Colloque « Le nouveau désordre mondial » Vendredi 6 avril

Colloque nouveau-désordre-mondialEntrée libre dans la limite des places disponibles. Inscription obligatoire (Plan Vigipirate) à james.cohen@univ-paris3.fr  

Lieu : Maison de la Recherche de l’Université de Paris 3 (Sorbonne Nouvelle)

4, rue des Irlandais – 75005 Paris, près du Panthéon (RER Luxembourg)

Salle du Conseil (1er étage)

PROGRAMMME:


9h30-10h – Introduction du colloque : Janette Habel

10h-12h – Crise économique et crise écologique. Vers des ébranlements planétaires ?

  • Daniel Tanuro (auteur de Le moment Trump : une nouvelle phase du capitalisme mondial), Le néolibéralisme impuissant face au défi du basculement climatique
  • Stéphanie Treillet (économiste, auteure de L’Economie du développement. De Bandoeng à la mondialisation), Un capitalisme de plus en plus destructeur
  • Alain Joxe (sociologue, ancien directeur d’Etudes à l’EHESS, auteur de Les guerres de l’empire global), Internationale des politiques sociales contre inter-globalismes financiers : nouvelles luttes de classes de l’ère informatique
  • Michel Husson (économiste, auteur de Créer des emplois en baissant les salaires ?  Une histoire de chiffres), Les désordres du marché mondial

12h-13h30 – Pause déjeuner

13h30-15h30 – Révolutions et mobilisations citoyennes : limites et impasses. Bilan des gouvernements post-néolibéraux en Amérique latine.

  • Guillaume Long (ancien ministre des Affaires étrangères de l’Equateur), Leçons politiques et économiques tirées du progressisme latino-américain au pouvoir ». L’exemple de l’Equateur
  • Christophe Ventura (chercheur, IRIS, rédacteur en chef de Mémoire des Luttes),  L’Amérique latine et la nouvelle reconfiguration géopolitique régionale
  • Gilbert Achcar (professeur, études du développement et des relations internationales, SOAS, Université de Londres, auteur de Symptômes morbides. La rechute du soulèvement arabe), Révolution et contre-révolutions dans le monde arabe

15h30-17h – Le procès de l’universalisme, à chacun sa vérité ?

  • Lamia Oualalou (journaliste, auteure de  Jésus t’aime ! La déferlante évangélique), La déferlante évangélique : sa signification, ses conséquences
  • Frédéric Pierru (politiste et sociologue au CNRS), Le statut de la ‘vérité’ dans les sciences sociales

17h-19h30 – Désordres géopolitiques, guerres et migrations

  • Philip Golub (professeur, relations internationales, American University of Paris, auteur de East Asia’s Re-Emergence), Turbulences américaines, fractures mondiales
  • Gilbert Achcar (professeur, études du développement et des relations internationales, SOAS, Université de Londres, Symptômes morbides. La rechute du soulèvement arabe), Nouvelle guerre froide : manœuvres sur le « grand échiquier »
  • Jim Cohen (professeur, dépt. du monde anglophone, Université de Paris 3, auteur de A la poursuite des « illégaux ». Politiques et mouvements anti-immigrés aux Etats-Unis), Les Etats-Unis et l’Amérique centrale : néolibéralisme, migrations et gestion impériale de la violence
  • Jacques Fath (spécialiste des relations internationales et des enjeux de défense, auteur de Penser l’après…), Comment les logiques de puissance nourrissent les crises d’aujourd’hui et les guerres de demain

 

Sarkozy en garde à vue… Quelques vérités: à lire ou à relire dans « Penser l’après… »

Penser l'après. Jacques Fath Essai sur la guerre, la sécurité internationale, la puissance et la paix dans le nouvel état du monde

Nicolas Sarkozy en garde à vue… soupçonné de financement illégal de campagne électorale et d’avoir pour cela reçu des fonds libyens.

On prendrait quelque plaisir à cet événement s’il n’y avait pas aussi, dans cette histoire, rien moins qu’une guerre. Une guerre de convenance personnelle ?.. comme tant de témoignages l’affirment ou le suggèrent depuis des années. On verra ultérieurement ce que la justice pourra conclure.

Rappelons-nous… Bernard Henri-Lévy aura fait tout ce qu’il sait faire, surtout devant des cameras de télévision, pour légitimer politiquement une intervention militaire. Ce fut une opération d’envergure, pilotée par l’OTAN, et qui aura finalement réduit la Libye en chaos sécuritaire, transformé ses ports en enfer pour les migrants, élargi les espaces d’action de milliers de terroristes et de trafiquants, et déstabilisé durablement toute la zone sahélo-saharienne. C’est dire l’intelligence politique et la pertinence des analyses qui ont présidé aux décisions…

On garde cependant le sentiment que cette guerre, initiée par la France de Nicolas Sarkozy, visait en particulier à atteindre personnellement le Colonel Kadhafi.

Dans mon livre « Penser l’après… Essai sur la guerre, la sécurité internationale la puissance et la paix dans le nouvel état du monde », j’ai rappelé les propos de Michel Goya, colonel de l’armée française, sur RFI le 21 mars 2013, soit 3 jours après seulement le vote de la résolution 1973 du Conseil de sécurité définissant le mandat d’intervention et autorisant à prendre « toutes les mesures nécessaires » pour une action militaire.

Michel Goya est docteur en histoire moderne et contemporaine de Paris V. Il est présenté à l’époque comme professeur associé à Saint-Cyr Coëtquidan et à l’École Pratique des Hautes Études ; directeur d’études du domaine « nouveaux conflits » à l’IRSEM (Institut de recherches Stratégiques de l’École Militaire). Aujourd’hui, il enseigne à Sciences-Po et à l’Institut de Recherches Internationales et Stratégiques (IRIS). Il n’est donc pas n’importe qui, et il ne dit pas n’importe quoi.

Celui qui s’exprime alors sur RFI, il y a précisément 7 années, affirme ceci : « On est dans la situation stratégique d’un directoire entre américain, britannique et français. La meilleure façon d’empêcher la population de souffrir est encore d’abattre le régime de Kadhafi. In fine, la chute du régime est l’objectif réel de cette opération même s’il n’est pas avoué. Il y a eu des frappes sur le bunker de Kadhafi. On a essayé d’éliminer directement Kadhafi ».

Il ne s’agissait donc pas d’une intervention militaire ayant « dépassé » le mandat des Nations-Unies comme on l’a entendu tant et tant de fois. Il s’agissait bien d’une opération de liquidation par la force d’un chef d’État et du régime qu’il dirige… Dans « Penser l’après… », j’apporte quelques précisions et développements utiles.

Bien sûr, il ne s’agit pas de défendre le régime libyen. Celui-ci avait, par exemple, accepté de reconnaître sa responsabilité dans l’attentat dit de Lockerbie en 1988 (270 morts dans un avion de la Pan Am).

Il s’agit de rappeler comment le Conseil de sécurité fut instrumentalisé. Et cela eut de sérieuses conséquences politiques ultérieures sur les rapports Washington/Moscou, en particulier à propos de la Syrie. Il s’agit aussi de réaffirmer que la France se déshonore lorsqu’elle utilise le mensonge d’État en guise de politique étrangère. Le financement de la campagne électorale de N. Sarkozy est une question. La guerre et la dignité de la politique française en est une autre… Ne pas oublier. Il est vrai que Nicolas Sarkozy n’aura pas été le seul Président récent à déconsidérer ainsi la France dans l’exercice de ses fonctions… Mais cela peut-il nous réconforter ?..

Réchauffement climatique, Guerre froide et débats stratégiques.

« La nouvelle passée sous silence : une base secrète fond sous les glaces du Groenland »

Un article d’ Alexis Rapin issu du site de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques | UQAM (Université du Québec à Montréal).

https://dandurand.uqam.ca/publication/nouvelle-passee-silence-base-secrete-fond-glaces-groenland/

Construite au cours des années 1960 puis abandonnée, une base secrète américaine fait les frais de la fonte des glaces arctiques. Le cas illustre les prochains défis posés aux grandes armées par les changements climatiques.

De quoi parle-t-on ?

L’histoire se prêterait à un scénario de James Bond, si elle n’était pas authentique. En 1959, les États-Unis entament au fin fond du Groenland la construction d’une base secrète destinée à loger quelque 600 ogives nucléaires. Positionné proche de l’URSS, protégé par l’épaisse calotte glaciaire du cercle arctique, Camp Century (c’est son nom) devait alors constituer une véritable forteresse de la Guerre froide. Suite à plusieurs problèmes techniques, ce projet rocambolesque est finalement abandonné en 1967. Toutefois, la base n’est pas véritablement démantelée.

Le hic : cinquante ans plus tard, Camp Century est toujours là, mais les glaces du Groenland fondent et menacent de répandre les polluants demeurés sur place dans la nature environnante. Un risque de catastrophe écologique que ni les États-Unis (théoriquement toujours dépositaires de la base), ni le Danemark (auquel le Groenland est rattaché) ne semblent pour le moment vouloir prendre en considération. Ceci étant, la situation est emblématique d’un imprévu de planification militaire. Les ingénieurs de l’époque, dont la priorité était de faire disparaître une infrastructure sensible, avaient estimé que les mouvements naturels des masses de glace enseveliraient la base pour toujours. Or, aujourd’hui, le réchauffement climatique vient leur donner tort.

En quoi est-ce important ?

Au-delà de son caractère quelque peu romanesque, le cas de Camp Century vient mettre en évidence un changement de donne notable : longtemps considéré comme une affaire de diplomates relevant de « low politics », le réchauffement climatique va de plus en plus concerner les militaires et s’immiscer dans les débats stratégiques.

Début 2016 déjà, le département de la Défense des États-Unis adoptait une nouvelle directive majeure, destinée à intégrer le facteur climatique à la planification stratégique de tout l’appareil militaire américain. Un expert estimait alors qu’il s’agissait « potentiellement d’une des mesures les plus significatives adoptées par le Pentagone dans l’histoire récente » : le document prenait acte du fait que les changements environnementaux, au-delà de leurs impacts proprement socio-politiques, revêtaient également une importance militaire. La montée du niveau des mers pourrait, par exemple, poser prochainement de sérieux problèmes aux bases et opérations navales américaines. L’augmentation des tempêtes et événements météorologiques extrêmes risqueraient quant à eux de limiter les capacités de survol, de reconnaissance et de collecte de renseignements des forces armées.

Barack Obama, interrogé à la fin de sa présidence sur quelle menace le préoccuperait le plus au moment de quitter la Maison-Blanche, devait répondre : « le changement climatique m’inquiète profondément, du fait de tous ses effets sur les problèmes que nous avons déjà ». Une déclaration révélatrice : le 44ème président semblait anticiper non seulement que les problèmes environnementaux généreraient leur lot d’instabilités « nouvelles » (réfugiés climatiques, raréfaction de certaines ressources, par exemple), mais également qu’ils influeraient sur les domaines plus « traditionnels » de la sécurité, tels la stratégie et les affaires militaires. De toute évidence, la dynamique de « sécuritisation » (pour reprendre un concept constructiviste) de la question climatique est loin d’avoir trouvé son terme.

À suivre…

Bien que ressurgi du passé, le cas de Camp Century est loin de constituer une exception. En janvier dernier, le Pentagone publiait une étude indiquant que près de la moitié de ses bases et infrastructures étaient à la merci de futurs événements météorologiques extrêmes. Or, alors que l’administration Trump vient d’entériner une augmentation colossale du budget de la défense, celle-ci entretient pour l’heure une ligne ouvertement climato-sceptique. Il sera intéressant de voir comment les inquiétudes des militaires américains face aux changements climatiques seront prises en compte (ou non) par une présidence qui dit vouloir faire le maximum pour ses forces armées.

Mars 2018

Ont-ils tué Arafat ?..

Rise and kill first-vignette

Le livre de Ronen Bergman, « Rise and kill first » traite en détail l’obsession israélienne de tuer Yasser Arafat dans un ouvrage consacré à la politique israélienne des assassinats ciblés. Un livre, sur le fond, très politique…

« Rise and kill first. The secret history of Israël assassinations » (1) … En écrivant ce livre de 750 pages (dont 80 pages de notes) Ronen Bergman, journaliste en charge des affaires militaires et du renseignement pour le quotidien israélien Yedioth Ahronoth, et correspondant du New York Times Magazine, a fait bien davantage que le récit circonstancié des opérations de liquidation ciblées effectuées par les services israéliens : le Mossad, rattaché au Premier ministre ; AMAN, la Direction du renseignement militaire ; le Shin Beth, le service de sécurité intérieure ; Caesarea, la section ou brigade chargée des missions spéciales, ou encore le Kidon (ou Bayonet) département chargé des exécutions…

Bergman indique que son ouvrage est basé sur un millier d’interviews de responsable politiques, de chefs du renseignement ou d’exécutants. Il précise qu’aucune de ces interviews n’a obtenu d’autorisation par les autorités israéliennes de Défense. Il ajoute que ses sources lui ont procuré des milliers de documents inédits. On peut s’interroger sur cette transparence dans un milieu où elle n’est jamais la règle, dans quelque pays que ce soit. On voit dans ce livre que la vivacité des débats internes et des confrontations politiques voire d’ambitions personnelles, sur un sujet aussi décisif, permet bien des accommodements et des comportements disons… non conventionnels.

« UNE MACHINE A TUER… »

Les récits de Bergman sont parfois stupéfiants de précision. Ils révèlent à la fois le « savoir faire » – ou le savoir tuer – des services israéliens, et l’ampleur de cette pratique criminelle et illégale des assassinats ciblés. « Depuis la deuxième Guerre mondiale – souligne l’auteur – Israël a assassiné davantage de personnes que n’importe quel autre pays dans le monde occidental. (…) Ils ont développé « la machine à tuer la plus robuste et la plus sophistiquée de l’histoire » (2).

Alors, Ronen Bergman décrit et raconte… C’est souvent étonnant et brutal, mais son livre est aussi et probablement d’abord, un livre politique. Certes, l’ouvrage cherche en permanence à expliquer la pratique israélienne des assassinats ciblés comme une réponse de sécurité face aux menaces du « terrorisme »… mais la conclusion de « Rise and kill first » vaut la peine d’être lue. Elle en dit beaucoup sur l’impasse ultra-sécuritaire et militaire de la politique israélienne. J’y reviendrai à la fin de cet article…

Évidemment, on ne peut pas lire cet ouvrage sans se poser la question de la cause de la mort de Yasser Arafat. A-t-il été, lui aussi, exécuté par les services israéliens ? Pour les dirigeants de Tel Aviv, Arafat fut une véritable obsession. Se débarrasser physiquement de lui, comme de bien d’autres dirigeants palestiniens, mais surtout de lui, était devenu une une idée fixe, en particulier chez Ariel Sharon, obnubilé par la volonté monomaniaque de tuer Arafat. Mais était-il facile de s’attaquer à un tel personnage, connu dans le monde entier, protégé par son peuple et par ses combattants comme un symbole de la lutte pour l’indépendance et pour la liberté ? On va voir qu’il n’en était rien. Bergman rappelle d’ailleurs qu’Arafat aimait cultiver sa légende d’une chance « miraculeuse » contre les multiples tentatives d’assassinats dont il fut l’objet.

LE COMITE DES TROIS…

En 1965, un Département spécial ou Comité secret composé de trois haut responsables des services (3) fut institué afin d’examiner comment contrer la montée de la résistance palestinienne. Ce Comité des trois a délivré des instructions pour l’élimination de Yasser Arafat et d’Abou Jihad. L’idée fut d’abord d’envoyer des lettres piégées, contenant 20 grammes d’explosif chacune, à un certain nombre de dirigeants officiels du Fatah au Liban et en Syrie. La plupart de ces lettres furent identifiées avant qu’elles ne parviennent à leur destinataire. Il n’y aura que quelques blessés légers.

En 1967, avec la Guerre dite des Six jours, c’est Abou Jihad qui conduisit les opérations, mais il était clair pour les Israéliens que le leader était Arafat. Et les forces israéliennes tentèrent alors de le tuer plusieurs fois. Un agent du Shin Beth, dans les jours suivant l’attaque découvrit la cache d’Arafat dans la vieille ville de Jérusalem, près de la Porte de Jaffa. Un groupe de soldats fut dépêché pour s’emparer de lui, mort ou vif, mais il réussit à s’échapper quelques minutes avant leur arrivée. Deux jours plus tard, même scénario à Beit Hanina. Le jour suivant, Arafat réussissait à partir en Jordanie… L’armée et les services continuèrent à le pourchasser, mais sans succès.

En mai 1968, un psychologue d’origine suédoise (Benjamin Shalit), proposa au Comité des trois un très curieux plan basé sur l’intrigue d’un film sorti en 1962, et intitulé « The Manchurian Candidate » (le Candidat Mandchou). Dans ce film, un agent hypnotiseur des services chinois procède à un lavage de cerveau d’un prisonnier de guerre américain afin qu’il aille assassiner un candidat à la Présidentielle des États-Unis… Shalit prétendait qu’il pouvait faire la même chose avec Arafat comme cible désignée, à l’aide d’un prisonnier palestinien, un parmi les milliers de détenus dans les prisons israéliennes. De façon surprenante, le Comité des trois accepta le plan.

QUAND LES SERVICES SE FONT BERNER…

Shalit choisit alors un natif de Bethléem de 28 ans nommé Fatkhi, considéré comme facilement influençable, et non associé au leadership d’Arafat. Il fut soumis à différents techniques hypnotiques et entraîné à tirer au pistolet… Plusieurs mois après, il semblait prêt, enfin. Voici, de façon très résumée, comment Bergman raconte le jour « J » de l’opération pour Fatkhi, après avoir difficilement traversé le Jourdain à la nage… sans se noyer grâce à un agent des services : « un jeune palestinien, membre actif du Fatah, se rendit au poste de police Karameh. Il raconta au policier que les services israéliens avaient essayé de lui laver le cerveau pour qu’il tue Arafat, et il remit le pistolet. Une source du Fatah rapporta trois jours plus tard que Fatkhi avait été confié à l’Organisation, où il prononça une intervention passionnée en soutien à Yasser Arafat ».

En Septembre 1970, le chef du Casaera, Mike Harari, proposa d’assassiner Arafat à Tripoli, lors d’une célébration publique en l’honneur de Kadhafi. L’idée de bombarder le plateau des VIP par un tir de mortier fut abandonnée au profit d’un tir de précision réalisé par un « sniper ». Golda Meir, Cheffe du gouvernement, retoqua l’opération devant ses possibles conséquences politiques négatives sur le plan international. Harari réactiva alors la technique des lettres piégées… sans plus de succès.

En juin 1982, Ariel Sharon, Ministre de la défense, conduisit l’opération de guerre « Paix en Galilée », officiellement définie comme « incursion limitée », au sud du Liban. On se souvient cependant de la dimension que prit cette invasion massive meurtrière et destructrice, jusqu’à Beyrouth.

Bergman décrit à sa façon l’objectif de cette guerre : installer Bachir Gemayel comme Président du Liban et faire ainsi de ce pays un allié. Gemayel expulserait les Palestiniens en Jordanie où ils constitueraient une majorité et un État palestinien à la place du Royaume Hachémite… Tout ceci, selon Sharon, écarterait la revendication palestinienne pour un État indépendant en « Judée et Samarie » – la Cisjordanie – qui ferait ainsi partie d’Israël. On a peine à imaginer que Sharon pu croire lui même à un tel plan… Mais, souligne Bergman, « dans ce fantastique plan, il y avait un élément décisif supplémentaire : tuer Arafat » (4).

ARAFAT A LA BARAKA

Sharon voulait « détruire la détermination palestinienne ». Avec Rafael Eitan, il voulait rentrer dans Beyrouth, trouver la « tanière » d’Arafat pour le tuer. A cette fin, une force spéciale fut constituée dont le nom de code fut Salt Fish (poisson salé). Sharon, pour la mise en œuvre, désigna ses deux experts en opérations spéciales : Meir Dagan, général qui deviendra chef du Mossad en 2002, et Rafael Eitan, Chef d’état major. 76000 hommes de troupes et 800 chars pénétrèrent au Liban le 6 juin 1982.

L’opération Salt Fish consistait à localiser Arafat pour le faire bombarder par l’aviation… sans trop de dommages collatéraux. Mais, chaque fois, Arafat échappa aux bombardements. « Le leader palestinien – raconte Bergman – compris que si les bombes tombaient de façon répétée sur les lieux où il devait juste rentrer ou qu’il venait de quitter, ce n’était pas une coïncidence » (5).

Le 3 juillet, Uri Avnery et deux autres journalistes israéliens devaient rencontrer Arafat à Beyrouth afin de l’interviewer. L’équipe Salt Fish décida de saisir cette opportunité pour agir et assassiner Arafat. Mais il y avait la possibilité que les 3 journalistes israéliens y perdent la vie eux aussi. La sécurité d’Arafat prit des contre-mesures et la fine équipe du poisson salé perdit leur trace dans les rues de Beyrouth Sud…

La traque de Yasser Arafat pour l’assassiner prit alors une importance majeure et fit l’objet d’un vif débat au sein même des autorités israéliennes. Certains dirigeants estimaient que même une « cible légitime » ne peut pas faire l’objet d’une liquidation si celle-ci doit s’accompagner de « dommages collatéraux » importants.

« C’ETAIT COMPLETEMENT FOU… »

Le 4 août, Rafael Eitan convoqua Aviem Sella, chef du Département des opérations aériennes. Il lui dit notamment : « vous piloterez l’avion et je m’occuperai du système d’armement. Nous allons bombarder Beyrouth ». La cible était un bâtiment ou Arafat était censé se trouver le lendemain. « C’était complètement fou – dit Sella – J’étais en état de choc. Si quelqu’un m’avait dit que le Chef d’état-major, qui n’est pas réellement un aviateur, allait prendre la tête du Département des opérations aériennes pour une interruption du cours de la guerre afin d’aller bombarder Beyrouth pour sa propre satisfaction, je ne l’aurais jamais cru » (6).

L’opération se déroula pourtant comme prévu. Mais les bombes détruisirent une partie du bâtiment juste avant qu’Arafat arrive. Le soir même, Eitan déclara à la télévision qu’Israël ne se permet pas de frapper des cibles dans des zones civiles… « ce qu’il fit pourtant lui-même ce matin-là » (7).

« Le problème avec l’opération Salt Fish, pour Sharon et pour Israël, c’était que le monde entier était témoin. A chaque tentative d’assassinat manqué, Israël apparaissait de plus en plus comme une puissance militaire ayant envahi une nation souveraine dans une tentative monomaniaque de tuer un seul homme. Arafat, au lieu d’apparaître comme un terroriste sanguinaire, était devenu le leader pourchassé d’une nation de réfugiés écrasés par la machine de guerre israélienne. Sharon avait gagné précisément l’inverse de ce qu’il voulait »(8).

Le 21 août, les forces de l’OLP évacuèrent Beyrouth par la mer. Ménahem Begin, Premier ministre, dû s’engager auprès des américains à ce que rien ne serait tenté contre les personnels évacués. L’équipe Salt Fish et ses snipers prirent néanmoins position sur les toits au dessus du port d’embarquement. Un des commandants s’adressa par radio à Rafael Eitan : « On peut le faire. On l’a en visuel. Est-ce qu’on a l’autorisation ? » Eitan tarda mais il finit par répondre, manifestement déçu : « négatif ! Je répète : négatif » (9).

Après la bataille de Beyrouth, Sharon et Eitan désiraient plus que jamais tuer Arafat, mais Sharon réalisa qu’Arafat était si populaire qu’un assassinat ferait de lui un martyr de sa cause. Il demanda alors aux organisations des services d’intensifier la surveillance afin de trouver une manière plus subtile d’en finir avec lui. L’opération Salt Fish devint l’opération Golden Fish. Avec la même mission. Sharon la plaça au rang de top priorité. L’idée qui germa fut celle de détruire un avion dans lequel Arafat effectuerait un vol, en particulier au moment où l’avion serait au dessus d’eaux profondes, là où les débris seraient difficiles à retrouver. Mais il fallait être sur qu’Arafat soit bien dans l’avion devant être abattu.

LA VOLONTE D’ORGANISER UN CRIME DE GUERRE…

Le 22 octobre 1982, deux agents signalèrent pour le lendemain un voyage d’Arafat pour un vol privé d’Athènes au Caire, dans un DHC-5 Buffalo. Deux chasseurs-bombardiers F-15 furent mis en alerte pour décollage immédiat. Confirmation fut donnée à plusieurs reprises, sur témoignages « de visu », qu’Arafat se trouvait bien, en personne, dans cet avion. Mais le général Ivri, membre du Commandement aérien, eut des doutes. En fonction des renseignements obtenus, il ne voyait pas pourquoi Arafat devait aller au Caire. Il demanda une vérification : était-ce bien Arafat qui était monté dans l’avion ? De nouveau réponse positive. L’avion s’envola à 16h30. Ivri ordonna à ses pilotes de décoller aussi… Mais il avait toujours des doutes. Il demanda au Mossad de s’assurer par d’autres moyens qu’Arafat était bien dans l’avion. Reconfirmation du Mossad. Lorsque les F-15 eurent le Buffalo sur leur écran, les pilotes demandèrent l’autorisation de tirer. « Négatif » répondit Ivri… Et puis, à 16h55, sur une ligne téléphonique cryptée, le même officier de renseignement ayant auparavant confirmé la présence d’Arafat à bord de l’avion fit état d’une incertitude.

Les deux F-15 continuaient à tracer des cercles autour du Bufallo. Ivri ordonna d’attendre. A 17h23, l’information tomba : l’homme dans le Bufallo était Fathi Arafat, le jeune frère de Yasser Arafat et fondateur du Croissant rouge palestinien. Il était à bord avec une trentaine d’enfants blessés, quelques uns victimes du massacre de Sabra et Chatila (10). Fathi Arafat escortait ces enfants au Caire où ils devaient recevoir des traitements médicaux. Ivri saisit la radio et ordonna : « faites demi tour. Vous rentrez à la maison » (11).

Mais Sharon n’abandonna pas. Il conserva l’idée d’abattre un avion de ligne civil à bord duquel se trouverait Arafat. Un plan détaillé fut même établi pour frapper au dessus de la mer, sur une « route » méditerranéenne, loin d’Israël, sans couverture radar. Une opération contrôlée et commandée depuis un Boeing 707 doté d’équipements de communication. Sous les ordres directs de Sharon, quatre F-15 et F-16 furent placés en alerte d’interception. En neuf semaines, de novembre 1982 à janvier 1983, ces chasseurs-bombardiers se sont élancés au moins à cinq reprises afin d’intercepter et détruire des avions de lignes supposés emmener Yasser Arafat, pour être rappelés peu après leur décollage, malgré les impatiences d’Ariel Sharon et de Rafael Eitan.

Bergman explique cependant que Sharon fut alors stoppé dans ses planifications de crimes de guerre. Ménahem Begin lui fit perdre son portefeuille de Ministre de la défense en le renvoyant du Gouvernement, et lui-même fut remplacé par Yitzhak Shamir qui devint Chef du gouvernement.

En novembre 2002, dans un contexte de très fortes tensions, l’armée israélienne encercle la Mukataa où siège Yasser Arafat. L’idée d’une liquidation du Président de l’Autorité palestinienne fait alors débat en Israël. Mais la question posée est : comment faire? Frapper directement ? Frapper sans que l’action puisse être attribuer à Israël ?.. Lui imposer un exil ? L’isoler dans la Mukataa ?

Un échange de propos très rapide en avril 2002 (transcrit par Bergman), entre Ariel Sharon et Shaul Mofaz, alors Chef d’état major, indique que l’armée et le renseignement préparent des plans concernant le sort d’Arafat.

Dan Halutz, Commandant de l’armée de l’air, était un fervent partisan de l’exil. Il avait déjà choisit deux petites îles, l’une proche des côtes libanaises, l’autre près du Soudan, comme nouveau lieu de vie pour le Président. Des unités d’infanterie devaient prendre d’assaut la Mukataa et aller jusqu’au bureau d’Arafat. Des gaz anesthésiants diffusés dans l’enceinte avant le raid devaient permettre de limiter les victimes possibles… Le projet fut finalement abandonné du fait des risques qu’il comptait. L’administration Bush craignait que Sharon décide de liquider Arafat comme il l’avait fait le 22 mars 2004 pour Cheikh Yassin.

Selon Bergman, Bush voyait que Sharon tergiversait. Il le pressa jusqu’à ce qu’il promette explicitement de ne pas tuer Arafat. Le livre de Bergman comporte sur cette question, quelques lignes qui méritent d’être lues : « Même avant cette promesse, en consultation avec les chefs de l’armée et du renseignement, Sharon était arrivé à la conclusion qu’Israël, en aucune manière, devait être considéré comme impliqué dans la mort de Yasser Arafat. Cela devenait d’autant plus important après la promesse faite au Président Bush. Alors brusquement, celui qui s’était arrangé pour échapper à la mort tant de fois, succomba des suites d’un mystérieux mal intestinal et mourut. Selon plusieurs analyses, il y avait sur les habits et sur le corps, des traces de polonium, une substance radio-active utilisée pour les assassinats » (12).

Bergman évoque cependant diverses possibilités. Il écrit ceci : « Si je pouvais répondre à la question, qu’est-ce qui a tué Arafat, je ne pourrais ni l’écrire dans ce livre, ni même être en capacité de dire que je connais la réponse. La censure militaire, en Israël m’interdit de traiter le sujet » (13).

UN ECHEC STRATEGIQUE

Certes, Ronen Bergman, en conséquence, ne dit pas comment Arafat est mort et il n’affirme pas non plus qu’il le sait. Mais comment ne pas relier entre eux tous les faits soigneusement relatés dans ce livre, et ici bien trop rapidement résumés ? Comment ne pas voir une logique sur ce fil permanent de l’obsession israélienne : liquider Arafat par tous les moyens possibles, des techniques les plus « banales », au plus militairement spectaculaires, en passant par des méthodes assez ahurissantes… Israël a fait des assassinats ciblés une stratégie dite de sécurité à n’importe quel prix, jusqu’à la choquante tentation du crime de guerre.

L’intérêt de « Rise and kill first » va cependant nettement au delà de ce constat.

Bergman rapporte que sans reconnaître l’implication directe dans la mort d’Arafat, les responsables israéliens à tous les niveaux, dans cette période, ont estimé que la liquidation d’Arafat a renforcé la sécurité d’Israël… On peut discuter (Bergman ne s’y autorise pas) de la pertinence du lien mécanique ainsi établi entre la disparition du Président de l’Autorité palestinienne et le niveau d’insécurité tel qu’il est évalué par les autorités de Tel Aviv. Les choses sont certainement beaucoup plus complexes et, dans le contexte d’une impasse politique dramatique, la nature même des enjeux sécuritaires et des violences n’a-t-elle pas singulièrement évolué ?

Enfin, Ronen Bergman soulève une question décisive. Selon lui, les succès mêmes de la communauté du renseignement ont encouragé, chez la plupart des dirigeants d’autres pays, l’illusion selon laquelle des opérations secrètes pourraient constituer une stratégie en soi. Une stratégie utilisable en lieu et place d’une réelle diplomatie pour mettre fin aux multiples conflits dans lesquels Israël est embourbé (14). Bergman, de cette façon, pose une vraie question, celle d’un manque de vision à la hauteur, d’une absence du sens de l’État, et d’une incapacité à penser et vouloir les solutions politiques indispensables. Il donne d’ailleurs à son dernier chapitre un titre significatif : « Succès tactiques impressionnants et faillite stratégique désastreuse ». Difficile de dire mieux la chose.

Notons que cette impasse fut déjà très explicitement exprimée dans le film/documentaire intitulé « the Gatekeepers » construit par Dror Moreh à partir de l’interview de six anciens directeurs des services de renseignement israéliens (15). Ce documentaire retrace quelque trente années de luttes anti-terroriste et d’une gestion israélienne, elle aussi désastreuse, de la question de Palestine. Comme aujourd’hui le livre de Ronen Bergman, ce documentaire met en exergue l’impossibilité pour Israël de définir un futur acceptable de stabilité, de sécurité et de paix dans une situation où la seule réponse aux défis nationaux, démocratiques et géopolitiques est conçue exclusivement en termes militaires et ultra-sécuritaires. Comment penser et construire l’avenir d’un État sans frontières physiques, politiques et même… éthiques, sans une conception apaisée de ses rapports avec le reste du monde ?.. La guerre ne peut pas être le mode d’existence historique d’une nation, et la base d’une citoyenneté. « The Gatkeepers », comme « Rise and kill first » montrent les limites de l’exercice de la force devant les enjeux et les crises de l’ordre international.

Aujourd’hui, B. Netanyahou, comptable comme tous les autres Premiers ministres précédents, de cette histoire dramatique, tente de résoudre cette équation à beaucoup d’inconnues par une violence systématique encore exacerbée. La politique d’occupation militaire et l’usage de la force létale ciblée et/ou massive donne l’illusion aux forces politiques israéliennes les plus à droite et à l’extrême droite – et peut-être à ce qui reste d’une « gauche » travailliste – que la violence associée à la répression, à la colonisation, et maintenant à l’apartheid et à l’annexion représente une issue possible. Bergman et Moreh montrent la fragilité de cette option terriblement meurtrière et sans issue.

Une dernière remarque. Certains interprètent le livre de Bergman de façon un peu particulière : Yasser Arafat aurait été souvent épargné voire sauvé par ceux-la mêmes, les Israéliens, ses plus intimes ennemis… Il est ainsi sous-entendu qu’Arafat aurait pu bénéficier d’une certaine modération voire d’une bienveillance « démocratique » de la part des autorités de Tel Aviv. La lecture de l’ouvrage de Bergman confirme au contraire le cynisme des autorités israéliennes et l’inanité totale de cette allégation. On pourrait en rire si ce n’était tragique. Ce n’est, en effet, ni la pondération, ni les valeurs démocratiques qui, effectivement, ont parfois retenu le bras des assassins. C’est le poids des opinions publiques, des sentiments et des campagnes de solidarité…

1) « Rise and kill first. The secret history of Israël’s targeted assassinations », Random House, New York, Ronen Bergman, 2018. (« Lève toi et tue en premier. L’histoire secrète des assassinats ciblés israéliens »…)

2) Prologue, page xxii et xxiii.

3) page 111.

4) page 251.

5) page 256.

6) page 258.

7) page 259.

8) idem.

9) page 260.

10) Ce massacre d’une grande sauvagerie (de 700 à 3500 victimes civiles selon les sources) a été perpétré du 16 au 18 septembre 1982 à Beyrouth Ouest, dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, encerclés par les chars israéliens. Ce crime contre l’huanité a été commis par une milice libanaise liée au parti phalangiste d’extrême droite d’obédience chrétienne et alliée d’Israël. Ariel Sharon et Rafael Eitan ont été estimés « indirectement responsables » par une commission officielle d’enquête israélienne. Cette formulation est mise en doute par beaucoup qui leur attribuent une responsabilité beaucoup plus directe.

11) page 271.

12) pages 560 et 561.

13) page 562.

14) page 629.

15) « The Gatekeepers », documentaire de Dror Moreh, diffusé le 5 mars 2013 sur Arte.