Liberté Hebdo du 8 au 15 février 2018
Ancien membre du comité exécutif et responsable des relations internationales du PCF de 2006 à 2013, Jacques Fath est l’auteur d’un essai sur la guerre, la sécurité internationale, la puissance et la paix. Il sera l’invité d’Espace Marx le 16 février à Hellemmes.
Les conflits d’aujourd’hui ne relèvent plus des mêmes aspects que ceux qui ont caractérisé le XXe siècle. Comment définir ces guerres ?
Il s’est produit une transformation de l’ordre international dès la fin des années 1980, avec trois facteurs déterminants : un basculement géopolitique avec l’effondrement de l’URSS et du Pacte de Varsovie, l’approfondissement de la crise du capitalisme mondialisé et la révolution numérique. La robotisation, l’ intelligence artificielle… jouent un rôle décisif dans l’élaboration des armes nouvelles.
Ces trois facteurs ont engendré une mutation de l’ordre international, notamment dans les formes et la nature des guerres. Les conflictualités actuelles ne procèdent donc plus du même contexte. Elles sont déterminées par la crise du capitalisme, par ses contradictions et ses fractures sociales, et par les rivalités de puissances.
Vous pensez à la Chine, l’Inde ?
Ces rivalités sont permanentes entre les États-Unis et la Chine, entre les États-Unis et la Russie… avec des formes d’alliances compliquées, notamment au Moyen-Orient. Chacun défend ses intérêts stratégiques. Ainsi la Turquie, pourtant membre de l’OTAN, se permet de tenir tête aux États-Unis…
Il faut être attentif à ce qui se passe avec la Chine, notamment au regard de ces « Nouvelles routes de la soie ». C’est une politique d’investissements et de rapprochements multiples, y compris avec la Russie… même si, là aussi, ce n’est pas sans contradictions. Il s’agit d’une formidable projection de puissance économique. Cela semblent préfigurer quelque chose comme une Eurasie sous domination chinoise. Les ambitions de Pékin dépassent d’ailleurs ce vaste horizon continental.
La Chine, pourtant, revendique une action de « soft power », sans engagement militaire…
Par son poids, sa puissance intrinsèque, le pays peut acquérir une hégémonie qui ne ressemble pas à la forme néo-impérialiste occidentale. Mais on constate, en mer de Chine méridionale, des tensions de souveraineté territoriale dans une zone conflictuelle avec des aspects militaires qui traduisent la montée d’une affirmation militaire chinoise.
Quant aux Nouvelles routes de la soie – stratégie essentiellement économique -, elle s’accompagne aussi de considérations sécuritaires : la Chine a fourni deux navires de guerre au Pakistan. Elle a installé une base militaire à Djibouti… Elle ne peut s’extraire des enjeux stratégiques, mais on ne peut pas considérer aujourd’hui que son attitude est équivalente à celle des États-Unis.
Pour lutter contre le terrorisme sur leur territoire, les puissances occidentales, dont la France, envoient des contingents militaires en Afrique, en Afghanistan… Pour quel résultat ?
La France intervient militairement, notamment dans la zone sahélo-saharienne, contre les groupes armés djihadistes et les réseaux criminels organisés, parce qu’elle est l’ancienne puissance coloniale. Elle a, et elle veut en garder les capacités du fait de ses intérêts propres. Certains disent qu’ il faut affronter le terrorisme là où il apparaît… Mais l’intervention française ne règle rien. Il y a surtout la volonté de protéger une zone d’influence et des intérêts cruciaux, notamment au Niger avec l’exploitation de l’uranium.
Mais il n’y a pas que la France et l’opération Bakhane. Il faut ajouter la Minusma (mission ONU) le G5 Sahel (les cinq États de la zone), l’ EUTM Mali (mission de formation UE) et l’armée malienne… soit entre 35 et 40 000 soldats en 2018. Cet agrégat de forces et de missions obtient quels résultats ?.. Le règlement politique est dans l’impasse, la zone sahélo-saharienne est plus déstabilisée que jamais, ce qui alimente les migrations forcées… et bloquées par les pays de l’UE ! C’est un échec majeur de la conception sécuritaire et militaire dominante.
Pourquoi les questions de défense ne donnent-elles pas lieu à plus de débat en France ?
Il y a très peu de débat public sur les questions de défense. La critique semble illégitime tellement l’emprise d’un esprit unilatéral de défense est forte. Alors qu’il n’y a pas de consensus national sur ces questions. Le pouvoir a mis le couvercle sur les enjeux du nucléaire militaire depuis des années, ce que confirme Emmanuel Macron. Ces questions méritent bien autre chose. Par exemple, faire rentrer la question de l’élimination des armes nucléaires dans le débat stratégique…et public. Avec l’adoption du Traité d’interdiction des armes nucléaires c’est le moins qu’on puisse faire…
Pas de paix sans justice sociale, disent des acteurs tels que le Mouvement de la paix. Est-ce votre point de vue ? Pourquoi ?
C’est décisif… Même des militaires l’affirment : l’intervention armée seule ne résout pas les problèmes. Mais ce ne sont que des discours. La réalité et la gravité des problèmes posés appellent une redéfinition des politiques de développement et de coopération.
Un exemple : L’Union européenne a définit en 1975 et en 1995 une politique de coopération avec les Pays d’Afrique, mais aussi avec l’ensemble des pays arabes. Qu’est-ce qu’on constate aujourd’hui ? Une crise majeure du développement, une extension du néolibéralisme dans les échanges avec le Sud, des effondrements politiques et sociaux, des États faillis, des conflits sans fin…
Il faut répondre à la question : comment on construit de la sécurité pour les peuples ? Par le développement dans toutes ses dimensions, par des coopérations d’intérêt mutuel, par le règlement politique multilatéral des conflits, par le désarmement… Il faut créer des contextes, des politiques communes, des solidarités qui soient des réponses positives aux urgences, aux attentes sociales… et qui ouvrent le chemin du développement dans la longue durée.
Au sein du comité exécutif du PCF, vous avez été en charge des relations internationales. Les actions en faveur de la paix existent partout et recouvrent des modalités différentes. Que retenez-vous de cette expérience ? Comment donner corps à ces actions ?
La solidarité internationale est porteuse d’espoir et de confiance. Là aussi, il faut construire aujourd’hui et dans la durée. Quelles coopérations pour quel développement et pour quel ordre international voulons-nous ? Nous vivons dans un monde interdépendant. Nourrir les convergences est une nécessité. Il faut aussi conduire ensemble des batailles politiques pour la sécurité des peuples, pour la paix et le désarmement. Dans le grave contexte actuel, ce n’est pas seulement une nécessité. C’est une responsabilité.
Propos recueillis par Mathieu HEBERT
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POUR ALLER PLUS LOIN
Rencontre-débat avec Jacques Fath : « De la mondialisation capitaliste en crise à la sécurité humaine pour tous ». Vendredi 16 février à 19 h. Espace Marx, 6 bis rue Roger Salengro, Hellemmes (métro Marbrerie).