«Un Président ne devrait pas dire ça…». Remarques sur le chapitre Monde.

 

J’ai lu le chapitre Monde du livre « Un Président ne devrait pas dire ça… » (1). Ce livre, abondamment commenté dans les médias, se présente comme le récit d’une enquête et d’une confrontation de deux journalistes avec François Hollande, Chef d’État. Il s’agit donc d’un livre au contenu plutôt important puisqu’il constitue une sorte de bilan de l’action présidentielle. Certes, un bilan très partiel… et en langage parlé, mais un bilan tout de même. Une forme d’approche de l’action du Chef de l’État après quelque cinq années d’exercice dans la fonction.

Les commentaires journalistiques et politiques ont donné le ton global : stupéfaction, désapprobation, ironie, embarras…il fallait donc voir par soi même. J’ai lu (d’abord) le chapitre Monde, celui qui intéresse le plus les lecteurs de ce blog. Voici quelques remarques concernant ce chapitre. Non pas sur l’ensemble de la politique mise en œuvre par François Hollande mais sur ce que révèle cet échange entre le Président de la République et les deux journalistes qui l’interrogent.

Ce chapitre ne touche qu’à quelques thématiques : Syrie, Mali, Ukraine et Poutine, Grèce, et une dernière partie ou Hollande parle beaucoup de lui-même.

François Hollande répond aux questions qu’on lui pose… On ne saurait donc lui reprocher de ne pas traiter d’une matière relevant des fonctions régaliennes qu’il doit assumer : la défense. Quoique… Pourquoi n’a-t-il pas de lui-même abordé ce thème décisif, en particulier quant à la perspective problématique, après 2020, d’un doublement des dépenses pour la dissuasion nucléaire, de l’augmentation globale considérable des dépenses militaires, et des orientations de l’action extérieure de la France ? Peut-être préfère-t-il laisser ce sujet au successeur qui devra faire des choix, prendre des décisions d’une grande importance pour l’avenir du pays, de la sécurité internationale jusqu’aux finances publiques. Disons qu’il y aurait eu du courage et au moins une bonne opportunité à donner quelques informations pertinentes sur un sujet qui appelle débat citoyen et transparence démocratique. Mais le débat et la transparence… ce sont des choses qui manquent dans la détermination des choix de l’action extérieure. Remarquons aussi que ces « vertus » là sont plutôt caractéristiques d’une action dictée par une grande ambition, par une capacité à prendre de la hauteur. Or, on ne voit vraiment rien de cela dans « Un Président ne devrait pas dire ça… ». Les deux journalistes le confirment par ce commentaire : « François Hollande, et le constat vaut aussi pour son action intérieure, est plus un gestionnaire qu’un visionnaire » (p. 528).

L’obsession de l’hexagonal et du tacticien

Dans cette attitude de gestionnaire, F. Hollande se montre surtout attentif, non pas au sens et à la portée nécessaires de son rôle, et à la nature des décisions qui engagent la France, mais… à la droite, à Nicolas Sarkozy, aux sondages, aux réactions présumées des Français… Il passe beaucoup de temps à disserter sur l’hexagonal, sur les raisons intérieures de ses choix. Bien plus que sur la légitimité et l’efficacité de ces derniers quant à l’action internationale de la France.

Nul ne peut s’étonner d’un tel travers si caractéristique de ce qu’on appelle la politique politicienne, conception dominante aujourd’hui. Mais on reste tout de même pantois devant une vue si courte, devant des centres d’intérêts si limités. Le rôle français ne mérite-t-il pas autre chose ?

Parfois, cependant, quelques enjeux réels affleurent à la surface : « sur la Syrie, conclut-il, le problème qu’on a, c’est que les Américains n’ont pas de stratégie » (p.467). Quant à Poutine, « …il ne comprend que les rapports de forces » (p.465). Au delà de la désinvolture de ces formules (plutôt hors limites pour un Chef d’État), on note que F. Hollande persiste clairement à regretter de ne pas avoir bombarder en Syrie du fait des choix politiques différents d’Obama. On aurait pourtant apprécié, trois années après l’accord russo-américain sur l’élimination des armes chimiques du régime de Damas, une approche plus substantielle, plus complexe et plus auto-critique…Les désastres issus des crises, des conflits, des guerres occidentales en Afghanistan, en Irak, en Libye n’auraient donc suscité aucune envie présidentielle de s’interroger quelque peu sur cette réalité d’un monde profondément déstabilisé par des réponses militaires qui, dans la durée, sont toutes en échec. Manifestement, ce n’est pas l’analyse du Président de la République qui considère, au contraire, par exemple, que l’opération Serval au Mali « restera comme un succès incontestable » (p.479). Peu importe, donc, que cette opération ne soit qu’un épisode militaire discutable, au succès très relatif, dans un enchaînement comprenant rien moins que la destruction du régime de Tripoli, l’exécution sommaire de Kadhafi, le chaos libyen total, la persistance du terrorisme d’AQMI, la déstabilisation de tout l’espace sahélo-saharien et l’installation durable, pour ne pas dire l’enlisement, des troupes françaises, avec l’opération Barkhane, dans une immense région nord-africaine de cinq pays… Comment parler d’un succès dans cette faillite globale ?

Bon coup sans suite et carence durable

Modérons un peu la critique. F. Hollande rappelle un moment diplomatique qui mérite, en effet, un jugement plus nuancé. A l’occasion du 70è anniversaire du Débarquement, une grande initiative internationale fut organisée le 6 Juin 2014, ainsi qu’une rencontre au Château de Bénouville entre François Hollande, Angela Merkel, Vladimir Poutine et Petro Porochenko, tout nouvellement élu Président d’Ukraine. Cette rencontre sera l’occasion d’un échange sur la crise ukrainienne et d’une sorte de reconnaissance ou d’acceptation mutuelle Poutine/Porochenko. « Il ne s’est pas dit des choses extraordinaires, mais il n’y a pas eu d’altercation », affirme F. Hollande (p.494). Il en sortira ce qu’on appelle depuis le « format Normandie », instance de négociation à quatre. Pour une fois, le dialogue l’emporte.

Certes, il eut été difficile de ne rien faire à l’occasion de cette commémoration où l’Europe est au centre. Comment ne pas inviter Porochenko, ce nouvel ami des Occidentaux ? Comment ne pas inviter Poutine alors que l’URSS joua un si grand rôle dans la défaire du nazisme ? Comment ne pas inviter Merkel alors que l’Union Européenne est censée matérialiser (à l’ouest) une construction de dépassement de la guerre et d’unification ?.. On pourra déplorer le manque de résultats de l’initiative et le manque de souffle diplomatique pour la continuer… Deux ans après, alors que la crise ukrainienne n’est en rien réglée, alors que les Accords de Minsk restent inappliqués, tout cela aurait effectivement mérité quelques éléments sérieux d’appréciation. Mais rien ne vient dans les propos présidentiels, sinon ce cri du cœur : « oui, c’est un bon coup (…). En plus, on l’a fait sans l’assentiment réel des Américains » (p.494).

Ce format Normandie n’est pas une mauvaise idée. Tout ce qui peut contribuer à une concertation utile est bienvenu. Cet épisode souligne cependant un problème révélateur de la politique de F. Hollande : un intérêt très limité pour l’ONU, pour la pertinence historique et politique de ce cadre légitime et universel des relations internationales, pour le multilatéralisme. Au delà du « bon coup » de Bénouville, la quasi absence des Nations-Unies dans les 660 pages de l’ouvrage témoigne de cette carence. Une carence significative d’une politique déterminée en priorité par les rapports de puissance dans une trop grande dépendance française vis à vis de Washington.

Pas de grands desseins

La Grèce. La crise grecque témoigne d’un échec. Un échec pour tout le monde et une tragédie…pour le peuple grec. F. Hollande raconte cependant tout autre chose. Le récit présidentiel est celui d’une âpre négociation dans laquelle le Président aurait joué la délicate partition du négociateur, du médiateur, du modérateur. Celui qui soutient A. Tsipras contre l’Allemagne et contre l’ultralibéralisme de la Troïka. F. Hollande raconte comment il se démène. Pour aider Tsipras, il évoque Sapin et aussi Macron « qui est un ami sûr »… (p.502). Il envoie à Bruxelles dix fonctionnaires dont le Directeur du Trésor pour guider le gouvernement grec dans la formulation de ses propositions… Bref, c’est l’ami qui vous veut du bien. Pourtant, à quoi cette célérité a-t-elle servi ? Au final, la politique acceptée par le gouvernement Tsipras, sous l’insistance, voire la tutelle française, n’est pas autre chose que le mémorandum d’austérité drastique du FMI, de la Commission et de la Banque centrale européenne. Au fond, F. Hollande se sera objectivement comporté comme celui qui fait passer la pilule amère à Tsipras en encourageant donc celui-ci à la capitulation.

Mais ce n’est pas tout. Comme G. Davet et F. Lhomme le soulignent dans leur ouvrage, l’engagement présidentiel « n’est pas totalement dénué d’arrières pensées idéologiques ». F. Hollande l’explique très bien lui-même comme en témoigne cet extrait du livre :

« Notre intérêt, avoue-t-il, est que ce qu’on a appelé l’autre gauche devienne la gauche. Tout simplement. Il n’y a pas d’autre gauche, il y a la gauche. Il y a la gauche de gouvernement ». En incitant Syriza à devenir raisonnable, Hollande entend envoyer, en France, un message subliminal aux électeurs de gauche, nombreux à être attirés par les sirènes mélenchonistes ou frondeuses, et les convaincre que sa politique, celle d’une forme de rigueur dont il ne veut pas dire le nom, est la seule possible. There is no alternative, pour reprendre la formule chère à… l’icône des ultralibéraux, ex-Premier ministre britannique (1979-1990), l’impitoyable Margaret Thatcher » (p.503).

Ici encore, l’hexagonal et le politicien forment une bonne partie du substrat de la politique présidentielle. F. Hollande se montre en effet calculateur et très tacticien. Il ne le masque pas. Il en tire même une certaine fierté. Comme si c’était là le moyen de son accomplissement politique et institutionnel : pas de grands desseins. Juste de l’habileté conjoncturelle. Au point où certaines valeurs humaines sont passées par dessus bord et s’effacent devant le désir de coller à ce qu’on considère comme « l’opinion publique ». Les deux journalistes le soulignent à plusieurs reprises notamment à propos des migrations : « entre la générosité et la fermeté, Hollande a clairement fait son choix : les migrants ne sont pas les bienvenus dans l’hexagone ». On l’avait bien compris.

On pourra aussi s’étonner de cet aveux : le Président de la République aura donc ordonné plusieurs assassinats ciblés. « J’en ai décidé quatre au moins », dit-il (p.486), en s’inscrivant dans ce qu’il sous-entend : une pratique réputée « anti-terroriste » des pouvoirs successifs… qui s’apparente pourtant à des crimes de guerre. Georges Bush hier et Barak Obama aujourd’hui ont systématisé ces liquidations physiques hors du droit. Est-ce encore la fascination de l’exemple américain qui, en France, a poussé le pouvoir exécutif à devenir un pouvoir … « exécuteur » ? On aimerait, en tous les cas, savoir comment la DGSE et les services directement concernés ont réagi devant cette révélation. Une révélation qui n’en est pas une puisque tout se sait. Même si tout aurait dû bénéficier de la plus grande discrétion. Mais pour la discrétion… les services devront repasser.

Un incroyable contentement de soi

Heureusement que les auteurs du livre ne manquent pas d’humour… Cela leur permet de prendre un recul salvateur. Ainsi, dans la dernière partie du chapitre Monde, ils paraissent savourer leur travail lorsqu’ils écrivent : « ce sentiment troublant, c’est celui d’être en face d’un homme rayonnant en total décalage avec la décourageante réalité qui l’entoure, à l’image du chef d’orchestre du Titanic continuant de galvaniser ses musiciens au mépris de l’inéluctable naufrage » (p.514). F. Hollande va d’ailleurs jusqu’à dire : « c’est maintenant que je suis au meilleur rendement … » (p.515). Il est sûr d’être « à la hauteur ». Les journalistes parlent d’un sentiment de « plénitude ». On se demande évidemment comment il est possible à un tel niveau de responsabilité, d’assumer une telle politique, au mépris des valeurs mainte fois réitérées, avec un tel contentement de soi. « C’est là, dit-il, maintenant, que je me sens, depuis le début du mandat, le plus à même de donner. De tout maîtriser »… On se pince alors en lisant cela afin d’être sûr de ne pas divaguer… ou pour ne pas rire.

Il y a là, pourtant, quelque chose de presque dramatique dans l’histoire politique française. C’est probablement la première fois dans cette histoire – au moins celle de la Cinquième République – qu’un Chef d’État est décrédibilisé à ce point. Non seulement du fait d’un rejet profond très majoritaire de sa politique, mais aussi en raison du récit public non crédible et ridiculisant qu’il bâtit lui-même sur son activité. Il se déconsidère et déconsidère l’institution présidentielle qu’il est pourtant censé incarner. Alors que sa fonction de Chef d’État est, précisément, d’abord celle d’un gardien des institutions de la République. Consternant.

1) « Un Président ne devrait pas dire ça… Les secrets d’un quinquennat », Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Stock, 2016.

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