Penser l’après – Essai sur la guerre, la
sécurité internationale, la puissance et la
paix dans le nouvel état du monde
(Les éditions Arcane 17, 2015, 245 p., 20 €)
Note de lecture de Jacques Le Dauphin
Le monde contemporain est
souvent présenté, comme difficile
à déchiffrer, ambigu dans son indétermination,
voire dangereux. Au
nom d’un certain réalisme, lesté
de concepts périmés, sans grandes
investigations, on laisse penser qu’il
en est ainsi. On entend dire parfois
que les cartes ont été redistribuées
sans que l’on sache vraiment quelles
sont les règles du jeu. Dans de telles
approches le futur apparaît brumeux,
dans un prolongement aléatoire du
présent. Est-il possible de se laisser
enfermer dans une telle perspective,
alors que la société appelle des
changements profonds ? Ne doit-on
pas au contraire, dès maintenant,
penser « l’après » et se projeter vers
un autre avenir. Non pas un avenir
déterminé à l’avance, programmé,
car le futur n’est pas fixé d’avance,
mais pour des objectifs se construisant
au présent.
Jacques Fath s’inscrit dans une
telle démarche. Sa formation, diplômé
de Sciences Po, licencié en sociologie,
son expérience politique acquise
lors d’une longue activité liée aux
problèmes internationaux, les responsabilités
qu’il a exercées, notamment
ces dernières années comme responsable
des relations internationales
du Parti communiste français, lui
permettent d’aborder de manière
nouvelle quelques thématiques clefs.
Ainsi il livre de multiples réflexions sur
le monde, la guerre, les conflits, les
résistances sociales et politiques, sur les
stratégies à l’oeuvre, et leurs impasses.
Cela le conduit tout naturellement à
décrypter le présent. Dans cet esprit il
cherche à prendre le recul nécessaire
pour renverser les analyses traditionnelles,
pour comprendre ce qu’est
réellement l’ordre international actuel.
Il souligne que le monde a changé,
non seulement au regard du siècle
dernier, mais aussi en résultante des
bouleversements géostratégiques
intervenus à la charnière des années
1980-1990. Les enjeux de la sécurité
internationale, la guerre elle-même
sont dans une large mesure inédits.
Jacques Fath interroge : « sommes
nous capables de “lire” ce nouveau
monde » ? « Comment appréhender
les nouvelles et multiples formes
de conflictualité constitutives des
crises, des violences politiques et
sociales, des risques et des menaces
à la sécurité, caractéristiques de notre
période » ? En réponse le livre permet
de mieux saisir certains des processus
complexes qui peuvent expliquer
dans le contexte d’aujourd’hui la
nature de la conflictualité, de la violence
et du terrorisme.
Le paradigme de la puissance
est aujourd’hui légitimement mis
en cause, alors qu’il se situe encore
comme moyen et comme finalité, au
coeur des choix stratégiques effectués
tant dans les domaines de la politique
internationale et de la défense que
dans l’économie et dans bien d’autres
domaines civils. La période qui s’est
ouverte avec le 11 septembre 2001
marque un retour à la puissance militaire,
comme outil, comme l’ultime ratio
des relations internationales. Ce qui
conduit inévitablement à la recherche
de nouveaux équilibres des puissances
militaires. Ainsi Jacques Fath souligne
la vicissitude de la puissance militaire,
l’impasse des politiques appliquées et
des réponses fondées sur la puissance et
l’exercice de la force. Les échecs enregistrés
par les troupes américaines et celles
de l’Otan en Afghanistan, en Irak, en sont
l’expression. À quoi servent la puissance
militaire et la prévention nucléaire face
aux conflits ouverts aujourd’hui ? Elles
ne sont pas susceptibles d’apporter une
réponse adéquate.
Que penser à ce sujet des armes
nucléaires considérées comme
moyen d’exercer la puissance ? Les
armes nucléaires et par là même la
politique de dissuasion qui s’y rattache
ont singulièrement perdu de leur
pertinence stratégique. Il reste que ces
armes par leur nature constituent un
danger permanent. D’où la nécessité
d’un traitement politique multilatéral
particulier et un engagement résolu
contre leur prolifération, pour leur
élimination et leur interdiction. C’est
dans cette voie que la France devrait
s’engager, au lieu et place d’une
modernisation de ses arsenaux existants,
qui n’assure en rien sa sécurité,
ni son rang dans le monde.
Pour conclure Jacques Fath pense
que nous vivons un changement de
paradigme historique, avec l’épuisement
d’un certain ordre international.
Les politiques mises en oeuvre ne
permettent pas de penser « l’après ».
Combler le vide stratégique est un
impératif ; un autre ordre international
est à construire, dans l’exigence
de la responsabilité collective, du
multilatéralisme, du désarmement et
de la sécurité humaine. Promouvoir
un autre monde n’est pas une utopie,
mais une exigence sociale, une
ambition politique et une forme de
révolution dans la pensée.
Toutes ces idées avancées dans
le livre et présentées ici de manière
très sommaire incitent fortement à
la lecture et à sa diffusion.
Jacques Le Dauphin