Réchauffement climatique, Guerre froide et débats stratégiques.

« La nouvelle passée sous silence : une base secrète fond sous les glaces du Groenland »

Un article d’ Alexis Rapin issu du site de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques | UQAM (Université du Québec à Montréal).

https://dandurand.uqam.ca/publication/nouvelle-passee-silence-base-secrete-fond-glaces-groenland/

Construite au cours des années 1960 puis abandonnée, une base secrète américaine fait les frais de la fonte des glaces arctiques. Le cas illustre les prochains défis posés aux grandes armées par les changements climatiques.

De quoi parle-t-on ?

L’histoire se prêterait à un scénario de James Bond, si elle n’était pas authentique. En 1959, les États-Unis entament au fin fond du Groenland la construction d’une base secrète destinée à loger quelque 600 ogives nucléaires. Positionné proche de l’URSS, protégé par l’épaisse calotte glaciaire du cercle arctique, Camp Century (c’est son nom) devait alors constituer une véritable forteresse de la Guerre froide. Suite à plusieurs problèmes techniques, ce projet rocambolesque est finalement abandonné en 1967. Toutefois, la base n’est pas véritablement démantelée.

Le hic : cinquante ans plus tard, Camp Century est toujours là, mais les glaces du Groenland fondent et menacent de répandre les polluants demeurés sur place dans la nature environnante. Un risque de catastrophe écologique que ni les États-Unis (théoriquement toujours dépositaires de la base), ni le Danemark (auquel le Groenland est rattaché) ne semblent pour le moment vouloir prendre en considération. Ceci étant, la situation est emblématique d’un imprévu de planification militaire. Les ingénieurs de l’époque, dont la priorité était de faire disparaître une infrastructure sensible, avaient estimé que les mouvements naturels des masses de glace enseveliraient la base pour toujours. Or, aujourd’hui, le réchauffement climatique vient leur donner tort.

En quoi est-ce important ?

Au-delà de son caractère quelque peu romanesque, le cas de Camp Century vient mettre en évidence un changement de donne notable : longtemps considéré comme une affaire de diplomates relevant de « low politics », le réchauffement climatique va de plus en plus concerner les militaires et s’immiscer dans les débats stratégiques.

Début 2016 déjà, le département de la Défense des États-Unis adoptait une nouvelle directive majeure, destinée à intégrer le facteur climatique à la planification stratégique de tout l’appareil militaire américain. Un expert estimait alors qu’il s’agissait « potentiellement d’une des mesures les plus significatives adoptées par le Pentagone dans l’histoire récente » : le document prenait acte du fait que les changements environnementaux, au-delà de leurs impacts proprement socio-politiques, revêtaient également une importance militaire. La montée du niveau des mers pourrait, par exemple, poser prochainement de sérieux problèmes aux bases et opérations navales américaines. L’augmentation des tempêtes et événements météorologiques extrêmes risqueraient quant à eux de limiter les capacités de survol, de reconnaissance et de collecte de renseignements des forces armées.

Barack Obama, interrogé à la fin de sa présidence sur quelle menace le préoccuperait le plus au moment de quitter la Maison-Blanche, devait répondre : « le changement climatique m’inquiète profondément, du fait de tous ses effets sur les problèmes que nous avons déjà ». Une déclaration révélatrice : le 44ème président semblait anticiper non seulement que les problèmes environnementaux généreraient leur lot d’instabilités « nouvelles » (réfugiés climatiques, raréfaction de certaines ressources, par exemple), mais également qu’ils influeraient sur les domaines plus « traditionnels » de la sécurité, tels la stratégie et les affaires militaires. De toute évidence, la dynamique de « sécuritisation » (pour reprendre un concept constructiviste) de la question climatique est loin d’avoir trouvé son terme.

À suivre…

Bien que ressurgi du passé, le cas de Camp Century est loin de constituer une exception. En janvier dernier, le Pentagone publiait une étude indiquant que près de la moitié de ses bases et infrastructures étaient à la merci de futurs événements météorologiques extrêmes. Or, alors que l’administration Trump vient d’entériner une augmentation colossale du budget de la défense, celle-ci entretient pour l’heure une ligne ouvertement climato-sceptique. Il sera intéressant de voir comment les inquiétudes des militaires américains face aux changements climatiques seront prises en compte (ou non) par une présidence qui dit vouloir faire le maximum pour ses forces armées.

Mars 2018

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