the interests of all the people, its will, guarantees its rights, meets its needs and protects its interests. There is no one-size-fits-all template to guide countries in establishing democracy. A nation can choose such forms and methods of implementing democracy that would best suit its particular state, based on its social and political system, its historical background, traditions and unique cultural characteristics. It is only up to the people of the country to decide whether their State is a democratic one.

The sides note that Russia and China as world powers with rich cultural and historical heritage have long-standing traditions of democracy, which rely on thousand-years of experience of development, broad popular support and consideration of the needs and interests of citizens. Russia and China guarantee their people the right to take part through various means and in various forms in the administration of the State and public life in accordance with the law. The people of both countries are certain of the way they have chosen and respect the democratic systems and traditions of other States.

The sides note that democratic principles are implemented at the global level, as well as in administration of State. Certain States’ attempts to impose their own ”democratic standards“ on other countries, to monopolize the right to assess the level of compliance with democratic criteria, to draw dividing lines based on the grounds of ideology, including by establishing exclusive blocs and alliances of convenience, prove to be nothing but flouting of democracy and go against the spirit and true values of democracy. Such attempts at hegemony pose serious threats to global and regional peace and stability and undermine the stability of the world order.

The sides believe that the advocacy of democracy and human rights must not be used to put pressure on other countries. They oppose the abuse of democratic values and interference in the internal affairs of sovereign states under the pretext of protecting democracy and human rights, and any attempts to incite divisions and confrontation in the world. The sides call on the international community to respect cultural and civilizational diversity and the rights of peoples of different countries to self-determination. They stand ready to work together with all the interested partners to promote genuine democracy.

The sides note that the Charter of the United Nations and the Universal Declaration of Human Rights set noble goals in the area of universal human rights, set forth fundamental principles, which all the States must comply with and observe in deeds. At the same time, as every nation has its own unique national features, history, culture, social system and level of social and economic development, universal nature of human rights should be seen through the prism of the real situation in every particular country, and human rights should be protected in accordance with the specific situation in each country and the needs of its population. Promotion and protection of human rights is a shared responsibility of the international community. The states should equally prioritize all categories of human rights and promote them in a systemic manner. The international human rights cooperation should be carried out as a dialogue between the equals involving all countries. All States must have equal access to the right to development. Interaction and cooperation on human rights matters should be based on the principle of equality of all countries and mutual respect for the sake of strengthening the international human rights architecture.

II

The sides believe that peace, development and cooperation lie at the core of the modern international system. Development is a key driver in ensuring the prosperity of the nations. The ongoing pandemic of the new coronavirus infection poses a serious challenge to the fulfilment of the UN 2030 Agenda for Sustainable Development. It is vital to enhance partnership relations for the sake of global development and make sure that the new stage of global development is defined by balance, harmony and inclusiveness.

The sides are seeking to advance their work to link the development plans for the Eurasian Economic Union and the Belt and Road Initiative with a view to intensifying practical cooperation between the EAEU and China in various areas and promoting greater interconnectedness between the Asia Pacific and Eurasian regions. The sides reaffirm their focus on building the Greater Eurasian Partnership in parallel and in coordination with the Belt and Road construction to foster the development of regional associations as well as bilateral and multilateral integration processes for the benefit of the peoples on the Eurasian continent.

The sides agreed to continue consistently intensifying practical cooperation for the sustainable development of the Arctic.

The sides will strengthen cooperation within multilateral mechanisms, including the United Nations, and encourage the international community to prioritize development issues in the global macro-policy coordination. They call on the developed countries to implement in good faith their formal commitments on development assistance, provide more resources to developing countries, address the uneven development of States, work to offset such imbalances within States, and advance global and international development cooperation. The Russian side confirms its readiness to continue working on the China-proposed Global Development Initiative, including participation in the activities of the Group of Friends of the Global Development Initiative under the UN auspices. In order to accelerate the implementation of the UN 2030 Agenda for Sustainable Development, the sides call on the international community to take practical steps in key areas of cooperation such as poverty reduction, food security, vaccines and epidemics control, financing for development, climate change, sustainable development, including green development, industrialization, digital economy, and infrastructure connectivity.

The sides call on the international community to create open, equal, fair and non-discriminatory conditions for scientific and technological development, to step up practical implementation of scientific and technological advances in order to identify new drivers of economic growth.

The sides call upon all countries to strengthen cooperation in sustainable transport, actively build contacts and share knowledge in the construction of transport facilities, including smart transport and sustainable transport, development and use of Arctic routes, as well as to develop other areas to support global post-epidemic recovery.

The sides are taking serious action and making an important contribution to the fight against climate change. Jointly celebrating the 30th anniversary of the adoption of the UN Framework Convention on Climate Change, they reaffirm their commitment to this Convention as well as to the goals, principles and provisions of the Paris Agreement, including the principle of common but differentiated responsibilities. The sides work together to ensure the full and effective implementation of the Paris Agreement, remain committed to fulfilling the obligations they have undertaken and expect that developed countries will actually ensure the annual provision of $100 billion of climate finance to developing states. The sides oppose setting up new barriers in international trade under the pretext of fighting climate change.

The sides strongly support the development of international cooperation and exchanges in the field of biological diversity, actively participating in the relevant global governance process, and intend to jointly promote the harmonious development of humankind and nature as well as green transformation to ensure sustainable global development.

The Heads of State positively assess the effective interaction between Russia and China in the bilateral and multilateral formats focusing on the fight against the COVID-19 pandemic, protection of life and health of the population of the two countries and the peoples of the world. They will further increase cooperation in the development and manufacture of vaccines against the new coronavirus infection, as well as medical drugs for its treatment, and enhance collaboration in public health and modern medicine. The sides plan to strengthen coordination on epidemiological measures to ensure strong protection of health, safety and order in contacts between citizens of the two countries. The sides have commended the work of the competent authorities and regions of the two countries on implementing quarantine measures in the border areas and ensuring the stable operation of the border crossing points, and intend to consider establishing a joint mechanism for epidemic control and prevention in the border areas to jointly plan anti-epidemic measures to be taken at the border checkpoints, share information, build infrastructure and improve the efficiency of customs clearance of goods.

The sides emphasize that ascertaining the origin of the new coronavirus infection is a matter of science. Research on this topic must be based on global knowledge, and that requires cooperation among scientists from all over the world. The sides oppose politicization of this issue. The Russian side welcomes the work carried out jointly by China and WHO to identify the source of the new coronavirus infection and supports the China – WHO joint report on the matter. The sides call on the global community to jointly promote a serious scientific approach to the study of the coronavirus origin.

The Russian side supports a successful hosting by the Chinese side of the Winter Olympic and Paralympic Games in Beijing in 2022.

The sides highly appreciate the level of bilateral cooperation in sports and the Olympic movement and express their readiness to contribute to its further progressive development.

III

The sides are gravely concerned about serious international security challenges and believe that the fates of all nations are interconnected. No State can or should ensure its own security separately from the security of the rest of the world and at the expense of the security of other States. The international community should actively engage in global governance to ensure universal, comprehensive, indivisible and lasting security.

The sides reaffirm their strong mutual support for the protection of their core interests, state sovereignty and territorial integrity, and oppose interference by external forces in their internal affairs.

The Russian side reaffirms its support for the One-China principle, confirms that Taiwan is an inalienable part of China, and opposes any forms of independence of Taiwan.

Russia and China stand against attempts by external forces to undermine security and stability in their common adjacent regions, intend to counter interference by outside forces in the internal affairs of sovereign countries under any pretext, oppose colour revolutions, and will increase cooperation in the aforementioned areas.

The sides condemn terrorism in all its manifestations, promote the idea of creating a single global anti-terrorism front, with the United Nations playing a central role, advocate stronger political coordination and constructive engagement in multilateral counterterrorism efforts. The sides oppose politicization of the issues of combating terrorism and their use as instruments of policy of double standards, condemn the practice of interference in the internal affairs of other States for geopolitical purposes through the use of terrorist and extremist groups as well as under the guise of combating international terrorism and extremism.

The sides believe that certain States, military and political alliances and coalitions seek to obtain, directly or indirectly, unilateral military advantages to the detriment of the security of others, including by employing unfair competition practices, intensify geopolitical rivalry, fuel antagonism and confrontation, and seriously undermine the international security order and global strategic stability. The sides oppose further enlargement of NATO and call on the North Atlantic Alliance to abandon its ideologized cold war approaches, to respect the sovereignty, security and interests of other countries, the diversity of their civilizational, cultural and historical backgrounds, and to exercise a fair and objective attitude towards the peaceful development of other States. The sides stand against the formation of closed bloc structures and opposing camps in the Asia-Pacific region and remain highly vigilant about the negative impact of the United States’ Indo-Pacific strategy on peace and stability in the region. Russia and China have made consistent efforts to build an equitable, open and inclusive security system in the Asia-Pacific Region (APR) that is not directed against third countries and that promotes peace, stability and prosperity.

The sides welcome the Joint Statement of the Leaders of the Five Nuclear-Weapons States on Preventing Nuclear War and Avoiding Arms Races and believe that all nuclear-weapons States should abandon the cold war mentality and zero-sum games, reduce the role of nuclear weapons in their national security policies, withdraw nuclear weapons deployed abroad, eliminate the unrestricted development of global anti-ballistic missile defense (ABM) system, and take effective steps to reduce the risks of nuclear wars and any armed conflicts between countries with military nuclear capabilities.

The sides reaffirm that the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons is the cornerstone of the international disarmament and nuclear non-proliferation system, an important part of the post-war international security system, and plays an indispensable role in world peace and development. The international community should promote the balanced implementation of the three pillars of the Treaty and work together to protect the credibility, effectiveness and the universal nature of the instrument.

The sides are seriously concerned about the trilateral security partnership between Australia, the United States, and the United Kingdom (AUKUS), which provides for deeper cooperation between its members in areas involving strategic stability, in particular their decision to initiate cooperation in the field of nuclear-powered submarines. Russia and China believe that such actions are contrary to the objectives of security and sustainable development of the Asia-Pacific region, increase the danger of an arms race in the region, and pose serious risks of nuclear proliferation. The sides strongly condemn such moves and call on AUKUS participants to fulfil their nuclear and missile non-proliferation commitments in good faith and to work together to safeguard peace, stability, and development in the region.

Japan’s plans to release nuclear contaminated water from the destroyed Fukushima nuclear plant into the ocean and the potential environmental impact of such actions are of deep concern to the sides. The sides emphasize that the disposal of nuclear contaminated water should be handled with responsibility and carried out in a proper manner based on arrangements between the Japanese side and neighbouring States, other interested parties, and relevant international agencies while ensuring transparency, scientific reasoning, and in accordance with international law.

The sides believe that the U.S. withdrawal from the Treaty on the Elimination of Intermediate-Range and Shorter-Range Missiles, the acceleration of research and the development of intermediate-range and shorter-range ground-based missiles and the desire to deploy them in the Asia-Pacific and European regions, as well as their transfer to the allies, entail an increase in tension and distrust, increase risks to international and regional security, lead to the weakening of international non-proliferation and arms control system, undermining global strategic stability. The sided call on the United States to respond positively to the Russian initiative and abandon its plans to deploy intermediate-range and shorter-range ground-based missiles in the Asia-Pacific region and Europe. The sides will continue to maintain contacts and strengthen coordination on this issue.

The Chinese side is sympathetic to and supports the proposals put forward by the Russian Federation to create long-term legally binding security guarantees in Europe.

The sides note that the denunciation by the United States of a number of important international arms control agreements has an extremely negative impact on international and regional security and stability. The sides express concern over the advancement of U.S. plans to develop global missile defence and deploy its elements in various regions of the world, combined with capacity building of high-precision non-nuclear weapons for disarming strikes and other strategic objectives. The sides stress the importance of the peaceful uses of outer space, strongly support the central role of the UN Committee on the Peaceful Uses of Outer Space in promoting international cooperation, maintaining and developing international space law and regulation in the field of space activities. Russia and China will continue to increase cooperation on such matters of mutual interest as the long-term sustainability of space activities and the development and use of space resources. The sides oppose attempts by some States to turn outer space into an arena of armed confrontation and reiterate their intention to make all necessary efforts to prevent the weaponization of space and an arms race in outer space. They will counteract activities aimed at achieving military superiority in space and using it for combat operations. The sides affirm the need for the early launch of negotiations to conclude a legally binding multilateral instrument based on the Russian-Chinese draft treaty on the prevention of placement of weapons in outer space and the use or threat of force against space objects that would provide fundamental and reliable guarantees against an arms race and the weaponization of outer space.

Russia and China emphasize that appropriate transparency and confidence-building measures, including an international initiative/political commitment not to be the first to place weapons in space, can also contribute to the goal of preventing an arms race in outer space, but such measures should complement and not substitute the effective legally binding regime governing space activities.

The sides reaffirm their belief that the Convention on the Prohibition of the Development, Production and Stockpiling of Bacteriological (Biological) and Toxin Weapons and on their Destruction (BWC) is an essential pillar of international peace and security. Russia and China underscore their determination to preserve the credibility and effectiveness of the Convention.

The sides affirm the need to fully respect and further strengthen the BWC, including by institutionalizing it, strengthening its mechanisms, and adopting a legally binding Protocol to the Convention with an effective verification mechanism, as well as through regular consultation and cooperation in addressing any issues related to the implementation of the Convention.

The sides emphasize that domestic and foreign bioweapons activities by the United States and its allies raise serious concerns and questions for the international community regarding their compliance with the BWC. The sides share the view that such activities pose a serious threat to the national security of the Russian Federation and China and are detrimental to the security of the respective regions. The sides call on the U.S. and its allies to act in an open, transparent, and responsible manner by properly reporting on their military biological activities conducted overseas and on their national territory, and by supporting the resumption of negotiations on a legally binding BWC Protocol with an effective verification mechanism.

The sides, reaffirming their commitment to the goal of a world free of chemical weapons, call upon all parties to the Chemical Weapons Convention to work together to uphold its credibility and effectiveness. Russia and China are deeply concerned about the politicization of the Organization for the Prohibition of Chemical Weapons and call on all of its members to strengthen solidarity and cooperation and protect the tradition of consensual decision-making. Russia and China insist that the United States, as the sole State Party to the Convention that has not yet completed the process of eliminating chemical weapons, accelerate the elimination of its stockpiles of chemical weapons. The sides emphasize the importance of balancing the non-proliferation obligations of states with the interests of legitimate international cooperation in the use of advanced technology and related materials and equipment for peaceful purposes. The sides note the resolution entitled ”Promoting international Cooperation on Peaceful Uses in the Context of International Security“ adopted at the 76th session of the UN General Assembly on the initiative of China and co‑sponsored by Russia, and look forward to its consistent implementation in accordance with the goals set forth therein.

The sides attach great importance to the issues of governance in the field of artificial intelligence. The sides are ready to strengthen dialogue and contacts on artificial intelligence.

The sides reiterate their readiness to deepen cooperation in the field of international information security and to contribute to building an open, secure, sustainable and accessible ICT environment. The sides emphasize that the principles of the non-use of force, respect for national sovereignty and fundamental human rights and freedoms, and non-interference in the internal affairs of other States, as enshrined in the UN Charter, are applicable to the information space. Russia and China reaffirm the key role of the UN in responding to threats to international information security and express their support for the Organization in developing new norms of conduct of states in this area.

The sides welcome the implementation of the global negotiation process on international information security within a single mechanism and support in this context the work of the UN Open-ended Working Group on security of and in the use of information and communication technologies (ICTs) 2021–2025 (OEWG) and express their willingness to speak with one voice within it. The sides consider it necessary to consolidate the efforts of the international community to develop new norms of responsible behaviour of States, including legal ones, as well as a universal international legal instrument regulating the activities of States in the field of ICT. The sides believe that the Global Initiative on Data Security, proposed by the Chinese side and supported, in principle, by the Russian side, provides a basis for the Working Group to discuss and elaborate responses to data security threats and other threats to international information security.

The sides reiterate their support of United Nations General Assembly resolutions 74/247 and 75/282, support the work of the relevant Ad Hoc Committee of Governmental Experts, facilitate the negotiations within the United Nations for the elaboration of an international convention on countering the use of ICTs for criminal purposes. The sides encourage constructive participation of all sides in the negotiations in order to agree as soon as possible on a credible, universal, and comprehensive convention and provide it to the United Nations General Assembly at its 78th session in strict compliance with resolution 75/282. For these purposes, Russia and China have presented a joint draft convention as a basis for negotiations.

The sides support the internationalization of Internet governance, advocate equal rights to its governance, believe that any attempts to limit their sovereign right to regulate national segments of the Internet and ensure their security are unacceptable, are interested in greater participation of the International Telecommunication Union in addressing these issues.

The sides intend to deepen bilateral cooperation in international information security on the basis of the relevant 2015 intergovernmental agreement. To this end, the sides have agreed to adopt in the near future a plan for cooperation between Russia and China in this area.

IV

The sides underline that Russia and China, as world powers and permanent members of the United Nations Security Council, intend to firmly adhere to moral principles and accept their responsibility, strongly advocate the international system with the central coordinating role of the United Nations in international affairs, defend the world order based on international law, including the purposes and principles of the Charter of the United Nations, advance multipolarity and promote the democratization of international relations, together create an even more prospering, stable, and just world, jointly build international relations of a new type.

The Russian side notes the significance of the concept of constructing a ”community of common destiny for mankind“ proposed by the Chinese side to ensure greater solidarity of the international community and consolidation of efforts in responding to common challenges. The Chinese side notes the significance of the efforts taken by the Russian side to establish a just multipolar system of international relations.

The sides intend to strongly uphold the outcomes of the Second World War and the existing post-war world order, defend the authority of the United Nations and justice in international relations, resist attempts to deny, distort, and falsify the history of the Second World War.

In order to prevent the recurrence of the tragedy of the world war, the sides will strongly condemn actions aimed at denying the responsibility for atrocities of Nazi aggressors, militarist invaders, and their accomplices, besmirch and tarnish the honour of the victorious countries.

The sides call for the establishment of a new kind of relationships between world powers on the basis of mutual respect, peaceful coexistence and mutually beneficial cooperation. They reaffirm that the new inter-State relations between Russia and China are superior to political and military alliances of the Cold War era. Friendship between the two States has no limits, there are no ”forbidden“ areas of cooperation, strengthening of bilateral strategic cooperation is neither aimed against third countries nor affected by the changing international environment and circumstantial changes in third countries.

The sides reiterate the need for consolidation, not division of the international community, the need for cooperation, not confrontation. The sides oppose the return of international relations to the state of confrontation between major powers, when the weak fall prey to the strong. The sides intend to resist attempts to substitute universally recognized formats and mechanisms that are consistent with international law for rules elaborated in private by certain nations or blocs of nations, and are against addressing international problems indirectly and without consensus, oppose power politics, bullying, unilateral sanctions, and extraterritorial application of jurisdiction, as well as the abuse of export control policies, and support trade facilitation in line with the rules of the World Trade Organization (WTO).

The sides reaffirmed their intention to strengthen foreign policy coordination, pursue true multilateralism, strengthen cooperation on multilateral platforms, defend common interests, support the international and regional balance of power, and improve global governance.

The sides support and defend the multilateral trade system based on the central role of the World Trade Organization (WTO), take an active part in the WTO reform, opposing unilateral approaches and protectionism. The sides are ready to strengthen dialogue between partners and coordinate positions on trade and economic issues of common concern, contribute to ensuring the sustainable and stable operation of global and regional value chains, promote a more open, inclusive, transparent, non-discriminatory system of international trade and economic rules.

The sides support the G20 format as an important forum for discussing international economic cooperation issues and anti-crisis response measures, jointly promote the invigorated spirit of solidarity and cooperation within the G20, support the leading role of the association in such areas as the international fight against epidemics, world economic recovery, inclusive sustainable development, improving the global economic governance system in a fair and rational manner to collectively address global challenges.

The sides support the deepened strategic partnership within BRICS, promote the expanded cooperation in three main areas: politics and security, economy and finance, and humanitarian exchanges. In particular, Russia and China intend to encourage interaction in the fields of public health, digital economy, science, innovation and technology, including artificial intelligence technologies, as well as the increased coordination between BRICS countries on international platforms. The sides strive to further strengthen the BRICS Plus/Outreach format as an effective mechanism of dialogue with regional integration associations and organizations of developing countries and States with emerging markets.

The Russian side will fully support the Chinese side chairing the association in 2022, and assist in the fruitful holding of the XIV BRICS summit.

Russia and China aim to comprehensively strengthen the Shanghai Cooperation Organization (SCO) and further enhance its role in shaping a polycentric world order based on the universally recognized principles of international law, multilateralism, equal, joint, indivisible, comprehensive and sustainable security.

They consider it important to consistently implement the agreements on improved mechanisms to counter challenges and threats to the security of SCO member states and, in the context of addressing this task, advocate expanded functionality of the SCO Regional Anti-Terrorist Structure.

The sides will contribute to imparting a new quality and dynamics to the economic interaction between the SCO member States in the fields of trade, manufacturing, transport, energy, finance, investment, agriculture, customs, telecommunications, innovation and other areas of mutual interest, including through the use of advanced, resource-saving, energy efficient and ”green“ technologies.

The sides note the fruitful interaction within the SCO under the 2009 Agreement between the Governments of the Shanghai Cooperation Organization member States on cooperation in the field of international information security, as well as within the specialized Group of Experts. In this context, they welcome the adoption of the SCO Joint Action Plan on Ensuring International Information Security for 2022–2023 by the Council of Heads of State of SCO Member States on September 17, 2021 in Dushanbe.

Russia and China proceed from the ever-increasing importance of cultural and humanitarian cooperation for the progressive development of the SCO. In order to strengthen mutual understanding between the people of the SCO member States, they will continue to effectively foster interaction in such areas as cultural ties, education, science and technology, healthcare, environmental protection, tourism, people-to-people contacts, sports.

Russia and China will continue to work to strengthen the role of APEC as the leading platform for multilateral dialogue on economic issues in the Asia-Pacific region. The sides intend to step up coordinated action to successfully implement the ”Putrajaya guidelines for the development of APEC until 2040“ with a focus on creating a free, open, fair, non-discriminatory, transparent and predictable trade and investment environment in the region. Particular emphasis will be placed on the fight against the novel coronavirus infection pandemic and economic recovery, digitalization of a wide range of different spheres of life, economic growth in remote territories and the establishment of interaction between APEC and other regional multilateral associations with a similar agenda.

The sides intend to develop cooperation within the ”Russia-India-China“ format, as well as to strengthen interaction on such venues as the East Asia Summit, ASEAN Regional Forum on Security, Meeting of Defense Ministers of the ASEAN Member States and Dialogue Partners. Russia and China support ASEAN’s central role in developing cooperation in East Asia, continue to increase coordination on deepened cooperation with ASEAN, and jointly promote cooperation in the areas of public health, sustainable development, combating terrorism and countering transnational crime. The sides intend to continue to work in the interest of a strengthened role of ASEAN as a key element of the regional architecture.

DOCUMENTS : réponses des Etats-Unis et de l’OTAN aux propositions de la Russie.

Pour information et pour éclairer les confrontations et les débats actuels concernant l’Ukraine et le rapport USA-OTAN/Russie je publie ci-dessous les réponses des Etats-Unis et de l’OTAN aux deux propositions de traités faites par la Russie en décembre dernier (telles que publiées intégralement par le quotidien espagnol El Pais)

2022 : ce qui nous attend…

Voici un aperçu (au 12 mars 2022) des grands événements prévus cette année. Il s’agit d’enjeux majeurs de dimension stratégique, de grandes questions de politique internationale et de dimension globale. L’année qui commence s’annonce particulièrement chargée.

Naturellement, l’élection présidentielle en France sera un moment des plus importants. Pour le peuple français. On peut légitimement se demander, cependant, si cette élection aura des conséquences internationales majeures puisque la France officielle, en recherche permanente d’un rang et d’un rôle de puissance ne montre guère de capacité, dans les faits, à peser de façon décisive au sein des relations internationales. Les résultats des initiatives internationales d’aujourd’hui (avec Emmanuel Macron) et celles d’hier (avec les Présidents précédents) ne plaident pas – c’est le moins qu’on puisse dire – pour une réponse positive. Au Liban, en Libye, au Sahel, en indopacifique les initiatives françaises se traduisent par ces échecs sévères, par des contributions directes à la déstabilisation internationale, par des impuissances et des enlisements caractérisés. L’action internationale et les engagements stratégiques de la France sont donc en question. Il est dommageable que ces questions ne fassent pas l’objet du débat public nécessaire. Et d’autant plus nécessaire que le Président de la République détient constitutionnellement l’essentiel des prérogatives en la matière. Sur ces questions, le silence et l’hypocrisie dominent outrageusement. Le pouvoir décide seul. Des orientations et des options stratégiques et militaires sont aujourd’hui choisies sans même que le Parlement ne soit consulté. La signification et les conséquences de la « haute intensité » des conflits, ou bien l’abandon par le Chef d’état-major des Armées (CEMA) du concept doctrinal de « modèle d’armée complet » ont-ils fait l’objet d’un débat public ? Non. Les dernières auditions parlementaires du CEMA ont-elles été rendues publiques ? Non. Ces réalités ne sont pas acceptables

Il faudra donc marquer, en cette année 2022, beaucoup d’exigence pour qu’un peu de démocratie et de courage politique viennent accompagner la politique française, et singulièrement ses engagements sur le plan stratégique et international.

Voici, pour quelques événements majeurs, un calendrier 2022 :

– OTAN : Réunion des ministres de la défense les 16 et 17 mars.

– Conférence des Nations-Unies (négociations finales) sur la biodiversité (2ème partie), en Chine (Kunming) du 25 avril au 8 mai.

– Sommet de l’OTAN à Madrid les 29 et 30 juin, avec l’élaboration d’un nouveau concept stratégique.

– Sommet exceptionnel de l’UE fin mai sur la défense et la « Boussole stratégique ».

– Première réunion des États parties au Traité d’interdiction des armes nucléaires, à Vienne. Reportée à mai, juin ou juillet .

– 10ème conférence d’examen du Traité sur la Non Prolifération (TNP), en août.

– engagement, en France, des travaux d’élaboration d’un nouveau Livre blanc défense et sécurité nationale (sans date connue aujourd’hui).

Ajoutons trois événements concernant l’Asie et la Chine en particulier :

– le « Shangri-La dialogue » (défense et sécurité en Asie), forum intergouvernemental organisé par l’Institut international d’études stratégiques (IISS) les 10 et 11 juin à Singapour (28 États dont participation française).

– le 14ème sommet des BRICS en Chine.

– le 20ème congrès du Parti communiste chinois à l’automne.

La recension de ces quelques événements majeurs appelle 2 remarques :

1- La France, l’UE (avec la Boussole) et l’OTAN vont donc redéfinir leur concept stratégique en 2022. On a d’ores et déjà quelques idées sur les orientions à venir, par exemple pour l’OTAN, avec l’agenda OTAN-2030 adopté par le sommet de juin 2021 de Bruxelles. Mais il sera intéressant de voir le débat sur les contenus, notamment pour ce qui est du Livre blanc français. Le fait que la France, l’UE et l’OTAN redéfinissent en même temps (si l’on peut dire…) leur engagement politique et stratégique général est un événement en soi alors que les puissances occidentales sont globalement interpellées par les échecs des années précédentes (Irak, Afghanistan notamment) et par les défis nouveaux. Notons que ces événements se tiendrons alors que la France présidera le Conseil de l’UE pour le premier semestre. Cela ne permet pas d’en préjuger les résultats.

Notons aussi le changement de coalition gouvernementale en Allemagne, sur la base d’un programme qui doit être regardé de près, pas seulement du fait de la présidence française au 1er semestre 2022… En particulier pour ce qu’il annonce de changements relatifs concernant notamment la politique internationale, les questions de sécurité et du désarmement, et la position allemande concernant Israël et la question de Palestine.

2- Ces redéfinitions interviendront dans une situation internationale caractérisée par une dégradation inquiétante, par beaucoup d’incertitudes et de dangers. Même si les réunions du mois de janvier dans la foulée du sommet Poutine/Biden de juin dernier à Genève pourront permettre des négociations utiles sur certains enjeux de sécurité. Le contexte restera marqué par des tensions aiguës dont les causes sont structurantes : rapport OTAN/Russie, question ukrainienne, sécurité en Europe, enjeu nucléaire, tensions en indopacifique, confrontation sino-américaine, engagements français et européens dans ce cadre asiatique, conclusion/crise des négociations de Vienne sur le nucléaire iranien, agressivité israélienne et écrasement délibéré de la question de Palestine…

Le contexte sera marqué notamment par les conférences du TNP et du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), donc par l’enjeu du désarmement et de l’élimination des armes nucléaires. Le débat public commencé sur les armes de hautes technologies (voir le rapport de l’IDN « Les nouvelles technologies et la stratégie nucléaire ») devrait se développer aussi à condition que l’ensemble des forces intéressées s’en mêlent de façon active.

Notons enfin le 60ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. C’est un moment politique qui, évidemment, ne peut pas ne pas concerner la France dans toutes ses lourdes significations actuelles et historiques. Sans oublier la question très spécifique des essais nucléaires français dans le Sahara durant les années 60.

2022 se dessine donc comme une année lourde et déterminante permettant de soulever des questions majeures et d’avancer des options pour le désarmement, de sécurité collective et la paix. (JF au 12 03 2022)

USA, OTAN, RUSSIE… A la recherche de l’acteur absent.

Toute cette histoire qui se cristallise sur l’Ukraine est loin d’être finie. Les enjeux sont en effet plus importants, c’est à dire plus vastes et plus compliqués que les tableaux et les commentaires souvent caricaturaux que l’on nous offre politiquement et médiatiquement tous les jours.

Cependant, une question doit être absolument soulevée. Cette question c’est LE problème majeur posé par l’actuelle confrontation de puissances. Une confrontation à la fois vaine et dangereuse. Remarquons l’absence totale d’un acteur politique et symbolique qui devrait pourtant avoir toute sa place, et même davantage que cela. Cet acteur, effectivement, devrait être au cœur des concertations, des débats et des recherches de solutions face à la montée vraiment préoccupante des tensions qui opposent la Russie, les États-Unis, l’OTAN et nombre d’autres protagonistes, notamment la France, l’Allemagne, l’Union européenne…

Cet acteur, si on veut lui donner un nom, c’est Antonio Guterres. Si on veut lui donner un titre, c’est celui de Secrétaire général de l’ONU, nommé par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité. Sa charge est donc politique de par son mode de désignation. Si on veut donner une mission à cet acteur, cela peut être, cela devrait être : susciter des dynamiques diplomatiques, permettre les dialogues et les négociations nécessaires, remplir toutes les fonctions que les organes de l’ONU (Assemblée générale, Conseil de sécurité en particulier) peuvent lui confier… ce qui n’est pas le cas aujourd’hui puisque, pour l’instant, alors que dominent l’unilatéralisme de la force et les logiques de puissance, nul ne fait appel à lui.

Bref, cet acteur silencieux, cet acteur absent, cet acteur trop absent aujourd’hui, c’est celui… du multilatéralisme. Le multilatéralisme comme une exigence politique essentielle qui peut être incarnée par le Secrétaire général de l’ONU. Cet acteur c’est celui de la seule légitimité universelle qui peut, en toute indépendance (article 100 de la Charte) favoriser ou conduire des pourparlers, jouer un rôle de médiateur et de clarificateur, exercer une tâche délicate mais indispensable : spécifier l’état du droit international sur les questions à traiter, rappeler les responsabilités de chacun selon l’esprit et la lettre de la Charte des Nations-Unies. Le Secrétaire général peut peser et contribuer à infléchir le cours des événements, même s’il ne détient pas la décision finale. Dans l’histoire des Nations-Unies, certains secrétaires généraux, par exemple Kofi Annan (prix Nobel de la Paix 2001), ont ainsi assumé un vrai rôle politique positif, parfois même alternatif, dans des moments cruciaux de tension internationale.

Alors, aujourd’hui, qui aura le courage de dire : ça suffit !.. Vous dites ne pas vouloir d’une guerre, mais vous créez au quotidien, dans l’escalade des rhétoriques, des menaces, des sanctions, des raidissements politiques et des crescendos militaires… toutes les conditions susceptibles de provoquer un affrontement armé et un enchaînement – forcément désastreux et certainement meurtrier – que personne n’aura (ouvertement) souhaité, mais dont il sera si difficile de sortir.

Les interrogations mille fois répétées aujourd’hui ont l’apparence de l’évidence : jusqu’où ira Poutine ? Veut-il attaquer l’Ukraine ? Veut-il la guerre ?.. Il faudrait en tous les cas s’y préparer. Alors que la seule question qui vaille vraiment est celle-ci : comment faire pour briser l’engrenage ? Comment faire pour abaisser les tensions et, malgré les difficultés, négocier… Négocier sans désemparer une voie d’issue strictement politique.

La Charte des Nations-Unies repose sur un des principes les plus fondamentaux parmi tous les paramètres permettant d’étouffer tous les risques dans le contexte de relations internationales apaisées : la responsabilité collective. Ce concept de responsabilité collective, que tout le monde ou presque passe maintenant par pertes et profits, est pourtant central et décisif dans le droit international, dans l’esprit d’égalité et de sécurité partagée qui devrait s’imposer.

Bien-sûr, cette exigence de responsabilité collective ne peut s’accommoder de faux semblants ou de mauvaise foi. Cette remarque vise la France. Emmanuel Macron préside pour 6 mois le Conseil de l’Union européenne. Afin de marquer son mandat d’une initiative, il a appelé à un dialogue entre l’UE et la Russie (très bien) sur l’idée d’un « nouvel ordre de sécurité en Europe ». « Nous devons – dit-il – le construire entre Européens, puis le partager avec nos alliés dans le cadre de l’OTAN, puis ensuite le proposer à la négociation à la Russie ». Cette proposition, c’est exactement ce qu’il ne faut pas faire. Un tel processus, comme sa définition même l’indique, ne vise pas à un nouvel ordre de sécurité en Europe, mais à un autre (autre ou pas…) ordre international dans une conception euro-atlantique… Une proposition d’ordre expressément validée par l’OTAN, c’est Emmanuel Macron qui le dit. De quoi continuer à nourrir les crispations et les hostilités. Il faut sortir définitivement de cet esprit de Guerre froide, sortir des postures de menaces et des stratégies de camps antagonistes. C’est d’abord cela la responsabilité collective.

Alors, qui aura le courage d’aller voir le Secrétaire général de l’ONU pour lui dire : Antonio, on y arrive pas. Tu peux nous aider à nous sortir de là ? On va t’aider… Dis autrement, cela signifie remettre l’ONU au centre des enjeux. Imposer les principes et les pratiques du multilatéralisme. Reconstruire en commun de la sécurité. Revenir au droit. Et assumer ensemble notre responsabilité collective… Pourquoi n’y-a-t-il aucune autorité pour rappeler cette exigence ? Est-ce trop demander ? 26 01 2022

Afghanistan : pourquoi meurent les enfants…

L’ensemble des informations et des données chiffrées contenues dans cet article sont issues des sites et publications des ONG de l’humanitaire: OCHA, PAM, FAO, CICR …

Le 22 décembre 2021, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies, à l’unanimité, adopta une résolution – No 2615 (2021) – autorisant l’aide humanitaire à l’Afghanistan… mais sans pour autant lever le programme de sanctions adopté, lui aussi à l’unanimité, quelques jours avant, le 17 décembre. Beaucoup espéraient certainement que le silence pourrait durablement sinon définitivement s’installer sur une question ô combien gênante. Gênante pour l’Administration américaine en particulier. Comment, en effet, pouvoir justifier aisément la moindre aide susceptible d’aider le régime des Talibans alors que ceux-ci, pour Washington et pour les pays de l’OTAN, restent à la fois un acteur direct de la défaite occidentale en Afghanistan et le produit empoisonné de 40 années de guerres, dont 20 ans de la guerre américaine « contre la terreur ». C’est à dire des années de conflits meurtriers et d’occupations militaires qui ont réuni dans ce pays les conditions de la catastrophe humanitaire, sociale, économique et politique en cours (1).

Dans un article du quotidien Les Échos du 27 décembre, intitulé « le retour discret de l’aide occidentale à l’Afghanistan », Richard Hiault écrit : « la population paye un lourd tribut au retour des Talibans » (2). Comme si ce retour était la seule ou la principale cause de la catastrophe. Certes, les Talibans n’ont rien d’une équipe d’innocents démocrates. Leur violence, leur autoritarisme répressif, leur politique discriminatoire en particulier contre les femmes, et leur refus de considérer celles-ci comme des être humains à égalité de droit… tout cela constitue une épreuve, une lourde épreuve de plus pour le peuple afghan. On ne saurait minimiser les nombreuses et graves problématiques éthiques, politiques, sociales et institutionnelles issues de l’installation de ce pouvoir de facto. Mais on ne peut sanctionner et fermer brutalement toutes les portes à l’Afghanistan actuelle sans rajouter encore à l’inhumanité de ce que vit l’ensemble de son peuple, et singulièrement les femmes.

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Il y a danger, aussi, à ne pas vouloir considérer l’ensemble des causes de la situation actuelle issue d’un cumul de longue durée, par imbrications complexes, de facteurs accablants : État déliquescent, désintégration économique, sous-développement et pauvreté massive, affaiblissement drastique des services sociaux existants, notamment celui de la santé. Ce qui ne relève pas seulement des incapacités manifestes du régime précédent sous tutelle occidentale et sous perfusion financière internationale. Les causes sont aussi les calamités naturelles : sécheresses récurrentes, inondations destructrices et meurtrières, séismes répétitifs…On sait que l’Afghanistan se situe sur une zone sismique correspondant aux contreforts de l’Indu Koush. Dans les 10 années écoulées, 7000 personnes ont perdu la vie du fait d’un tremblement de terre (3).

Le 17 janvier 2022, un séisme a frappé la province de Badghis dans l’Ouest du pays. Selon les premiers décomptes il faut enregistrer 28 morts, 40 blessés et entre 700 et 800 maisons détruites ou endommagées. Selon l’OCHA (Bureau de la coordination de l’action humanitaire de l’ONU) les fortes pluies qui s’étaient abattues précédemment avaient rendu les maisons en briques de terre beaucoup plus vulnérables. Alors que cette région, comme d’autres régions rurales du pays, a déjà subi la dévastation de la sécheresse. Avec l’hiver, dans de telles provinces où la pauvreté s’est étendue, la neige et les basses températures vont rendre les conditions de vie encore plus dures. Rappelons que 70 % des Afghans vivent dans des zones rurales. L’agriculture apporte 25 % du PIB du pays et 80 % de l’ensemble des moyens de subsistance proviennent directement ou non du secteur agricole. L’enjeu est donc décisif.

25 millions de personnes relèvent de l’aide humanitaire d’urgence

L’Afghanistan, classé comme un des pays les plus pauvres du monde, est ainsi directement impacté par le changement climatique, affaibli par une grave crise agricole, par la désagrégation de l’État et celle des fragiles structures économiques et sociales… Comme si cela ne suffisait pas, les États-Unis, leurs alliés et l’ensemble des pays membres du Conseil de sécurité ont donné une sorte de coup de grâce en appliquant un consternant système de sanctions dont la conséquence implacable est l’émergence d’une crise humanitaire considérée par les services de l’ONU et par les ONG comme une des pires catastrophes humanitaires du monde, comprenant un risque immédiat de famine. 24,4 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population du pays, relèvent ainsi d’un besoin humanitaire d’urgence, de l’insécurité alimentaire, et même de la malnutrition aiguë et du risque de mort pour un enfant sur deux de moins de 5 ans. Dans un tel contexte, beaucoup rejoindront les quelque 2,6 millions de réfugiés afghans dans le monde, et le sort des déplacés (700 000 pour la seule année 2021) risque d’être encore plus dramatique. N’oublions pas, enfin, cette autre férocité, celle de l’État Islamique du Khorasan (ou Daech-K), présent maintenant dans la plupart des régions d’Afghanistan : ses attaques sont passées de 60 à plus de 300 en novembre 2021.

La résolution du 22 décembre qui autorise l’aide humanitaire ne résout donc rien sur le fond, même avec l’énorme et précieux travail des ONG face au cumul des urgences plus impératives les unes que les autres. Soulignons d’abord que l’ampleur de la crise est telle, et ses causes structurelles si sévères que l’humanitaire d’urgence ne suffira pas à sortir l’Afghanistan du désastre sans que soient engagés des processus contribuant directement aux fonctionnements de l’économie, à un minimum de développement et de reconstruction productive et sociale. Il faudra aider l’Afghanistan à sortir de la paralysie du système bancaire, contribuer à la survie de l’agriculture, aider au maintien des services sociaux, en particulier celui de la santé. Cette catastrophe humanitaire en cours explose du fait des sanctions, mais elle vient aussi de plus loin. Selon l’OCHA, le nombre de personnes ayant un besoin d’aide vitale a été multiplié par 4 en 3 ans. L’augmentation de la pauvreté ces dernières années a constitué un paramètre d’aggravation des risques. Dans un contexte de décomposition économique, il ne manquait donc plus que le facteur déclenchant des sanctions pour mettre ce pays au bord du gouffre.

Notons ensuite que le déblocage de l’aide d’urgence est à la fois indispensable et totalement inopérant s’il ne s’accompagne pas de la levée de toutes les sanctions. Washington doit débloquer les 9,5 milliards de dollars d’actifs de la Banque centrale afghane. Le FMI et la Banque mondiale doivent (l’ONU le demande) reprendre les aides au développement sans lesquelles les services de base, notamment celui de la santé, ne peuvent ni fonctionner, ni exister. La Banque mondiale a fait un geste en accordant 280 millions de dollars issus du Fond d’affectation spéciale pour la reconstruction. Mais on garde le sentiment que le sort du peuple afghan reste une non question, une non urgence… Comme si l’on pouvait, en ce 21ème siècle, tolérer une famine de très grande ampleur dans un processus d’écroulement global possible concernant un pays qui s’est vu imposer durant tant d’années des logiques de puissance destructives. Comme dit David Beasley, Directeur exécutif du Programme alimentaire mondial (Le PAM a reçu le Prix Nobel de la paix en 2020) : « cet hiver, des millions d’Afghans seront forcés de choisir entre la migration et la famine, à moins que nous puissions intensifier notre aide, et à moins que l’économie ne puisse être ressuscitée. Nous sommes sur le compte à rebours de la catastrophe, et si nous n’agissons pas maintenant, nous aurons un désastre total sur les bras » (4).

Lever toutes les sanctions

Dans cette situation, les Nations-Unies demandent immédiatement 5 milliards de dollars pour stopper la descente aux enfers, enclencher un mouvement de relèvement, empêcher un effondrement total. Pour l’ONU et pour les plus conscients de la tragédie qui guette, il faut qu’un processus d’aide et de dialogue fasse évoluer les choses. La crise est tellement grave que les Talibans sont ouvertement demandeurs. Ils ont même multiplié les signes et les appels… Pour l’ONU, ce peut être un moyen de pression sur les comportements inacceptables de leur régime. Évidemment, il n’y a aucune garantie de résultat, mais dans ce contexte, tout vaut mieux que l’enfermement sur la désespérance sociale et la violence talibane.

L’Administration américaine n’est pas de cet avis. Elle soutient – et la France fait de même – qu’il est nécessaire de maintenir les sanctions afin d’empêcher que les Talibans ne profitent de la manne financière. Nul ne pourrait accepter, en effet, qu’il en soit ainsi. Cependant, si Washington se permet de donner des leçons dans le domaine de la corruption, il faut bien constater que celle-ci n’est pas (seulement) un risque d’aujourd’hui. C’est une vieille et envahissante réalité. Les États-Unis, en la matière, ont une responsabilité. En décembre 2019, le grand quotidien américain Washington Post le montre bien en publiant ce qu’on appelle les « Afghanistan Papers ». Ceux-ci mettent en évidence, à travers 2000 documents, une corruption généralisée en Afghanistan. Au point que celle-ci est devenue un argument favorable aux Talibans et une des raisons pour lesquelles ils ont pu accéder au pouvoir en août dernier. L’ONG Transparency International qui tient un index sur ce fléau classe l’Afghanistan à la 177ème place sur 180. Enfin, à la mi septembre 2021, soit un mois après la prise de pouvoir des Talibans, la Banque centrale a annoncé avoir découvert 12,3 millions de dollars en liquide et des lingots d’or chez d’anciens hauts responsables afghans, notamment un ancien vice-président.

Aujourd’hui, l’ONU souligne que les acteurs humanitaires intensifient les opérations et ont engagé une véritable course contre la montre pour acheminer l’aide. En décembre, ils ont distribué des denrées alimentaires à 7 millions de personnes. Depuis le 1er septembre, 4 millions d’Afghans ont bénéficié de soins de santé. Mais c’est un hiver très rigoureux qui s’annonce. La tâche à accomplir et les besoins d’urgence sont colossaux. La dégradation économique a produit une contraction du PIB de 40 %. Et le naufrage social continue. L’appel de l’ONU à lever 5 milliards de dollars pour éviter l’effondrement structurel (le montant le plus élevé jamais requis pour un seul pays) reste pour l’instant sans réponse. Pourtant, selon Martin Griffiths, Secrétaire général adjoint des Nations-Unies pour les affaires humanitaires, « sans ce plan d’aide, il n’y aura pas d’avenir pour l’Afghanistan ».

Les autorités françaises gardent sur cette question un silence choquant. Après avoir géré dans l’approximation, l’arbitraire, et de façon restrictive (5), l’évacuation d’Afghans menacés par le nouveau régime, la France officielle semble se désintéresser du sort de ce pays et de son peuple. Depuis les votes du Conseil de sécurité le 17 décembre afin de proroger le régime de sanctions, et le 22 décembre pour « faciliter » l’aide humanitaire, les autorités françaises n’ont rien dit et rien fait pour que la gravité de la situation soit prise en compte. A l’occasion de réponses à des questions écrites au Parlement, le gouvernement assure qu’il « suit attentivement la situation » (quelle audace…), en indiquant que la France a voté en faveur de la résolution du 22 décembre parce que l’aide humanitaire « vise à répondre aux besoins de la population afghane ». Cette formulation-là est à la fois cynique et très inexacte au regard de la nature des besoins et d’une réalité économique et sociale aussi complexe. Pire que cela, la représentante de la France au Conseil de sécurité, Madame Sheraz Gasri, dans une intervention à la tonalité dure, a insisté sur la nécessité d’exclure toute activité de développement. On se demande jusqu’où peut aller l’irresponsabilité française.

Vivre est un péril, survivre est une épreuve

On a peine à croire qu’une situation aussi alarmante, qu’une telle adversité humaine et sociale puisse faire l’objet d’un niveau d’indifférence politique aussi élevé. La vaccination d’un seul champion mondial de tennis peut faire la une des journaux télévisés, mais la détresse et la vie de 24,4 millions d’Afghans, y compris d’enfants, ne mobilise guère les gouvernements et les médias. Il est vrai que cette crise afghane traduit un échec majeur des politiques de puissance, et l’impasse d’un ordre international libéral dans lequel dominent outrageusement les intérêts stratégiques, les logiques de la guerre et de la force, les dominations et la pratique des sanctions. En Afghanistan, ces logiques ont atteint leur limite… et c’est le peuple qui paye.

Dans ce pays, les ONG doivent aujourd’hui encore organiser la vaccination contre la poliomyélite dont l’éradication mondiale est pourtant quasiment une réalité depuis la fin de la décennie 2000 (2020 pour l’Afrique). Cette exception (avec le Pakistan et le Nigeria) témoigne de la très grande vulnérabilité des structures sociales afghanes et singulièrement celle de la santé. Une telle précarité, bien sûr, est le résultat de quarante ans de guerre et de violence aux multiples causes. Mais aujourd’hui, la violence est à la fois militaire, sécuritaire, économique, sociale, idéologique, politique. Elle est partout. Elle vient d’hier et d’aujourd’hui. La vie de tout un peuple est une violence au quotidien.

Voici ce qu’en a dit, le 22 novembre 2021, M. Dominik Stillhart, Directeur des opérations du Comité International de la Croix Rouge (CICR) à l’issue d’une visite de travail de six jours en Afghanistan : 

« Je suis hors de moi. En regardant ces photos d’enfants afghans squelettiques depuis l’étranger, on ne peut qu’éprouver un sentiment d’horreur bien compréhensible. Mais quand vous vous trouvez dans le service pédiatrique du plus grand hôpital de Kandahar et que vous plongez votre regard dans les yeux vides d’enfants affamés, entourés de leurs parents désespérés, c’est la colère qui prédomine. Pourquoi la colère ? Parce que ces souffrances n’ont rien d’une fatalité. Les sanctions économiques censées punir les personnes au pouvoir à Kaboul ne font que priver des millions d’Afghans des biens et des services essentiels dont ils ont besoin pour survivre. La communauté internationale tourne le dos au pays tandis qu’il court à la catastrophe provoquée par l’homme. Les sanctions financières ont ruiné l’économie et entravent l’aide bilatérale. Les employés municipaux, le personnel de santé et les enseignants ne sont plus payés depuis cinq mois. Certains doivent marcher deux heures pour se rendre au travail, les transports publics étant devenus un luxe inaccessible. Ils n’ont même plus de quoi acheter à manger : leurs enfants ont faim, maigrissent à vue d’œil et finissent par mourir » (6).

La colère de Monsieur Stillhart est salutaire et justifiée. Pour le peuple afghan, ce qu’on appelle « le monde de demain » est encore pire que celui d’hier. Il est d’ailleurs préoccupant que l’extrême violence sociale et politique qui s’abat sur le peuple afghan, sans autre réaction à la hauteur que celles des acteurs de l’humanitaire, ne suscitent pas davantage d’indignation et d’exhortations à la raison et à la solidarité.

1) Voir « Afghanistan : c’est un peuple qu’on assassine » et « Encore sur l’Afghanistan et sur l’attitude de la France », 20 et 23 décembre 2021. https://jacquesfath.international/

2) « Crise humanitaire: le retour discret de l’aide occidentale à l’Afghanistan », Richard Hiault, Les Échos, 27 décembre 2021.https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/crise-humanitaire-le-retour-discret-de-laide-occidentale-a-lafghanistan-1375026

3) Voir « Afghanistan : earthquake contingency plan » sur le site lié à l’OCHA : humanitarianresponse.info. https://www.humanitarianresponse.info/fr/operations/afghanistan/document/afghanistan-earthquake-contingency-plan

4) « La moitié de la population en Afghanistan face à une faim aiguë alors que les besoins humanitaires augmentent pour atteindre des niveaux records », rapport conjoint FAO-PAM, 25 octobre 2021. https://fr.wfp.org/communiques-de-presse/la-moitie-de-la-population-en-afghanistan-face-une-faim-aigue-alors-que-les

5) Voir « Avec les oubliés afghans pour qui « le président français n’a pas tenu son engagement », Julia Pascual et Ghazal Golshiri, Le Monde, 21 janvier 2022. https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/21/le-president-francais-n-a-pas-tenu-son-engagement-avec-les-oublies-afghans-de-l-operation-apagan_6110462_3210.html

6) « Afghanistan : une catastrophe humanitaire pourtant évitable », déclaration de Dominik Stillhart, directeur des opérations du CICR, à l’issue d’une visite de six jours en Afghanistan, 22 novembre 2021. https://www.icrc.org/fr/document/afghanistan-une-catastrophe-humanitaire-pourtant-evitable

DOCUMENTS : les 2 propositions de traités faites par la Russie aux Etats-Unis et à l’OTAN.

Ci-dessous, en intégralité et en traduction anglaise non officielle, les textes des 2 propositions de traités faites par la Russie aux États-Unis et à l’OTAN lors des négociations du mois de janvier. Ces 2 textes ont été rendus publics le 17 décembre 2021. Ils ont été publiés par le site de Chatham House (ou Royal Institute of International Affairs). Je les reproduis ici. Ces 2 projets de traités qui traduisent en termes juridico-politique les « demandes » insistantes de Moscou, ont été rejetés par Washington et par l’OTAN au cours d’une semaine de négociations difficiles marquées par un niveau élevé de tensions internationales, par l’affirmation des logiques de puissances et par de vives contradictions d’intérêts de sécurité en Europe, portant notamment sur l’élargissement de l’OTAN et sur l’Ukraine.

https://www.chathamhouse.org/2021/12/russian-treaty-proposals-hark-back-post-cold-war-era

Treaty between The United States of America and the Russian Federation on security guarantees

The United States of America and the Russian Federation, hereinafter referred to as the « Parties »,

guided by the principles contained in the Charter of the United Nations, the 1970 Declaration on Principles of International Law concerning Friendly Relations and Cooperation among States in accordance with the Charter of the United Nations, the 1975 Helsinki Final Act of the Conference on Security and Cooperation in Europe, as well as the provisions of the 1982 Manila Declaration on the Peaceful Settlement of Disputes, the 1999 Charter for European Security, and the 1997 Founding Act on Mutual Relations, Cooperation and Security between the North Atlantic Treaty Organization and the Russian Federation,

recalling the inadmissibility of the threat or use of force in any manner inconsistent with the purposes and principles of the Charter of the United Nations both in their mutual and international relations in general,

supporting the role of the United Nations Security Council that has the primary responsibility for maintaining international peace and security,

recognizing the need for united efforts to effectively respond to modern security challenges and threats in a globalized and interdependent world,

considering the need for strict compliance with the principle of non-interference in the internal affairs, including refraining from supporting organizations, groups or individuals calling for an unconstitutional change of power, as well as from undertaking any actions aimed at changing the political or social system of one of the Contracting Parties,

bearing in mind the need to create additional effective and quick-to-launch cooperation mechanisms or improve the existing ones to settle emerging issues and disputes through a constructive dialogue on the basis of mutual respect for and recognition of each other’s security interests and concerns, as well as to elaborate adequate responses to security challenges and threats,

seeking to avoid any military confrontation and armed conflict between the Parties and realizing that direct military clash between them could result in the use of nuclear weapons that would have far-reaching consequences,

reaffirming that a nuclear war cannot be won and must never be fought, and recognizing the need to make every effort to prevent the risk of outbreak of such war among States that possess nuclear weapons,

reaffirming their commitments under the Agreement between the United States of America and the Union of Soviet Socialist Republics on Measures to Reduce the Risk of Outbreak of Nuclear War of 30 September 1971, the Agreement between the Government of the United States of America and the Government of the Union of Soviet Socialist Republics on the Prevention of Incidents On and Over the High Seas of 25 May 1972, the Agreement between the United States of America and the Union of Soviet Socialist Republics on the Establishment of Nuclear Risk Reduction Centers of 15 September 1987, as well as the Agreement between the United States of America and the Union of Soviet Socialist Republics on the Prevention of Dangerous Military Activities of 12 June 1989,

have agreed as follows:

Article 1

The Parties shall cooperate on the basis of principles of indivisible, equal and undiminished security and to these ends:

shall not undertake actions nor participate in or support activities that affect the security of the other Party;

shall not implement security measures adopted by each Party individually or in the framework of an international organization, military alliance or coalition that could undermine core security interests of the other Party.

Article 2

The Parties shall seek to ensure that all international organizations, military alliances and coalitions in which at least one of the Parties is taking part adhere to the principles contained in the Charter of the United Nations.

Article 3

The Parties shall not use the territories of other States with a view to preparing or carrying out an armed attack against the other Party or other actions affecting core security interests of the other Party.

Article 4

The United States of America shall undertake to prevent further eastward expansion of the North Atlantic Treaty Organization and deny accession to the Alliance to the States of the former Union of Soviet Socialist Republics.

The United States of America shall not establish military bases in the territory of the States of the former Union of Soviet Socialist Republics that are not members of the North Atlantic Treaty Organization, use their infrastructure for any military activities or develop bilateral military cooperation with them.

Article 5

The Parties shall refrain from deploying their armed forces and armaments, including in the framework of international organizations, military alliances or coalitions, in the areas where such deployment could be perceived by the other Party as a threat to its national security, with the exception of such deployment within the national territories of the Parties.

The Parties shall refrain from flying heavy bombers equipped for nuclear or non-nuclear armaments or deploying surface warships of any type, including in the framework of international organizations, military alliances or coalitions, in the areas outside national airspace and national territorial waters respectively, from where they can attack targets in the territory of the other Party.

The Parties shall maintain dialogue and cooperate to improve mechanisms to prevent dangerous military activities on and over the high seas, including agreeing on the maximum approach distance between warships and aircraft.

Article 6

The Parties shall undertake not to deploy ground-launched intermediate-range and shorter-range missiles outside their national territories, as well as in the areas of their national territories, from which such weapons can attack targets in the national territory of the other Party.

Article 7

The Parties shall refrain from deploying nuclear weapons outside their national territories and return such weapons already deployed outside their national territories at the time of the entry into force of the Treaty to their national territories. The Parties shall eliminate all existing infrastructure for deployment of nuclear weapons outside their national territories.

The Parties shall not train military and civilian personnel from non-nuclear countries to use nuclear weapons. The Parties shall not conduct exercises or training for general-purpose forces, that include scenarios involving the use of nuclear weapons.

Article 8

The Treaty shall enter into force from the date of receipt of the last written notification on the completion by the Parties of their domestic procedures necessary for its entry into force.

Done in two originals, each in English and Russian languages, both texts being equally authentic. For the United States of America For the Russian Federation

***

Agreement on measures to ensure the security of The Russian Federation and member States of the North Atlantic Treaty Organization.

The Russian Federation and the member States of the North Atlantic Treaty Organization (NATO), hereinafter referred to as the Parties,

reaffirming their aspiration to improve relations and deepen mutual understanding,

acknowledging that an effective response to contemporary challenges and threats to security in our interdependent world requires joint efforts of all the Parties,

determined to prevent dangerous military activity and therefore reduce the possibility of incidents between their armed forces,

noting that the security interests of each Party require better multilateral cooperation, more political and military stability, predictability, and transparency,

reaffirming their commitment to the purposes and principles of the Charter of the United Nations, the 1975 Helsinki Final Act of the Conference on Security and Co-operation in Europe, the 1997 Founding Act on Mutual Relations, Cooperation and Security between the Russian Federation and the North Atlantic Treaty Organization, the 1994 Code of Conduct on Politico-Military Aspects of Security, the 1999 Charter for European Security, and the Rome Declaration « Russia-NATO Relations: a New Quality » signed by the Heads of State and Government of the Russian Federation and NATO member States in 2002,

have agreed as follows:

Article 1

The Parties shall guide in their relations by the principles of cooperation, equal and indivisible security. They shall not strengthen their security individually, within international organizations, military alliances or coalitions at the expense of the security of other Parties.

The Parties shall settle all international disputes in their mutual relations by peaceful means and refrain from the use or threat of force in any manner inconsistent with the purposes of the United Nations.

The Parties shall not create conditions or situations that pose or could be perceived as a threat to the national security of other Parties.

The Parties shall exercise restraint in military planning and conducting exercises to reduce risks of eventual dangerous situations in accordance with their obligations under international law, including those set out in intergovernmental agreements on the prevention of incidents at sea outside territorial waters and in the airspace above, as well as in intergovernmental agreements on the prevention of dangerous military activities.

Article 2

In order to address issues and settle problems, the Parties shall use the mechanisms of urgent bilateral or multilateral consultations, including the NATO-Russia Council.

The Parties shall regularly and voluntarily exchange assessments of contemporary threats and security challenges, inform each other about military exercises and maneuvers, and main provisions of their military doctrines. All existing mechanisms and tools for confidence-building measures shall be used in order to ensure transparency and predictability of military activities.

Telephone hotlines shall be established to maintain emergency contacts between the Parties.

Article 3

The Parties reaffirm that they do not consider each other as adversaries.

The Parties shall maintain dialogue and interaction on improving mechanisms to prevent incidents on and over the high seas (primarily in the Baltics and the Black Sea region).

Article 4

The Russian Federation and all the Parties that were member States of the North Atlantic Treaty Organization as of 27 May 1997, respectively, shall not deploy military forces and weaponry on the territory of any of the other States in Europe in addition to the forces stationed on that territory as of 27 May 1997. With the consent of all the Parties such deployments can take place in exceptional cases to eliminate a threat to security of one or more Parties.

Article 5

The Parties shall not deploy land-based intermediate- and short-range missiles in areas allowing them to reach the territory of the other Parties.

Article 6

All member States of the North Atlantic Treaty Organization commit themselves to refrain from any further enlargement of NATO, including the accession of Ukraine as well as other States.

Article 7

The Parties that are member States of the North Atlantic Treaty Organization shall not conduct any military activity on the territory of Ukraine as well as other States in the Eastern Europe, in the South Caucasus and in Central Asia.

In order to exclude incidents the Russian Federation and the Parties that are member States of the North Atlantic Treaty Organization shall not conduct military exercises or other military activities above the brigade level in a zone of agreed width and configuration on each side of the border line of the Russian Federation and the states in a military alliance with it, as well as Parties that are member States of the North Atlantic Treaty Organization.

Article 8

This Agreement shall not affect and shall not be interpreted as affecting the primary responsibility of the Security Council of the United Nations for maintaining international peace and security, nor the rights and obligations

of the Parties under the Charter of the United Nations.

Article 9

This Agreement shall enter into force from the date of deposit of the instruments of ratification, expressing consent to be bound by it, with the Depositary by more than a half of the signatory States. With respect to a State that deposited its instrument of ratification at a later date, this Agreement shall enter into force from the date of its deposit.

Each Party to this Agreement may withdraw from it by giving appropriate notice to the Depositary. This Agreement shall terminate for such Party [30] days after receipt of such notice by the Depositary.

This Agreement has been drawn up in Russian, English and French, all texts being equally authentic, and shall be deposited in the archive of the Depositary, which is the Government of …

Done in [the city of …] this [XX] day of [XX] two thousand and [XX].

DOCUMENT : « Les inégalités tuent ». Rapport d’Oxfam en intégralité.

Rapport d’OXFAM, sous embargo jusqu’au 17 janvier 2022, 00h01 GMT.

Comme document de référence, voici l’intégralité de cet important rapport d’Oxfam.

Ci-dessous le résumé présenté par Oxfam :

« Depuis le début de la pandémie, le monde compte un nouveau milliardaire

toutes les 26 heures. Les dix hommes les plus riches du monde ont doublé

leur fortune, tandis que plus de 160 millions de personnes auraient basculé

dans la pauvreté. Parallèlement, quelque 17 millions de personnes sont

mortes de la COVID-19, un bilan humain sans précédent depuis la Seconde

Guerre mondiale.

Ce constat est le symptôme d’un malaise profond. Les inégalités fracturent

nos sociétés. La violence est au cœur de nos systèmes économiques. Les

inégalités tuent.

Les inégalités ont rendu cette pandémie de coronavirus plus mortelle, plus

longue et encore plus dommageable pour les moyens de subsistance. Au

final, les inégalités de revenus sont plus déterminantes que l’âge comme

facteur de risque de mourir de la COVID-199. Des millions de personnes seraient

encore en vie aujourd’hui si elles avaient été vaccinées. Pendant ce temps,

les grandes sociétés pharmaceutiques s’accrochent à leur monopole sur ces

technologies. Cet apartheid vaccinal sème la mort et aggrave les inégalités

dans le monde entier.

Plusieurs institutions comme le FMI, la Banque mondiale, le Crédit Suisse

et le Forum économique mondial ont toutes estimé que la pandémie avait

provoqué une flambée des inégalités partout dans le monde.

Les décès imputables à la pandémie sont plus nombreux parmi les personnes

racisées et les plus pauvres au monde. Dans certains pays, les personnes

les plus pauvres sont presque quatre fois plus susceptibles de mourir de la

COVID-19 que les plus riches. En Angleterre, pendant la deuxième vague, les

personnes d’origine bangladaise étaient cinq fois plus susceptibles de mourir

de la COVID-19 que la population britannique blanche.

Ces fractures actuelles trouvent leurs racines dans l’esclavage et le

colonialisme desquels le racisme découle. Le fossé entre les pays riches

et les pays pauvres devrait en outre se creuser pour la première fois en

une génération. Les personnes qui vivent dans les pays à revenu faible

ou intermédiaire sont environ deux fois plus susceptibles de mourir d’une

infection à la COVID-19 que celles vivant dans les pays riches.

Le fait qu’au moins 73 pays soient confrontés à la perspective d’une austérité

soutenue par le FMI risque d’aggraver les inégalités entre les pays, et

tous les types d’inégalités au sein des pays. Les droits des femmes et les

progrès en matière d’égalité de genre vont fortement pâtir de ces mesures

d’austérité dans un contexte de crise qui a déjà fait reculer d’une génération

entière l’objectif d’atteindre la parité (135 ans, contre 99 ans auparavant).

Cette situation est d’autant plus difficile que, dans de nombreux pays, les

femmes sont confrontées à un regain de violences basées sur le genre. Et

comme lors de chaque crise, elles doivent également absorber une somme

considérable de travail de soin non rémunéré qui les maintient au bas de

l’échelle de l’économie mondiale.

Le coût des profondes inégalités auxquelles nous sommes confronté·es se

traduit en vies humaines. Comme démontré dans le présent document, sur la

base d’estimations prudentes, les inégalités contribuent chaque jour à la mort

d’au moins 21 300 personnes.

Autrement dit, les inégalités contribuent à la mort d’au moins une personne

toutes les quatre secondes. »

Dear Representatives of China, France, Russia, the UK the USA and other States Parties to the NPT…

Lettre ouverte aux États parties au Traité de non-prolifération nucléaire

https://nofirstuse.global/fulfil-the-npt-from-nuclear-threats-to-human-security /

NoFirstUse Global est une nouvelle plateforme et coalition réunissant des organisations, des universitaires, des responsables politiques, des responsables et militants de la société civile agissant pour la mise en œuvre de politiques de non-utilisation en premier des armes nucléaires par les États qui en sont dotés.

Chers représentants de la Chine, de la France, de la Russie, du Royaume-Uni, des États-Unis et d’autres États parties au TNP,

Les armes nucléaires menacent les générations actuelles et futures. La sécurité qu’ils ont pu fournir au 20e siècle n’a pas sa place dans le monde d’aujourd’hui et de demain, qui lutte pour lutter contre la pandémie de COVID, stabiliser le climat, résoudre les conflits nationaux et internationaux de manière pacifique, protéger le cyberespace et faire progresser la sécurité humaine et les objectifs de développement durable.

Il est temps de commencer à éliminer progressivement le rôle des armes nucléaires dans les doctrines de sécurité et d’élaborer un plan pratique pour parvenir à la paix et à la sécurité d’un monde exempt d’armes nucléaires.

Lors de la dixième Conférence d’examen du Traité de non-prolifération (TNP-X) en janvier 2022, nous vous appelons à :

Lancer le processus visant à mettre définitivement fin à la course aux armements et à éliminer progressivement le rôle des armes nucléaires dans les doctrines de sécurité en soutenant l’adoption de politiques de non-utilisation en premier et l’arrêt de la fabrication d’armes nucléaires au plus tard lors de la 11e Conférence d’examen du TNP en 2025 ;

S’engager sur un calendrier au plus tard en 2045 pour remplir l’obligation de l’article VI de parvenir à l’élimination mondiale des armes nucléaires ;

Accepter d’adopter un plan concret pour mettre en œuvre cet engagement, notamment par la réduction systématique et progressive des arsenaux nucléaires, lors de la Conférence du désarmement ou de la 11e Conférence d’examen du TNP ;

Accepter de déplacer les budgets et les investissements publics de l’industrie de l’armement nucléaire pour soutenir à la place la santé publique, la stabilisation du climat et le développement durable.

Le TNP a été adopté en 1970 pour une durée fixe de 25 ans, après quoi il était prévu qu’il soit remplacé par un régime de désarmement nucléaire plus complet. Cela ne s’est pas produit.

En 1995, le TNP a été prorogé sur la base de trois engagements à court terme (progressifs) : parvenir à un traité d’interdiction complète des essais (TICE) d’ici 1996, négocier un traité sur les matières fissiles et établir de nouvelles zones exemptes d’armes nucléaires, en particulier dans le au Moyen-Orient – ​​et un engagement plus global des États dotés d’armes nucléaires à réduire les armes nucléaires dans un processus conduisant à leur élimination totale. Parmi ceux-ci, seul le TICE a été négocié et n’est pas encore entré en vigueur.

Il ne peut y avoir aucune excuse pour ne pas réaliser les trois engagements progressifs dans un proche avenir, et l’engagement plus global – l’élimination mondiale des armes nucléaires – dans les 25 prochaines années, sinon plus tôt.

Une mesure clé pour réduire le risque d’une guerre nucléaire et commencer à éliminer progressivement le rôle des armes nucléaires dans les doctrines de sécurité tout en maintenant la stabilité stratégique, est de s’engager à ne jamais déclencher une guerre nucléaire en adoptant des politiques de non-utilisation en premier (ou à but unique) et les contrôles opérationnels connexes.

L’option d’utiliser des armes nucléaires en premier dans un conflit, et les préparatifs pour permettre une telle première utilisation, aggravent les tensions et les risques, stimulent les contre-mesures telles que le déclenchement sur alerte, justifient les programmes de modernisation nucléaire et empêchent les négociations sur le désarmement nucléaire. Les options de première utilisation consistent littéralement à jouer avec le feu dans des situations très inflammables, et ont failli conduire au déclenchement d’une guerre nucléaire par erreur ou mauvais calcul.

Les déclarations unilatérales de non-utilisation en premier, les accords bilatéraux de non-utilisation en premier et/ou un accord multilatéral de non-utilisation en premier peuvent réduire ces risques. Nous félicitons la Chine et l’Inde d’avoir déjà adopté des politiques unilatérales de non-utilisation en premier et nous félicitons la Chine et la Russie d’avoir adopté un accord bilatéral de non-utilisation en premier. Celles-ci peuvent être suivies d’une restructuration des forces nucléaires et de contrôles opérationnels pour mettre en œuvre des politiques de non-utilisation en premier et pour renforcer la crédibilité et la confiance dans les politiques afin de réduire davantage les risques nucléaires.

Et plus important encore, l’adoption de politiques de non-utilisation en premier ou d’objectif unique pourrait ouvrir la porte aux États dotés d’armes nucléaires et à leurs alliés se joignant aux négociations pour l’élimination complète des armes nucléaires. Si les armes nucléaires sont nécessaires pour dissuader une série de menaces – pas seulement les armes nucléaires – alors les pays qui comptent sur la dissuasion nucléaire n’accepteront probablement pas d’éliminer les armes tant que ces autres menaces existent toujours. Cependant, si le seul but des armes nucléaires d’un pays est de dissuader contre les armes nucléaires d’autres, alors le pays peut accepter de se joindre à un processus de désarmement nucléaire vérifié tant que tous les autres pays dotés d’armes nucléaires y participent. Pour cette raison, les États parties au TNP doivent également s’engager avec les États qui ne sont pas parties (Inde, Israël, Corée du Nord et Pakistan) dans le processus de désarmement nucléaire.

Nous remercions les gouvernements de la Chine, de la France, de la Russie, du Royaume-Uni, des États-Unis et des autres États parties au TNP d’avoir examiné cette lettre, et nous sommes impatients de vous soutenir et de collaborer avec vous alors que vous adoptez ces politiques et que nous établissons conjointement la paix et sécurité d’un monde exempt d’armes nucléaires.

Organisations participantes (première liste)

Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire (France)

African Network of Young Leaders for Peace and Sustainable Development (Benin)

Agir pour la Paix (Belgium)

All Souls Nuclear Disarmament Task Force (USA)

American Voices Abroad Berlin (Germany)

Aotearoa Lawyers for Peace (New Zealand)

Atomic Reporters (Austria/International)

Baltimore Nonviolence Center (USA)

Bike for Peace (Norway/International)

Blue Banner (Mongolia)

Canadian Network to Abolish Nuclear Weapons (Canada)

Canadian Voice of Women for Peace (Canada)

Centre de Recherche et d’Information pour le Désarmement et la Sécurité (Belgium)

Citizens’ Nuclear Information Center (Japan)

Coalition for Nuclear Disarmament and Peace (India)

Danish National Group of Pugwash Conferences on Science and World Affairs (Denmark)

Danish Peace Academy (Denmark)

Detente Now! / Neue Entspannungspolitik JETZT! (Germany)

Environmentalists Against War (USA)

G100 – Group of 100 Global Women Leaders, Defence and Security Wing (India/International)

Global Directions (Australia)

Global Security Institute (USA)

The Global Sunrise Project (Canada)

Ground Zero Center for Nonviolent Action (USA)

Groupe de recherche sur la paix et la sécurité – GRIP (Belgium)

Hawai’i Institute for Human Rights (USA)

Human Survival Project (Australia)

ICV (Investment Community Visibility) Group (USA)

Initiatives pour le désarmement nucléaire (France)

International Fellowship of Reconciliation – Austrian Branch (Austria)

International Forum for Understanding (UK)

International Peace Research Institute Meiji Gakuin University – PRIME (Japan)

International Physicians for the Prevention of Nuclear War – IPPNW Canada (Canada)

International Physicians for the Prevention of Nuclear War – IPPNW Norway (Norway)

International Physicians for the Prevention of Nuclear War – IPPNW Poland (Poland)

Iron Curtain Foundation (Czech Republic)

Kingston Peace Council/CND (UK)

LABRATS – Legacy of the Atom Bomb, Recognition for Atomic Test Survivors (UK/International)

Maryknoll Office for Global Concerns (USA)

National Alliance of Anti-nuclear Movements (India)

Normandy Chair for Peace (France)

Norske leger mot atomvåpen – IPPNW Norway (Norway)

NuclearWakeUpCall.Earth (USA)

Pax Christi Austria (Austria)

Pax Christi Scotland (Scotland)

Pax Christi USA (USA)

Peace Action (USA)

Peace Action Maine (USA)

Peace Women Across the Globe (Switzerland/International)

Physicians for Social Responsibility / IPPNW Switzerland (Switzerland)

Pugwash Canada Group (Canada)

Pugwash France (France)

Pugwash Japan (Japan)

Pugwash Norway (Norway)

Scientists for Global Responsibility (Australia)

Scientists for Global Responsibility (UK)

Spanish Society for International Human Rights Law (Spain)

Sydney Peace & Justice Coalition (Australia)

Tri-Valley CAREs (USA)

Turkish Council of Women (Turkey)

United Nations Youth Associations Network (International)

Uniting for Peace (UK)

Veterans for Peace (USA)

Voices for a World Free of Nuclear Weapons (USA/International)

War Prevention Initiative (USA)

We, The World (USA/International)

Women Against War (USA)

Women for Peace and Ecology (Germany)

Women’s Action for New Directions (USA)

World Academy of Arts and Science (International)

World Conference on Religion and Peace (Japan/International)

World Federalist Movement Canada (Canada)

World’s Youth for Climate Justice (International)

Youth Fusion (International)

Encore sur l’Afghanistan… et sur l’attitude de la France

Quand le Conseil de sécurité veut « faciliter » l’aide humanitaire pour le peuple afghan… La vérité sur la résolution No 2615(2021) et sur l’attitude de la France. 23 décembre 2021

La presse nous informe que le Conseil de sécurité de l’ONU, le 22 décembre, a adopté à l’unanimité une résolution – No 2615(2021) – facilitant l’aide humanitaire à l’Afghanistan. Il faudrait croire, alors, que maintenant tout va bien pour ce pays. Pourtant, toutes les grandes ONG internationales nous disent qu’il est au bord de l’effondrement économique et social, que le peuple afghan traverse une crise alimentaire et sanitaire majeure. Cette crise a pris une dimension structurelle. Elle met la vie de centaines de milliers d’enfants en péril dans un contexte terrible où la famine se développe, où le système de santé est en train de craquer…

Non, rien n’est réglé en Afghanistan. Et les informations qui nous sont données quant à cette résolution, sont partielles voire partiales.

Ce qu’il faut savoir :

1- Cette résolution 2615(2021) qui facilite l’arrivée de l’aide humanitaire (c’est une très bonne chose) ne lève pas la globalité des sanctions et ne supprime pas la précédente résolution du 17 décembre qui les impose.

2- Les Talibans ont accueilli favorablement cette résolution 2615(2021) du 22 décembre parce qu’elle accorde des exemptions aux sanctions. La situation est tellement grave qu’ils ne peuvent guère faire autrement, même si l’avancée reste limitée. Ils sont demandeurs. Ils ont d’ailleurs autorisé (sinon suscité), le 21 décembre à Kaboul, une manifestation demandant le dégel des avoirs afghans à l’étranger. Cette réaction des Talibans donne raison au Secrétaire général de l’ONU qui a plaidé pour que l’aide puisse servir de moyen de pression sur les Talibans, afin d’obliger ceux-ci à s’engager dans le respect des droits humains. Le Secrétaire général de l’ONU a cherché a enclencher des processus pour ouvrir des issues, alors que le Conseil de sécurité a d’abord opté pour un blocage total.

3- La résolution qui accorde ces exemptions a été âprement négociée, sous coordination américaine, entre les principales puissances membres permanents du Conseil. La Chine et la Russie ont poussé afin de ne pas limiter l’accès du peuple afghan à l’aide humanitaire. Avec l’Inde, la France a fait exactement l’inverse. Elle a adopté une attitude de fermeture très dure dans le droit fil de ce qu’elle a fait précédemment. Les États-Unis ont imposé un compromis pour pouvoir aboutir à un résultat.

4- L’attitude de la France est en question. Lors de l’adoption de cette résolution 2615(2021) la représentante de la France (Mme Sheraz Gasri) a donné plusieurs « précisions » dans son explication de vote. Il vaut la peine de s’y attarder. La France estime ainsi que c’est une « erreur » d’avoir élargi de 6 mois (proposition française) à 1 an la limite de temps (ou de durée) affectée aux exemptions à vocation humanitaire. Comme si les acteurs de l’humanitaire pouvaient gérer les processus complexes de l’aide dans des périodes si courtes… Mais surtout, la représentante de la France a souligné ceci : « Enfin, je tiens à préciser que cette exemption humanitaire exclut les activités de développement. Elle couvre exclusivement l’assistance humanitaire et les autres activités soutenant les besoins humains de base. Les Talibans, qui portent la responsabilité de la détérioration de cette situation humanitaire et du risque économique du pays, ne sauraient bénéficier de soutiens budgétaires directs ».

Cette « explication » est fallacieuse. Ce sont essentiellement les sanctions qui ont conduit le pays au bord du précipice. Les difficultés existantes issues de 40 années de guerre, qui ont produit les Talibans et les djihadistes, se sont transformées en effondrement économique et social et en crise globale majeure. Ce que dit la représentante française est aussi incompréhensible parce qu’il y a, à la clé, la volonté explicite de limiter l’aide à l’urgence et aux besoins de base dont la satisfaction (absolument nécessaire) ne permettra pas d’enclencher des processus de développement plus durables et plus structurels… tout aussi indispensables pour sortir le peuple afghan du désastre actuel. Enfin, cette limite aux formes d’aides est inacceptable car elle pourra servir à légitimer une poursuite des sanctions du FMI et de la Banque mondiale. Au final, le peuple afghan sera très partiellement soulagé, mais toujours financièrement étranglé.

Dans cette grave affaire qui concerne un pays de 40 millions d’habitants et un peuple dans une situation de catastrophe sociale, l’attitude française s’est révélée particulièrement scandaleuse. Je publie ci-dessous un rapport du Conseil de sécurité (traduction adaptée de Google) qui montre comment se sont déroulées les négociations préalables à l’adoption de la résolution 2615(2021). Ce texte est très éloquent et accusateur quant aux choix politiques des uns et des autres.

La France se dit favorable au multilatéralisme, et ne cesse de se référer à l’ONU, mais elle montre ici le peu de cas qu’elle fait de l’action juste du Secrétaire général des Nations-Unies et des valeurs de solidarité qui devraient s’imposer. Remarquons que l’on peut constater cette même attitude française de fermeture quant à d’autres problématiques, la question de Palestine par exemple. La politique étrangère de la France, de plus en plus ultralibérale et fondée sur les paradigmes de la force et de la puissance, est sérieusement en question.

***

Voici un rapport du Conseil de Sécurité explicitant les négociations ayant porté sur la résolution No 2615(2021) facilitant l’aide humanitaire à l’Afghanistan.

« What’s In Blue » – Security Council Report

Ce que veut dire « what’s in blue » : lorsque le Conseil de sécurité approche de la dernière étape de la négociation d’un projet de résolution, le texte est imprimé en bleu. What’s In Blue est une série d’informations sur l’évolution des actions du Conseil de sécurité conçues pour aider les lecteurs intéressés de l’ONU à se tenir au courant de ce qui pourrait bientôt être « en bleu »…

« Afghanistan : Vote sur la résolution de 1988 sur les sanctions »

Publié mardi 21 décembre 2021

« Demain matin (22 décembre), le Conseil de sécurité devrait voter sur un projet de résolution sur le régime 1988 de sanctions en Afghanistan, qui traite de la fourniture d’une aide humanitaire à l’Afghanistan.

Le projet de texte en bleu détermine que « l’assistance humanitaire et d’autres activités qui répondent aux besoins humains fondamentaux en Afghanistan » ne constitueront pas une violation du paragraphe 1 (a) de la résolution 2255 du 22 décembre 2015, qui interdit la fourniture de fonds, d’actifs financiers, ou des ressources économiques à des personnes inscrites sous le régime 1988 de sanctions visant l’Afghanistan. Il indique l’intention du Conseil de « réexaminer la mise en œuvre de cette disposition après une période d’un an ». Le projet de résolution en bleu demande également au Coordonnateur des secours d’urgence d’OCHA (Bureau de coordination des affaires humanitaires) d’informer le Conseil de sécurité tous les six mois sur l’acheminement de l’aide humanitaire à l’Afghanistan, y compris sur les versements de fonds à des personnes ou entités désignées, sur les détournements de fonds par ces personnes et entités, et sur les obstacles à l’octroi de l’aide.

Contexte

À la suite de la prise du pouvoir par les talibans, plusieurs personnes désignées sur la liste des sanctions 1988 sont désormais responsables de ministères de facto ou bien d’autres entités gouvernementales de facto avec lesquelles les organisations humanitaires ont régulièrement des transactions. Une importante incertitude, quant à la conformité de ces transactions avec le régime de sanctions 1988, a entraîné des difficultés opérationnelles pour les organisations humanitaires qui fournissent une aide à la population afghane, notamment en empêchant leur accès aux financements des donateurs.

Plusieurs interlocuteurs ont régulièrement fait savoir au Conseil qu’il était urgent de remédier à la situation humanitaire désastreuse en Afghanistan. Le dernier rapport sur la classification intégrée de la phase de sécurité alimentaire (IPC) sur l’Afghanistan, qui a été publié le 25 octobre, a averti que 22,8 millions d’Afghans seront confrontés à des niveaux de crise ou d’urgence d’une insécurité alimentaire aiguë entre novembre 2021 et mars 2022, soit une augmentation de 35 pour cent par rapport à la même période de l’année précédente. Le 13 septembre, le Secrétaire général a lancé un appel rapide (flash appeal ») demandant 606 millions de dollars pour la fourniture d’une aide humanitaire à 11 millions d’Afghans dans plusieurs secteurs différents, notamment la sécurité alimentaire et l’agriculture, l’éducation en situations d’urgence, l’eau, l’assainissement et l’hygiène, la santé, la nutrition, et la protection.

Le 22 novembre l’Afghanistan Inter-Cluster Coordination Team Real-Time Response Overview d’OCHA (rapport de situation produit par l’OCHA en relation avec les acteurs humanitaires) , qui vise à fournir un résumé des activités humanitaires menées dans chacun des secteurs identifiés dans l’appel rapide du Secrétaire général, appelle à l’exclusion « des transactions et autres activités requis pour les opérations humanitaires… du champ d’application des régimes de sanctions pour permettre aux activités humanitaires de se poursuivre sans entrave ». Dans un exposé présenté au Comité des sanctions 1988 le 30 novembre, des représentants d’OCHA, du Programme alimentaire mondial (PAM) et du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ont apparemment donné un aperçu détaillé des difficultés rencontrées par les organisations humanitaires en Afghanistan en raison des obligations imposées par le régime 1988 de sanctions.

Négociations

Les négociations sur le projet de résolution qui a été proposé par les États-Unis – le « porte-plume » sur le dossier des sanctions contre l’Afghanistan – ont été apparemment difficiles. Il semble que la Chine se soit interrogée sur la nécessité même d’une résolution, et a suggéré qu’une note d’orientation technique du Comité des sanctions 1988 contre l’Afghanistan, ou une déclaration présidentielle du Conseil de sécurité confirmant que les sanctions 1988 ne s’appliquent pas aux activités humanitaires, pourraient être plus appropriées. La Russie a apparemment soutenu la position de la Chine. En outre, de fortes divisions sont apparues au cours des négociations entre les membres favorables à ce que les dispositions de la résolution s’inscrivent dans une courte limite de temps et à des exigences de contrôle plus strictes – comme la France et l’Inde -, et ceux qui ne voulaient pas d’un délai fixe concernant les dispositions de la résolution, comme la Chine et la Russie.

Les États-Unis ont fait circuler l’avant-projet de résolution le 3 décembre et ont convoqué un premier cycle de négociations le 6 décembre. Un projet amendé a été distribué avant le deuxième cycle de négociations, qui a eu lieu le 8 décembre. Les États-Unis ont ensuite placé un projet révisé sous silence le 10 décembre, jusqu’au 13 décembre. Le silence a été brisé par la Chine, la France, l’Inde et la Russie. Les États-Unis ont mené des négociations bilatérales avec la Chine et la Russie et ont convoqué un nouveau cycle de négociations avec tous les membres du Conseil vendredi 17 décembre. Un projet amendé, qui répondait apparemment à certaines des préoccupations de la Chine et de la Russie, a été mis sous silence samedi (18 décembre) jusqu’à hier (20 décembre). Le silence a été brisé par la Chine, la France, le Royaume-Uni et la Russie. Les États-Unis ont ensuite placé un projet révisé, qui répondait apparemment à certaines des préoccupations exprimées par la France et le Royaume-Uni, en bleu aujourd’hui (21 décembre) vers 17 h 00 HNE (heure normale de l’Est). Ce projet était apparemment inacceptable pour la Chine, et après de nouvelles négociations bilatérales, les États-Unis ont mis un projet révisé en bleu, qui incorporait la proposition de la Chine, vers 18 heures HNE.

Il semble que l’un des principaux désaccords au cours des négociations ait porté sur le délai d’exemption. L’avant-projet du texte imposait apparemment un délai de neuf mois. Certains membres, tels que la Chine et la Russie, ont fait valoir que l’exemption ne devrait pas être soumise à une limite de temps, affirmant qu’une restriction temporelle n’offrirait pas la prévisibilité et la flexibilité dont les organisations humanitaires ont besoin pour fonctionner efficacement. Ces membres ont également exprimé l’avis que si le Conseil décidait d’imposer un délai, une période de 12 mois serait plus appropriée. D’autres membres, dont la France, l’Estonie, l’Inde et le Royaume-Uni, ont plaidé pour un délai plus court de six mois. Ces membres ont soutenu que le Conseil devrait revoir l’exemption dans un délai plus court en raison de la nature dynamique de la situation sur le terrain. Un projet de résolution qui a été mis en bleu par les États-Unis aujourd’hui (21 décembre) à 17 h 00 HNE a établi une limite de 12 mois pour l’exemption. Cependant, cela était apparemment inacceptable pour la Chine et après de nouvelles négociations bilatérales, un nouveau projet a été mis en bleu par les États-Unis environ une heure plus tard. Ce projet, qui sera voté demain, ne fixe pas de limite de temps à l’exemption. Il contient un libellé supplémentaire indiquant que le Conseil « examinera la mise en œuvre de cette disposition après une période d’un an ».

Il semble que la fréquence de l’exigence de rapport sur la fourniture d’aide humanitaire par les agences humanitaires a été un autre sujet de discussion au cours des négociations. L’avant-projet demandait au Coordonnateur des secours d’urgence d’informer le Conseil dans les 60 jours et de fournir un rapport écrit tous les 60 jours jusqu’à l’expiration de la résolution. Une autre itération du projet de texte a demandé à OCHA de fournir un compte rendu distinct et plus détaillé au Comité des sanctions 1988, en plus de son rapport au Conseil.

Il semble que certains membres du Conseil ont fait valoir qu’une surveillance stricte est nécessaire car les fonds humanitaires pourraient être détournés vers des groupes terroristes. Il semble que ces membres du Conseil voulaient également s’assurer que des exigences de déclaration obligatoires soient imposées aux organisations humanitaires non onusiennes invoquant l’exemption. D’autres membres se sont opposés à ces exigences de déclaration au motif qu’elles créent une charge excessive pour les organisations humanitaires. Dans un compromis apparent, il a été décidé que l’OCHA assumerait la responsabilité principale de faire rapport sur l’aide humanitaire en Afghanistan durant le temps de l’exemption. De plus, il semble que le délai de présentation de ces rapports ait été prolongé pour répondre aux préoccupations des membres du Conseil qui soutenaient que les exigences en matière de rapport étaient trop onéreuses.

Le langage relatif aux droits de l’homme fut apparemment un autre sujet de discussion au cours des négociations. Le projet de texte en bleu comprend un paragraphe opérationnel qui appelle toutes les parties à respecter les droits humains de « tous les individus, y compris les femmes, les enfants et les personnes appartenant à des minorités, et à se conformer à leurs obligations applicables en vertu du droit international humanitaire ». Il exige en outre que toutes les parties autorisent un accès humanitaire sans entrave pour « le personnel des agences humanitaires des Nations Unies et d’autres acteurs humanitaires, sans distinction de sexe ». Cette disposition a été fortement soutenue par plusieurs membres du Conseil, dont des membres européens du Conseil et le Mexique. Cependant, d’autres membres ont apparemment soutenu que ce langage pourrait politiser la fourniture d’aide humanitaire. Malgré les objections de ces membres, la formule a été retenue dans le projet de texte en bleu.

Il semble qu’au cours des négociations, la Chine et la Russie aient soutenu que l’exemption devrait inclure l’aide humanitaire bilatérale. Par conséquent, une itération du projet de résolution spécifiait apparemment que les « États membres » étaient inclus dans le champ d’application de l’exemption pour tenir compte de cette proposition. Cependant, cette formulation n’a finalement pas été retenue dans le projet de texte en bleu. Il semble que d’autres membres aient estimé que la référence du texte à « l’assistance humanitaire et d’autres activités qui soutiennent les besoins humains fondamentaux » englobe toutes les dispositions d’aide pertinentes, y compris celle fournie par les États membres.

Une proposition des États-Unis d’inclure une disposition permettant au Comité des sanctions 1988 d’exempter au cas par cas l’aide au développement à l’Afghanistan était apparemment inacceptable pour les autres membres et n’a pas été retenue. Il semble que les États-Unis aient soutenu que certaines aides au développement qui peuvent faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire en Afghanistan, comme l’aide à la réparation des plaques tournantes des transports, devraient également être exemptées des obligations imposées par le régime de sanctions de 1988. Cependant, certains membres ont estimé que cette disposition pourrait élargir la portée de la résolution trop loin au-delà de la fourniture d’aide humanitaire et elle n’a pas été incluse dans le projet de texte en bleu. »

Afghanistan : c’est un peuple qu’on assassine.

Depuis des semaines, des informations et des alertes insistantes se multiplient quant à l’exacerbation inquiétante, en Afghanistan, d’une crise humanitaire, sociale, économique et financière… en réalité une crise brutale et globale. Un véritable désastre humain et social d’une ampleur inédite est en train de détruire ce pays. Le peuple afghan en paie le prix. Certes, les difficultés afghanes ne datent pas d’aujourd’hui. Mais ce qui se passe actuellement n’est pas seulement la continuité d’un lourd passé de guerres. Le retour des Talibans au pouvoir fait évidemment naître de nouveaux problèmes touchant à l’essentiel, en particulier aux droits sociaux, aux droits humains, notamment pour les femmes et pour les filles, touchant au carcan idéologique et à la violence répressive, arbitraire et souvent cruelle des Talibans… (1). Le présent et l’avenir du pays sont sérieusement mis en question par ce très problématique pouvoir de facto, lui-même produit direct de la guerre.

Dans un rapport à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité, Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, souligne que « des défis qui se chevauchent, y compris la sécheresse, l’intensification des conflits entraînant de nouveaux déplacements et une troisième vague de pandémie de Covid-19, ont laissé près de la moitié de la population afghane en détresse humanitaire en 2021 » (2). Il est vrai que plus de 4 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays, et beaucoup peinent à résister dans des conditions de détresse. Dans ce même rapport, le Secrétaire général souligne que les populations afghanes « sont peut-être confrontées à leur heure la plus périlleuse ». L’Afghanistan est au bord du précipice.

On aurait du mal à se représenter les réalités quotidiennes vécues par le peuple afghan si les chiffres annoncés par l’ONU et par certaines ONG n’étaient pas suffisamment éloquents pour donner une idée des conditions de vie, ou plutôt de survie endurées par ce peuple. L’ONU a déclaré, en octobre 2021, que 18 millions d’habitants (sur une population d’environ 40 millions) sont menacés par la crise humanitaire. Sans nourriture, sans emploi, sans protection de leurs droits essentiels… Seuls 5 % des ménages ont assez à manger chaque jour, et plus de la moitié des enfants et des moins de 5 ans souffrent de malnutrition aiguë. Un rapport du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), publié le 9 septembre, a révélé que 97 % des Afghans pourraient tomber sous le seuil de pauvreté d’ici à la mi-2022.

Pour l’Agence FIDES (organe d’information lié au Vatican), c’est 23 millions de personnes qui ont un besoin urgent de nourriture, « ce qui pourraient entraîner la mort d’un million d’enfants à la fin de cet hiver » (3). Le Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU précise que « de nombreuses mères ont du mal à allaiter leur enfant parce qu’elle sont elles-mêmes sous-alimentées » (4). Avec la pauvreté extrême, la mendicité, le recul drastique de la scolarité, le travail des enfants se développe. Ainsi que les mariages d’enfants, et même des ventes d’enfants… Deborah Lyons, Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU pour l’Afghanistan et Chef de la Mission d’assistance des Nations-Unies en Afghanistan (MANUA), parle d’une « catastrophe humanitaire ». Ce que montre toute l’évolution dramatique actuelle, avec notamment l’effondrement critique des services de santé, de l’alimentation, des services sociaux existants… Dans un tel contexte, les maladies potentiellement mortelles s’accroissent, l’environnement se dégrade fortement, en particulier à Kaboul avec la pollution de la rivière qui traverse la ville. Selon l’UNICEF, huit Afghans sur dix boivent de l’eau contaminée par des bactéries (5).

Devant le Conseil de sécurité, Deborah Lyons décrit la situation avec réalisme (6). Elle ne cache pas l’extrême gravité de ce qui est en train de se passer. Et puis, avec beaucoup de pertinence, elle pose une juste question : « la nouvelle réalité est que la vie de millions d’afghans dépendra de la façon dont les Talibans choisiront de gouverner. Mais nous devons aussi nous demander : que pouvons-nous faire et que devons-nous faire ? Les réponses que j’ai pour vous ne sont pas agréables… ». Dans ce rapport introductif Mme Lyons soulève très opportunément la question décisive des sanctions. Nous sommes alors le 9 septembre 2021.

On sait qu’il y a les sanctions internationales votées à l’ONU et dites « ciblées » ou ad hominem. Ce régime de sanctions est en application depuis des années contre les personnes et les entités désignées comme Talibans. Certaines visent aujourd’hui le Premier ministre du gouvernement taliban, deux vice-Premiers ministres et le Ministre des affaires étrangères. A l’évidence, ces sanctions pèsent sur la gestion économique du pays.« Vous devez décider – dit alors la représentante spéciale devant le Conseil – des mesures à prendre concernant la liste des sanctions et leur impact sur notre engagement futur ». Elle ajoute immédiatement : « la résolution de cette crise ne peut pas attendre les décisions politiques concernant la levée des sanctions. Des millions d’Afghans ordinaires ont désespéramment besoin d’aide »… Deborah Lyons dit ici clairement que les sanctions internationales votées à l’ONU doivent être levées dans l’urgence.

Les questions pertinentes de Madame Deborah Lyons

Deborah Lyons soulève le problème d’autres sanctions « ciblées » qui sont décidées par certains États. Elle pointe aussi « les milliards d’avoirs et de fonds ayant été gelés afin de peser sur l’administration talibane ». Les États-Unis ont effectivement verrouillé environ 9,5 milliards de dollars d’actifs appartenant à la Banque centrale afghane. Quant à l’Union européenne, elle s’est alignée en retirant 1,2 milliard d’euros correspondant à une aide d’urgence et au développement prévue pour la période 2021-2025. Une aide destinée aux secteurs de la santé, de l’agriculture et du maintien de l’ordre. Selon Amnesty International, le retrait de l’Union européenne a précipité la fermeture immédiate d’au moins 2000 centres de soins (7).

Enfin, la Banque mondiale et le FMI ont eux aussi immédiatement gelé des fonds initialement prévus pour l’Afghanistan. Le FMI a annoncé le 18 août 2021 avoir suspendu l’accès de Kaboul à ses ressources financières, et avoir bloqué environ 450 millions de dollars de réserves monétaires prévues pour ce pays. La Banque mondiale a fait de même, mais elle a récemment notifié une aide humanitaire de 250 millions de dollars. Il reste que les aides internationales représentent 43 % du PIB afghan, et environ 75 % de ses dépenses publiques. Il faudra donc un engagement des États et des institutions financières d’une tout autre dimension. Enfin, grâce à une grande conférence ministérielle internationale organisée à Genève par le Secrétaire général des Nations-Unies, 1 milliard de promesses de dons humanitaires ont été réunies le 13 septembre dernier. On verra ce qu’il en adviendra…

Deborah Lyons souligne l’effet inévitable de ce qui, dans la réalité, constitue une politique de blocage financier complet et de refus d’assistance : « un grave ralentissement économique qui pourrait plonger des millions de personnes dans la pauvreté et la faim, générer une vague massive de réfugiés afghans et, dans les faits, contribuer à faire reculer l’Afghanistan pour des générations ». Dans ce contexte, les banques privées n’ont plus de liquidités à distribuer. En conséquence, « même les Afghans possédant des actifs ne peuvent y accéder ». Deborah Lyons explique enfin que l’Afghanistan étant fortement tributaire des importations, ce pays sera dans l’incapacité de financer ses besoins en nourriture, médicaments, carburant, électricité… « Un modus vivendi doit être trouvé, et rapidement, qui permette à l’argent d’affluer vers l’Afghanistan pour éviter un effondrement total de l’économie et de l’ordre social », dit encore la Représentante spéciale du Secrétaire général.

On comprend aisément l’enjeu. Pour éviter l’effondrement total, les principales puissances impliquées (États-Unis et Union européenne en particulier. La Chine et la Russie ayant un positionnement sensiblement différent) doivent résolument changer de trajectoire politique : ouvrir un dialogue concret et déterminé avec le gouvernement des Talibans, lever immédiatement l’ensemble des sanctions, augmenter les aides humanitaires rapidement, de façon inconditionnelle, et bien au-delà de se qui se fait actuellement, faciliter l’instauration d’un climat politique minimum pour que l’ONU et les ONG puissent faire leur travail. Antonio Guterres a d’ailleurs rappelé que l’aide humanitaire peut être un moyen de faire pression sur les décisions des Talibans afin d’aider au respect des droits humains, « en tirant avantage de cette aide humanitaire pour pousser à la mise en œuvre de ces droits ». Les Talibans ont d’ailleurs besoin d’une respectabilité afin d’obtenir l’aide internationale nécessaire. Bref, l’appel des Nations-Unies et de son Secrétaire général est très clair : il y a urgence à prendre des décisions sérieuses pour enrayer immédiatement les conséquences dévastatrices de la politique actuelle de sanctions. Celles-ci doivent être levées.

Pourtant, le 17 décembre dernier, tout en se prévalent de « la paix, la stabilité et la sécurité en Afghanistan », le Conseil de sécurité, dédaignant totalement l’urgence sociale, a décidé à l’unanimité, donc avec l’appui de la France (8), de reconduire le régime de sanctions. Nul ne peut prétendre qu’à cette date du 17 décembre les membres du Conseil n’étaient pas suffisamment informés sur les réalités de la catastrophe en cours en Afghanistan. C’est un choix. Un choix inacceptable et irresponsable.

Au retour d’une visite de six jours en Afghanistan, le Directeur des opérations du Comité international de la Croix Rouge (CICR), Dominik Stillhart s’indigne. Avec véhémence, il dit : « je suis hors de moi. En regardant ces photos d’enfants afghans squelettiques depuis l’étranger, on ne peut qu’éprouver un sentiment d’horreur bien compréhensible. Mais quand vous vous trouvez dans le service pédiatrique du plus grand hôpital de Kandahar, et que vous plongez votre regard dans les yeux vides d’enfants affamés, entourés de leurs parents désespérés,c’est la colère qui prédomine » (9). Avec force, ce directeur du CICR lui aussi dénonce les sanctions qui « ruinent l’économie et entravent également l’aide bilatérale ».

On se demande combien de temps faudra-t-il encore attendre pour que la dignité humaine et le respect du peuple afghan finissent par l’emporter. Et comment ne pas comprendre que ce choix injustifiable de proroger les sanctions va conforter l’argument des djihadistes et favoriser le terrorisme. Il est donc indispensable, dès maintenant, de lever ces sanctions. Et de contribuer ainsi à susciter un espoir dans cet État déliquescent, dans ce pays profondément déstabilisé, cette société brutalisée par 40 années de guerres, d’occupations et d’ingérences étrangères.

Le choix de la prorogation des sanctions constitue, à l’évidence, une sorte de scandaleux blanc-seing pour l’ensemble des gouvernements et des institutions financières : peu importe le désastre humain et social en cours pourvu que l’on puisse étouffer l’économie afghane et le régime taliban, et ainsi, malgré la débâcle américaine et occidentale, continuer à dicter les choix à faire et la voie à suivre dans l’ordre international. Et rendre plus difficile les engagements russes et chinois dans ce pays (10)… Le cynisme atteint des sommets. Les logiques de puissance ne connaissent ni les droits humains, ni le multilatéralisme porté par les Nations-Unies. Et encore moins l’exigence d’éthique en politique. L’indécence culmine. C’est un peuple qu’on assassine.

Des enfants vont donc mourir. Le peuple afghan, seul, va continuer à payer cette irresponsabilité fondamentale. Certains l’auront décidé. D’autres auront laisser faire… Les plus hypocrites se font discrets ou se taisent alors que la catastrophe humaine est déjà là. C’est l’attitude officielle de la France. Honte sur vous. (20 12 2021)

1) Voir par exemple « Afghanistan. Reportage à la prison de Kandahar, où s’applique la charia version taliban », Pierre Barbancey, L’Humanité, 15 décembre 2021. https://www.humanite.fr/monde/afghanistan/afghanistan-reportage-la-prison-de-kandahar-ou-sapplique-la-charia-version

2) « The situation in Afghanistan and its implications for international peace and security », Report of the Secretary General, General Assembly / Security Council, 2 September 2021. https://unama.unmissions.org/sites/default/files/sg_report_on_afghanistan_september_2021.pdf

3) « Sans aide étrangère, la situation sociale risque de dégénérer en conflit civil et en catastrophe humanitaire », FIDES, 17 novembre 2021. http://www.fides.org/fr/news/71326-ASIE_AFGHANISTAN_Une_crise_alimentaire_grave_23_millions_de_personnes_dans_le_besoin

4) « L’Afghanistan au bord du gouffre », UNHCR, 2 décembre 2021. https://www.unhcr.org/spotlight/fr/2021/12/lafghanistan-au-bord-du-gouffre/

5) « En Afghanistan, la malnutrition menace les enfants en silence », UNICEF, 8 décembre 2021. https://www.unicef.fr/article/en-afghanistan-la-malnutrition-menace-les-enfants-en-silence

6) « Exposé de la représentante spéciale Deborah Lyons au Conseil de sécurité », New York, 9 septembre 2021. https://unama.unmissions.org/briefing-special-representative-deborah-lyons-security-council-5

7) « Afghanistan. Il faut permettre l’accès à des fonds afin d’éviter une catastrophe humanitaire », Amnesty International, 23 novembre 2021. https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/11/afghanistan-country-must-have-access-to-funds-to-avoid-humanitarian-disaster/

8) Voir « Les sanctions sont un outil essentiel du Conseil de sécurité », Intervention de Mme Sheraz Gasri, coordinatrice politique de la France auprès des Nations-Unies au Conseil de sécurité, New York, 2 décembre 2021. Dans cette consternante intervention, la représentante de la France prétend que « ces sanctions ont prouvé leur efficacité et il convient de les préserver ». https://onu.delegfrance.org/terrorisme-les-sanctions-sont-un-outil-essentiel-du-conseil-de-securite

9) « Déclaration de Dominik Stillhart, directeur des opérations du Comité international de la Croix-Rouge à l’issue d’une visite de six jours en Afghanistan », CICR, 22 novembre 2021. https://www.icrc.org/fr/document/afghanistan-une-catastrophe-humanitaire-pourtant-evitable

10) Voir sur ce blog « Afghanistan : de quelle défaite parle-t-on ? », J.Fath, 23 août 2021. https://jacquesfath.international/

Emmanuel Macron sur TF1 : la question de l’anticipation et de la dissimulation.

Dans son entretien de deux heures, mercredi 15 décembre sur TF1, Emmanuel Macron aura bien profité de la complaisance qu’on lui a servie sur un plateau, et à domicile… si l’on peut dire. Bien des critiques ont ensuite souligné l’illégitimité de cette préemption politico-médiatique sur la campagne présidentielle. Au-delà de ce qui peut être considéré comme une sorte d’abus de position dominante, il y a aussi des questions de fond à soulever. Nombre d’entre elles ont déjà été posées. En voici une, parmi d’autres.

Au début de l’entretien, Emmanuel Macron traite longuement de la crise du coronavirus. Il insiste sur le fait que personne n’avait anticipé la pandémie. « On était complètement démunis (…) C’était une situation de guerre ». Je souligne à dessein son propos : personne n’a anticipé la pandémie… Ah bon ?.. Pourtant le risque pandémique n’avait absolument rien d’imprévisible. Il figure en toutes lettres aux chapitres des vulnérabilités et des menaces dans les Livres blancs Défense et Sécurité Nationale (LBDSN) de 2008 et 2013, et y compris dans la Revue stratégique de 2017 préfacée par … Emmanuel Macron. De plus, les pouvoirs publics disposent depuis octobre 2011 (soit maintenant 10 ans) d’un Plan national de prévention et de lutte contre les pandémies, qui figure sur le site du Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN) (1). Alors ?.. les grands textes stratégiques officiels… peut-on les dissimuler ainsi, de façon décomplexée, au préjudice de la vérité ? (2).

A la fin de l’entretien, E. Macron traite de la crise liée au mouvement des Gilets jaunes et des violences qui l’ont accompagnée. L’origine et les auteurs des violences font l’objet d’un débat sur lequel il ne s’exprime pas… Mais là encore, il dit : « personne n’a vu arriver une telle crise ». Ah bon ?.. Personne, vraiment ? Mais qui pourrait accepter une telle affirmation ? Depuis des années, nombreux sont les experts, les journalistes, les syndicalistes, les élus, et certains responsables politiques pour alerter sur l’aggravation des inégalités, sur les quartiers urbains en grave fracture sociale, sur l’urgence de réponses nécessaires, en particulier pour les couches populaires et notamment pour les plus pauvres. Il faut « faire revenir la République » dans les quartiers les plus en difficulté avait souligné Jean-Louis Borloo dans un rapport de 2018 sur les banlieues. Ce rapport contient un plan concernant 6 millions de Français, 1500 quartiers prioritaires, et il propose 5 milliards d’euros afin d’enrayer la dégradation de la situation. Ce rapport de JL Borloo (qui n’est pas un incurable gauchiste) fut quasi immédiatement enterré par … Emmanuel Macron. Alors, personne, vraiment… personne n’a pu voir arriver une telle crise ? (3)

Dans un ouvrage écrit en 2003 (4), le journaliste Alain Duhamel (qui lui non plus n’est pas un gauchiste) souligne « la banalisation de la violence, la contagion de la délinquance, la marée noire de l’insécurité. Il s’agit cette fois non plus d’une recrudescence de dérives individuelles, mais d’un fait social clairement identifiable ». Il ajoute : « cela ressemble de plus en plus à ce que les sociologues appellent l’anomie, la désagrégation lente d’une société dont les règles ne sont plus respectées ». Il précise encore que « l’histoire du progrès social menace de s’arrêter… ». Avec ce livre, Alain Duhamel, à sa façon, produit une sorte de réquisitoire quant à l’évolution, dans la durée, de notre société, de notre système social, mais aussi quant aux responsabilités, c’est à dire les politiques conduites à l’origine de cette anomie. Le mouvement des Gilets jaunes n’a rien d’une surprise.

Ces constats nous conduisent à quelques remarques. Le Président de la République dissimule ce qui l’arrange. Il s’est permis de faire comme si rien n’existaient : ni les informations, ni les analyses, ni les outils, y compris les plus officiels, permettant, à lui même comme aux plus grand nombre de personnes intéressées, de mesurer la réalité des crises et des risques de crises… Voilà qui est consternant et inacceptable. Nul ne peut dire, et surtout pas le Président de la République… on ne pouvait pas anticiper. Ce n’était pas prévisible. Sauf à vouloir désinformer les Français.

Tout cela en dit beaucoup sur la nature des politiques mises en œuvre, sur les conséquences du néolibéralisme, sur la crise et les impasses systémiques de capitalisme. Emmanuel Macron est bien le continuateur de l’ensemble des politiques ayant conduit aux crises d’aujourd’hui. Il a beau nous parler de révolution, les deux heures passées à nous raconter des histoires ne feront rien oublier. Certes, il dit « avoir appris des Français ». Ah bon ?.. Il est dommage, vraiment dommage, qu’il n’y ait pas, dans notre pays, une gauche forte et unie pour lui faire comprendre que les Français ont encore beaucoup de choses à lui apprendre.

1) « Plan national de prévention et de lutte pandémie grippale. Document d’aide à la préparation et à la décision », No 850, SGDSN, octobre 2011. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Plan_Pandemie_Grippale_2011.pdf

2) Voir « Chaos. La crise de l’ordre international libéral. La France et l’Europe dans l’ordre américain », J. Fath, Éditions du Croquant, 2020, Introduction, pages 5 et suivantes.

3) « Vivre ensemble, vivre en grand. Pour une réconciliation nationale », Jean-Louis Borloo, présentation du rapport 26 avril 2018. https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/rapport-de-jean-louis-borloo-vivre-ensemble-vivre-en-grand-pour-une-reconciliation-nationale

4) « Le désarroi français », Alain Duhamel, Plon, 2003.

C’est bientôt Noël… j’ai reçu d’excellents biscuits à mon nom, avec le titre de mon dernier livre…

Une montée fasciste… réalité politique en France.

Jacques Fath. 8 décembre 2021

Je n’ai pas coutume de traiter des enjeux de politique intérieure. Mes attentions et mes compétences sont ailleurs. Mais j’ai eu la curiosité de regarder et surtout écouter avec attention, sur vidéo, le discours d’Eric Zemmour, dimanche 5 décembre 2021, à Villepinte. Son premier discours de candidat à l’élection présidentielle. Je veux ici formuler quelques réflexions après cet événement.

En quelque 50 années d’activités politiques diverses (surtout internationales) je crois avoir compris ce qu’est un discours d’extrême droite. Rien qu’en France la famille Le Pen nous a, en effet, diversement alimenté en la matière. Les forces de gauche ont pris l’habitude (si j’ose dire) de traiter la question politique et électorale du Front, puis du Rassemblement National afin que cette organisation, en dépit d’un contexte lui étant souvent favorable, puisse ne pas réaliser ses ambitions. Au prix d’impasses électorales, de compromis et de conséquences disons… problématiques.

Aujourd’hui la candidature de Zemmour à la présidentielle change la donne. Elle nous met devant une grave question. Non pas du fait du personnage en lui-même. En raison de ce qu’il cristallise autour de lui. En raison de ce qui le porte, et de ce qui le pousse dans une société française en crise profonde. Une société dans laquelle ne cessent de monter des thèses idéologiques ultra-réactionnaires. Avec des bienveillances et des complicités politiques très diverses.

Le discours de Zemmour à Villepinte est un discours de rhétorique, de contenus et dessein fasciste. En quelque 50 années d’activités politiques diverses je peux dire que n’ai jamais entendu une exhortation de cette nature, avec ce niveau de soutiens et de médiatisation complaisante et politicienne. Il ne s’agit pas seulement un discours d’extrême droite. On est loin, aussi, du populisme ou de l’expression dite anti-système… Nous sommes sortis de ces cadres-là. Je pense qu’il s’agit d’un projet encore plus menaçant. Un projet de liquidation des valeurs et des institutions telles qu’elles sont issues de la longue histoire de la France depuis la Révolution. Un dessein qui s’exprime avec une grande habileté et une sinistre démagogie. Il nourrit la haine et le racisme. Il vaut la peine d’y regarder d’un peu plus près.

Zemmour utilise trois paramètres : il joue sur les valeurs. Il instrumentalise l’histoire. Il prétend détenir un projet. Il affecte ne pas être fasciste, car nous utilisons, dit-il, «notre liberté à mettre des mots sur la réalité ». Une façon d’évacuer la question… Mais quels sont ses mots ?

Les valeurs de Zemmour sont celles d’un passé instrumentalisé qui nourrit et justifie les reculs de société les plus rétrogrades. Une France d’hier supposée « d’excellence », une sorte d’Éden perdu et indéfini, sert aujourd’hui de référence. Sans explications. C’est l’usage du nationalisme comme discours aux vertus magnétiques, qui fait quasiment rentrer des sympathisants en exaltation frénétique. Le mérite, l’effort, le respect, l’héritage… Zemmour associe le souvenir de sa mère avec l’amour de la France… Il est suffisamment malin pour ne pas scander « travail – famille – patrie »… mais tout ce qu’il dit nous y conduit.

L’histoire. C’est un aspect majeur de son discours. C’est d’abord l’histoire récente, celle de la deuxième partie du 20ème siècle. Il se réfère plusieurs fois à un passé de 30 à 40 ans. Il s’arrête à Pompidou, probablement pour éviter de citer De Gaulle qu’il a déjà essayé, si pauvrement, de mimer. Mais pourquoi s’attache-t-il aux 30 ou 40 dernières années ? L’enjeu, pour lui est de montrer qu’il est différent de toutes les autres personnalités présentes dans la mémoire des générations auxquelles il veut s’adresser. Il n’aurait donc rien à voir avec ceux qui ont précédemment dirigé la France. C’est « un temps révolu », dit-il. Il prétend alors être capable de ne pas « trahir » les électeurs, de refuser une « alternance de plus », de mettre à bas le système, afin de conduire une « reconquête », c’est à dire une « grande bataille pour la France ». Il accuse les précédents dirigeants d’avoir considéré le peuple « à jamais disparu »… mais, il le souligne : « à chaque fois nous sommes revenus »… Ce thème du « retour » est glaçant. Zemmour se permet, en quelque sorte, le langage d’une « révolution nationale ». Sans le spécifier, il reprend ainsi l’identification idéologique officielle du régime de Vichy sous l’occupation nazie. L’habileté des formules et du style ne parvient pas à cacher la vérité des références historiques et des intentions.

Ensuite, Zemmour s’empare de l’histoire de longue durée. Les formules sont multiples et variées. Chaque fois on comprend qu’il cherche à se donner de « l’épaisseur ». Comme s’il fallait nourrir la crédibilité du discours en s’inscrivant dans une histoire de longue durée qui serait en elle-même la garantie de la solidité et du sens des orientations politiques avancées. Avec une allusion à la Révolution et à Danton, il décline ce qu’il faut selon lui sauver : notre patrie, notre civilisation, notre culture, notre littérature, notre école, nos paysages… et notre peuple. C’est un « combat plus grand que nous » affirme-t-il. C’est une « reconquête » qu’il place au niveau historique. Il utilise à plaisir cette formule attribuée à Napoléon : « Impossible n’est pas français ». Il souligne que « notre existence en tant que peuple français n’est pas négociable. Notre survie en tant que nation française n’est pas soumise aux bons vouloirs des traités ou des juges européens ». Il se sert de l’histoire, il l’instrumentalise comme légitimation. Après avoir vilipendé les « idéologies hors sol » et le « néant » de Macron, celui qui « n’est personne »… Il ajoute alors : « nous remplacerons le vide par l’identité, le dérisoire par l’histoire ». La salle vibre à l’écoute de ses formules bien balancées. Des spectateurs nombreux et souvent endimanchés opinent fiévreusement du bonnet.

Enfin, Zemmour annonce un projet. Il en dira quelques mots. Ce qui frappe de prime abord c’est la misère des contenus. Sur le plan économique et social, ce qu’il prévoit s’inscrit dans une approche néolibérale. Avec quelques propositions comme la baisse des charges pour les (petits ) entrepreneurs, le rapprochement du salaire brut et du salaire net, la réindustrialisation, un « grand Ministère de l’industrie », la simplification administrative, la nécessité de privilégier les entreprises françaises dans les marchés publics… Rien que l’on ne connaisse déjà. En vérité, on se demande dans quelle cohérence politique et financière crédible il pourrait choisir un tel mode de gestion, tellement il fait bon marché (pas un mot) des contradictions béantes devant lesquelles il va se heurter. Il faudrait bien autre chose pour affronter et surmonter de façon créative les contraintes européennes, américaines et celles de la mondialisation. Il ne veut pas (re)connaître ce monde d’aujourd’hui et ses défis majeurs. Mais l’idéologie est rarement un obstacle aux affaires. Surtout dans un contexte de crise sociale et politique qui lui permettra de rencontrer les intérêts d’au moins une partie du patronat. Ces questions seront certainement un point déficient de ce qu’il appelle un « projet » qu’il dit vouloir décliner dans la suite de la campagne.

Il faut cependant remarquer une thématique transversale. Celle de la puissance.

Il dit vouloir que la France redevienne une grande puissance industrielle. Il dit aussi que la France doit sortir du déclassement et préserver son indépendance. Il aligne les engagements : sortir du commandement militaire de l’OTAN. Ne pas être les vassaux des USA, de l’OTAN, de l’UE. Parler à tout le monde, mais se méfier de toute géopolitique car celle-ci « n’est pas un long fleuve tranquille ». Il faut donc « renouer avec notre puissance pour les décennies suivantes », et que la France « retrouve son rang ». Tout cela, d’une façon ou d’une autre, a déjà été dit, proposé, explicité par la droite, le PS et par d’autres. On est ici dans le bocal doctrinal, le tronc commun partagé (même si c’est dans des formulations diverses) des discours stratégiques français et européen après le mandat Trump, après la crise des sous-marins avec Biden, avec les effets de la pandémie, avec les contradictions au sein de l’OTAN, avec les nouveaux et vrais risques de guerre, avec l’enjeu indopacifique et la confrontation sino-américaine… Lorsque la portée des questions soulevées devraient l’obliger de sortir, si peu que ce soit, de sa démagogie, Zemmour devient alors un candidat de médiocre expression. Mais les formulations qu’il a ainsi égrenées dans son discours ont rencontré l’assentiment de spectateurs chauffés à blanc par le nationalisme, et en mal de réponses crédibles face à la situation internationale. Zemmour essaye de présenter la puissance comme la réponse adaptée aux insécurités de notre temps. Mais l’affirmation de la puissance – comme le moment historique actuel nous le montre – n’a jamais été que le paramètre principal et le facteur d’aggravation des vulnérabilités et des insécurités internationales.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce discours et ce qu’il annonce. En particulier sur l’agressivité instantanée et la violence de type identitaire avec laquelle des militants anti-racistes ont été traités lors de ce meeting. Mais ce qui précède est suffisant pour pouvoir en tirer quelques conclusions politiques.

La candidature Zemmour est un fait. Il obtiendra sans doute ses 500 parrainages. Les sondages lui ont donné de hauts scores dont certains à 17 %, un court moment devant Marine Le Pen. Évidemment, rien est donné d’avance. Mais une leçon doit être tirée de cette situation très préoccupante. Le journaliste Jean-Michel Apathie dit sans ambage : à Villepinte, « j’ai vu un monstre ». J’ai vu, moi aussi, cette figure-là se dessiner dans le paysage politique français. Ma mère, maintenant centenaire, m’en a souvent parlé, alors qu’entre 18 et 22 ans elle a connu l’occupation nazie à Paris.

Gageons que Zemmour ne sera très probablement pas élu Président de la République. C’est en tous les cas ce que je crois, et ce que l’on peut espérer… Mais on voit donc qu’un courant fasciste se développe dans notre pays. Une montée fasciste est maintenant une réalité en France. Et ce courant va se structurer. Cela dans un contexte où, globalement, l’extrême droite, le courant fasciste, et une droite (y compris celle de Macron), largement radicalisée ou « ciottisée », représentent ensemble entre les deux tiers et les trois quarts de l’électorat…

Cette montée fasciste dans un tel champ politique doit sonner comme une alarme. C’est cela qui change la donne politique dans notre pays. Pour les formations se réclamant de la gauche – une gauche aujourd’hui sans dynamique – l’enjeu est donc désormais différent. Peut-on laisser sans réponse la réalité de cette montée fasciste ? L’exigence est donc à la construction d’un front large et ouvert qui rassemble et qui se donne du souffle. Un front large progressiste et anti-fasciste. Non pas avec le but unique et ultime de gagner la présidentielle. Mais d’abord pour provoquer un sursaut. D’abord, avec une forte ambition pour l’avenir. Il faut commencer maintenant en saisissant le moment électoral déterminant de la présidentielle pour rechercher l’unité et les logiciels communs indispensables. Construire un futur différent pour la France, cela peut et doit commencer maintenant. Avec l’ensemble des organisations politiques et sociales pouvant y trouver une nouvelle énergie collective. Et c’est cela, précisément, qui peut aussi redonner de l’ambition pour la présidentielle. Pourquoi les partis de la gauche continueraient-ils obstinément à refuser d’ouvrir une telle perspective ?

Inquiétante « Boussole » de l’Union européenne…

Le 15 novembre 2021, le Conseil des Ministres de l’Union européenne a discuté la première version d’un projet européen de Boussole stratégique sur la base d’un document de 28 pages, resté confidentiel… mais transmis à la presse. Celle-ci en a donné une idée générale et un peu de sa substance. Ce qui permet (avec prudence et sous réserves) l’approche qui suit.

Cette Boussole stratégique a fait l’objet de premiers travaux sous présidence allemande de l’Union (juillet-décembre 2020). Il devrait être finalisé et adopté en mars 2022, sous présidence française. De quoi s’agit-il ? On peut définir ce projet comme une stratégie globale de l’UE en matière de sécurité et de défense, à l’horizon 2030. Cette stratégie recouvre officiellement 4 volets : gestion de crise, résilience, développement capacitaire et partenariats. L’enjeu est d’importance pour la crédibilité de l’UE. Toujours officiellement, il faudrait en effet parvenir à un consensus à 27 à la fois sur l’analyse des menaces qui pèsent sur l’Europe, et sur les moyens d’y faire face dans un contexte où les États membres ont des cultures stratégiques, des approches politiques et des priorités très différentes, voire difficilement compatibles.

L’idée persistante et problématique d’une Europe puissance

L’idée « d’Europe puissance » ressurgit (elle n’a jamais disparu), et cette Boussole en serait un instrument. L’UE se veut maintenant « géopolitique ». Elle cherche une voie d’accession à ce qu’on appelle une « culture stratégique ». Certes, elle dispose déjà, depuis 2016, d’un texte définissant une politique de sécurité et de défense générale de l’UE (1). Mais elle veut aller plus beaucoup plus loin et sortir de ce que l’on peut nommer son inexistence de facto en tant qu’acteur stratégique sur le plan international. Comme l’explique Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et Vice-Président de la Commission (HRVP), la force militaire d’intervention prévue dans cette Boussole stratégique doit être opérationnelle, c’est à dire, effectivement prête à l’emploi. « Nous devons être prêts à réagir », dit-il, afin de marquer la différence avec les projets et dispositifs militaires précédents n’ayant pas été mis en œuvre …

La carence d’initiatives européennes lors du retrait des forces occidentales d’Afghanistan, et la création par Washington de la nouvelle alliance AUKUS liée à la liquidation, au profit des États-Unis, du contrat franco-australien portant sur 12 sous-marins… constituent les derniers événements ayant contribué à justifier une urgence pour ce projet européen auquel la France contribue activement.

Cette première version de la Boussole présente des ambitions particulièrement élevées. Voici ce que l’on peut savoir des principales options telles qu’elles apparaissent dans les nombreux articles consultés.

– Création d’une force de réaction rapide européenne pouvant compter jusqu’à 5000 soldats, et composée de divisions terrestres, maritimes et aériennes. Il s’agit d’une force de projection à l’extérieur. Si les informations recueillies sont exactes, ce serait une force dite « d’entrée initiale » donc une force militaire robuste faite pour une entrée en action déterminée ou « en premier » sur un théâtre conflictuel. Les capacités ou initiatives de cette force seraient définies à partir de « scénarios opérationnels », sans plus de précision. Le commandement et le contrôle seraient attribués à des quartiers généraux nationaux identifiés, ou bien à un état-major de l’UE.

– Les gouvernements de l’UE sont invités à élever le niveau de préparation et d’exercices militaires conjoints, à combler les lacunes en matière de capacités, et à se concentrer notamment sur 6 systèmes de défense « de nouvelle génération » (complexes et très connectés…) : le Système de combat aérien du futur (SCAF), le nouveau char de combat ou Main ground combat system (MGCS), des navires de patrouille, la défense dans l’espace, des systèmes aériens et une mobilité militaire accrue (2).

– Les budgets nationaux de défense devraient être augmentés dans les années à venir, et les engagements financiers des États membres en faveur des initiatives communes (Fonds européen de défense en particulier) devraient être aussi revus à la hausse.

– Création d’un pôle d’innovation défense au sein de l’Agence européenne de défense (AED).

– Développement de la logistique et du transport aérien à long rayon d’action.

– Mise en place « d’équipes européennes » de réponses rapides aux menaces hybrides, de capacités pour la dissuasion cybernétique et pour les risques et incidents dans l’espace.

– Le projet de Boussole prévoit que l’UE assure sa présence maritime dans « les zones d’intérêt » en commençant par l’indopacifique. Ceci impliquerait des escales et des patrouilles plus fréquentes de l’UE, et des exercices maritimes avec les partenaires régionaux : Japon, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Vietnam.

On voit ainsi à quel point la barque des ambitions européennes est chargée. Josep Borrell le confirme. Dans le web-magazine américain « Project Syndicate », il signe un article dans lequel il écrit : «… l’UE ne doit bien sûr pas limiter ses actions au déploiement de forces militaires. La Boussole stratégique met également l’accent sur la cybersécurité, la sécurité maritime et la sécurité spatiale. Pour anticiper les menaces, elle propose de renforcer les capacités de renseignement et d’élargir la gamme d’outils permettant de contrer les attaques hybrides et les cyberattaques, ainsi que la désinformation et l’ingérence étrangères. Elle fixe également des objectifs d’investissement pour doter nos forces armées des capacités et des technologies innovantes nécessaires, combler nos lacunes stratégiques et réduire nos dépendances technologiques et industrielles » (3).

Le choix de la conformité stratégique avec Washington

Peu d’informations ont été données concernant les orientations politico-stratégiques de la future Boussole. Les quelques éléments utilisables confirment à l’évidence le tropisme atlantique global traditionnel de l’Union européenne.

Il s’agit de s’adapter au basculement stratégique des États-Unis vers l’indopacifique, et pour l’UE de contribuer aux initiatives américaines prises dans ce cadre afin de contrer la Chine. L’administration Biden, comme les deux précédentes, est nettement plus préoccupée par l’indopacifique et la compétition face à la Chine, que du sort de l’Europe. Mais elle ne semble pas opposée à l’idée de la force européenne de réaction rapide, ni même à un rôle stratégique plus affirmé des Européens, dès l’instant où cela s’inscrit comme un projet « complémentaire » de l’OTAN. Ce qui ne fait aucun doute… Il n’y aura pas de « découplage » entre les deux rives de l’Atlantique. Les inquiets peuvent compter sur le Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, qui continue à manifester très régulièrement sa scrupuleuse vigilance de gardien du temple otanien. Les choix politiques et géopolitiques de la Boussole européenne ne seront de toutes façons en rien contradictoire avec le prochain concept stratégique de l’OTAN qui sera défini lors du sommet des 29 et 30 juin 2022 à Madrid. Le rapport OTAN 2030 (4) en prescrit déjà l’esprit et les choix essentiels (5). Il n’y aura pas de surprise. La Boussole de l’Union européenne ne risque pas de perdre le Nord de la géopolitique américaine.

Pour l’UE, il faut aussi ne pas laisser le terrain à d’autres puissances. Sont citées la Russie, la Chine, l’Iran, le Pakistan, le Qatar. Quid de la Turquie ? La Russie et la Chine occupent une place importante dans le projet de Boussole. Il est spécifié que « les actions de la Russie dans notre voisinage commun et sur d’autres théâtres sont en contradiction avec la vision du monde et les intérêts de l’Union européenne ». Concernant la Chine, malgré son « affirmation croissante »« nous continuerons à coopérer dans des domaines d’intérêt commun tels que la lutte contre la piraterie, le climat et la sécurité ». L’attitude annoncée apparaît donc nuancée.

L’Union européenne prévoit de poursuivre un dialogue spécifique sur la sécurité et la défense avec les États-Unis, comme convenu lors du sommet conjoint de juin 2021. Celui-ci avait défini « un partenariat transatlantique renouvelé », et la déclaration commune soulignait « notre soutien indéfectible à une solide coopération OTAN-UE » avec la volonté d’élever le niveau d’ambition commune afin de renforcer ce partenariat stratégique.

On peut donc dire que la Boussole de l’UE est en réalité un choix explicite de conformité stratégique avec Washington, autrement dit (et non dit) d’alignement. Reste à savoir où finira par s’arrêter le curseur de cet alignement quand on voit comment l’UE débat et se divise sur le degré d’hostilité stratégique estimé nécessaire vis à vis de la Russie et de la Chine (voir plus bas, le point 4). L’Union européenne a officiellement « installé », dans le cadre politique euro-atlantique, le principe d’une très relative autonomie stratégique… mais celle-ci n’existe pas dans la réalité.

Il est précisé, enfin, que les agences nationales du renseignement seraient invitées à revoir l’analyse des menaces auxquelles l’UE doit faire face, « au moins tous les 5 ans à partir de 2025, ou plus tôt si l’évolution du contexte stratégique l’exige ». On ne pourra pas dire que l’UE choisit de faire dans la transparence en prévoyant des consultations/révisions sur un mode aussi restreint. Il y aurait pourtant des solutions pour associer au minimum les parlements et des acteurs publics moins… furtifs.

Des questions majeures…

Ce projet de Boussole stratégique de l’UE est-il trop ambitieux ? Dans son article de Project Syndicate, Josep Borrell écrit aussi : « C’est aux États membres de l’UE qu’il appartient de déterminer si les changements géopolitiques d’aujourd’hui ne seront qu’un nouvel appel à un réveil non entendu et si le débat renouvelé sur la défense européenne ne sera qu’un nouveau faux départ ». Cette prudence de langage n’est pas de trop. Ce projet de Boussole se heurte à des questions et des obstacles considérables.

1- Sur la question des modalités de décision.

Mettre en place une force de réaction rapide, c’est à dire déployable en urgence, nécessite des décisions elles-mêmes rapides, ce qui est d’autant plus compliqué dans un contexte traditionnel de divisions européennes. Il est donc prévu de faire évoluer le cadre institutionnel et décisionnel communautaire, celui de l’unanimité pour la politique étrangère et de sécurité commune, considéré comme trop rigide. Il s’agira d’introduire de la flexibilité. « Nous ne pouvons pas décider à l’unanimité à chaque étape des processus », et « tout le monde ne doit pas être mobilisé pour participer ». Dans l’esprit de la flexibilité l’idée est avancée d’une option « d’abstention positive » lors des votes afin d’ouvrir la possibilité à certains États membres de ne pas s’associer à une décision, sans pour autant l’empêcher. L’article 44 du Traité sur l’Union européenne est aussi invoqué puisqu’il permet à un groupe d’États membres de l’UE de mettre en œuvre une mission de l’UE, sur décision du Conseil et en collaboration avec le HRVP. Tout cela constitue évidement des questions à suivre. La mise en cause de l’unanimité ne se fera probablement pas aisément et elle comporte des risques évidents dans le cadre politico-stratégique qui se dessine.

2- Sur la question de la légitimité et de la légalité

Dans les articles de presse consacrés à cette première version de la Boussole il n’est jamais question de la légitimité et de la légalité internationale des initiatives politiques et militaires que l’UE déciderait de prendre. Quid de l’ONU ?

On sait que le Traité sur l’Union européenne (article 42, § 4 et 5) dispose que « les décisions relatives à la politique de sécurité et de défense commune, y compris celles portant sur le lancement d’une mission visée au présent article, sont adoptées par le Conseil statuant à l’unanimité, sur proposition du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ou sur initiative d’un État membre ». On voit qu’il n’est pas question ici, dans le Traité, et à aucun moment dans l’ensemble des dispositions touchant à la politique de sécurité et de défense, que les missions de l’UE devraient s’appuyer sur un mandat explicite des Nations-Unies. Certes, il est fait une évanescente référence aux « principes » de la Charte de l’ONU, mais sans la moindre obligation ou volonté de légitimer les initiatives et l’action européenne par le droit international, et à travers l’universalité des Nations-Unies. Alors, la Boussole stratégique de l’UE va-t-elle prolonger cette inacceptable mise à l’écart de l’ONU ?

Dans un entretien avec plusieurs médias, début novembre, Josep Borrell s’est permis de déclarer : « ce n’est pas la force qui détermine la mission, c’est la mission qui devrait déterminer la force » (6) Qu’est-ce que cela veut dire ? Cette formule est une réédition à peine modifiée d’une sentence prononcée par… Donald Rumsfeld après le 11 septembre 2001. Rumsfeld, en effet, avait alors affirmé : « ce n’est pas la coalition qui détermine la mission, mais la mission qui détermine la coalition ». L’ancien Secrétaire à la défense de G. W. Bush voulut affirmer de cette façon que les États-Unis choisissent désormais seuls comment agir et avec qui, en dehors de tout cadre institutionnel, qu’il s’agisse de l’ONU ou même de l’OTAN. C’est la relativisation et même le bannissement des alliances traditionnelles, des institutions et des organisations internationales. C’est l’unilatéralisme poussé au bout de sa logique. Ce consternant plagiat de Donald Rumsfeld par Josep Borrell confirme l’esprit d’une Boussole stratégique voulue comme l’expression d’une puissance européenne. Au mépris du droit international et du multilatéralisme. Si ce choix devait finalement se confirmer, cela ne manquerait pas de jeter un discrédit certain sur l’ambition et sur l’action même de l’Union européenne.

3- Sur le coût d’un tel projet

Réaliser cette Boussole stratégique et militaire nécessiterait des coûts considérables. Nous ne disposons pas d’informations sur un calendrier de réalisation, sur les financements et leurs partages. Mais il est explicitement précisé que les budgets nationaux de défense devront augmenter. Des questions devront ainsi être posées quant au bien fondé de certains programmes et de leurs coûts. Par exemple celui du SCAF qui mériterait d’être sur la sellette. Le coût exorbitant de cet avion, ou système aérien de nouvelle génération, a été évalué entre 60 et 80 milliards d’euros… Un vrai débat politique plus général, sur les choix à faire et y compris quant à la logique d’ensemble, devra donc s’imposer. Certains, d’ailleurs, s’étonnent déjà que tant de programmes sont prévus pour le court terme (2025/2030), alors que les investissements en matière de défense et d’industrie de défense s’inscrivent (lourdement) dans la longue durée.

Il est précisé que l’UE devra s’investir militairement dans des initiatives en indopacifique. De telles missions, en particulier maritimes, aussi éloignées et de longue durée, ont des coûts très élevés. La question financière sera cruciale. Que fera l’UE ? Puisqu’il s’agit de la mise en œuvre d’une stratégie européenne, intégrera-t-elle ces coûts dans ses budgets propres ? Et plus fondamentalement, l’UE doit-elle payer et s’engager au côté des États-Unis contre la Chine ? Est-ce sa responsabilité et son intérêt ? Cette compétition de puissances pour la domination doit-elle faire partie de ses propres choix ? On sent bien que cette Boussole de l’UE veut nous y conduire alors que les 27 devraient refuser clairement de s’engager dans cette voie dangereuse.

Enfin, on peut poser la question de la crédibilité même des projets contenus dans cette Boussole de l’UE. En 1999, l’Union européenne avait décidé de mettre sur pieds une force de 50 000 à 60 000 soldats, déployable en 60 jours. Cette force ne vit pas le jour. En 2007, elle décida beaucoup plus modestement la mise en œuvre de « groupements tactiques » de 1500 personnels chacun. Cette initiative n’a jamais été concrétisée. L’UE aura-t-elle la capacité de développer aujourd’hui une force de réaction rapide complexe et réellement opérationnelle de 5000 soldats ? Le doute est permis.

4- Sur les pratiques et les divisions européennes

On a vu dans un passé très récent comment le Ministre des affaires étrangères en passe d’être nommé au sein d’un nouveau gouvernement de la République tchèque veut infléchir la politique étrangère de Prague, limiter les investissements chinois dans les infrastructures afin de restreindre les échanges avec Pékin. Dans ce cadre, certaines activités économiques chinoises pourraient être qualifiées d’hostiles… Mais surtout, la Lituanie s’est bruyamment manifestée en décidant l’ouverture d’un bureau de représentation lituanienne à Taïwan, parallèlement à l’ouverture d’un bureau de Taïwan à Vilnius. Ce choix vient en opposition à la politique officielle de l’UE. Celle-ci affirme vouloir respecter « la politique d’une seule Chine » impliquant, malgré les relations avec Taïpeh, la non reconnaissance d’un statut étatique de l’Île. Pékin a immédiatement décidé de rétrograder la représentation officielle lituanienne du rang d’ambassadeur à celui de chargé d’affaires, ce qui constitue un acte diplomatique (un avertissement) rare, et significatif de la colère chinoise. Certes, en la matière, la politique de l’UE ne manque pas d’ambiguïtés. Josep Borrell distingue ainsi le « principe » d’une seule Chine, de la « politique » d’une seule Chine, afin de justifier la coopération avec Taïwan (7).

En réalité, il s’agit d’un problème dépassant largement les questions diplomatiques. En octobre dernier le Ministre taïwanais des affaires étrangères, Joseph Wu, a conduit une délégation commerciale ayant effectué une tournée qualifiée d’historique (et très politique) en République tchèque, en Slovaquie, en Pologne, en Lituanie… et même à Bruxelles. Les décisions « diplomatiques » de Vilnius ne sont donc pas une surprise. Elles s’inscrivent dans un processus de pressions politiques multiples pour infléchir et durcir de manière décisive la politique européenne face à la Chine, mais aussi face à la Russie. Avant le « Sommet des démocraties » réuni par Joe Biden en décembre. Avant la finalisation de la Boussole stratégique de l’UE en mars 2022. Avant le sommet de l’OTAN à Madrid en juin…

Vilnius se félicite d’avoir imposé un débat sur Taïwan à Bruxelles. Son initiative d’échange de représentations diplomatiques avec Taïwan ne pouvait mieux tomber dans un calendrier qui est une bénédiction politique pour la Lituanie. Celle-ci cherche ainsi à faire pression sur l’UE et ses États membres pour qu’ils prennent des distances de portée politique et stratégique avec la Chine. Avec au surplus le soutien direct de Washington puisque l’Administration Biden s’est engagée à fournir une aide de 600 millions de dollars à Vilnius dans le cadre d’un accord de crédit à l’exportation, afin de compenser les pertes financières qui résulteraient des hostilités ainsi ouvertes avec Pékin.

L’hypocrisie de la Lituanie qui prétend n’avoir rien fait qui puisse excéder les positions européennes établies, ne peut masquer ce qui constitue dans les faits une politique de force pour peser, avec l’appui américain, sur la politique de l’Union européenne. De façon très offensive, Vilnius demande d’ailleurs la réunion d’un « sommet à 27 + 1 » pour que chaque État membre puisse avoir la chance de rencontrer (affronter) la Chine. Avec des pratiques de ce genre, on ne pourra pas dire que les négociations européennes sur la Boussole stratégique s’annoncent comme un débat amical et serein.

5- Sur la pertinence stratégique de la Boussole de l’Union européenne

Dans le contexte actuel, comment l’UE pourrait-elle acquérir les capacités nécessaires et la stature stratégique et militaire suffisante pour faire face, à la fois, à l’échelle des forces en présence, à la dimension des enjeux, à la nature des crises, à la prégnance de leurs causes sociales, aux difficultés budgétaires et politiques, aux contradictions et divisions … Il faut donc s’interroger quant à la pertinence, pour l’Europe, de vouloir se hisser au rang de puissance majeure, et au plus près possible du niveau des plus grandes puissances, les États-Unis, la Chine et même la Russie.

Il est vrai cependant que l’UE peut et devrait se donner un vrai rôle positif, alors qu’elle est « encerclée » par les crises, par les situations de conflits et de tensions. Cet enjeu de la sécurité sur le continent européen, en Afrique, au Proche-Orient notamment, est décisif pour l’avenir. Mais persister dans le choix des réponses militaires n’est pas réaliste… Et c’est aussi un risque évident et redoutable. L’échec des guerres américaines et occidentales en Afghanistan, en Irak, en Libye et ailleurs encore, est là pour le rappeler dramatiquement.

La responsabilité de l’UE n’est pas de s’épuiser et de prendre tous les risques en cherchant à jouer dans une catégorie qui n’est pas la sienne. Elle n’est pas non plus de faire monter les enchères et de participer à la confrontation sino-américaine pour la domination dans l’ordre international, au péril d’une grande guerre qui ne serait pas non plus la sienne.

En revanche, devant la globalité des enjeux, des menaces et des risques, elle devrait s’attacher à trouver une toute autre implication internationale, qui pourrait être de haut niveau, en posant prioritairement les défis de la sécurité collective et du multilatéralisme, du développement dans toutes ses dimensions sociales, économiques, écologiques, institutionnelles… L’UE devrait défricher ce terrain là, celui de la réponse aux vulnérabilités, aux impasses sociales et aux déliquescences atteintes, à des degrés divers, sur tous les continents du fait des politiques conduites et des contradictions d’un capitalisme qui produit sa propre crise dans une quête systémique de la puissance. L’exigence de sécurité doit être prise comme un enjeu global qui touche à tous les domaines du développement humain social et durable. Il n’y aura pas de sécurité pour les peuples sans la prise en compte de cette responsabilité collective.

Dans ce contexte, figure naturellement l’effort que les États européens devraient engager pour le désarmement et le contrôle des armements, pour le règlement des conflits, pour le dialogue politique (y compris avec la Russie), pour la recherche de mesures de confiance mutuelle dans les domaines de la défense et de la sécurité, pour une approche réaliste et prudentielle qui réduise tous les risques et qui oblige à prendre en compte les lignes rouges et les intérêts de sécurité de l’autre… En résumé pour éviter le piège de la guerre.

Les Européens devraient et pourraient contribuer à un contexte qui ne soit pas, qui ne soit plus étouffé par l’escalade de la compétition de puissances et des hostilités. Il faut rechercher ainsi les conditions d’une coexistence pleinement assumée comme un premier pas dans un processus de stabilité, de recul des conflits et de sécurité collective. On ne construit pas de la sécurité par le militaire, mais au contraire par le recul de celui-ci, en tous les cas par le refus de l’escalade et de la course aux armements, y compris nucléaires.

Florence Parly, Ministre des Armées, a cru bon d’utiliser la mélodieuse formule suivante : « soit l’Europe fait face, soit l’Europe s’efface ». Faire face… ou bien y contribuer, il le faut. Certainement. Mais pour faire quoi ? Avec quelle vision du monde et de l’avenir ? Voilà une Boussole qui ne rassure certainement pas quant à la direction qu’elle est censée nous indiquer.

1) « Une stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne », Conseil de l’Union européenne, 28 juin 2016. https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-10715-2016-INIT/fr/pdf

2) La « mobilité militaire » correspond à des programmes visant à faciliter une libre circulation des armées alliées sur le territoire européen par l’élimination des obstacles physiques (infrastructures inadaptées par exemple) mais aussi administratifs.

3) « Une boussole stratégique pour l’Europe », Josep Borrell, Project Syndicate, November 12, 2021.

https://www.project-syndicate.org/commentary/eu-strategic-compass-by-josep-borrell-2021-11/french

4) Voir sur ce blog « 2021 : un réalignement stratégique de portée mondiale », J.Fath, 26 janvier 2021.

5) « OTAN 2030 : unis pour une nouvelle ère », Analyse et recommandations du Groupe de réflexion constitué par le secrétaire général de l’OTAN, 25 novembre 2020. https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2020/12/pdf/201201-Reflection-Group-Final-Report-Fre.pdf

6) « L’Europe doit devenir un fournisseur de sécurité », Josep Borrell, Euractiv, 11 novembre 2021. https://www.euractiv.fr/section/politique/interview/leurope-doit-devenir-un-fournisseur-de-securite-selon-josep-borrell/

7) Voir par exemple « Comment la Lituanie est devenue l’opposant numéro 1 à la Chine en Europe », Sébastien Seibt, France 24, 20 novembre 2021. https://www.france24.com/fr/europe/20211120-comment-la-lituanie-est-devenue-l-opposant-num%C3%A9ro-1-%C3%A0-la-chine-en-europe

Les technologies émergentes vont-elles rendre la dissuasion nucléaire obsolète ?

Un article de Bernard Norlain Général d’armée aérienne (2S ), Président d’Initiative pour le Désarmement Nucléaire (IDN). Cette tribune a été initialement publiée dans le magazine hebdomadaire AIR et COSMOS, N° 2728 du 19 novembre 2021.

L’IDN a récemment publié un rapport intitulé « Les nouvelles technologies et la stratégie nucléaire » que le lecteur peut aisément retrouver sur ce blog, en français et en anglais. L’article de Bernard Norlain ci-dessous en donne l’importance et tout le sens.

DEPUIS QUELQUES ANNÉES, LE DÉVELOPPEMENT DE NOUVELLES TECHNOLOGIES INNOVANTES SUSCITE DE NOMBREUSES RÉFLEXIONS ET INTERROGATIONS. CONCERNANT LES CHANGEMENTS PROFONDS QU’ELLES IMPLIQUENT POUR NOS MODES DE VIE, DANS TOUS LEURS ASPECTS. PARMI CES COMMENTAIRES, L’IDÉE DE LEUR IMPACT DISRUPTIF SUR LA GÉOPOLITIQUE ET DONC SUR LES POLITIQUES DE SÉCURITÉ A FAIT RAPIDEMENT CONSENSUS.

Dans un monde interconnecté où la maîtrise de l’information devient un enjeu existentiel, un monde complexe mis sous tension par une compétition internationale exacerbée, les atouts que peut procurer la suprématie technologique font de celle-ci un enjeu stratégique essentiel. Dans quelle mesure ces technologies sont-elles susceptibles d’impacter la stabilité stratégique et en particulier peuvent-elles remettre en cause l’ordre nucléaire dans lequel nous vivons depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ?

Si l’on peut discerner aujourd’hui les contours de ce que pourrait être une « guerre du futur », on ne mesure pas encore à quel point les nouvelles technologies pourraient changer l’ordre, ou le désordre, stratégique actuel.

CHAMPS D’APPLICATION.

Les champs d’application de ces technologies sont extrêmement vastes, ils peuvent être spécialisés comme dans le cas des véhicules hypersoniques ou des armes à énergie dirigée, ou bien transverses, comme dans le cas de l’intelligence artificielle, de la cybernétique, des nanotechnologies, des biotechnologies, de l’espace ou de la mécanique quantique. Mais ils présentent des caractéristiques communes qui révolutionnent l’espace stratégique.

Tout d’abord leur nature duale, multiforme : public-privé, civil-militaire et nucléaire-conventionnel. Avec pour conséquences une diversité des acteurs, étatiques et non étatiques et une diversité des usages, car les applications civiles sont transposables dans le domaine militaire. Cette dualité contribue ainsi à la création d’un espace conflictuel flou où les frontières, qu’elles soient technologiques, sociétales ou étatiques se dissolvent et augmentent le brouillard de la guerre. Ainsi les notions de guerre et paix, ami et ennemi n’ont plus de sens clairement établi. Un espace gris, où en particulier la dissuasion nucléaire qui repose sur une identification des menaces et la stabilité du paysage stratégique, perd ainsi sa pertinence.

UN ESPACE CONFLICTUEL ÉLARGI ET DIVERSIFIÉ.

Cette extension du domaine de la lutte investit de nouveaux domaines : cyberespace, espace extra-atmosphérique, espace cognitif. La lutte informationnelle ou la guerre des perceptions, par exemple, devient un enjeu stratégique majeur. La paralysie des systèmes de communication, la manipulation de l’information sous toutes ses formes constituent, à moindre coût, des menaces existentielles.

Dans ces nouveaux espaces, la difficulté d’attribution certaine d’un acte hostile en termes d’identification ou de matérialisation de l’adversaire prive la dissuasion nucléaire de son cadre conceptuel et de sa capacité de frappe. De plus, la vulnérabilité de ses systèmes de communication et de commandement et de localisation, notamment spatiaux, comme la possibilité offerte par les nanotechnologies et la mécanique quantique de détection des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins lui font perdre sa crédibilité et donc la confiance en son efficacité. Par ailleurs, les développements technologiques en améliorant les performances des systèmes d’armes, mais surtout en diversifiant et multipliant les domaines d’applications comme les nanotechnologies ou les biotechnologies, donnent à d’autres formes de dissuasion une efficacité à la fois plus grande, plus souple et mieux adaptée aux nouvelles menaces, que la stratégie nucléaire. Apparaissent ainsi, entre autres, de nouveaux concepts comme la dissuasion cyber ou la dissuasion nanotechnologique

ROBOTISATION ET AUTONOMISATION.

La robotisation et l’autonomisation des systèmes d’armes et de commandement que leur apporte l’intelligence artificielle, si elle favorise la mise à distance du combattant et une augmentation de l’efficacité des armements conventionnels qui permet de disposer d’une dissuasion conventionnelle crédible, présentent en revanche le risque d’un abaissement du seuil d’un conflit et aussi un risque d’automatisation de la décision d’engagement de frappes nucléaires. Enfin, l’accélération du rythme des développements technologiques et leur impact sur l’espace stratégique s’accordent mal avec la rigidité des programmes d’armement nucléaires. Ceux-ci engagent les forces aux plans financier et opérationnel sur plus de cinquante ans. Qui peut prédire ce que sera le paysage stratégique à la fin du siècle ?

STRATÉGIE NUCLÉAIRE.

En définitive, l’irruption des nouvelles technologies met en évidence le nouveau paradoxe de la stratégie nucléaire. D’une part, dans le cadre d’un espace stratégique complexe, mouvant, confus, elle devient contournable, vulnérable et perd ainsi sa légitimité et sa crédibilité, car ces nouvelles technologies intégrées dans une stratégie globale peuvent constituer une alternative, voire un substitut, à la dissuasion nucléaire. D’autre part, elle devient plus dangereuse car la perte de confiance dans son efficacité et sa vulnérabilité peuvent constituer une invitation à une première frappe nucléaire, à des frappes préemptives, et le surcroît d’efficacité que peuvent lui apporter ces technologies comme la miniaturisation de charges nucléaires grâce aux nanotechnologies pourrait abaisser le seuil d’emploi de ces armes. La dissuasion nucléaire, qui est stricto-sensu une stratégie de terreur nucléaire, mais reposant sur l’impossibilité de la guerre nucléaire, donc sur le non-emploi, deviendrait alors une stratégie de persuasion pour laquelle l’emploi de l’arme nucléaire est possible, avec tous les risques d’escalade que cela comporte. Elle s’avère d’autant plus dangereuse que l’apparition de nouveaux acteurs favorisée par le développement des technologies émergentes a pour conséquence une course accélérée à des systèmes d’armes dont les performances concurrencent en termes d’efficacité et de crédibilité les armes nucléaires, augmentant de ce fait le risque de frappes nucléaires préventives.

Dans ces conditions, la raison et la lucidité voudraient que l’arme nucléaire perdant sa pertinence, soit abandonnée comme d’autres technologies devenues obsolètes, comme l’atteste l’histoire scientifique et guerrière de l’humanité. Mais le prestige que confère, à tort ou à raison, dans l’imaginaire sécuritaire cette arme symbole de puissance et de souveraineté, ne peut être effacé d’un trait de plume et conduit à l’intégrer sous la forme d’une dissuasion minimale, dans une stratégie globale où les nouvelles technologies disruptives qui vont façonner l’espace stratégique et la guerre du futur devraient devenir prépondérantes, dans leurs aspects conceptuels, scientifiques, industriels et militaires.

ÉQUILIBRE STRATÉGIQUE.

L’équilibre stratégique du monde à venir dépend du développement très rapide de ces nouvelles technologies dont les applications ouvrent des perspectives vertigineuses dans tous les domaines. Mais ce développement doit être maîtrisé, car ses possibilités soulèvent des questions éthiques, sociétales et sécuritaires et il doit s’inscrire dans le cadre d’un concept de sécurité humaine globale.


	

New technologies and nuclear Strategy.

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Dear Madam/Sir,

As you may know, IDN is acting in favour of a multilateral, gradual, and verified nuclear disarmament as well as the urgent reduction of risks of use of nuclear weapons. Our organization is, like many others, currently concerned by the increasing arms race between great powers and the dangerous lowering of the threshold of use of nuclear weapons that threatens humanity and the environment. This situation is aggravated by the emergence of new technologies, sometimes qualified as ‘disruptive’, that contribute both to a heightened nuclear risk and to the obsolescence of nuclear weapons. IDN thus asked its experts to address the impact on the strategy of nuclear terror of eight technologies (hypersonic missiles, directed energy weapons, cyber threats, space warfare, artificial intelligence, biotechnologies, nanotechnologies, and quantum technologies) that seem to us crucial due to their innovative and prospective aspects. We hope that this contribution will allow dialogue and reflections on the proper response to such threats. The only effective one in our view would be to eliminate the cause of the risk, the nuclear weapon.

This study is published as a tribute to Paul Quilès, president-founder of IDN, and Michel Drain, Bureau member, who passed away after contributing to this initiative and its elaboration.

Best regards