UN an après…

Durant la matinée du samedi 12 novembre 2016 , à la Bourse du Travail de Sevran (Seine Saint Denis), la CGT a rendu hommage à Patricia San Martin et à sa fille Elsa Delplace, tuées toutes deux au Bataclan le 13 novembre 2015 lors de l’attaque terroriste qui fit 130 victimes en Île de France. Cet hommage, empreint d’un grand esprit de solidarité, de dignité et de combativité, s’est déroulé en présence de très nombreux militants de la CGT et d’autres syndicats, de personnalités, d’amis… Parmi les intervenants : Philippe Martinez, Secrétaire Général de la CGT, Stéphane Gatignon, maire de la Ville et François Asensi Député et maire de Tremblay en France.

Dans l’après-midi, une cérémonie s’est tenue à l’initiative du maire, sur le Parvis du Centre administratif Paul Eluard, en présence de Mme Annick Girardin, Ministre de la Fonction publique et M. Axel Cabrera, Consul général du Chili à Paris. Vous trouverez ci-dessous l’intervention de notre ami Michel Delplace, père d’Elsa.

Rappelons-nous.

Nous sommes à la fin de l’année 1970. Salvador Allende est élu président de la République du Chili.

Un espoir immense se lève avec le mouvement d’Unité Populaire qui engage alors le pays dans la voie de transformations démocratiques profondes.


À cette époque, sur les traces de son père Rolando San Martin, qui est un responsable communiste dans le sud du Chili, Patricia est active à la JOTA, la jeunesse communiste chilienne.


Le 11 septembre 1973, c’est le coup d’État :

Comme des milliers d’autres démocrates chiliens,
le père de Patricia est arrêté et contraint à l’exil.

Le 7 septembre 1976, il doit partir pour la France où Patricia et sa maman vont le rejoindre quelques jours plus tard.

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La solidarité en France s’était organisée. C’est ainsi que la famille San Martin est accueillie à Fontenay-sous-Bois où elle 
retrouve d’autres familles chiliennes.

La solidarité, à ce moment, prend toutes les formes :

Ainsi, le Théâtre de la Résistance de Gustavo Gac travaille, depuis un moment, dans les locaux de la Maison des Jeunes et de la Culture de Blanc-Mesnil. C’est là que je rencontre Patricia, lorsqu’elle rejoint cette troupe, notamment pour la pièce « Chili Liberté » qui s’ouvrait par la chanson « 
Gracias a la vida » :

« Merci à la vie qui m’a tant donné ».

C’est au Mans, dans les années 80, que Patricia tient un restaurant qui est un authentique lieu de rencontre avec le Chili et sa culture.

C’est là, au Mans, qu’Elsa est arrivée au monde. Plus tard, elle dira à ses copains et à ses copines d’école à Blanc Mesnil, fière de sa différence : « Je suis sarthoise ! ». Encore plus tard, elle ira puiser dans ses racines chiliennes.

De 
retour en Seine Saint-Denis, Patricia donne naissance à Fabien, le complice d’Elsa,

Puis, elle entre à la ville de Sevran en 1986.

Nos chemins se séparent en 1992, Elsa et Fabien toujours présents.

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Elsa, c’est le refus du compromis et une langue bien pendue. Son audace, sa vivacité, sont d’ailleurs ce qui a séduit les responsables du Cabinet MANÉGÉRÉ, qui lui proposent un CDI sans attendre la fin de son essai. Ils apprécient, je cite, « son grain de folie ».

Elle est heureuse, épanouie. Elle fait le plein de projets avec son petit Louis.

C’était trois jours avant le Bataclan.

Elsa, c’est l’image d’une vie trépidante , avec cette grande fragilité qu’elle cachait au fond d’elle-même.

Ouverte aux autres, le coeur sur la main (je me souviens que, toute jeune, elle achetait avec son argent de poche, « L’Itinérant » le journal des sans-abri),

elle est prête à tout entreprendre.

Je pense en particulier à cette aventure qu’elle lance avec des amis :

« Les instants folies »…

Elle affiche alors sur les réseaux sociaux :

« Chaque jour est une vie entière ».

Et puis, il y a ce mot qu’elle porte en tatouage : « Levantate»,

« Lève-toi » tiré d’une chanson de Victor Jara :

« Lève-toi et regarde la montagne

Apporte-nous ton royaume de justice et d’égalité… »

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Un quotidien titrait l’année dernière : « À quand un monde selon Elsa ? »

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13 novembre 2015.

130 morts. Plusieurs centaines de blessés. Des milliers de personnes en souffrance.

Un an après, par une surprenante confusion du temps, je sais maintenant qu’Elsa et Patricia vont être tuées demain soir…

Leur mort a-t-elle un sens ? C’est à nous d’y réfléchir, c’est à nous d’en faire quelque chose. D’ailleurs, avons-nous le choix ?

C’est le temps des hommages, du souvenir, de l’amitié ô combien nécessaire pour ceux qui restent et souffrent chaque jour.

C’est aussi le temps des questions :

Pourquoi cette tuerie le 13 novembre  ? Et Nice ? Et Saint-Étienne du Rouvray ?


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Les assassins sont-ils des fous, des forcenés ? Non, ils sont tous passés par la Syrie rejoindre l’État islamique, avec une organisation, une logistique puissante. Alors ?

Alors… il faut mettre à nu les racines du terrorisme, les racines de la terreur que veut faire régner l’État islamique, car je suis persuadé qu’on ne peut répondre aux grands enjeux de ce monde par les Rafale et les missiles :

la vengeance n’est PAS la justice !

Pour agir, nous devons nous poser les bonnes questions.

Et c’est aussi la responsabilité des pouvoirs publics que de le faire.

Comprendre pour agir !

– Pourquoi nos sociétés européennes produisent-elles tant de djihadistes ?

– Pourquoi notre monde se déchire t-il si cruellement au Proche-Orient, en Afrique… ?

– Pourquoi des idéologies violentes et porteuses de mort gagnent-elles des sociétés ?

– Quels moyens, d’abord humains, faut-il développer pour la sécurité ? 


– Et si on remettait l’Organisation des Nations-Unies et les principes fondateurs de sa Charte au cœur de toute vision politique ?…

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Je me permets de parler ainsi, car je considère qu’il est de ma responsabilité personnelle, individuelle, d’agir, à une échelle des plus modestes, pour que personne ne vive à nouveau ce que je vis.

La Nation tout entière est concernée.

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Au moment de la guerre d’Espagne, Paul Eluard écrivait :

« On s’habitue à tout

Sauf à ces oiseaux de plomb

Sauf à leur haine de ce qui brille

Sauf à leur céder la place. »

Ce combat, c’est le nôtre.

Ce combat, c’est celui d’Elsa et Patricia.

Alain Badiou-Stathis Kouvélakis « De Syriza à Nuit Debout: le printemps des peuples européens est-il déjà terminé? »(VIDÉO)

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