Document – discours du Pape François à Marseille, 23 09 2023

« Ceux qui risquent leur vie en mer n’envahissent pas, ils cherchent l’hospitalité »

Je vous salue cordialement et vous suis, à chacun, reconnaissant d’avoir accepté l’invitation du cardinal Aveline à participer à ces rencontres. Je vous remercie pour votre travail et pour les réflexions précieuses que vous avez partagées. Après Bari et Florence, le chemin au service des peuples méditerranéens se poursuit : les responsables ecclésiastiques et civils sont encore ici réunis, non pas pour traiter d’intérêts mutuels, mais animés par le désir de s’occuper de l’homme ; merci de le faire avec les jeunes qui sont le présent et l’avenir de l’Église comme de la société.

La ville de Marseille est très ancienne. Fondée par des navigateurs grecs venus d’Asie Mineure, le mythe la fait remonter à une histoire d’amour entre un marin émigré et une princesse locale. Elle présente dès ses origines un caractère composite et cosmopolite : elle accueille les richesses de la mer et donne une patrie à ceux qui n’en ont plus. Marseille nous dit que, malgré les difficultés, la convivialité est possible et qu’elle est source de joie. Sur la carte, entre Nice et Montpellier, elle semble presque dessiner un sourire ; et j’aime à la considérer ainsi : Marseille est « le sourire de la Méditerranée ». Je voudrais donc vous proposer quelques réflexions autour de trois réalités qui caractérisent Marseille : la mer, le port et le phare. Ce sont trois symboles.

1. La mer. Une marée de peuples a fait de cette ville une mosaïque d’espérance, avec sa grande tradition multiethnique et multiculturelle, représentée par plus de 60 consulats présents sur son territoire. Marseille est une ville à la fois plurielle et singulière, car c’est sa pluralité, fruit de sa rencontre avec le monde, qui rend son histoire singulière. On entend souvent dire aujourd’hui que l’histoire de la Méditerranée est un entrelacement de conflits entre différentes civilisations, religions et visions. Nous n’ignorons pas les problèmes – il y en a – mais ne nous y trompons pas : les échanges entre peuples ont fait de la Méditerranée un berceau de civilisations, une mer qui regorge de trésors, au point que, comme l’écrivait un grand historien français, elle n’est pas « un paysage, mais d’innombrables paysages. Ce n’est pas une mer, mais une succession de mers » ; « depuis des millénaires, tout s’y est engouffré, compliquant et enrichissant son histoire » (F. Braudel, La Méditerranée, Paris 1985, p. 16). La mare nostrum est un espace de rencontres : entre les religions abrahamiques, entre les pensées grecque, latine et arabe, entre la science, la philosophie et le droit, et entre bien d’autres réalités. Elle a diffusé dans le monde la haute valeur de l’être humain, doté de liberté, ouvert à la vérité et en mal de salut, qui voit le monde comme une merveille à découvrir et un jardin à habiter, sous le signe d’un Dieu qui fait alliance avec les hommes.

Un grand Maire voyait dans la Méditerranée non pas une question conflictuelle, mais une réponse de paix, mieux encore, « le commencement et le fondement de la paix entre toutes les nations du monde » (G. La Pira, Paroles en conclusion du premier Colloque Méditerranéen, 6 octobre 1958). Il disait en effet : « La réponse […] est possible si l’on considère la vocation historique commune et pour ainsi dire permanente que la Providence a assignée dans le passé, assigne dans le présent et, en un certain sens, assignera dans l’avenir aux peuples et aux nations qui vivent sur les rives de ce mystérieux lac de Tibériade élargi qu’est la Méditerranée » (Discours d’ouverture du 1er Colloque méditerranéen, 3 octobre 1958). Lac de Tibériade, ou Mer de Galilée : un lieu, c’est-à-dire, où se concentrait à l’époque du Christ une grande variété de peuples, de cultes et de traditions. C’est là, dans la « Galilée des nations » (cf. Mt 4, 15), traversée par la Route de la Mer, que se déroula la plus grande partie de la vie publique de Jésus. Un contexte multiforme et, à bien des égards, instable, fut le lieu de la proclamation universelle des Béatitudes, au nom d’un Dieu Père de tous, qui « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 45). C’était aussi une invitation à élargir les frontières du cœur, en dépassant les barrières ethniques et culturelles. Voici donc la réponse qui vient de la Méditerranée : cette mer pérenne de Galilée invite à opposer la « convivialité des différences » à la division des conflits (T. Bello, Benedette inquietudini, Milano 2001, p. 73). La mare nostrum, au carrefour du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest, concentre les défis du monde entier comme en témoignent ses « cinq rives » sur lesquelles vous avez réfléchi : l’Afrique du Nord, le Proche-Orient, la mer Noire-Égée, les Balkans et l’Europe latine. Elle est à l’avant-poste de défis qui concernent tout le monde : nous pensons au défi climatique, la Méditerranée représentant un hotspot où les changements se font sentir plus rapidement. Comme il est important de sauvegarder le maquis méditerranéen, écrin unique de biodiversité ! Bref, cette mer, environnement qui offre une approche unique de la complexité, est un « miroir du monde », et elle porte en elle une vocation mondiale à la fraternité, vocation unique et unique voie pour prévenir et surmonter les conflits.

Frères et sœurs, sur la mer actuelle des conflits, nous sommes ici pour valoriser la contribution de la Méditerranée, afin qu’elle redevienne un laboratoire de paix. Car telle est sa vocation : être un lieu où des pays et des réalités différentes se rencontrent sur la base de l’humanité que nous partageons tous, et non d’idéologies qui opposent. Oui, la Méditerranée exprime une pensée qui n’est pas uniforme ni idéologique, mais polyédrique et adhérente à la réalité ; une pensée vitale, ouverte et conciliante : une pensée communautaire, c’est le mot. Comme nous avons besoin de cela dans les circonstances actuelles où des nationalismes archaïques et belliqueux veulent faire disparaître le rêve de la communauté des nations ! Mais – rappelons-le – avec les armes on fait la guerre, pas la paix, et avec l’avidité du pouvoir on retourne toujours au passé, on ne construit pas l’avenir.

Par où commencer alors pour enraciner la paix ? Sur les rives de la Mer de Galilée, Jésus commença par donner de l’espérance aux pauvres, en les proclamant bienheureux : il écouta leurs besoins, il soigna leurs blessures, il leur annonça avant tout la bonne nouvelle du Royaume. C’est de là qu’il faut repartir, du cri souvent silencieux des derniers, et non des premiers de la classe qui élèvent la voix même s’ils sont bien lotis. Repartons, Église et communauté civile, de l’écoute des pauvres qui sont à « s’embrasser, et non pas à compter » (P. Mazzolari, La parola ai poveri, Bologne 2016, p. 39), car ils sont des visages et non des numéros. Le changement de rythme de nos communautés consiste à les traiter comme des frères dont nous devons connaître l’histoire, et non comme des problèmes gênants, en les expulsant, en les renvoyant chez eux ; il consiste à les accueillir, et non les cacher ; à les intégrer, et non s’en débarrasser ; à leur donner de la dignité. Et Marseille, je veux le répéter, est la capitale de l’intégration des peuples. C’est votre fierté ! Aujourd’hui, la mer de la coexistence humaine est polluée par la précarité qui blesse même la splendide Marseille. Et là où il y a précarité il y a criminalité : là où il y a pauvreté matérielle, éducative, professionnelle, culturelle, religieuse, le terrain des mafias et des trafics illicites est déblayé. L’engagement des seules institutions ne suffit pas, il faut un sursaut de conscience pour dire « non » à l’illégalité et « oui » à la solidarité, ce qui n’est pas une goutte d’eau dans la mer, mais l’élément indispensable pour en purifier les eaux.

En effet, le véritable mal social n’est pas tant l’augmentation des problèmes que le déclin de la prise en charge. Qui aujourd’hui est proche des jeunes livrés à eux-mêmes, proies faciles de la délinquance et de la prostitution ? Qui les prend en charge ? Qui est proche des personnes asservies par un travail qui devrait les rendre plus libres ? Qui s’occupe des familles effrayées, qui ont peur de l’avenir et de mettre au monde de nouvelles créatures ? Qui écoute les gémissements des personnes âgées isolées qui, au lieu d’être valorisées, sont parquées dans la perspective faussement digne d’une mort douce, en réalité plus salée que les eaux de la mer ? Qui pense aux enfants à naître, rejetés au nom d’un faux droit au progrès, qui est au contraire une régression de l’individu ? Aujourd’hui, nous avons le drame de confondre les enfants avec les petits chiens. Mon secrétaire me disait qu’en passant par la place Saint-Pierre, il avait vu des femmes qui portaient des enfants dans des poussettes… mais ce n’étaient pas des enfants, c’étaient des petits chiens ! Cette confusion nous dit quelque chose de mauvais. Qui regarde avec compassion au-delà de ses frontières pour entendre les cris de douleur qui montent d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ? Combien de personnes vivent plongées dans les violences et souffrent de situations d’injustice et de persécution ! Et je pense à tant de chrétiens, souvent contraints de quitter leur terre ou d’y vivre sans que leurs droits soient reconnus, sans qu’ils jouissent d’une citoyenneté à part entière. S’il vous plaît, engageons-nous pour que ceux qui font partie de la société puissent en devenir les citoyens de plein droit. Et puis il y a un cri de douleur qui résonne plus que tout autre, et qui transforme la mare nostrum en mare mortuum, la Méditerranée, berceau de la civilisation en tombeau de la dignité. C’est le cri étouffé des frères et sœurs migrants, auxquels je voudrais consacrer mon attention en réfléchissant sur la deuxième image que nous offre Marseille, celle de son port.

2. Le port de Marseille est depuis des siècles une porte grand-ouverte sur la mer, sur la France et sur l’Europe. C’est d’ici que beaucoup sont partis chercher du travail et un avenir à l’étranger, c’est d’ici que beaucoup ont franchi la porte du continent avec des bagages chargés d’espérance. Marseille a un grand port et elle est une grande porte qui ne peut être fermée. Plusieurs ports méditerranéens, en revanche, se sont fermés. Et deux mots ont résonné, alimentant la peur des gens : « invasion » et « urgence ». Et on ferme les ports. Mais ceux qui risquent leur vie en mer n’envahissent pas, ils cherchent hospitalité, ils cherchent la vie. Quant à l’urgence, le phénomène migratoire n’est pas tant une urgence momentanée, toujours bonne à susciter une propagande alarmiste, mais un fait de notre temps, un processus qui concerne trois continents autour de la Méditerranée et qui doit être géré avec une sage prévoyance, avec une responsabilité européenne capable de faire face aux difficultés objectives. Je regarde, ici, sur cette carte, les ports privilégiés pour les migrants : Chypre, la Grèce, Malte, l’Italie et l’Espagne… Ils font face à la Méditerranée et accueillent les migrants. La mare nostrum crie justice, avec ses rivages où, d’un côté, règnent l’opulence, le consumérisme et le gaspillage et, de l’autre, la pauvreté et la précarité. Là encore, la Méditerranée est un reflet du monde : le Sud qui se tourne vers le Nord, avec beaucoup de pays en développement, en proie à l’instabilité, aux régimes, aux guerres et à la désertification, qui regardent les plus aisés, dans un monde globalisé où nous sommes tous connectés mais où les fossés n’ont jamais été aussi profonds. Pourtant, cette situation n’est pas nouvelle de ces dernières années, et ce n’est pas ce Pape venu de l’autre bout du monde à avoir le premier à l’alerté, avec urgence et préoccupation. Cela fait plus de cinquante ans que l’Église en parle de manière pressante.

Le concile Vatican II venait de se conclure lorsque saint Paul VI, dans l’encyclique Populorum progressio, écrivait : « Les peuples de la faim interpellent aujourd’hui de façon dramatique les peuples de l’opulence. L’Église tressaille devant ce cri d’angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à l’appel de son frère » (n. 3). Le Pape Montini énuméra « trois devoirs » des nations les plus développées, « enracinés dans la fraternité humaine et surnaturelle » : « devoir de solidarité, c’est à dire l’aide que les nations riches doivent apporter aux pays en voie de développement ; devoir de justice sociale, c’est-à-dire le redressement des relations commerciales défectueuses entre peuples forts et peuples faibles ; devoir de charité universelle, c’est-à-dire la promotion d’un monde plus humain pour tous, où tous auront à donner et à recevoir, sans que le progrès des uns soit un obstacle au développement des autres » (n. 44). À la lumière de l’Évangile et de ces considérations, Paul VI, en 1967, soulignait le « devoir de l’accueil », sur lequel il écrivait : « nous ne saurions trop insister » (n. 67). Pie XII avait encouragé à cela quinze années auparavant en écrivant que : « La famille de Nazareth en exile, Jésus, Marie et Joseph émigrés en Égypte […] sont le modèle, l’exemple et le soutien de tous les émigrés et pèlerins de tous les temps et de tous les pays, de tous les réfugiés de toute condition qui, poussés par la persécution ou par le besoin, se voient contraints d’abandonner leur patrie, les personnes qui leurs sont chères, […] et se rendre en terre étrangère » (Const. ap. Exsul Familia de spirituali emigrantium cura, 1er août 1952).

Certes, les difficultés d’accueil sont sous les yeux de tous. Les migrants doivent être accueillis, protégés ou accompagnés, promus et intégrés. Dans le cas contraire, le migrant se retrouve dans l’orbite de la société. Accueillis, accompagnés, promus et intégrés : tel est le style. Il est vrai qu’il n’est pas facile d’avoir ce style ou d’intégrer des personnes non attendues. Cependant le critère principal ne peut être le maintien de leur bien-être, mais la sauvegarde de la dignité humaine. Ceux qui se réfugient chez nous ne doivent pas être considérés comme un fardeau à porter : si nous les considérons comme des frères, ils nous apparaîtront surtout comme des dons. La Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié sera célébrée demain. Laissons-nous toucher par l’histoire de tant de nos frères et sœurs en difficulté qui ont le droit tant d’émigrer que de ne pas émigrer, et ne nous enfermons pas dans l’indifférence. L’histoire nous interpelle à un sursaut de conscience pour prévenir le naufrage de civilisation. L’avenir, en effet, ne sera pas dans la fermeture qui est un retour au passé, une inversion de marche sur le chemin de l’histoire. Contre le terrible fléau de l’exploitation des êtres humains, la solution n’est pas de rejeter, mais d’assurer, selon les possibilités de chacun, un grand nombre d’entrées légales et régulières, durables grâce à un accueil équitable de la part du continent européen, dans le cadre d’une collaboration avec les pays d’origine. Dire « assez » c’est au contraire fermer les yeux ; tenter maintenant de « se sauver » se transformera demain en tragédie. Alors que les générations futures nous remercieront pour avoir su créer les conditions d’une intégration indispensable, elles nous accuseront pour n’avoir favorisé que des assimilations stériles. L’intégration, même des migrants, est difficile, mais clairvoyante : elle prépare l’avenir qui, qu’on le veuille ou non, se fera ensemble ou ne sera pas ; l’assimilation, qui ne tient pas compte des différences et reste rigide dans ses paradigmes, fait prévaloir l’idée sur la réalité et compromet l’avenir en augmentant les distances et en provoquant la ghettoïsation, provoquant hostilité et intolérance. Nous avons besoin de fraternité comme de pain. Le mot même « frère », dans sa dérivation indo-européenne, révèle une racine liée à la nutrition et à la subsistance. Nous ne nous soutiendrons qu’en nourrissant d’espérance les plus faibles, en les accueillant comme des frères. « N’oubliez pas l’hospitalité » (He 13, 2), nous dit l’Écriture. Et dans l’Ancien Testament, il est répété : la veuve, l’orphelin et l’étranger. Les trois devoirs de charité : assister la veuve, assister l’orphelin et assister l’étranger, le migrant.

À cet égard, le port de Marseille est aussi une « porte de la foi ». Selon la tradition, les saints Marthe, Marie et Lazare ont débarqué ici, et ont semé l’Évangile sur ces terres. La foi vient de la mer, comme l’évoque la suggestive tradition marseillaise de la chandeleur avec la procession maritime. Lazare, dans l’Évangile, est l’ami de Jésus, mais c’est aussi le nom du protagoniste d’une parabole très actuelle qui ouvre les yeux sur l’inégalité qui ronge la fraternité et nous parle de la prédilection du Seigneur pour les pauvres. Eh bien, nous chrétiens qui croyons au Dieu fait homme, à l’homme unique et inimitable qui, sur les rives de la Méditerranée, s’est dit chemin, vérité et vie (cf. Jn 14, 6), nous ne pouvons pas accepter que les voies de la rencontre soient fermées. Ne fermons pas les voies de la rencontre, s’il vous plaît ! Nous ne pouvons accepter que la vérité du dieu argent l’emporte sur la dignité de l’homme, que la vie se transforme en mort ! L’Église, en confessant que Dieu, en Jésus Christ, « s’est en quelque sorte uni à tout homme » (Gaudium et spes, n. 22), croit, avec saint Jean-Paul II, que son chemin est l’homme (cf. Lett. enc. Redemptor hominis, n. 14). Elle adore Dieu et sert les plus fragiles qui sont ses trésors. Adorer Dieu et servir le prochain, voilà ce qui compte : non pas la pertinence sociale ou l’importance numérique, mais la fidélité au Seigneur et à l’homme !

Voilà le témoignage chrétien et, bien souvent, il est héroïque. Je pense par exemple à saint Charles de Foucauld, le « frère universel », aux martyrs de l’Algérie, mais aussi à tant d’artisans de la charité d’aujourd’hui. Dans ce style de vie scandaleusement évangélique, l’Église retrouve le port sûr auquel accoster et d’où repartir pour tisser des liens avec les personnes de tous les peuples, en recherchant partout les traces de l’Esprit et en offrant ce qu’elle a reçu par grâce. Voilà la réalité la plus pure de l’Église, voilà – écrivait Bernanos – « l’Église des saints », ajoutant que « tout ce grand appareil de sagesse, de force, de souple discipline, de magnificence et de majesté n’est rien de lui-même, si la charité ne l’anime » (Jeanne d’Arc relapse et sainte, Paris 1994, p. 74). J’aime exalter cette perspicacité française, génie croyant et créatif qui a affirmé ces vérités à travers une multitude de gestes et d’écrits. Saint Césaire d’Arles disait : « Si tu as la charité, tu as Dieu ; et si tu as Dieu, que ne possèdes-tu pas ? » (Sermo 22, 2). Pascal reconnaissait que « l’unique objet de l’Écriture est la charité » (Pensées, n. 301) et que « la vérité hors de la charité, n’est pas Dieu ; elle est son image, et une idole qu’il ne faut point aimer, ni adorer » (Pensées, n. 767). Et saint Jean Cassien, qui est mort ici, écrivait que « tout, même ce qu’on estime utile et nécessaire, vaut moins que ce bien qu’est la paix et la charité » (Conférences spirituelles XVI, 6).

Il est bon, par conséquent, que les chrétiens ne viennent pas en deuxième position en matière de charité ; et que l’Évangile de la charité soit la magna charta de la pastorale. Nous ne sommes pas appelés à regretter les temps passés ou à redéfinir une importance ecclésiale, nous sommes appelés au témoignage : non pas broder l’Évangile de paroles, mais lui donner de la chair ; non pas mesurer la visibilité, mais nous dépenser dans la gratuité, croyant que « la mesure de Jésus est l’amour sans mesure » (Homélie, 23 février 2020). Saint Paul, l’Apôtre des nations qui passa une bonne partie de sa vie à traverser la Méditerranée d’un port à l’autre, enseignait que pour accomplir la loi du Christ, il faut porter mutuellement le poids des uns des autres (cf. Ga 6, 2). Chers frères évêques, ne chargeons pas les personnes de fardeaux, mais soulageons leurs efforts au nom de l’Évangile de la miséricorde, pour distribuer avec joie le soulagement de Jésus à une humanité fatiguée et blessée. Que l’Église ne soit pas un ensemble de prescriptions, que l’Église soit un port d’espérance pour les personnes découragées. Élargissez vos cœurs, s’il vous plaît ! Que l’Église soit un port de ravitaillement, où les personnes se sentent encouragées à prendre le large dans la vie avec la force incomparable de la joie du Christ. Que l’Église ne soit pas une douane. Souvenons-nous du Seigneur : tous, tous, tous sont invités.

3. Et j’en viens brièvement ainsi à la dernière image, celle du phare. Il illumine la mer et fait voir le port. Quelles traces lumineuses peuvent orienter le cap des Églises dans la Méditerranée ? En pensant à la mer qui unit tant de communautés croyantes différentes, je pense que l’on peut réfléchir sur des parcours plus synergiques, en évaluant peut-être aussi l’opportunité d’une Conférence ecclésiale de la Méditerranée, comme l’a dit le Cardinal [Aveline], qui permettrait de nouvelles possibilités d’échanges et qui donnerait une plus grande représentativité ecclésiale à la région. En pensant au port et au thème migratoire, il pourrait être profitable de travailler à une pastorale spécifique encore plus reliée, afin que les diocèses les plus exposés puissent assurer une meilleure assistance spirituelle et humaine aux sœurs et aux frères qui arrivent dans le besoin.

Le phare, dans ce prestigieux palais qui porte son nom, me fait enfin penser surtout aux jeunes : ce sont eux la lumière qui indique la route de l’avenir. Marseille est une grande ville universitaire qui abrite quatre campus : sur les quelque 35000 étudiants qui les fréquentent, 5000 sont étrangers. Par où commencer à tisser des liens entre les cultures, sinon par l’université ? Là, les jeunes ne sont pas fascinés par les séductions du pouvoir, mais par le rêve de construire l’avenir. Que les universités méditerranéennes soient des laboratoires de rêves et des chantiers d’avenir, où les jeunes grandissent en se rencontrant, en se connaissant et en découvrant des cultures et des contextes à la fois proches et différents. On abat ainsi les préjugés, on guérit les blessures et on conjure des rhétoriques fondamentalistes. Faites attention à la prédication de tant de fondamentalismes qui sont à la mode aujourd’hui ! Des jeunes bien formés et orientés à fraterniser pourront ouvrir des portes inespérées de dialogue. Si nous voulons qu’ils se consacrent à l’Évangile et au haut service de la politique, il faut avant tout que nous soyons crédibles : oublieux de nous-mêmes, libérés de l’autoréférentialité, prêts à nous dépenser sans cesse pour les autres. Mais le défi prioritaire de l’éducation concerne tous les âges de la formation : dès l’enfance, « en se mélangeant » avec les autres, on peut surmonter beaucoup de barrières et de préjugés en développant sa propre identité dans le contexte d’un enrichissement mutuel. L’Église peut bien y contribuer en mettant au service ses réseaux de formation et en animant une « créativité de la fraternité ».

Frères et sœurs, le défi est aussi celui d’une théologie méditerranéenne – la théologie doit être enracinée dans la vie ; une théologie de laboratoire ne fonctionne pas – qui développe une pensée qui adhère au réel, « maison » de l’humain et pas seulement des données techniques, en mesure d’unir les générations en reliant mémoire et avenir, et de promouvoir avec originalité le chemin œcuménique entre chrétiens et le dialogue entre croyants de religions différentes. Il est beau de s’aventurer dans une recherche philosophique et théologique qui, en puisant aux sources culturelles méditerranéennes, redonne espérance à l’homme, mystère de liberté en mal de Dieu et de l’autre, pour donner un sens à son existence. Et il est également nécessaire de réfléchir sur le mystère de Dieu, que personne ne peut prétendre posséder ou maîtriser, et qui doit même être soustrait à tout usage violent et instrumental, conscients que la confession de sa grandeur présuppose en nous l’humilité des chercheurs.

Chers frères et sœurs, je suis heureux d’être ici à Marseille ! Un jour, Monsieur le Président m’a invité à visiter la France et m’a dit : « Mais il est important que vous veniez à Marseille ! ». Et je l’ai fait. Je vous remercie de votre écoute patiente et de votre engagement. Allez de l’avant, courageux ! Soyez une mer de bien, pour faire face aux pauvretés d’aujourd’hui avec une synergie solidaire ; soyez un port accueillant, pour embrasser ceux qui cherchent un avenir meilleur ; soyez un phare de paix, pour anéantir, à travers la culture de la rencontre, les abîmes ténébreux de la violence et de la guerre. Merci beaucoup !

Les lois internationales qui protègent le droit d’asile doivent être respectées.

Lampedusa, photo prise devant le hotspot, 14 septembre 2023. Crédit : Maldusa

Solidarité et résistance face à la crise de l’accueil en Europe.

C’est l’appel de 90 organisations d’Europe et d’Afrique suite à la grave crise de l’accueil des migrants et des demandeurs d’asile en Europe, telle qu’elle s’est récemment manifestée à Lampedusa.

Suite à l’arrivée d’un nombre record de personnes migrantes à Lampedusa, la société civile exprime sa profonde inquiétude face à la réponse sécuritaire des États européens, la crise de l’accueil et réaffirme sa solidarité avec les personnes qui arrivent en Europe.

Plus de 5 000 personnes et 112 bateaux : c’est le nombre d’arrivées enregistrées sur l’île italienne de Lampedusa le mardi 12 septembre. Les embarcations, dont la plupart sont arrivées de manière autonome, sont parties de Tunisie ou de Libye. Au total, plus de 118 500 personnes ont atteint les côtes italiennes depuis le début de l’année, soit près du double des 64 529 enregistrées à la même période en 2022 (1). L’accumulation des chiffres ne nous fait pas oublier que, derrière chaque numéro, il y a un être humain, une histoire individuelle et que des personnes perdent encore la vie en essayant de rejoindre l’Europe.

Si Lampedusa est depuis longtemps une destination pour les bateaux de centaines de personnes cherchant refuge en Europe, les infrastructures d’accueil de l’île font défaut. Mardi, le sauvetage chaotique d’un bateau a causé la mort d’un bébé de 5 mois. Celui-ci est tombé à l’eau et s’est immédiatement noyé, alors que des dizaines de bateaux continuaient d’accoster dans le port commercial. Pendant plusieurs heures, des centaines de personnes sont restées bloquées sur la jetée, sans eau ni nourriture, avant d’être transférées vers le hotspot de Lampedusa.

Le hotspot, centre de triage où les personnes nouvellement arrivées sont tenues à l’écart de la population locale et pré-identifiées avant d’être transférées sur le continent, avec ses 389 places, n’a absolument pas la capacité d’accueillir dignement les personnes qui arrivent quotidiennement sur l’île. Depuis mardi, le personnel du centre est complètement débordé par la présence de 6 000 personnes. La Croix-Rouge et le personnel d’autres organisations ont été empêchés d’entrer dans le centre pour des « raisons de sécurité ».

Jeudi matin, de nombreuses personnes ont commencé à s’échapper du hotspot en sautant les clôtures en raison des conditions inhumaines dans lesquelles elles y étaient détenues. Face à l’incapacité des autorités italiennes à offrir un accueil digne, la solidarité locale a pris le relais. De nombreux habitants et habitantes se sont mobilisés pour organiser des distributions de nourriture aux personnes réfugiées dans la ville (2).

Différentes organisations dénoncent également la crise politique qui sévit en Tunisie et l’urgence humanitaire dans la ville de Sfax, d’où partent la plupart des bateaux pour l’Italie. Actuellement, environ 500 personnes dorment sur la place Beb Jebli et n’ont pratiquement aucun accès à la nourriture ou à une assistance médicale (3). La plupart d’entre elles ont été contraintes de fuir le Soudan, l’Éthiopie, la Somalie, le Tchad, l’Érythrée ou le Niger. Depuis les déclarations racistes du président tunisien, Kais Saied, de nombreuses personnes migrantes ont été expulsées de leur domicile et ont perdu leur travail (4). D’autres ont été déportées dans le désert où certaines sont mortes de soif.

Alors que ces déportations massives se poursuivent et que la situation à Sfax continue de se détériorer, l’UE a conclu un nouvel accord avec le gouvernement tunisien il y a trois mois afin de coopérer « plus efficacement en matière de migration », de gestion des frontières et de « lutte contre la contrebande », au moyen d’une enveloppe de plus de 100 millions d’euros. L’UE a accepté ce nouvel accord en pleine connaissance des atrocités commises par le gouvernement tunisien ainsi que les attaques perpétrées par les garde-côtes tunisiens sur les bateaux de migrants (5).

Pendant ce temps, nous observons avec inquiétude comment les différents gouvernements européens ferment leurs frontières et continuent de violer le droit d’asile et les droits humains les plus fondamentaux. Alors que le ministre français de l’Intérieur a annoncé son intention de renforcer les contrôles à la frontière italienne, plusieurs autres États membres de l’UE ont également déclaré qu’ils fermeraient leurs portes. En août, les autorités allemandes ont décidé d’arrêter les processus de relocalisation des demandeurs et demandeuses d’asile arrivant en Allemagne depuis l’Italie dans le cadre du « mécanisme de solidarité volontaire »(6).

Invitée à Lampedusa dimanche par la première ministre Meloni, la Présidente de la Commission européenne Von der Leyen a annoncé la mise en place d’un plan d’action en 10 points qui vient confirmer cette réponse ultra-sécuritaire (7).

Renforcer les contrôles en mer au détriment de l’obligation de sauvetage, augmenter la cadence des expulsions et accroître le processus d’externalisation des frontières… autant de vieilles recettes que l’Union européenne met en place depuis des dizaines années et qui ont prouvé leur échec, ne faisant qu’aggraver la crise de la solidarité et la situation des personnes migrantes.

Les organisations soussignées appellent à une Europe ouverte et accueillante et exhortent les États membres de l’UE à fournir des voies d’accès sûres et légales ainsi que des conditions d’accueil dignes. Nous demandons que des mesures urgentes soient prises à Lampedusa et que les lois internationales qui protègent le droit d’asile soient respectées. Nous sommes dévastés par les décès continus en mer causés par les politiques frontalières de l’UE et réaffirmons notre solidarité avec les personnes en mouvement.

Voici la liste des 90 organisations ayant signé cet appel :

Afrique-Europe-Interact

Alarme Phone Sahara (APS)

Alarme Phone Sahara – Mali

Alternative Espaces Citoyen – Niger

Anafé (association nationale d’assistance aux frontières pour les personnes étrangères)

Another Europe is Possible

ARCOM – association des réfugiés et communautés migrantes au Maroc

Are You Syrious?

Associazione studi giuridici sull’immigrazione (ASGI)

Association AFRIQUE INTELLIGENCE

Association Beity

Association d’aide des Migrants en Situation Vulnérable (AMSV) Oujda / Maroc

Association Damj

Association des Etudiants et Stagiaires Africains en Tunisie (AESAT)

Association Féministe Tanit

Association Lina Ben Mhenni

Association de solidarité avec les travailleurS/euses immigré.es (ASTI) des Ulis / France

Association pour la promotion du droit à la différence (ADD)

Association pour les Migrants-AMI, Nîmes, France

Association Sentiers-Massarib

Association Tunisienne de défense des libertés individuelles (ADLI)

Association Tunisienne pour les droits et les libertés (ADL)

Aswat Nissa

Avocats Sans Frontières (ASF)

Association Tunisienne de l’Action Culturelle (ATAC)

BELREFUGEES, Plateforme Citoyenne / Belgium

borderline-europe- Menschenrechte ohne Grenzen

Boza Fii – Sénégal

CCFD-Terre Solidaire

CGTM Mauritanie

Chkoun Collective

Coalition des Associations Humanitaires de Médenine

Coalition Marocaine pour la Justice Climatique

Collectif Droit de Rester, Lausanne

Comité de Vigilance pour la Démocratie en Tunisie – Belgique

Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT)

CompassCollective

Connexion

Damj l’association tunisienne de la justice et légalité

DZ Fraternité

E-Joussour Portail Maghreb-Machrek

Emmaüs Europe

European Alternatives

Euromed Rights

Fédération des tunIsiens citoyens des deux rives (FTCR)

Forum des Alternatives Maroc

Groupe de Recherche et d’Actions sur les Migrations (GRAM), Bamako / Mali

Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s (Gisti)

iuventa-crew

Jeunesse Nigérienne au service du Développement Durable (JNSDD) – Agadez / Niger

Komitee für Grundrechte und Demokratie e.V.

La Cimade

La coalition tunisienne contre la peine de la mort

LasciateCIEntrare

Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme (LADDH)

Ligue des droits de l’Homme (LDH) – France

Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH)

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DOCUMENT. Vision d’enfer, et vision d’avenir.

Pour Antonio Guterres, l’ONU a été créée précisément pour des moments comme aujourd’hui, où les dangers sont à leur paroxysme et le niveau de consensus au plus bas…

Le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, multiplie les appels et ne cesse de sonner l’alarme devant les urgences, les nouvelles menaces et les risques de la situation mondiale. Le 19 septembre 2023, dans son intervention devant l’Assemblée générale, il montre que des réponses sont possibles et que la crise globale actuelle n’est pas une fatalité. Il s’agit d’un texte important qui mérite d’être lu attentivement pour la vision positive et progressiste qu’il contient. Il lance un appel à surmonter les divisions, défendre la dignité humaine, réaliser le développement durable, agir pour le désarmement et réformer le multilatéralisme. Une fois encore, il rappelle ainsi aux États membres de l’ONU la nécessité de respecter leurs engagements.

On trouvera ci-après, en intégralité, cette allocution du Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, devant l’Assemblée générale, à New York, le 19 septembre 2023 :

https://press.un.org/fr/2023/sgsm21947.doc.htm

Il y a tout juste neuf jours, nous avons découvert une vision d’enfer, un paysage terrible, conséquence d’une compilation de nombre des problèmes auxquels le monde est confronté.

Des milliers de personnes ont perdu la vie à Derna, en Libye, dans des inondations sans précédent aux proportions épiques. Elles ont été victimes de plusieurs fléaux. Victimes d’années de conflit. Victimes du chaos climatique. Victimes des leaders, qui, là et ailleurs, n’ont pas su trouver la voie de la paix.

Les habitantes et les habitants de Derna ont vécu et sont morts à l’épicentre de cette indifférence: en 24 heures, le ciel a déversé l’équivalent de 100 fois le volume d’un mois de précipitations… les barrages ont lâché après des années de guerre et de négligence… et tout ce que la population connaissait a été rayé de la carte.

En ce moment même, les corps des victimes s’échouent sur les plages de la Méditerranée, tandis que des milliardaires prennent le soleil sur leurs super-yachts.

Derna est un triste instantané de l’état de notre monde, emporté par le torrent des inégalités et des injustices, et paralysé devant les défis à relever. Notre monde est sens dessus dessous. Les tensions géopolitiques s’aggravent. Les défis de portée mondiale se multiplient. Et nous semblons incapables d’unir nos forces pour y faire face.

Nous sommes aux prises avec une multitude de menaces existentielles – de la crise climatique aux technologies de rupture – alors même que nous traversons une période de transition chaotique.

Pendant la majeure partie de la guerre froide, les relations internationales ont été largement perçues à travers le prisme des deux superpuissances. Puis vint une brève période d’unipolarité. Nous nous dirigeons maintenant rapidement vers un monde multipolaire.

C’est une évolution positive à bien des égards, porteuse de nouvelles perspectives de justice et d’équilibre dans les relations internationales. Mais la multipolarité ne peut à elle seule être gage de paix.

Au début du XXe siècle, l’Europe était composée de nombreuses puissances. Elle était véritablement multipolaire. Mais elle ne disposait pas d’institutions multilatérales solides. Et quel a été le résultat? La Première Guerre mondiale.

Un monde multipolaire a besoin d’institutions multilatérales fortes et efficaces. Pourtant, la gouvernance mondiale est figée dans le temps.

Il suffit de regarder le Conseil de sécurité de l’ONU et le système de Bretton Woods. Ils reflètent les réalités politiques et économiques de 1945, lorsque de nombreux pays présents dans cette salle étaient encore sous domination coloniale. Le monde a changé. Nos institutions, non.

Nous ne pouvons pas traiter efficacement les problèmes tels qu’ils sont si les institutions ne reflètent pas le monde tel qu’il est.

Au lieu de nous aider à régler les problèmes, nos institutions risquent d’en être une des sources. Et de fait, les clivages ne cessent de s’accentuer. Les clivages entre puissances économiques et militaires. Les clivages entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest.

Nous nous rapprochons dangereusement d’une Grande Fracture dans les systèmes économiques et financiers et les relations commerciales, qui met en péril l’existence d’un Internet ouvert et unique, et s’accompagne de stratégies divergentes concernant les technologies et l’intelligence artificielle, le risque étant que les cadres de sécurité soient en conflit.

Il est grand temps de renouveler les institutions multilatérales sur la base des réalités économiques et politiques du XXIe siècle – et de les ancrer dans l’équité, la solidarité et l’universalité – conformément aux principes de la Charte des Nations Unies et du droit international.

Cela demande de réformer le Conseil de sécurité pour l’adapter au monde d’aujourd’hui.

Cela demande de repenser l’architecture financière internationale pour qu’elle devienne véritablement universelle et soit un filet de sécurité mondial pour les pays en développement en difficulté.

Je ne me fais pas d’illusions. Les réformes sont affaire de pouvoir. Je sais qu’il existe de nombreux intérêts concurrents et priorités contradictoires. Mais l’alternative n’est pas entre la réforme et le statu quo. L’alternative est entre la réforme et une fragmentation encore plus grande. C’est la réforme ou la rupture.

Dans le même temps, les fossés se creusent aussi à l’intérieur des pays. La démocratie est menacée. L’autoritarisme est en marche. Les inégalités s’aggravent. Et les discours de haine se propagent.

Face à tous ces défis et à bien d’autres encore, le mot « compromis » semble être devenu tabou.

Ce dont notre monde a besoin, c’est d’une vision politique, pas de manœuvres ni d’une impasse.

Comme je l’ai dit au G20, il est temps de parvenir à un compromis mondial. La politique, c’est le compromis. La diplomatie, c’est le compromis. Un leadership efficace, c’est le compromis.

Les dirigeants du monde ont le devoir de parvenir à un compromis pour construire un avenir commun de paix et de prospérité, dans l’intérêt commun.

Au cours de l’année écoulée, nous avons montré que l’action multilatérale était riche de promesses.

J’en veux pour preuve les nouveaux accords importants sur la sauvegarde de la biodiversité… sur la protection de la haute mer… sur les pertes et les dommages climatiques… sur le droit à un environnement propre, sain et durable.

Nous avons tous les outils et toutes les ressources dont nous avons besoin pour relever ces défis communs. Ce qui nous manque, c’est de la détermination.

Agir avec détermination fait partie de l’ADN de notre Organisation des Nations Unies, comme le montrent les premiers mots de la Charte, en forme d’exhortation:

« Nous, peuples des Nations Unies […] résolus » :

Résolus à en finir avec le fléau de la guerre.

Résolus à proclamer à nouveau leur foi dans les droits humains.

Résolus à faire respecter la justice et le droit international.

Et résolus à favoriser le progrès social et à permettre à tout le monde de vivre une vie meilleure, en restant fidèles à la charte des Nations unies.

Face aux défis d’aujourd’hui, il est de notre devoir d’agir avec détermination.

Cela commence par la détermination de faire respecter la promesse de paix énoncée dans la Charte.

Pourtant, loin d’être débarrassés du fléau de la guerre, nous assistons à une recrudescence des conflits, des coups d’État et du chaos.

Si chaque pays s’acquittait des obligations que lui fait la Charte, le droit à la paix serait garanti.

Lorsque les pays ne respectent pas leurs engagements, ils créent un monde d’insécurité pour toutes et tous.

Preuve numéro 1: l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

La guerre, en violation de la Charte des Nations Unies et du droit international, a déclenché une série d’atrocités: des vies détruites, des droits humains bafoués, des familles déchirées, des enfants traumatisés, des espoirs et des rêves brisés.

Au-delà de l’Ukraine, la guerre a de graves répercussions pour tout le monde. Les menaces nucléaires nous mettent toutes et tous en danger. Le mépris des accords et des traités mondiaux nous fragilise collectivement. Et l’empoisonnement de la diplomatie mondiale empêche l’accomplissement de progrès dans tous les domaines.

Nous devons continuer d’œuvrer inlassablement à la recherche de la paix, une paix juste et conforme à la Charte des Nations Unies et au droit international.

Et même si les combats font rage, nous devons explorer toutes les voies possibles pour alléger les souffrances des populations civiles, en Ukraine et au-delà.

L’Initiative de la mer Noire était l’une de ces voies. Le monde a cruellement besoin de denrées alimentaires ukrainiennes et de denrées alimentaires et d’engrais russes pour stabiliser les marchés et garantir la sécurité alimentaire. Je n’abandonnerai pas mes efforts pour y parvenir.

Partout dans le monde, les anciennes tensions s’enveniment et de nouveaux risques voient le jour. Le désarmement nucléaire est au point mort alors que les pays développent de nouvelles armes et profèrent de nouvelles menaces.

Au Sahel, une série de coups d’État déstabilise encore davantage la région, tandis que le terrorisme gagne du terrain.

Le Soudan s’enfonce dans une guerre civile totale, des millions de personnes ont fui et le pays est au bord de l’implosion.

Dans l’est de la République démocratique du Congo, des millions de personnes sont déplacées et les violences de genre sont monnaie courante.

Haïti, un pays qui a subi des siècles d’exploitation coloniale, est aujourd’hui débordé par la violence en bande organisée – et attend toujours l’aide de la communauté internationale.

En Afghanistan, 70% de la population a besoin d’une aide humanitaire, un pourcentage qui donne le vertige, et les droits des femmes et des filles sont systématiquement bafoués.

Au Myanmar, les violences brutales, l’aggravation de la pauvreté et la répression réduisent à néant les espoirs de retour à la démocratie.

Au Moyen-Orient, l’escalade de la violence et l’effusion de sang dans le Territoire palestinien occupé font payer un lourd tribut à la population civile.

Les actions unilatérales se multiplient et éloignent la possibilité d’une solution des deux États, pourtant la seule voie possible vers une paix et une sécurité durables pour les Palestiniens et les Israéliens.

Quant à la Syrie, le pays est toujours un champ de ruines et la paix demeure lointaine.

Pendant ce temps, les conflits –catastrophes créées par l’homme– sont aggravées par les catastrophes naturelles.

Face à toutes ces crises, le système humanitaire mondial est au bord de l’effondrement. Les besoins augmentent. Et les financements se tarissent. Nos opérations humanitaires sont obligées de se résoudre à des coupes massives. Mais si nous ne donnons pas à manger à celles et ceux qui ont faim, c’est le conflit que nous alimentons.

Je demande instamment à tous les pays de se mobiliser et de financer intégralement notre Appel humanitaire mondial. L’architecture de paix et de sécurité est soumise à des pressions sans précédent.

C’est la raison pour laquelle, à l’occasion des préparatifs du Sommet de l’avenir, nous proposons aux États Membres des idées dans le cadre d’un Nouvel Agenda pour la paix, fondé sur la Charte et le droit international.

Ce Nouvel Agenda offre une vision unifiée pour faire face aux menaces qui existent déjà et à celles qui se profilent dans ce monde en transition.

Ce qu’il faut, c’est appeler les États à renouveler leur engagement en faveur d’un monde exempt d’armes nucléaires et à mettre fin à l’érosion du régime de désarmement nucléaire et de maîtrise des armements; renforcer la prévention à l’échelle mondiale en misant le plus possible sur les capacités et le pouvoir de rassemblement de l’ONU et sur nos bons offices pour combler les fossés géopolitiques; renforcer la prévention à l’échelle nationale en faisant le lien entre les actions menées en faveur de la paix et les progrès réalisés sur la voie des objectifs de développement durable; placer le leadership et la participation des femmes au cœur des processus décisionnels et s’engager à éradiquer toutes les formes de violences faites aux femmes; susciter une vaste réflexion sur le maintien de la paix, pour qu’il soit plus souple et plus adaptable et qu’il prévoie, dès le départ, des stratégies de transition et de sortie tournées vers l’avenir; et soutenir les initiatives prises par des organisations régionales –notamment l’Union africaine– pour faire respecter la paix, grâce à des mandats clairs du Conseil de sécurité et à un financement prévisible.

La détermination en faveur de la paix nécessite également de nouveaux cadres de gouvernance pour faire face aux menaces émergentes – qu’il s’agisse de l’intelligence artificielle ou d’armes létales autonomes, qui fonctionnent sans contrôle humain. La paix est inextricablement liée au développement durable.

Dans le monde entier, c’est le même paradigme que l’on observe: plus un pays se rapproche d’un conflit, plus il s’éloigne des objectifs de développement durable.

En vertu de la Charte, nous devons nous montrer résolus à favoriser le progrès social. Au XXIe siècle, cela veut dire œuvrer à la réalisation des objectifs de développement durable. Pourtant, les inégalités sont la caractéristique de notre époque.

Pensons à ces villes, où des gratte-ciel ont une vue surplombante sur des taudis; à ces pays en proie à un dilemme: servir leur peuple ou le sacrifier au service de la dette.

Aujourd’hui, l’Afrique dépense davantage de ressources au remboursement des intérêts de sa dette qu’à la santé.

Le Sommet sur les objectifs de développement durable qui s’est tenu hier était consacré à l’adoption d’un plan de sauvetage mondial, pour que le soutien apporté ne se chiffre plus en milliards, mais en milliers de milliards.

L’architecture financière internationale reste dysfonctionnelle, dépassée et injuste. Les réformes profondes qui sont nécessaires ne pourront pas être menées à bien du jour au lendemain.

Mais nous pouvons dès à présent prendre des mesures énergiques pour aider les pays à surmonter des crises comme la pandémie de COVID-19 et ses conséquences dramatiques.

En faisant progresser d’urgence le Plan de relance des objectifs de développement durable de 500 milliards de dollars par an et en allégeant le fardeau financier qui pèse sur les pays en développement et les économies émergentes.

En augmentant le financement du développement et de l’action climatique, en relevant la base de capital et en changeant le modèle d’activité des banques multilatérales de développement.

En garantissant des mécanismes efficaces d’allégement de la dette et en canalisant l’aide financière d’urgence vers celles et ceux qui en ont le plus besoin.

Nous devons agir avec détermination pour nous attaquer à la menace qui compromet le plus directement notre avenir: la surchauffe de la planète. Les changements climatiques ne sont pas que des changements météorologiques. Les changements climatiques bouleversent ce qu’est la vie même sur notre planète. Ils altèrent chaque aspect de notre travail. Ils tuent des êtres humains et dévaste des communautés.

Partout dans le monde, les thermomètres s’affolent, l’élévation du niveau des mers s’accélère, les glaciers reculent, des maladies mortelles se propagent, des espèces disparaissent et les villes sont menacées. Et ce n’est que le début.

Les jours, les mois et l’été que nous venons de vivre ont été les plus chauds jamais enregistrés. Et à chaque nouveau record de température, ce sont des économies détruites, des vies détruites et des nations entières qui se rapprochent du point de rupture. Aucun continent, aucune région et aucun pays du monde n’est épargné par l’urgence climatique, mais je ne suis pas certain que les leaders se rendent bien toutes et tous compte de l’urgence de la situation.

Les mesures prises ne sont pas du tout à la hauteur de l’enjeu. Il est encore temps de contenir la hausse des températures dans la limite des 1,5 degré fixée dans l’Accord de Paris.

Mais pour cela, il faut prendre dès maintenant des mesures radicales pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et garantir la justice climatique pour celles et ceux qui ont le moins contribué à la crise, mais qui paient le prix fort.

Les preuves sont là. Les pays du G20 sont responsables de 80% des émissions de gaz à effet de serre. C’est à eux de montrer l’exemple. Ils doivent s’affranchir de leur dépendance aux combustibles fossiles, mettre fin à tout nouveau projet d’exploitation du charbon et tenir compte des conclusions de l’Agence internationale de l’énergie, à savoir que toute nouvelle licence d’exploitation du pétrole et du gaz n’est pas compatible avec l’objectif consistant à limiter l’augmentation de la température à 1,5 degré.

Pour avoir une chance d’endiguer l’augmentation de la température mondiale, nous devons renoncer progressivement au charbon, au pétrole et au gaz selon un processus juste et équitable, et stimuler massivement les énergies renouvelables. C’est la seule voie envisageable pour que tout le monde puisse avoir accès aux énergies renouvelables à un coût abordable. Malheureusement, beaucoup d’Africains n’ont toujours pas accès à l’électricité.

L’ère des combustibles fossiles est révolue. Si les entreprises de combustibles fossiles veulent faire partie de la solution, elles doivent être en première ligne de la transition vers les énergies renouvelables. Il faut en finir avec les productions polluantes, les fausses solutions, le financement du déni climatique.

J’ai proposé un Pacte de solidarité climatique afin que tous les grands émetteurs redoublent d’efforts pour réduire leurs émissions et que les pays les plus riches accompagnent les économies émergentes en mettant à leur disposition les financements et technologies dont elles ont besoin sur la voie de la décarbonation.

Par exemple, l’Afrique abrite 60% de la capacité solaire mondiale, mais elle ne reçoit que 2% des investissements dans les énergies renouvelables.

J’ai proposé un Programme d’accélération, pour décupler ces efforts.

Les pays développés doivent atteindre l’objectif de zéro émission nette dès 2040, et les économies émergentes dès 2050, conformément aux responsabilités communes mais différenciées.

Certaines mesures doivent être prises immédiatement: il faut en finir avec le charbon – d’ici à 2030 pour les pays de l’OCDE et à 2040 pour le reste du monde. En finir avec le subventionnement des combustibles fossiles. Et donner un prix au carbone.

Les pays développés doivent aussi consacrer 100 milliards de dollars à l’action climatique dans les pays en développement, comme ils l’ont promis. Ils doivent doubler le montant des financements pour l’adaptation d’ici à 2025, comme ils l’ont encore promis. Et ils doivent reconstituer les ressources du Fonds vert pour le climat, comme ils l’ont promis là encore. Tous les pays doivent s’efforcer de rendre opérationnel cette année le fonds pour les pertes et dommages, et garantir la couverture universelle des systèmes d’alerte rapide d’ici à 2027.

Demain, j’accueillerai des acteurs susceptibles de faire bouger les lignes au Sommet sur l’ambition climatique. La COP28 arrive à grands pas. Le chaos climatique fait exploser de nouveaux records. Nous ne pouvons pas nous permettre la même rengaine que d’habitude et désigner des boucs émissaires ou attendre que d’autres agissent en premier.

Et vous toutes et tous qui vous dépensez sans compter, qui manifestez dans la rue et qui défendez une réelle action climatique, je veux que vous sachiez que vous êtes du bon côté de l’Histoire. Je suis avec vous. Je n’abandonnerai pas cette lutte qui est celle de nos vies.

Nous devons également être déterminés à honorer l’engagement de la Charte en faveur des droits humains fondamentaux.

Seules quatre femmes ont signé notre document fondateur. Un coup d’œil dans cette salle permet de voir que les choses n’ont pas suffisamment changé.

« Nous, les peuples » ne signifie pas « Nous, les hommes ».

Les femmes attendent toujours l’égalité des chances et des salaires; l’égalité devant la loi; la pleine valorisation de leur travail et la prise en compte de leurs opinions. À travers le monde, les droits des femmes –y compris les droits sexuels et reproductifs– sont réduits voire supprimés; leurs libertés, restreintes. Dans certains pays, les femmes et les filles sont punies parce qu’elles portent trop de vêtements; dans d’autres, parce qu’elles n’en portent pas assez.

Grâce aux générations de militantes des droits de femmes, les temps changent. Des terrains de sport aux écoles en passant par les places publiques, les filles et les femmes défient le patriarcat – et triomphent. Je suis à leurs côtés.

J’ai pris mes fonctions en m’engageant à garantir la parité hommes-femmes au sein des Nations unies. Nous y sommes parvenus aux échelons supérieurs et sommes en bonne voie pour le faire à travers l’ensemble du système des Nations unies. Car l’égalité des genres n’est pas un problème. L’égalité des genres est la solution. L’égalité, ce n’est pas une faveur faite aux femmes, mais une condition fondamentale pour assurer un meilleur avenir pour tous.

Nous devons être déterminés à répondre à l’Appel à l’action pour placer les droits humains au cœur de notre travail. Soixante-quinze ans après la Déclaration universelle des droits de l’homme, d’énormes progrès ont été accomplis sur certains sujets – qu’il s’agisse de mettre fin à la colonisation et à la ségrégation ou de garantir le droit de vote des femmes.

Mais nous n’avons pas atteint les droits fondamentaux pour tous, quand 1,2 milliard de personnes vivent encore dans l’extrême pauvreté et que la faim atteint des niveaux inégalés depuis 2005. Quand la discrimination fondée sur la couleur de peau et l’origine ethnique est parfaitement légale dans bien des pays. Quand des personnes doivent risquer la mort pour chercher une vie meilleure. Quand les réfugiés, les migrants et les minorités sont régulièrement traqués et diabolisés. Quand déclarer son identité de genre ou simplement qui l’on aime peut conduire à l’emprisonnement, voire à l’exécution. Quand le fait même de s’exprimer peut avoir des conséquences dangereuses.

Les droits humains –politiques, civils, économiques, sociaux et culturels– sont la clef de voûte pour résoudre de nombreux problèmes mondiaux interdépendants. Il faut que des lois visant à protéger les personnes vulnérables soient adoptées et appliquées; il faut cesser de cibler les minorités et il faut placer les droits et la dignité humaine au cœur des politiques sociales, économiques et migratoires. Il faut que tous les gouvernements respectent engagements qu’ils ont pris dans la Déclaration universelle des droits de l’homme

Nous devons également faire face aux menaces imminentes que les nouvelles technologies font peser sur les droits humains. L’intelligence artificielle générative, quoique riche de promesses, risque de nous faire franchir le Rubicon et de nous exposer à des dangers face auxquels nous serions démunis. Lorsque j’ai évoqué l’intelligence artificielle dans mon discours à l’Assemblée générale en 2017, seuls deux autres dirigeants ont mentionné le terme.

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est sur toutes les lèvres, suscitant à la fois la fascination et la crainte. Même certains des concepteurs de l’intelligence artificielle générative réclament une plus grande réglementation.

Or, nombre des dangers liés aux technologies numériques ne sont pas imminents. Ils sont déjà là. La fracture numérique aggrave les inégalités. Les discours de haine, la désinformation et les théories du complot sur les réseaux sociaux sont propagés et amplifiés par l’intelligence artificielle, sapant ainsi la démocratie et attisant la violence et les conflits dans le monde réel. La surveillance en ligne et la collecte de données donnent lieu à des violations massives des droits humains.

Les entreprises de technologie et les gouvernements sont loin d’avoir trouvé des solutions. Nous devons agir vite et réparer les dégâts. Les nouvelles technologies exigent des formes de gouvernance nouvelles et innovantes, auxquelles doivent contribuer les créateurs de ces technologies et les parties prenantes chargées de la surveillance des violations.

Nous avons besoin de toute urgence d’un pacte numérique mondial qui engagerait les gouvernements, les organisations régionales, le secteur privé et la société civile à atténuer les risques liés aux technologies numériques et à déterminer les moyens de mettre les atouts de ces outils au service de l’humanité.

Il a aussi été demandé que l’on envisage la possibilité de créer une nouvelle entité mondiale sur l’intelligence artificielle, qui pourrait constituer une source d’information et d’expertise pour les États Membres.

Il existe de nombreux modèles différents, inspirés notamment de l’Agence internationale de l’énergie atomique, de l’Organisation de l’aviation civile internationale ou du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

L’ONU est prête à accueillir les discussions mondiales et inclusives qui s’imposent, en fonction de ce que décideront les États Membres.

Pour faire avancer la recherche de solutions concrètes en matière de gouvernance, je mettrai sur pied ce mois-ci un organe consultatif de haut niveau sur l’intelligence artificielle, qui sera chargé de formuler des recommandations d’ici à la fin de l’année.

Le Sommet de l’avenir qui aura lieu l’an prochain (septembre 2024) est une occasion unique de progresser dans la lutte contre ces nouvelles menaces, conformément à la vision énoncée dans la Charte des Nations Unies.

Les États Membres décideront de la suite à donner au Nouvel Agenda pour la paix, au pacte numérique mondial, aux réformes de l’architecture financière internationale et à de nombreuses autres propositions visant à relever les défis et à ancrer davantage la gouvernance mondiale dans la justice et l’équité.

L’ONU a été créée précisément pour des moments comme aujourd’hui, où les dangers sont à leur paroxysme et le niveau de consensus au plus bas. Nous pouvons et devons utiliser les outils à notre disposition en faisant preuve de souplesse et de créativité.

Le mois dernier, notre détermination a porté ses fruits au large des côtes du Yémen. Le FSO Safer, un superpétrolier en décomposition chargé d’un million de barils de pétrole, était une véritable bombe à retardement et faisait craindre une catastrophe écologique imminente en mer Rouge.

Mais personne n’a proposé de solution. L’ONU a alors pris les devants et rassemblé la communauté internationale. Nous avons mobilisé des ressources, réuni des experts, facilité des négociations difficiles et instauré un climat de confiance. Il nous reste encore beaucoup à faire, et davantage de ressources sont nécessaires.

Mais le mois dernier, la cargaison de pétrole du Safer a été transbordée avec succès. Cet effort mené par l’ONU a sauvé la mer Rouge. Lorsque personne d’autre n’en avait la capacité ou la volonté, la détermination des Nations Unies a permis d’accomplir cette tâche.

Malgré la longue liste des problèmes mondiaux, ce même esprit de détermination peut guider notre action future. Montrons-nous résolus à surmonter les divisions et à bâtir la paix. Résolus à défendre la dignité et la valeur de chaque personne. Résolus à atteindre les Objectifs de développement durable et à ne vraiment laisser personne de côté. Résolus à réformer le multilatéralisme au XXIe siècle et à unir nos forces afin d’agir pour le bien commun.

DOCUMENT. Pour le développement durable.

Objectifs de développement durable (ODD) : à mi-parcours de l’échéance de 2030, « les yeux du monde sont rivés sur vous », déclare le Secrétaire général des Nations Unies aux délégations.

On trouvera, ci-après, en intégralité, l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, prononcée au forum politique de haut niveau pour le développement durable, à New York, le 18 septembre 2023.

https://press.un.org/fr/2023/sgsm21945.doc.htm

Il y a huit ans, les États Membres se sont réunis dans cette salle pour adopter les objectifs de développement durable. Sous le regard du monde entier -dont 193 jeunes dans la tribune tenant des lampes bleues d’espoir- vous avez fait une promesse solennelle. La promesse de construire un monde de santé, de progrès et d’opportunités pour tous. La promesse de ne laisser personne de côté. Et la promesse de financer cela.

Il ne s’agissait pas d’une promesse faite aux uns et aux autres en tant que diplomates dans le confort de cette salle. C’était -toujours- une promesse envers les gens. Des personnes écrasées sous les roues implacables de la pauvreté. Des personnes qui meurent de faim dans un monde d’abondance. Des enfants privés d’une place dans une salle de classe. Des familles fuyant les conflits, à la recherche d’une vie meilleure. Des parents qui assistent, impuissants, à la mort de leurs enfants, victimes de maladies évitables. Des personnes qui perdent espoir parce qu’elles ne trouvent pas d’emploi – ou de filet de sécurité lorsqu’elles en ont besoin. Des communautés entières aux portes de la dévastation en raison du changement climatique.

Les ODD ne sont pas qu’une simple liste d’objectifs. Ils portent les espoirs, les rêves, les droits et les attentes de personnes du monde entier. Et ils constituent le moyen le plus sûr de respecter nos obligations envers la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont nous célébrons le soixante-quinzième anniversaire.

Pourtant, aujourd’hui, seuls 15% des objectifs sont en bonne voie. Nombre d’entre eux reculent. Au lieu de ne laisser personne de côté, nous risquons de laisser les ODD de côté. Les ODD ont besoin d’un plan de sauvetage mondial. Je suis profondément encouragé par le projet de déclaration politique détaillée et de grande ampleur dont nous discutons ici aujourd’hui, en particulier par son engagement à améliorer l’accès des pays en développement au carburant nécessaire à la réalisation des ODD: le financement.

Cela inclut un soutien clair à un plan de relance des ODD d’au moins 500 milliards de dollars par an, ainsi qu’à un mécanisme efficace d’allègement de la dette qui soutienne les suspensions de paiement, des conditions de prêt prolongées et des taux plus bas.

Cela inclut un appel à recapitaliser et à modifier le modèle économique des Banques multilatérales de développement afin qu’elles puissent mobiliser massivement des financements privés à des taux abordables au profit des pays en développement.

Cela inclut également un accord sur la nécessité d’une réforme de l’architecture financière internationale, que je considère aujourd’hui dépassée, dysfonctionnelle et injuste. Cela peut changer la donne et accélérer la réalisation des ODD.

J’ai appelé à un nouveau Bretton Woods et à l’élaboration de solutions pratiques d’ici au Sommet de l’avenir en septembre prochain. Mais les pays peuvent agir dès maintenant pour mettre les ODD sur la bonne voie.

Avec les entreprises, les autorités locales, le système de développement des Nations unies et d’autres, vous avez contribué à montrer la voie avec des initiatives à fort impact pour soutenir six domaines ciblés où des transitions urgentes sont nécessaires.

Premièrement, nous devons agir contre la faim. Dans notre monde d’abondance, la faim est une tache choquante sur l’humanité et une violation monumentale des droits humains. Le fait que des millions de personnes meurent de faim à notre époque est un acte d’accusation à l’égard de chacun d’entre nous. En nous appuyant sur le bilan du Sommet sur les systèmes alimentaires de juillet dernier, nous mobilisons des moyens financiers, scientifiques, des données, des innovations, ainsi qu’un soutien en matière de politique et de gouvernance pour aider les pays à transformer les systèmes alimentaires afin que chaque personne puisse avoir accès à une alimentation saine et nutritive.

Deuxièmement, la transition vers les énergies renouvelables n’est pas assez rapide. Nous proposons de nouveaux Pactes énergétiques dans lesquels les gouvernements, les entreprises et les organisations mondiales unissent leurs forces pour investir dans la décarbonisation des systèmes énergétiques et assurer une transition juste et équitable des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables.

Troisièmement, les avantages et les possibilités du numérique ne sont pas assez largement partagés. Pour combler ce fossé, nous avons lancé une initiative visant à stimuler la transformation numérique dans 100 pays, en soutenant le renforcement des capacités technologiques, une meilleure gouvernance et un financement innovant. Le Pacte mondial pour le numérique que nous proposons aidera également les pays à mettre en place des systèmes numériques sûrs offrant un accès à Internet pour tous, y compris aux étudiants des communautés difficiles d’accès.

Quatrièmement, trop d’enfants et de jeunes pâtissent d’une éducation de mauvaise qualité, ou ne reçoivent aucune éducation. Nous devons bâtir de véritables « sociétés apprenantes » ancrées dans une éducation de qualité, et notamment sur la formation continue – dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, réduisant la fracture numérique et soutenant les enseignants à chaque étape. Un groupe émergent de « pays pionniers » montre la voie pour stimuler les investissements et transformer les systèmes éducatifs du monde entier.

Cinquièmement, chaque personne a besoin d’un travail décent et d’une protection sociale. Grâce à la collaboration avec les gouvernements et le secteur privé, notre Accélérateur mondial pour l’emploi et la protection sociale pour des transitions justes vise à créer 400 millions de nouveaux emplois décents –en particulier dans l’économie verte, les services à la personne et l’économie numérique– ainsi qu’à étendre la protection sociale à plus de quatre milliards de personnes. Les investissements dans la protection sociale doivent massivement augmenter.

Sixièmement, la guerre menée contre la nature doit cesser. Nous devons mettre fin à la triple crise planétaire du changement climatique, de la pollution et de la perte de biodiversité. Nous mettons sur pied un groupe de pays champions qui étudiera les mesures à prendre pour réformer les politiques économiques et placer la nature et la biodiversité au cœur de toute décision. Le besoin d’assurer une égalité totale entre les hommes et les femmes est au cœur de toutes ces transitions. Il est grand temps de mettre fin à la discrimination, de garantir la pleine participation des femmes et des filles à la prise de décisions et de mettre fin au fléau des violences fondées sur le genre.

À mi-parcours de l’échéance pour la réalisation des Objectifs de développement durable, les yeux du monde sont de nouveau rivés sur vous. Au cours du week-end, des jeunes et des groupes de la société civile se sont rendus à l’ONU –ou défilé à travers le monde– pour réclamer une action urgente. L’heure est venue de prouver que vous êtes à leur écoute.

Nous pouvons réussir. Si nous agissons maintenant. Si nous agissons ensemble. Si nous tenons notre promesse envers les milliards de personnes dont les espoirs, les rêves et l’avenir sont entre vos mains. L’heure est venue.

DOCUMENT. Un nouveau Bretton Woods…

Un nouveau Bretton Woods : le Secrétaire général des Nations Unies renouvelle son appel à réformer l’architecture financière mondiale et à sauver les Objectifs du Développement Durable (ODD).

Ci-après, l’intégralité du texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée à l’occasion du Dialogue de haut niveau de l’Assemblée générale sur le financement du développement, à New York, le 20 septembre 2023 :

https://press.un.org/fr/2023/sgsm21950.doc.htm

De toutes les questions que nous aborderons cette semaine, la finance est peut-être la plus cruciale.

Car le financement du développement est le carburant qui fait avancer le Programme 2030 et l’Accord de Paris.

Aujourd’hui, ce carburant s’épuise et le moteur du développement durable a des ratés, cale, s’enflamme.

Alors que nous arrivons à mi-parcours de l’échéance fixée pour la réalisation des Objectifs de développement durable, nous constatons, pour la première fois depuis des décennies, un recul des progrès accomplis dans la réduction de la pauvreté et de la faim, nos priorités les plus fondamentales.

La pandémie de COVID-19 et la crise climatique ont un effet dévastateur et durable sur les économies en développement.

L’invasion russe de l’Ukraine a exacerbé la volatilité et augmenté les prix des denrées alimentaires, de l’énergie et du financement.

Une crise mondiale du coût de la vie affecte des milliards de personnes.

Les États croulent sous la dette. La flambée des taux d’intérêt étrangle les pays en développement.

Les engagements en matière d’aide publique au développement et de financement de l’action climatique ne sont pas respectés.

Le fossé se creuse entre les pays qui peuvent accéder à des financements à des conditions raisonnables et ceux qui ne le peuvent pas et se retrouvent encore plus à la traîne.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En voici trois exemples.

Le déficit de financement des Objectifs de développement durable est devenu un gouffre, estimé à 3,900 milliards de dollars par an.

Les pays en développement se trouvent face à des coûts d’emprunt jusqu’à huit fois supérieurs à ceux notamment des pays européens et c’est le piège de l’endettement.

Et un pays sur trois dans le monde est aujourd’hui exposé à un risque élevé de crise budgétaire. Plus de 40% des personnes vivant dans l’extrême pauvreté se trouvent dans des pays confrontés à de graves problèmes d’endettement.

Plusieurs mesures de bonne foi ont été prises pour aider les économies en développement à survivre à cette crise du financement, comme l’Initiative du G20 pour la suspension du service de la dette et l’allocation de droits de tirage spéciaux par le Fonds monétaire international.

Mais cela n’a pas suffi.

Il est évident que les problèmes systémiques du financement du développement durable exigent une solution systémique: une réforme de l’architecture financière mondiale.

Cette architecture a été créée à une époque où de nombreux pays en développement étaient encore sous domination coloniale. Elle est profondément déséquilibrée en faveur des pays développés.

Et elle n’a pas évolué au même rythme que la croissance de l’économie mondiale. Le capital versé de la Banque mondiale, par exemple, exprimé en pourcentage du PIB mondial, représente un cinquième de ce qu’il était en 1960.

Je renouvelle mon appel en faveur d’un nouveau Bretton Woods, une occasion pour les pays de se réunir pour convenir d’une architecture financière mondiale qui reflète les réalités économiques et les rapports de force d’aujourd’hui.

Je compte sur vous pour soutenir ces propositions de réformes, tout au long du Sommet de l’avenir et par la suite.

Mais ces réformes structurelles essentielles prendront du temps. Or, le temps presse.

Le Programme 2030 risque d’être hors de notre portée avant de pouvoir porter ses fruits.

C’est pourquoi j’exhorte les États à prendre immédiatement des mesures pour sauver les objectifs de développement durable.

Le plan de relance des objectifs que je propose permettrait de dégager au moins 500 milliards de dollars par an de financements à long terme abordables au profit du développement durable et de l’action climatique.

L’augmentation du capital des banques multilatérales de développement et la modification de leur modèle économique permettraient aux États d’accroître considérablement les investissements dans les domaines du climat et du développement.

La recapitalisation et un engagement plus fort auprès des agences de notation de crédit permettraient aux banques de transformer leur approche du risque, en améliorant leurs conditions de prêt et en mobilisant des quantités massives de financements privés à un coût raisonnable pour les pays en développement.

Les États pourraient mettre en place un mécanisme efficace de renégociation de la dette qui permette les suspensions de paiement, associe les créanciers privés et soit ouvert aux pays à revenu intermédiaire.

Ils peuvent également accroître les financements d’urgence lorsque les pays rencontrent des difficultés. Je préconise la réorientation de 100 milliards de dollars supplémentaires de droits de tirage spéciaux, principalement par l’intermédiaire des banques multilatérales de développement, ainsi que la mise au point d’autres moyens innovants d’aider les pays dans le besoin.

Les pays développés doivent respecter leurs engagements financiers à l’égard des pays en développement, y compris en ce qui concerne le climat.

Ils doivent tenir la promesse de mobiliser 100 milliards de dollars, augmenter considérablement le financement de l’adaptation, reconstituer les ressources du Fonds vert pour le climat, et rendre opérationnel le fonds pour les pertes et les préjudices d’ici à la COP28.

Et tous les pays doivent aligner les budgets nationaux sur les objectifs de développement durable et s’attaquer aux problèmes du dégrèvement fiscal et des flux financiers illicites.

De Bridgetown à Paris en passant par Delhi, la réforme de l’architecture de financement est au cœur des discussions.

Je me félicite du soutien que le G20 a apporté au plan de relance des objectifs de développement durable, au renforcement des banques multilatérales de développement et à l’augmentation du financement du développement et de l’action climatique.

La déclaration du Sommet sur les objectifs de développement durable traduit un appui retentissant en faveur de mesures de financement solides pour sauver les objectifs.

Il nous faut maintenant passer d’urgence des paroles aux actes.

Parce que les Objectifs de développement durable – cette promesse faite aux peuples du monde – ne peuvent pas attendre.

Un monde à deux vitesses, partagé entre nantis et démunis, est déjà à l’origine d’une crise de confiance à l’échelle mondiale.

Je vous demande instamment de faire de ce dialogue de haut niveau une plateforme d’engagement constructif, en mettant l’accent sur des solutions de financement créatives et pratiques qui peuvent être mises en œuvre dans les mois et les années à venir.

Ensemble, nous devons transformer la crise actuelle en opportunité, trouver des solutions de financement communes pour rebâtir la solidarité mondiale et insuffler un nouvel élan en faveur du développement durable et de l’action climatique.

L’ONU, Mayotte et le colonialisme français…

Le Secrétariat de l’ONU a diffusé ce mardi 19 septembre l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations Unies, en sa 78ème session. Doc A/78/251

https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N23/264/29/PDF/N2326429.pdf?OpenElement

Cet ordre du jour comporte une originalité à remarquer. Son point 37 est en effet rédigé ainsi :

« 37. Question de l’île comorienne de Mayotte (2). »

Remarquons qu’en note de bas de page (2) il est précisé que cette question figure dans la liste des questions mises à l’ordre du jour, mais qu’elle ne sera pas examinée.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Ce point 37 de l’ordre du jour signifie que l’Assemblée Générale de l’ONU ne reconnaît pas la souveraineté de la France sur l’île de Mayotte, ou qu’il n’y a pas de consensus de l’Assemblée pour reconnaître un tel fait. Ce qui revient au même. Il s’agit effectivement d’un fait accompli du colonialisme français. On se souvient en effet que l’île de Mayotte a été extorquée, on peut dire volée, aux Comores à l’occasion d’un référendum d’autodétermination organisé par la France en 1974. Les autorités coloniales ont utilisé les résultats de ce référendum dans une seule île pour pouvoir manipuler le droit international et conserver ainsi la main-mise sur Mayotte, une des quatre îles de l’archipel. Ces quatre îles devaient pourtant constituer ensemble la République des Comores. Oui, ensemble car la souveraineté ne peut faire l’objet de tels charcutages pour convenance politiques au mépris des réalités nationales et historiques. La souveraineté ne peut se découper au gré des intérêts stratégiques du colonisateur. Le peuple comoriens a vu ainsi son intégrité bafouée et son unité brisée. Ce vol, cette manipulation constituent une forfaiture acceptée, voire revendiquée par tous les Présidents de la République depuis Valérie Giscard d’Estaing. De plus, comme la violente crise sociale à Mayotte le montre, force est de constater que la « départementalisation » de Mayotte, et son intégration forcée dans la souveraineté française n’ont pas apporté les réponses politiques, sociales, économiques et démocratiques attendues et promises… Il est nécessaire que ces choses-là soient rappelées.

Vous trouverez sur ce blog un article daté du 24 octobre 2019 sur la question. Cet article avait été écrit à l’occasion d’une visite d’Emmanuel Macron à Mayotte.

Sur les indignités officielles françaises en Afrique…

Résumons…

Premièrement, fin août, la France suspend les « mobilités étudiantes » avec le Niger, le Mali et le Burkina Faso. Des étudiants de ces trois pays ont reçu un message du Ministère des affaires étrangères les informant de l’annulation de leur séjour en France en raison de la crise diplomatique en cours. Le problème est d’abord politique, mais des étudiants sont ainsi mis dans des situations très difficiles sur les plans universitaire et financier.

Deuxièmement, à la mi-septembre, la consternante suspension de la coopération culturelle avec les artistes du Mali, du Niger et du Burkina Faso (les trois mêmes pays) suscite l’indignation du monde de la culture. Un courrier des directions générales des affaires culturelles (DRAC) demande effectivement l’arrêt immédiat de tout projet de coopération avec les ressortissants de ces trois pays.

Ainsi les autorités françaises, malgré les dénégations gênées à posteriori, sanctionnent les artistes et les étudiants de ces trois pays alors qu’ils n’ont pas de responsabilité dans les coups d’État intervenus. C’est inacceptable.

La prise du pouvoir par des militaires dans ces trois pays pose de multiples et sérieux problèmes, notamment celui de la « gestion » de la relation franco-africaine. Et le traitement de l’enjeu démocratique, évidemment. Mais une question se pose. Si la France, pour cause de coup d’État, croit légitime de sanctionner les artistes et les étudiants du Mali, du Burkina et du Niger…pourquoi ne le fait-elle pas pour le Gabon ? Y aurait-il des coups d’État condamnables… et des coups d’État acceptables, ou défendables ? Est-ce qu’il y aurait, aussi, des changements dynastiques et autoritaires du pouvoir qui soient tolérables, comme au Tchad ? Décidément, les autorités françaises perdent leur crédibilité.

La politique de la France… Où est-elle ?.. Quelle est -elle ?.. Les valeurs et les principes seraient-ils à géométrie variable ? Ce chaos présidentiel et ministériel face aux crises politiques en Afrique ferait pitié s’il n’était pas synonyme de mépris pour des peuples africains. C’est indigne. Mesurons cependant, c’est le plus important, qu’il s’agit des derniers soubresauts d’un néocolonialisme en perdition dans un monde qui n’en veut plus. JFi 16 09 2023

En homage à Jelloul Ben Hamida.

NOTRE AMI ET CAMARADE JELLOUL BEN HAMIDA NOUS A QUITTE.

PAIX A SON ÂME ET RESPECT POUR SON ENGAGEMENT !

J’ai bien connu Jelloul. Pour lui rendre hommage, je me joins à la déclaration de la Fédération des Tunisiens des Deux Rives (FTCR) :

Nous avons appris le décès ce Jeudi 14 Septembre 2023 de Jelloul Ben Hamida suite à une longue maladie.

Jelloul Ben Hamida a été durant de longues années un des membres actifs et dirigeant de la FTCR (ex UTIT) et un militant exigeant sur les valeurs et les principes qui guidaient son engagement au sein de notre association comme dans sa vie politique.

Jelloul Ben Hamida a été, notamment dans les années 80 à 2000, celui qui a impulsé les nombreuses actions et initiatives qui ont conduit à la constitution des sections dans le sud de la France et notamment à Nîmes et Marseille.

Jelloul Ben Hamida a également joué un rôle important dans la dynamique des Marches contre le racisme et en particulier lors de l’accueil de la 3ème Marche à Marseille en 1985.

De même Jelloul est connu pour son combat pour les libertés et la démocratie en Tunisie et au Maghreb. Adhérant au CRLDHT et ce jusqu’à la veille de la Révolution de la liberté et de la dignité en Tunisie, il a participé à la création du Forum social Maghrébin et a été très actif dans l’organisation du 1er Forum social maghrébin à El Jadida au Maroc en 2008.

De plus chacun sait la position de Jelloul au sujet de la cause palestinienne et son soutien indéfectible au combat du peuple palestinien.

De même – et il faut le rappeler – Jelloul Ben Hamida a été aussi et surtout un homme, intransigeant certes, mais un homme généreux, disponible et plein de vie, qualités que lui reconnaissent tous ceux et celles qui l’ont connu.

Certes nos chemins s’étaient séparés il y a de cela quelques années mais cela n’occulte en rien le respect que nous portons à notre ami et camarade et à ses multiples engagements tant associatifs, syndicaux que politiques. Et pour cela nous lui rendons hommage.

La FTCR, ses militant.e.s, ses ancien.e.s militant.e.s, lui expriment tout leur respect à la mémoire de Jelloul et ses plus sincères condoléances à sa fille Sophie et ses petits-enfants, toute sa famille, ses proches et ami.e.s.

La FTCR Paris, le 14 Septembre 2023