Sur le Liban et la guerre…

Antonios Abou Kasm est avocat international. Il est aussi Doyen de la Faculté de Science politique et des Relations internationales à l’Université « La Sagesse » de Beyrouth (ULS). Cette Université libanaise renommée a été fondée en 1999. La création de sa Faculté de droit remonte cependant à l’année 1875.

Cet entretien a été finalisé le 17 avril 2024.

1) Hier, 15 années de guerre civile, de déstabilisations et d’interventions extérieures n’avaient pas conduit, malgré la durée et la brutalité du conflit, à faire du Liban ce que l’on appelle un État déliquescent ou un État failli. Le cumul des chocs majeurs de la période (crise institutionnelle, assassinats de personnalités politiques, explosion au Port de Beyrouth, crise économique structurelle…) a-t-il fait rentrer votre pays sur ce chemin dangereux ? A quelles conditions, d’après vous, le Liban pourrait-il retrouver une stabilité politique et institutionnelle, et une sécurité garantie… c’est à dire les moyens d’assurer durablement le consensus national nécessaire ?

Antonios Abou Kasm : le Liban pourra retrouver sa stabilité politique et institutionnelle d’abord s’il existe une réelle volonté internationale de le protéger des implications liées aux guerres dans la région… tout en respectant sa composition multiconfessionnelle. Et sans intervention visant à changer ses réalités pour en faire une victime de la nouvelle géopolitique régionale. Le consensus national nécessaire sera assuré lorsque le Liban cessera d’être l’une des scènes de confrontation entre les puissances occidentales et régionales. Le Liban, dans l’équation géopolitique actuelle, est en quelque sorte posé sur la table des enjeux comme dossier équivalent ou alternatif à celui du Yémen.

Certes, personne ne peut nier que le Hezbollah constitue le bras armé régional de l’Iran. Une résistance organisée disposant d’une idéologie politico-religieuse célébrée par une majorité écrasante des chiites au Liban. En raison du rôle politique accentué joué par le Hezbollah en tant que résistance islamique dans le monde arabe, le Liban reste ainsi une aire de conflit. D’autant plus sûrement qu’Israël occupe toujours des territoires libanais en violation du droit international et des résolutions onusiennes. L’affrontement israélo-iranien, jusqu’ici indirect au Sud-Liban, a donné lieu à une « guerre de proxys » dans une certaine légitimité en considération de la réalité de l’occupation imposée par Israël, et des activités militaires hostiles qui s’y rattachent. Cela dit, le retrait israélien des territoires libanais occupés, la mise en œuvre des résolutions du Conseil de Sécurité exigeant le retrait des troupes israéliennes et le respect de la souveraineté libanaise, constituent une donnée essentielle de base quant à la stabilité sécuritaire au Liban, et à ses effets directs sur le développement économique. Malheureusement, la guerre actuelle de Gaza, accentue les hostilités entre le Hezbollah, Israël et d’autres organisations armées palestiniennes. Elle tend à faire glisser le Liban dans une dangereuse situation de guerre pour l’instant non déclarée. La carence des institutions constitutionnelles et étatiques s’accentue de jour en jour. Le blocage politique est profondément inquiétant à cause de la confrontation de deux courants opposés sur la question de la pertinence d’une résistance de type militaire. La restitution de la souveraineté du Liban, constitue le premier pilier de la nécessaire stabilité politique et institutionnelle.

2) Est-ce qu’il existe au Liban un soutien important, majoritaire ou plus large, envers le peuple palestinien, et une reconnaissance de l’importance de la question de Palestine pour l’avenir du Proche-Orient ? Dans quelle mesure les divisions confessionnelles et politiques libanaises pèsent-elles sur les « interprétations » de la guerre Israël/Hamas ?

AAK : dans l’ensemble, tout le monde au Liban est solidaire du peuple palestinien, avec la conviction que ce peuple a droit à un État souverain. Malgré, les divergences politiques vis-à-vis du Hamas, tous les partis politiques au Liban, ainsi que l’Église maronite, condamnent les crimes odieux perpétrés contre la population de Gaza. Il y a très régulièrement des rassemblements de solidarité avec le peuple palestinien. En fait, deux courants divisent l’opinion publique au Liban. Un courant dominé par le Hezbollah. Celui-ci estime que seul l’emploi de la force armée est susceptible de résoudre et « sauver » la question palestinienne. L’ouverture des hostilités sur le front Sud du Liban vise ainsi à contraindre les forces israéliennes à disperser leurs forces… En face, un large courant croit au règlement pacifique des conflits, avec une position de neutralité du Liban dans un contexte où domine l’emploi de la force. Toutefois, ce courant ne nie pas qu’Israël est un ennemi, et que le Hezbollah est une composante politique libanaise.

En vérité, la majorité des Libanais redoute que les Israéliens engagent la guerre au Sud-Liban pour surmonter leurs difficultés militaires et leur échec de facto à Gaza. Netanyahou, cherche en effet une victoire à tout prix. Les Libanais craignent toujours que le règlement du conflit israélo-palestinien se fasse au détriment de leur pays qui reste le maillon le plus faible de la région. Le plus alarmant et le plus imprédictible, c’est la situation dans les camps palestiniens. Ici, le risque de confrontation entre factions palestiniennes est très élevé. Ce qui nuit à la cause palestinienne. L’année 2023 a connu un scénario de conflit armé au camp de Ain El-Helwé au Sud-Liban, à proximité de Saïda. Les combats furent de très forte intensité. Ils ont perduré en menaçant la sécurité de la région, et la circulation routière entre Beyrouth et le Sud. Ce genre de confrontations inter-palestiniennes, suscite le mécontentement des Libanais et tend à produire une certaine méfiance vis-à-vis de la cause palestinienne en raison de l’activité des milices. Celles-ci ont utilisé les camps du Liban pour cacher les personnes recherchées par la justice, mais aussi comme lieux de fanatisme religieux et politique. Des activistes en fuite depuis la Syrie ont pu s’installer à Ain El-Helwé et investir dans des pratiques hostiles d’influence pour gagner en légitimité. Le conflit militaire entre le Hamas et le Fatah au Liban, a singulièrement détérioré l’image du Hamas, qui fut soutenu financièrement et militairement par le Hezbollah lors des affrontements de 2023. La stratégie du Hezbollah visant à contrôler le camp de Ain El-Helwé pose aux Libanais un vrai problème touchant à la solidarité avec les Palestiniens.

La victoire escomptée par Netanyahou restera toujours un rêve parce qu’il conduit une guerre injuste, une guerre destructrice et sanglante, totalement contradictoire avec le droit humanitaire coutumier et conventionnel. Les atrocités commises constituent un obstacle durable pour toute entente politique quant à la perspective de deux États, un État israélien et un État palestinien, vivant côte à côte. La destruction humaine et culturelle de la Bande de Gaza, aura des répercussions sur les États limitrophes, notamment la Jordanie et l’Égypte, ainsi que sur le Liban. Le transfert des Palestiniens en Jordanie, en Égypte et au Liban ne pourra jamais être réalisé. Comment ces États pourraient-ils commettre le « péché originel » en offrant la terre palestinienne de Gaza aux Israéliens au nom d’une colonisation illégale ? La gouvernance de la bande de Gaza après la guerre constitue la priorité des puissances dominantes qui cherchent non pas une juste fin à la guerre, mais comment en finir de façon radicale avec toute résistance palestinienne.

3) Quelle est votre appréciation sur les plus récents discours d’Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, qui n’avaient pas annoncé un engagement militaire direct du Hezbollah dans la guerre ? Pour certains il s’agissait tout de même d’une menace persistante d’essence iranienne, ou bien d’une posture de dissuasion à l’égard d’Israël. Jusqu’où, pour le Hezbollah, le fait d’être un parti appartenant au champ politique libanais est-il une contrainte et un frein à l’engagement militaire dans la guerre ?

AAK : dans le contexte de la guerre de Gaza, Hassan Nasrallah tient un discours classique : il participe à la guerre au nom du soutien à la cause des Palestiniens, et pour contribuer à une diminution de la concentration des forces israéliennes à Gaza… sans pour autant déclencher la guerre, sans entreprendre d’opérations qui échapperaient aux règles classiques de l’engagement militaire. Ses discours sont maintenant des hommages à ses martyrs, mais beaucoup, au sein de l’opinion publique, se demandent pour quelle cause … Dans ce contexte, le Hezbollah a perdu non pas seulement cinq cents de ses jeunes combattants, mais des cadres importants, ont été exécutés par les Israéliens après avoir été pourchassés et interceptés. Le haut niveau de la technologie militaire israélienne a surpris le Hezbollah et le Hamas. Des dirigeants iraniens ont été ciblés non pas seulement au Sud-Liban, mais aussi à Beyrouth et à Damas. Les Israéliens ont surclassé la technologie iranienne du Hezbollah qui n’a jamais pu capturer qu’un seul drone israélien sophistiqué. Il semble que le Hezbollah n’était pas assez prêt pour cette bataille, et qu’il a dû s’imposer des limites. Il n’a jamais osé franchir la « ligne bleue » (qui sert de frontière israélo-libanaise), ou essayé de libérer des territoires libanais occupés par Israël.

On constate aussi que le Hamas et Al-Jama’a Al Islamiya « n’obéissent » plus au Hezbollah. Militairement parlant, ils ne suivent pas d’instructions opérationnelles venant du Hezbollah. Ces groupes armés sont devenus autonomes, et apparemment soutenus par des puissances arabes. Donc le Hezbollah ne contrôle pas l’ensemble du champ de bataille. Au surplus, au sein de l’espace politique libanais dont les partis chrétiens, le Hezbollah n’a pas réussi à convaincre une grande partie de ses alliés, ni de la justesse de sa participation à la guerre, ni des bénéfices que le Liban tire de la résistance. Au contraire, le Liban a été exposé « gratuitement » au danger, sans que le Hezbollah, durant six mois, ait pu revendiquer une victoire concrète qui puisse correspondre aux espoirs de souveraineté des Libanais. Alors que le gouvernement ne parvient pas à assurer le respect complet de la résolution 1701 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU en 2006 (1). La violation récurrente de cette résolution par Israël ne peut pas légitimer son non respect par d’autres acteurs politiques libanais.

Il apparaît cependant que le Hezbollah est devenu plus flexible afin de pouvoir opérer un retrait semi-complet de la zone au Sud du fleuve Litani. Mais il n’est pas capable d’assurer le retrait des groupes armés qui lui sont alliés. Après l’attaque israélienne contre le consulat iranien à Damas, les cartes sont redistribuées. La position de Hezbollah est hésitante. Son rôle est devenu délicat dans un contexte où Israël choisit délibérément la force et l’initiative militaire.

En tout état de cause, le Liban paye la « facture » de cette guerre à Gaza. Des centaines de milliers de libanais ont dû être déplacés hors du Sud-Liban. Ils sont devenus des réfugiés démunis et sans travail. Le plus dangereux réside dans la menace d’une destruction totale du Liban si d’aventure Israël décidait d’une offensive majeure, comme ses dirigeants en ont déclaré la possibilité. Le Hezbollah est dans une impasse politique. Il ne peut ni avancer, ni reculer. Il a perdu presque une majorité de l’opinion libanaise. Une minorité lui reste solidaire, alors que le régime syrien semble plus intéressé par ce qui passe à Kyiv, que par ce qui passe à Gaza ou au Liban Sud… Israël a utilisé le front Nord pour faire perdurer sa guerre et continuer une pression sur l’Administration Biden avant les présidentielles américaines du 5 novembre 2024 . Netanyahou cherche une victoire tout en évitant une comparution devant la justice. Il essaie ainsi de regagner de la crédibilité et de la légitimité par de nouvelles batailles.

Suite au raid israélien contre un bâtiment diplomatique, le Consulat iranien à Damas, le 1er avril 2024 (2), le régime de Téhéran a déclenché dans la nuit du 13 avril une vaste opération de représailles en territoire israélien, avec plus de 300 lancements de drones et de missiles. La grande majorité de ces projectiles a été bloquée par les systèmes israéliens de protection aérienne, avec l’aide des forces américaines, jordaniennes mais aussi britanniques et françaises. Un aéroport militaire israélien à Al-Nakab, au sud du pays, a été légèrement touché, sans conséquences majeures pour cette base militaire qui abrite les chasseurs-bombardiers F35. Après quelques heures, l’Iran a annoncé la fin de l’opération, comme si celle-ci avait été délibérément conçue, vis à vis des américains et des Israéliens, pour n’avoir que des effets militaires limités. L’Iran n’a effectivement détruit aucun objectif militaire de haute valeur, tandis que l’appareil de défense israélien a montré sa capacité à empêcher la pénétration des missiles balistiques iraniens et celle des drones auxquels les Russes ont eu recours dans leurs opérations en Ukraine.

Selon Israël, il s’agit d’un double succès, militaire et politique : les frappes iraniennes du 13 avril 2024 ont offert une nouvelle « légitimité » au gouvernement Netanyahou grâce à la solidarité internationale et européenne. Israël se présente ainsi comme la victime, et cherche à faire oublier l’efficacité tragique de sa machine à tuer des innocents, notamment les crimes odieux commis par son armée contre des milliers d’enfants palestiniens.

Les frappes iraniennes vont ainsi servir au gouvernement Netanyahou pour pousser la réalisation de ses visées politico-militaires en particulier à Rafah et à la frontière Nord avec le Liban. Le Liban qui encourt plus que jamais le risque d’une grande catastrophe existentielle. Netanyahou a-t-il déjà obtenu un feu vert pour détruire Beyrouth sous le prétexte d’un soit disant droit à la défense légitime ?

1) La résolution 1701 a été adoptée le 11 août 2006, à l’unanimité des membres du Conseil de sécurité de l’ONU, pour mettre fin au conflit israélo-libanais de 2006. Elle demande notamment le retrait des forces militaires israéliennes, l’extension du contrôle du Gouvernement libanais sur l’ensemble du territoire, et le déploiement de la FINUL dans tout le Sud. Elle soutient l’intégrité territoriale et la souveraineté politique du Liban.

2) Cette attaque israélienne meurtrière (non revendiquée par Tel Aviv) a fait 16 morts dont 7 membres du Corps iranien des Gardiens de la Révolution, parmi eux deux commandants de l’unité d’élite Al-Qods dont le Général Mohammed Reza Zahedi, chargé de la Syrie et du Liban.

« L’État de Palestine » entre liquidation de la cause et poursuite de la lutte.

Je publie ci-dessous un article de Gilbert Achcar, Professeur à l’Université de Londres, School of Oriental and African Studies (SOAS) – Billet de blog du 9 avril 2024 sur Mediapart.

Cet article est la traduction d’une tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe Al-Quds al-Arabi basé à Londres. Il est paru le 9 avril en ligne et dans le numéro imprimé du 10 avril. Il propose une approche intéressante concernant la demande d’admission de la Palestine comme État membre de plein droit de l’Organisation des Nations Unies, demande dont les textes officiels figurent ci-dessous dans ce blog.

« Face à la catastrophe actuelle qui dépasse la Nakba de 1948 en horreur, atrocité, létalité, destruction et déplacement de population, « l’Autorité palestinienne » a lancé depuis Ramallah une nouvelle requête au Conseil de sécurité des Nations Unies pour sa reconnaissance comme État membre de l’organisation internationale au même titre que les autres États membres.

« La condition palestinienne s’est détériorée au-delà de tout ce qu’elle a connu en plus de 75 ans de souffrance et d’oppression, depuis que le mouvement sioniste s’est emparé de la majeure partie des terres de Palestine entre le fleuve et la mer et a achevé d’occuper ce qui restait moins de vingt ans après. Face à la catastrophe actuelle qui dépasse la Nakba de 1948 en horreur, atrocité, létalité, destruction et déplacement de population, « l’Autorité palestinienne » (AP) a lancé depuis Ramallah une initiative censée compenser les souffrances du peuple palestinien, à savoir une nouvelle requête au Conseil de sécurité des Nations Unies pour la reconnaissance de l’AP de Ramallah comme État membre de l’organisation internationale au même titre que les autres États membres.

Réjouis toi, peuple de Palestine. Tes énormes souffrances n’ont pas été en vain. Elles sont même sur le point de franchir un grand pas sur la voie d’une « solution » à ta cause, cette même « solution » (ici dans le sens de liquidation) à propos de laquelle Joe Biden – le partenaire du gouvernement sioniste dans la guerre génocidaire en cours sur la terre de Palestine – a affirmé, dès les premiers jours de la campagne effrénée lancée il y a plus de six mois, qu’il devenait urgent d’éteindre le volcan palestinien qui continue d’entrer en éruption inévitablement et par intermittence, mais à un rythme accéléré au cours des dernières années. La vérité est que Biden, à son retour à la Maison Blanche en tant que président, a cherché avant tout un « succès » politique facile au Moyen-Orient en s’efforçant d’amener le royaume saoudien à monter dans le train de la « normalisation avec Israël », que son prédécesseur, Donald Trump, avait engagé sur une nouvelle voie avec les Accords d’Abraham conclus avec la complicité des Émirats arabes unis.

Biden s’était rendu compte qu’essayer de faire avancer la soi-disant « solution à deux États » l’amènerait à une confrontation avec son « cher ami » Benjamin Netanyahu. Il choisit d’éviter cela pour des raisons opportunistes et en raison de sa passion pour le sionisme, auquel il a ouvertement déclaré un jour son adhésion personnelle. Les efforts de son administration se sont donc concentrés sur la voie de la « normalisation », négligeant celle de la « solution » jusqu’à ce que le volcan explosât à nouveau avec l’opération lancée par le Hamas et la guerre d’anéantissement menée par Israël qui s’en est suivie, sans précédent en folie et intensité de destruction depuis au moins un demi-siècle, non seulement au Moyen-Orient mais dans le monde entier. La « solution » (liquidation) est donc revenue sur la table, et le président américain a appelé à la « revitalisation » de l’AP de Ramallah. Cette dernière s’y est vite conformée, interprétant la demande à sa guise, non pas comme le remplacement par des élections démocratiques de son chef vieillissant et dépourvu de toute légitimité, mais plutôt comme le remplacement de son premier ministre par un autre aux ambitions politiques moindres, d’une manière qui n’a trompé personne.

L’AP s’est ainsi enhardie à exiger officiellement qu’on lui accorde un siège de membre ordinaire à l’ONU, au lieu de la seule décision qui aurait pu la racheter devant l’histoire, qui aurait été de déclarer la désobéissance civile à Israël de son « autorité », dépourvue de toute autorité sauf pour servir les objectifs de l’occupation et qui regarde, impuissante, non seulement l’anéantissement de Gaza, mais aussi le génocide rampant en cours en Cisjordanie même. Et s’il leur était impossible de mettre fin à leurs relations avec l’État sioniste, il aurait mieux valu pour eux d’annoncer la dissolution de leur « autorité » plutôt que de continuer à participer à la liquidation de la cause de leur peuple. Car s’ils sont aujourd’hui plus près que jamais d’obtenir le siège souhaité, ce n’est pas grâce à leurs prouesses diplomatiques, mais seulement parce qu’accorder à « l’État de Palestine » l’adhésion à part entière à l’ONU est devenu le moyen le moins coûteux pour les gouvernements occidentaux de prétendre contrebalancer quelque peu leur soutien inconditionnel à la guerre génocidaire en cours, qui a trop duré et s’est aggravée en horreur, jusqu’à l’actuel usage de la famine comme arme de guerre.

La Grande-Bretagne elle-même, par la bouche de son ministre des affaires étrangères et ancien premier ministre, a annoncé sa disposition à envisager de reconnaître « l’État » de l’AP, tandis que d’autres pays européens, dont l’Espagne suivi par la France, ont commencé à se préparer à une reconnaissance similaire. Il convient de noter que le même gouvernement britannique qui exprime sa disposition à cette reconnaissance, rejette l’appel lancé par des experts juridiques britanniques officiels et non officiels à cesser de fournir des armes à l’État d’Israël, car cela constitue une violation du droit international en partageant la responsabilité d’une guerre qui viole les règles les plus fondamentales de ce droit en matière de conduite des guerres. Il est donc devenu certain que les efforts visant à accorder à l’AP un siège régulier à l’ONU ne seront pas bloqués par un veto français ou britannique, de sorte que la seule question qui reste en suspens est de savoir ce que fera l’administration américaine. Elle a été la première à appeler à la création d’un « État palestinien », mais elle ne veut pas rompre complètement ses relations avec Netanyahu, ni d’ailleurs avec la majeure partie de l’establishment sioniste qui s’oppose à une telle démarche. Elle craint également de renforcer la position de Netanyahu en le présentant comme défenseur obstiné des intérêts sionistes face à toutes les pressions, y compris celles du grand frère et complice dans le crime. L’administration Biden pourrait donc à nouveau recourir à l’abstention sous un prétexte quelconque, avec une grande lâcheté.

Quant au résultat, il sera comme la montagne qui a accouché d’une souris, car accorder à la « Palestine » (c’est-à-dire près de dix pour cent de son territoire historique) un siège ordinaire à l’ONU n’est rien de plus qu’une souris en comparaison de l’immense montagne d’épreuves que le peuple palestinien a endurées et qu’il endure encore. Quelle valeur accorder, en effet, à un État fondé sur des territoires fragmentés sous le contrôle total de l’État sioniste, de telle sorte que sa prétendue souveraineté serait d’un type qui lui ferait envier les bantoustans créés dans le passé par le régime de l’apartheid en Afrique du Sud ?

Le seul progrès qui pourrait être réalisé par une reconnaissance internationale de l’État de Palestine serait que la première déclaration de cet État après sa reconnaissance inclue une insistance sur la cessation immédiate de l’agression en cours, un appel à imposer des réparations à l’État sioniste pour les crimes qu’il a commis, l’exigence que tous les détenus palestiniens soient libérés et que toutes les forces armées et colons sionistes soient retirés de tous les territoires occupés en 1967, y compris la Jérusalem arabe. Cela devrait être combiné avec un appel à la communauté internationale pour permettre le retour de tous les réfugiés palestiniens qui le souhaitent, et leur hébergement dans les colonies après l’évacuation des colons sionistes, tout comme les pionniers sionistes se sont installés dans les villes et villages palestiniens dont ils se sont emparés à la suite de la Nakba de 1948 après les avoir vidés de leurs habitants d’origine. Seule une telle position pourrait faire de la reconnaissance internationale de l’État de Palestine une étape dans la lutte au long cours contre le sionisme, au lieu d’être un pas vers la liquidation de la cause palestinienne.