
Le rapport Stora serait donc, enfin, LA bonne réponse, LE bon choix tant attendu ? Emmanuel Macron en aura établi la commande, défini l’esprit et la ligne, et Benjamin Stora les contenus et les propositions. Cependant, si l’on veut bien y regarder d’un peu plus près, il y a un problème qui, naturellement, n’est pas seulement celui du rapport. Ce problème c’est la politique des autorités françaises. Que Benjamin Stora ait pu choisir de s’inscrire dans la démarche présidentielle n’est qu’un aspect de la question. Je crois nécessaire d’en discuter l’opportunité, malgré le respect que l’on peut avoir pour cet historien très engagé, car, à l’évidence, la politique que ce rapport contribue à définir et à nourrir constitue une grave insuffisance ou un recul.
Un recul sur les faits de l’histoire (que Benjamin Stora connaît très bien). Un recul sur les attentes algériennes. Un recul sur les déclarations d’Emmanuel Macron lui-même. Il vaut la peine de rappeler ce qu’en février 2017, en tant que candidat à la Présidence de la République, Emmanuel Macron déclarait à la télévision algérienne : « La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes » (1). Et il n’y là qu’une des phrases fortes qu’il osa prononcer…
Évidemment, de tels propos avaient manifestement pour objet de montrer une volonté et une capacité d’être en rupture avec tout ce qui a précédé, avec la pusillanimité des présidences précédentes… Cela voulait dire : moi, Emmanuel Macron, voyez comme j’ose bousculer jusqu’à l’histoire elle-même… Qu’en reste-t-il ? Et puis, comment croire à la sincérité d’Emmanuel Macron, hier, quand celui-ci, depuis, n’a jamais fait que soutenir une autre politique de colonisation, la colonisation israélienne productrice de crimes de guerre voire crimes contre l’humanité ? Des crimes susceptibles maintenant de condamnation par la Cour Pénale Internationale qui vient de se dire compétente pour en juger. Certains plaideront qu’il est difficile de comparer. Mais en politique les valeurs ne sont pas des variables d’ajustement.
Posons-nous la question. Devant quoi, devant qui la France officielle recule-t-elle aujourd’hui ? Devant la peur. La peur politique et la peur électoraliste. La peur des effets d’un langage de vérité. Il est consternant qu’un Président ayant passé son temps à se prévaloir d’un discours de transgression, et à se présenter comme celui qui ose intervenir sur des terrains où personne n’eut l’audace de s’aventurer auparavant, puisse aujourd’hui être pris de vertige devant ce que la vérité historique, systémique et criminelle du colonialisme et de ses atrocités pourrait déclencher : des débats frénétiques et des critiques agressives (n’en doutons pas) dans les réalités de la France d’aujourd’hui. Ne pas avoir la témérité de prendre frontalement les thèses de l’extrême droite et des nostalgiques de l’Algérie française alors que se dessinent des élections décisives… Est-ce vraiment digne ? Ne pas avoir la détermination à regarder l’histoire en face à cause de confrontations politiques et idéologiques inévitables… Est-ce acceptable ? Voilà qui en dit beaucoup sur le manque de courage de la France officielle d’aujourd’hui. Et puis, à ne pas vouloir trancher on entretient justement les thèses de ceux qui ne veulent rien ni accepter, ni reconnaître d’une histoire forcément très accusatrice.
Alors, la solution fut aisément trouvée : abandonner l’idée d’une rupture. S’adapter et continuer autrement. Entreprendre pour cela une démarche de progressivité, de pragmatisme, de pas à pas pour « trouver du commun »… Franchement, ce n’est pas ce que l’on appelle oser « regarder l’histoire en face » alors que cette exigence se fait de plus en plus pressante… Que diront les autorités françaises en Juillet 2022 pour le 60ème anniversaire de l’Indépendance de l’Algérie ? Pourront-elles justifier encore le silence d’État sur la question de la responsabilité, sur la nature de la colonisation, sur la dimension des crimes, sur la fermeture des archives, et sur tant d’autres choses… Tôt ou tard, la France devra produire un acte à la hauteur de l’histoire, en lieu et place de cette tentative pour la contourner et pour tenter échapper à ses propres responsabilités.
La reconnaissance de la dimension historique des crimes commis par l’État français, par son armée et par sa police dans la conquête coloniale et dans le système de domination, prédation, dépossession et humiliation du système colonial… mérite bien autre chose qu’une nouvelle instrumentalisation des attentes et des exigences légitimes en Algérie, mais aussi en France, pour qu’enfin, avec dignité, les crimes et les atrocités, mais aussi le fait historique même de la colonisation comme système, soient reconnus pour ce qu’ils sont réellement. N’oublions pas non plus que la France devra tôt ou tard mesurer et assumer les conséquences des 17 essais nucléaires effectués entre 1960 et 1967, dans le Sahara algérien, notamment quant aux déchets et aux contaminations. La France se doit de coopérer avec l’Algérie sur cette question, et lui apporter une assistance face à ce défi de sécurité et d’exemplarité internationale nécessaire.
Le problème n’est pas de savoir s’il faut ou non approuver et encourager des initiatives, des gestes, des symboles qui pourraient avoir quelque sens et un rapport positif à cette histoire du colonialisme. Qui oserait refuser des actes signifiants s’ils soulignent correctement la responsabilité de l’État français ? Mais est-ce à la hauteur du problème posé… celui du sens politique de la bataille prioritaire à mener : obtenir de l’État français la reconnaissance officielle des crimes commis en son nom, et par lui-même, contre tout un peuple.
Et que l’on cesse de nous opposer l’argument ridicule de la détestation de la repentance et du refus de se « battre la coulpe »… Il ne s’agit pas de morale mais de politique, et de dignité dans la politique. Il s’agit d’histoire et de vérité historique. A force de reculer sur la finalité le pouvoir politique risque d’y perdre beaucoup de sa crédibilité. Mais n’est-ce pas déjà trop tard pour lui ?
1) « Colonisation : les propos inédits de Macron font polémique », Patrick Roger, Le Monde, 16 février 2017. https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/02/16/pour-macron-la-colonisation-fut-un-crime-contre-l-humanite_5080621_4854003.html
Une nouvelle Opération enfumage ?
les gardiens du temple médiatique font grand bruit autour du rapport commandé par le Président Macron à Benjamin Stora sur la guerre d’Algérie.
On pourrait s’en réjouir, si à l’écoute de M. Stora, ne perçait pas la tentation, de gommer de l’histoire le rôle des communistes dans les luttes menées contre cette « sale »guerre.
Les éditions Messidor/Temps actuels publièrent en 1983 un ouvrage rédigé par un collectif d’historiens sous la direction du journaliste d’Henri Alleg, qui fut arrêté et torturé par des soldats français.
Henri Alleg, Jacques de Bonis, Henri J. Douzon, Pierre Audiquet formaient l’équipe de rédaction à laquelle collabora Gilberte Alleg.
Je ne sais si cet ouvrage qui, de la conquête de 1930 à l’indépendance de 1963, retrace en trois volumes abondamment illustrés l’histoire de l’Algérie est encore trouvable en librairie, mais il mérite d’être découvert ou redécouvert.
Alors n’hésitez pas à fouiller sur le Net ou chez les libraires et bouquinistes. Si vous le trouvez, n’hésitez pas offrez vous le, ou offrez le, vous n’en aurez pas de regret…
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