Arabie Saoudite: princes ou voyous?..

Ou comment interpréter la crise libano-saoudienne dans ses dimensions internationales.

Après 18 jours de vives tensions et d’interrogations sur l’avenir immédiat du Liban, mais aussi sur des hypothèses de crise majeure, voire de guerre… le Premier ministre libanais Saad Hariri, est rentré à Beyrouth le 21 novembre. Le climat politique s’est alors détendu. Hariri a suspendu ou « gelé » sa démission « à la demande du Président Aoun ». Le Hezbollah a indiqué sa disposition à faciliter le dialogue. Bref… un soulagement.

Une telle crise, cependant, n’est pas qu’un moment dramatique transitoire du à l’instabilité récurrente d’un régime confessionnel. Même si cette caractéristique libanaise constitue en soi un problème politique et démocratique permanent, une longue histoire constitutive du fonctionnement originel de l’État. Une autre raison, liée à celle-ci, explique cette crise. Le Liban, en effet, est aussi traversé et divisé, structuré même – pourrait-on dire – par les contradictions politiques et stratégiques régionales et même internationales. Il est une « caisse de résonance », quand ce n’est pas un terrain privilégié de confrontations internationales directes, y compris militaires. On peut même se demander par quel miracle, par quelles prudences politiques, ou bien grâce à quelles retenues, le Liban a réussi à se protéger lui-même, six années durant, du conflit syrien. Et à ne pas se voir emporter par une guerre qui a détruit et décomposé ce voisin si proche… Un voisin, rappelons-le, qui fut trop longtemps si encombrant et si dominateur.

Novembre 2016 : compromis politique et gouvernement d’union nationale.

En novembre 2016, la nomination de Saad Hariri (proche de l’Arabie Saoudite dont il a la nationalité), après l’élection à la Présidence de Michel Aoun (soutenu par le Hezbollah notamment), avait traduit la volonté d’un compromis conforme à la fois aux pratiques confessionnelles traditionnelles (1) et aux rapports de forces politiques libanais… donc régionaux. Ce compromis, malgré de fortes contradictions, permettait au Liban de sortir d’une période de paralysie institutionnelle, après deux années de vacance présidentielle. L’accord partageait le pouvoir et les « zones d’influence politiques » (si l’on peut dire). Il impliquait l’exigence de maintenir le pays à l’écart ou à distance de la guerre en Syrie… même si le Hezbollah était pleinement engagé militairement dans ce conflit, au côté du régime syrien, au moins depuis 2013… Et malgré des attaques meurtrières de l’Organisation de l’État Islamique (OEI) et du Front Al Nosra (Al Qaïda) combattues par l’armée libanaise et par le Hezbollah. C’est ainsi qu’un équilibre, un statut quo s’est alors installé dans un contexte libanais comme toujours fragile et compliqué. Et peut-être plus encore aujourd’hui.

Il fallait aussi sortir le Liban d’une situation économique difficile. La présence sur son sol de plus d’un million et demi de réfugiés syrien ne pouvait pas simplifier les choses. Comme l’a écrit Paul Khalifeh, correspondant de Radio France International (RFI) à Beyrouth (2), « le principal défi du nouveau Premier ministre est de relancer une économie exsangue, afin de sauver le Liban… mais aussi ses propres affaires ».

Le retour de Saad Hariri a donc mis un terme aux interrogations les plus immédiates… provisoirement. Le « gel » de la démission fut une formule habile, à mi-chemin entre une rétractation totale et une confirmation devenue impossible. C’était nécessaire pour ménager les susceptibilités et pour sauver la face des dirigeants saoudiens accusés (non sans raisons, nous allons y revenir) d’avoir forcé Hariri à la démission.

Inch Allah…

La vérité sur les 18 jours de Saad Hariri hors du Liban et sur la signification de ce qui s’est réellement passé est cependant fort éloignée de ces subtiles accommodements. L’agence de presse britannique Reuters a publié un texte « exclusif », manifestement bien renseigné, racontant quelques épisodes du séjour d’Hariri à Riyad. En voici quelques extrait traduits par nos soins.

A partir de l’instant où son avion toucha le sol de l’Arabie Saoudite, Saad Hariri compris la mauvaise surprise qui l’attendait. Il n’y avait ni princes, ni ministres faisant la queue pour le saluer comme cela se fait lors d’une visite officielle au Roi Salmane… Son téléphone lui fut confisqué et le jour suivant, il fut contraint à présenter sa démission dans une déclaration diffusée par une chaîne de télévision appartenant au Royaume saoudien. Hariri avait été convoqué par le Royaume, par téléphone, la nuit du jeudi 2 novembre, pour rencontrer le Roi Salmane.

Hariri se rendit à sa résidence personnelle. Une source proche affirma que le leader libanais a reçu le samedi matin un appel officiel du protocole lui demandant de rencontrer la Prince Mohammed Ben Salmane. Selon cette source, il attendit environ quatre heures avant d’être reçu, avec la déclaration de démission qu’il devait lire à la télévision. Une autre source politique libanaise importante souligna que dès l’instant où il arriva, les saoudiens le traitèrent sans aucun respect.

Hariri venait souvent en Arabie Saoudite. Lors d’une visite, quelques jours auparavant, le Prince Mohammed Ben Salmane lui avait arrangé une entrevue avec Thamer al-Sabhan, Ministre des Affaires du Golfe, et des officiels de haut rang du renseignement. Hariri revint à Beyrouth content et détendu. Il posta un selfie souriant avec Sabhan. Il dit à ses conseillers qu’il avait entendu des déclarations d’encouragement de la part du Prince, y compris la promesse d’une reprise d’aide militaire pour l’armée libanaise.

La source proche de Hariri souligna que celui-ci croyait avoir convaincu les officiels saoudiens de la nécessité de maintenir une entente avec le Hezbollah dans l’intérêt de la stabilité du Liban. Ce qui s’est passé lors de ces rencontres, c’est qu’Hariri a révélé son positionnement concernant la façon de gérer le Hezbollah au Liban… « je pense qu’ils n’ont pas aimé ce qu’ils ont entendu ».

Selon la source, Hariri a dit à Sabhan de « ne pas nous tenir pour responsables de quelque chose qui se situe au delà de mon contrôle ou de celui du Liban ». Mais Hariri a sous-estimé la position saoudienne. Elle est noire ou blanche. Tandis que nous, au Liban, on est habitués au gris.

La démission de Hariri fut un choc pour son équipe.

Des sources proches du leader libanais ont affirmé que cette démission était déterminée par l’effort saoudien pour contrer l’Iran. Selon certaines sources proche de Hariri, les saoudiens, tout en maintenant Hariri en résidence surveillée, ont essayé d’organiser un changement de leadership au sein du Courant du Futur, en installant son frère aîné Bahaa, qui fut écarté de cette tâche de direction à la mort du père. Les deux frères étaient en conflit depuis des années. Dans une déclaration, le Courant du Futur affirma qu’il se tenait fermement au côté de son leader Hariri. Le Ministre de l’intérieur et conseiller de Hariri, Nouhad Machnouk aurait dit : « nous ne sommes pas un troupeau de moutons ou un lopin de terre dont la propriété peut être transférée d’une personne à une autre. Au Liban, les choses se règlent par des élections, pas avec des prises de gages ou par des allégeances ».

Des membres de la famille, des conseillers et des politiciens qui ont contacté Hariri à Riyad rapportent que celui-ci se montre inquiet, et réticent à s’exprimer au delà d’un « ça va… ». Quand on lui demande s’il va rentrer bientôt, ils disent que sa réponse habituelle est : « Inch Allah… ».

Des méthodes dignes d’un État voyou

Ce texte de Reuters ne dévoile rien qui soit exceptionnel ou très différent des informations données par la presse et par les médias durant ces 18 jours. Mais il confirme le stupéfiant comportement du pouvoir saoudien. Et il relate fort bien dans quelle ambiance menaçante et méprisante Saad Hariri a dû se soumettre aux ordres du Royaume saoudien et du Prince héritier Mohammed Ben Salmane. En réalité le texte de Reuters décrit ce qui n’est pas autre chose qu’ une prise d’otage : la prise d’otage du Premier ministre d’un État indépendant par une puissance étrangère qui se croit tout permis, jusqu’à utiliser des méthodes dignes de ce qu’on appelle un État voyou…

Le Prince Mohammed Ben Salmane est allé trop loin. Il s’est mis en difficulté. L’inacceptable traitement infligé à Saad Hariri a provoqué des réactions critiques sur le plan international, et de fortes oppositions au Liban. Avec le sentiment largement partagé dans le pays qu’une telle humiliation nationale ne peut être acceptée. L’ensemble des courants politiques a réclamé son retour, Hezbollah compris. Même le parti de Saad Hariri, le Courant du Futur, allié de l’Arabie Saoudite, ne pouvait cautionner le comportement des autorités de Riyad. Ce parti a déclaré que le retour de Hariri est « une nécessité pour recouvrer la dignité et pour préserver les équilibres internes et externes du Liban ».

C’est la France qui permit de débloquer la situation. Puisque Saad Hariri était officiellement « libre de ses mouvements », rien ne pouvait s’opposer à ce qu’enfin il puisse partir de Riyad (avec sa famille), en répondant à une invitation française. C’était une façon d’aider le Prince héritier MBS en lui permettant de sauver la face. MBS pouvait d’autant plus facilement accepter la démarche d’Emmanuel Macron que Paris n’a pas ménagé ses efforts (depuis longtemps) pour soutenir l’Arabie Saoudite en multipliant les déclarations anti-iraniennes : « tentations hégémoniques de Téhéran », « vision agressive », et même « politique balistique non maîtrisée »… une formule très problématique car c’est une allusion directe à certaine exigences américaines (appuyées par la France) pour affaiblir et tenter de torpiller, si possible, l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien (3).

En suscitant quelques sourires amusés, la gymnastique diplomatique de la France avait conduit Jean-Yves Le Drian à assurer, à la suite des dirigeants saoudiens, que Saad Hariri était « libre de ses mouvements »… Alors qu’on se doutait bien qu’il n’en était rien. Le 24 novembre, lors d’un point de presse, le Ministère des Affaires étrangères osa prétendre que la France « ne choisit pas un camp ». Sourire, encore. Il est vrai qu’au delà des petits arrangements avec la réalité de sa propre politique, la France ne pouvait pas rester sans rien faire, dès l’instant où il s’agit du Liban. Emmanuel Macron voulut montrer sa capacité à prendre des initiatives diplomatiques utiles. Parce que la France doit parler à tout le monde. C’est, en effet, le travail diplomatique de base… Certains organes de presse au Liban indiquent d’ailleurs qu’un « envoyé » français a rencontré des responsables du Hezbollah avant le retour de Saad Hariri à Beyrouth. Il s’agissait de s’assurer que la « rhétorique resterait apaisée », et que le Hezbollah adopterait une attitude responsable vis à vis des initiatives à venir. Aucune indication n’a été donnée quant à l’identité de cet envoyé (4).

Pourquoi le Prince Salmane fait-il exploser le compromis de 2016.

Quelle sera la suite des événements ? Le constat de départ est sans appel : la consternante initiative saoudienne a fait exploser le compromis politique libanais de novembre 2016 ayant permis la mise en place d’un gouvernement d’union nationale comprenant deux ministres du Hezbollah. Cette participation ministérielle du Hezbollah fait problème aux courants politiques libanais alliés ou plutôt proches de Riyad, et plus généralement aux forces politiques ayant combattu le contrôle syrien et l’influence iranienne au Liban. De retour à Beyrouth, dans un contexte où la « rhétorique » politique ne se calme pas, Saad Hariri se retrouve devant la quadrature du cercle. Quelle solution trouver ?…

Et l’escalade verbale continue, avec des avertissements, pour ne pas dire des menaces à peine voilées : « la question de fond de toute cette affaire – dit le Prince Ben Salmane dans son interview au New York Times (5) – est que Hariri, un musulman sunnite, ne peut pas continuer à couvrir politiquement un gouvernement libanais essentiellement contrôlé par la milice chiite du Hezbollah, lui-même essentiellement contrôlé par Téhéran ». MBS va jusqu’à qualifier l’Ayatollah iranien Ali Khamenei de « nouvel Hitler du Moyen-Orient » , ce qui conduisit le Ministre iranien des affaires étrangères à stigmatiser « l’aventurisme du Prince héritier saoudien » qualifié de dictateur. Saad Hariri a donc les problèmes devant lui. Il lui faudra notamment décider, sous pression saoudienne, si le prochain gouvernement comprendra des ministres du Hezbollah.

Deux questions dominent ainsi les débats politiques et médiatiques : celle du « rééquilibrage » et celle de la « distanciation ». Ceux qui parlent de « rééquilibrage » dénoncent, comme MBS, une hégémonie politique du Hezbollah sur le gouvernement et sur les rouages de l’État libanais. Ils s’affirment donc pour un repartage du pouvoir. Ce qui sous-entend une mise en cause de la participation du Hezbollah au gouvernement. Mais comment exclure – sans trop prendre de risques – une telle force politique et militaire appartenant aux réalités libanaises, même si le lien stratégique direct avec Téhéran est plus qu’une évidence ? Ceux (les mêmes) qui insistent sur la « distanciation », et qui en font parfois un « concept » politique (probablement pour tenter de transformer une option politique en principe général…), soulèvent la question de l’engagement du Hezbollah en Syrie et la nécessité, pour le Liban, d’exclure les ingérences dans les affaires et les conflits du monde arabe. Évidemment, l’indépendance du Liban ne saurait poser le moindre problème de principe, mais est-ce vraiment dans ces termes que la question se pose ?

En vérité, le problème essentiel se situe moins dans ces subtilités sémantiques (qui traduisent des enjeux politiques réels) que dans la réalité des rapports de force régionaux mais aussi internationaux, et dans leur expression sur la scène libanaise. Avec la guerre de 2003 en Irak, avec la guerre civile en Syrie et l’échec ou le reflux stratégique des États-Unis dans la région, l’Iran apparaît – avec la Russie – comme la puissance régionale dans la position la plus favorable. Le coup d’éclat du Prince Salmane contre Hariri, à sa façon, révèle cette situation géopolitique issue de nombreuses années de guerre et d’affrontements aux conséquences terribles pour tous les peuples du Proche-Orient. Des années de guerres qui ont fragilisé l’hégémonie américaine installée dans toute cette région depuis la deuxième Guerre mondiale, et surtout la crise de Suez en 1956. Malgré des complexités à ne pas sous-estimer, c’est bien la convergence Téhéran/Ankara/Moscou qui prévaut dans la recherche d’une suite politique à la crise syrienne, maintenant que l’ensemble des interventions militaires ont globalement concouru à un recul des djihadistes et, pour l’essentiel, à une destruction du califat territorial de Daech. C’est un nouveau contexte qui s’ouvre. Et dans ce contexte, les lignes de fracture et les ambitions stratégiques traditionnelles se réaffirment plus nettement autour des principales puissances concernées.

C’est ce que fait l’Arabie Saoudite en faisant éclater le compromis libanais de 2016. Elle veut affaiblir le Hezbollah au Liban, pour essayer de faire reculer l’Iran accusé de visées agressives. Comme si ce pays était le seul à nourrir des ambitions de puissance dans la région… Mais l’enjeu réel est d’abord celui des rapports de forces déjà établis. Ce qui pose problème à Riyad c’est le recul des États-Unis. On observe d’ailleurs une certaine discrétion de Trump et de son administration dans cette crispation libano-saoudienne des 18 jours.

Dans le comportement des dirigeants saoudiens, il y avait peut-être aussi l’espoir de provoquer au Liban une exacerbation violente de la crise, des incidents armés… jusqu’à entraîner une éventuelle intervention militaire du voisin israélien au nom de la menace iranienne et de son allié le Hezbollah. Mais le Royaume Saoudien n’a pas les moyens des confrontations et des guerres dont il semble rêver. Il a donc choisi, c’est maintenant très clair, une forme de collaboration d’intérêt stratégique avec Tel-Aviv.

Le modèle Trump ?

C’est probablement ainsi que l’on peut expliquer la brutalité du Prince Héritier saoudien à l’égard de Saad Hariri et de son gouvernement. Bien sûr, on pourra dire que MBS copie son modèle politique, Donald Trump. Dans l’interview au New York Times, il n’hésite pas à le confirmer  : « the right person at the right time », dit-il avec enthousiasme (la bonne personne au bon moment). La rhétorique agressive et grossière du Prince Salmane vis à vis de l’Iran rappelle d’ailleurs irrésistiblement la vulgarité des propos de Donald Trump vis à vis de la Corée du Nord… Plus sérieusement, on peut se demander si l’offensive de Mohammed Ben Salmane, et son caractère provoquant, ne serait pas plutôt une sorte de décalque ou une adaptation de la stratégie de la nouvelle administration américaine : surenchères verbales, recherche de l’escalade dans les menaces et les tensions, politique de force et militarisation immédiate de l’action… On est bien dans le même type de politique étrangère fondée sur l’expression de la puissance et l’exercice de la force… Sauf que ce brave Prince héritier n’en a pas vraiment les moyens.

Mohammed Ben Salmane a tapé du poing sur la table… mais il est en échec. Il dit lui même : « je suis un homme pressé ». Trop pressé, peut-être. Il ne prend pas toujours la mesure du contexte et des contradictions auxquelles il doit faire face. Ses initiatives conduisent à peu près toutes à des impasses. La guerre saoudienne au Yémen est sans résultat probant sauf celui d’une crise humanitaire catastrophique : près de 10 000 morts dans un contexte de famine et d’épidémie de choléra. On peut sur ce point s’étonner que cette insolente offensive militaire du pays le plus riche du monde arabe, dans le pays le plus pauvre du monde arabe ne suscite pas davantage d’indignation et d’initiatives de règlement politique. Par ailleurs, la confrontation de Riyad avec le Qatar – qui gêne les États-Unis et les puissances occidentales – est elle aussi sans issue. The Intercept (6) a publié le 13 novembre dernier un texte qualifiant Mohammed Ben Salmane de « reverse Midas » (Midas inversé), en allusion à ce personnage mythique de l’antiquité possédant la capacité de transformer en or tout ce qu’il touche. De fait, MBS semble pouvoir transformer en désastre tout ce qu’il entreprend.

Pourtant, ce Prince là ne manque pas d’ambition. Il prétend vouloir changer rien moins que le régime et les conditions du développement de son pays. Il l’explique dans son interview au New York Times. Ses objectifs, pour le Royaume, consistent à mettre un coup d’arrêt à la corruption, à installer un islam modéré, c’est à dire à faire de l’Arabie Saoudite une puissance moderne, ouverte et plus crédible. « Mon père – dit-il – avait compris qu’on ne peut pas rester dans le G20 avec ce niveau de corruption ». La confiance des investisseurs, la nécessité d’un libéralisme économique et politique nécessiterait donc maintenant le respect des règles d’un État de droit, surtout dans un contexte social où, manifestement, le niveau des injustices et de la corruption inhérentes au système, ont du mal à passer…

« Printemps arabe au style saoudien… »

L’ambition exprimée est celle de tourner la page du Royaume ultra-conservateur, intégriste et rigoriste mais gangrené par l’échelle des malversations. D’où le grand nettoyage politique engagé. Celui-ci permet, notons-le au passage, une concentration du pouvoir dans les mains du Prince héritier Mohammed Ben Salmane. Quelque 200 personnes, effectivement, ont été arrêtées ou appréhendées dont 11 princes et des dizaines de personnalités : ministres actuels ou anciens, hommes d’affaires, etc… Une modernisation qui passe donc, elle aussi, par une politique de force. Même le richissime Prince Alwalid Ben Talal (patrimoine estimé à 17 milliards de dollars), internationalement connu, adepte de conceptions libérales, présent dans les activités d’une trentaine de groupes multinationaux et dans de grandes sociétés, notamment dans la « high tech » Américaine (Apple, Twitter…), n’y a pas échappé.

Le célèbre éditorialiste du New York Times, Thomas Friedman, apporte ses propres commentaires à l’interview de MBS déjà citée plusieurs fois. Il commence ainsi : « Je n’avais jamais pensé vivre assez longtemps pour pouvoir écrire cette phrase : le processus de réformes en cours le plus significatif dans l’ensemble du Moyen-Orient aujourd’hui, c’est en Arabie Saoudite. Oui, vous avez bien lu. Bien que je soi arrivé ici au début de l’hiver saoudien, j’ai trouvé un pays qui a engagé son propre printemps arabe, au style saoudien. »

Difficile de savoir si ce soit disant « printemps arabe au style saoudien » (rien que la formule vaut le détour) réussira à changer les choses pour faire de l’Arabie Saoudite un État disons… fréquentable. Par exemple, un État où les condamnés ne sont pas décapités au sabre sur la place publique… Il reste que Friedman a raison : prendre le Premier ministre d’un État étranger en otage, lui confisquer ses moyens personnels de communication, le mettre en résidence surveillée… voilà qui semble caractériser le « style saoudien »… Heureusement, il n’y a que dans ce pays là que c’est à la mode. Les autres États voyous, aux pratiques si détestables soient-elles, n’ont jamais pu se permettre ça. 25 11 2017

1) Michel Aoun est de confession chrétienne maronite, et Saad Hariri musulman sunnite, tandis que le Président de la Chambre des députés est musulman chiite (Nabih Berri depuis 1992).

2) « Liban : Saad Hariri chargé par le Président de former un gouvernement », Paul Khalifeh, RFI, 03 11 2016.

3) Voir dans ce blog : « ONU, une assemblée générale très révélatrice. Version longue et modifiée ».

4) Voir « French envoy met Hezbollah ahead of Hariri’s return », The Daily Star, 24 11 2017, et « Aoun to seek consensus on dissociation policy solution », The Daily Star, 25 11 2017.

5) « Saudi arabia’s arab spring, at last », interview du Prince Mohammed Ben Salmane par Thomas L. Friedman, New York Times, 23 11 2017

6) Publication en ligne créée en 2014 afin de divulguer les documents sur la National Security Agency (NSA), révélés par Edward Snowden.

ONU: une assemblée générale très révélatrice. Version longue et modifiée.

 

RI No 110 PUB pour mon blogLe texte qui suit, a été publié sur la revue « Recherches Internationales » (No 110 de Juillet et septembre 2017), que je remercie. Ce texte, dans sa version longue et modifiée constitue un ensemble d’observations et d’analyses sur la politique étrangère de la France et sur les crises touchant aux questions du nucléaire militaire, de la Corée du Nord, de l’Iran, de la question de Palestine … à partir de cinq discours prononcés à la tribune de l’Assemblée générale des Nations-Unies: ceux d’ Emmanuel Macron, Donald Trump, Benjamin Netanyahou, Mahmoud Abbas, Wang Yi et Sergueï Lavrov.

Le discours d’Emmanuel Macron (19 09 2017)

Ce discours vaut la peine qu’on s’y attarde en raison de ce qu’il ne dit pas, en raison de ses habiletés trompeuses davantage que pour les mérites de son contenu. Il est trop général pour être vraiment intéressant. Mais il est très révélateur. E. Macron s’adonne à un panégyrique copieux mais peu crédible du multilatéralisme. Certes, on peut apprécier la défense de principe de l’ONU, de l’ UNESCO, de l’UNHCR… quand d’autres attaquent frontalement le système des Nations-Unies. On peut regarder positivement quelques propositions, essentiellement institutionnelles, concernant ce domaine. Mais cette intervention, aussi bien tournée qu’elle soit dans la forme, laisse l’impression d’un faux semblant et d’une faiblesse sur le fond.

Que dit Emmanuel Macron ? Il assure vouloir parler pour ceux qu’on entend pas. Il dit vouloir préserver les équilibres du monde, traiter les causes profondes de toutes les instabilités (terrorisme, migrations, réchauffement climatique). Il veut investir dans l’éducation et la santé. Il propose de renforcer les opérations de paix (en Afrique) et agir pour leur articulation avec l’Union européenne (UE), avec l’Union africaine (UA), avec les organisations « sous-régionales ». Tout cela présente une approche nettement moins unilatérale que celle des États-Unis, moins fondée sur la force, plus négociatrice… donc plus conforme à l’esprit de la Charte des Nations-Unies. La différence avec Trump et Netanyahou est très nette. En France, d’ailleurs, les médias ont alimenté l’idée d’un Président français qui « affronte » Donald Trump et qui ose lui répondre à la tribune de l’ONU… On l’a même présenté comme « l’anti-Trump »… Mais est-ce la bonne interprétation ?

En vérité, ce discours apparaît d’abord très abstrait, hors des réalités. Il n’y a guère que pour le conflit syrien qu’ E. Macron donne quelques précisions. Il propose un processus de négociation pour un règlement politique, avec un « groupe de contact » comprenant les 5 membres permanents de Conseil de Sécurité (le P5), élargi aux États concernés, avec « une feuille de route inclusive ». Pourquoi pas… mais un tel processus est déjà en route depuis des mois avec le processus d’Astana (piloté par la Russie, l’Iran et la Turquie) et qui a finit par prendre le pas sur les négociations de Genève sous l’égide de l’ONU… Pour le reste, on peut dire que le discours d’ E. Macron est une sorte… de mirage politique.

Sur les idées et sur le sens global, on peut même dire qu’il se situe en dessous du grand entretien publié par Le Figaro et sept autres journaux européens le 22 juin 2017. Dans cette interview il avait déclaré – par maladresse ou par provocation ? – que « Bachar, ce n’est pas notre ennemi… ». Cette formule provoqua beaucoup de polémiques étant donnée la nature dictatoriale féroce du régime syrien. Elles s’inscrivait dans une explication visant à démontrer l’utilité de parler avec tout le monde, y compris Vladimir Poutine, Donald Trump, Hassan Rohani et Bachar El Assad. Pour un pays membre permanent du Conseil de Sécurité, c’est, disons, l’attitude usuelle qui s’impose afin de pouvoir jouer un rôle et travailler aux règlements politiques nécessaires. Il est vrai que les aberrantes et frénétiques radicalités de François Hollande et de Laurent Fabius, que des gens de gauche ont pris pour de la fermeté, ont affaiblit la crédibilité et la capacité françaises à rentrer dans les processus de négociation … E. Macron peut – peut-être – faire mieux que cette indigence politique. Son discours à l’ONU avec ses artifices et ses omissions nous font douter.

Il ne dit rien sur la question de Palestine. Pas un mot malgré l’urgence. Pas une allusion. Alors qu’il s’agit de la grande question ayant mobilisé l’ONU et fait l’objet de centaines de résolutions, depuis l’après guerre. C’est le conflit « fondamental » au Proche-Orient. Le silence français sur la question est injustifiable. E. Macron a peut-être écouté Netanyahou s’exprimant à la tribune, mais a-t-il entendu, ou voulu entendre, Mahmoud Abbas dénonçant l’apartheid israélien, et pointant le risque existentiel pesant sur la solution à deux États ?

Plus généralement, Emmanuel Macron n’aborde aucune question avec la volonté de soulever les vrais problèmes, les enjeux réels, les dangers, les échecs… Rien sur la crise afghane. Rien sur la question du Kurdistan. Rien sur les Rohingyas, sur les Sahraouis… Une proposition déjà mille fois entendue sur la crise ukrainienne. Rien de déterminant sur les causes et les responsabilités dans la tragédie des réfugiés et des migrants, sur la nature des politiques européennes en la matière… Rien sur la nature, la légitimité et l’efficacité des interventions militaires françaises en Afrique. Alors que ces interventions, de nature néocoloniale, apparaissent peu compatibles avec l’esprit de la Charte des Nations-Unies. Ce sont, en effet, des opérations de guerre qui montrent leurs limites et débouchent sur de véritables impasses. Elles ne règlent pas les problèmes de fond. C’est l’évidence. Elles les aggravent, et présentent des coûts difficilement supportables. On a vu, à ce propos, comment l’initiative essentiellement française de la guerre en Libye (1), conduite sous couverture OTAN, a produit un chaos sécuritaire et une déstabilisation de toute la région sahélo-saharienne… dont on ne voit pas l’issue.

On observe d’ailleurs que le Conseil de Sécurité a tenu, parallèlement à l’Assemblée générale, un débat dit de haut niveau, sur la question des opérations de maintien de la paix. Au cours de ce débat Jean-Yves Le Drian, pour la France, a exprimé ce qui, selon lui, « n’est plus tenable » dans ces opérations qui coûtent trop cher et qui – il le dit à sa façon – ne permettent pas de résultats probants… Mais il le dit sans proposer d’alternative véritable à l’exercice de la force militaire tel qu’il détermine aujourd’hui l’essentiel des opérations en cours. Il a répété les propositions d’ E. Macron sur le renforcement des opérations de paix en Afrique et « leur articulation » avec l’Union européenne, l’Union Africaine et les organisations sous-régionales… Ce qui est une allusion notamment à une mutualisation des moyens, au partage des coûts… Les opérations de maintien de la paix…voilà un sujet au cœur des responsabilités des Nations-Unies. De la part d’Emmanuel Macron, on aurait apprécié au moins quelques idées, des propositions nouvelles, une initiative de la France, bien au delà du service minimum qui a fut livré.

On constate aujourd’hui que « l’inefficacité » des réponses militaires aux situations de crise et, davantage que cela, leurs conséquences particulièrement négatives pour la paix et la sécurité internationale, est une réalité mieux ou plus souvent intégrée à la réflexion. Bien des responsables politiques et des experts, en effet, se permettent souvent d’aller au delà de la formule : « il n’y a pas de solution militaire… ». Pourtant, ce sont bien ces « solutions » là qui ne cessent de s’imposer. Pourquoi ? Le constat de l’échec patent n’empêche pas l’hégémonie d’une pensée stratégique fondée sur la logique de puissance et sur l’exercice de la force. Cette pensée stratégique est un choix politique fondamental qui interdit toute ambition de réponses complexes, multilatérales, financées à bonne hauteur et conformes aux but et aux principes de la Charte des Nations-Unies. De telles réponses supposent des (re)constructions économiques, sociales, institutionnelles, une affirmation de l’État et de l’État de droit, la recherche de consensus démocratiques … Il s’agit de sortir des déliquescences de crise, de reconstruire les États faillis, reconstruire ce qui s’est effondré avec les ajustements structurels, avec la prédation des richesses locales, avec les modes de gestion néolibéraux et la guerre. C’est à dire développer une vraie pensée politique du développement… Cela reste incompatible avec les règles du capitalisme dominant et les intérêts de ses acteurs principaux, dont la France et ses pouvoirs.

Naturellement, on attend pas d’analyses et de positionnements progressistes de la part d’un Président et d’un Gouvernement qui veulent manifestement prolonger la politique mise en œuvre depuis des années. Mais on est, en conséquence, obligé de constater ce mélange de choix problématiques et d’incapacité de la part des autorités françaises. Les vraies questions du moment ne sont volontairement pas traitées. Et elles ne peuvent pas être traitées positivement dans le cadre politique existant. D’où ce sentiment logique d’une France qui n’ose pas « nommer » les problèmes et qui « n’est pas au niveau ». En tous les cas pas au niveau des multiples défis d’un ordre international particulièrement instable, chaotique et périlleux. On peut se demander à quoi servent les autorités françaises dans un tel contexte.

Emmanuel Macron ne dit pas un mot sur le Traité d’interdiction des armes nucléaires adopté pourtant en juillet dernier, par l’ONU, avec une majorité de 122 États membres. Il défend l’accord sur le nucléaire iranien, ce qui est bien en soi alors que cet accord est dénoncé si fortement par Trump et par Netanyahou. Mais E. Macron ose déclarer : « Je souhaite, pour ma part, que nous complétions cet accord par un travail qui permettra d’encadrer l’activité balistique de l’Iran, par un travail qui permettra d’encadrer la situation après 2025 que ne couvre pas l’accord de 2015. Soyons plus exigeant… ». Cette proposition de « compléter » l’accord, Trump y fera aussi allusion dans son discours. Netanyahou fera de même dans le sien, avec le tempérament provocateur qu’on lui connaît. Il faut noter le culot du Premier ministre israélien qui, en contradiction avec toute réalité, s’est permis de dire : « …J’ai expliqué il y a deux ans que le plus grand danger n’est pas que l’Iran réussisse une seule bombe en violation de l’Accord, mais que l’Iran sera capable de fabriquer de nombreuses bombes en appliquant l’Accord ». Le cynisme d’un tel mensonge est stupéfiant.

Quel est le problème ?

Le « plan d’action global conjoint » (désigné par l’acronyme anglais JCPOA) définit le contenu de l’Accord. Celui-ci porte exclusivement sur le programme nucléaire de l’Iran. Ce Plan d’action constitue l’accord avec l’Iran. Cet Accord (négocié sur la base du Traité de Non prolifération nucléaire) a été conclu le 14 juillet 2015 par un groupe (dit P5+1) comprenant, face à l’Iran, la Chine, les États-Unis, la Russie, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, ainsi que Federica Mogherini, Haute représentante de l’Union européenne pour la politique étrangère et la sécurité, qui aura animé les débats et joué un rôle (positif) clé dans les négociations. Ce plan d’action qui a été endossé par le Conseil de Sécurité (résolution 2231 de 2015), après quelque 12 années de négociations difficiles, est un texte substantiel très complexe, comprenant 5 annexes. Il définit un calendrier, des séquences d’application, un mécanisme de résolution des différends, des dispositions multiples de transparence et de confiance, une présence de l’ Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) de longue durée pour le contrôle de son application. Il s’agit probablement du texte juridique et politique sur les armements le plus complet, le plus minutieux et le plus exigeant jamais conclu sur le plan international. Affirmer, comme le fait E.Macron, que cet accord devrait être « complété » … cela ne tient pas pour plusieurs raisons.

1) Emmanuel Macron propose, dans une formulation très ambiguë, de « compléter » l’Accord non pas sur la question du programme nucléaire iranien, mais sur la question des activités balistiques de l’Iran, et aussi – dit-il – pour « encadrer la situation après 2025 que ne couvre pas l’accord de 2015 ». Vouloir ainsi « compléter » l’Accord par le truchement, à posteriori, de l’insertion d’une question qui n’appartient pas à l’objet même de l’Accord, et qui ressort d’un autre ordre stratégique, ne relève pas d’une préoccupation innocente. Avec le risque – probablement recherché – d’aller à la crise en soulevant la colère des iraniens devant tant de pressions… indéfendables sur le fond.

2) Quant à la proposition « d’encadrer la situation après 2025 », on voit bien que tout est déjà bouclé dans le Plan d’action par des systèmes de suivi et de contrôle innovants et particulièrement stricts. Au bout de 10 ans, en 2025, le Conseil de Sécurité devra (c’est défini dans l’Accord avec précision) voter une résolution dite de « Termination Day » qui endossera la fin de la mise en œuvre du Plan d’action, à condition que les dispositions de ce Plan aient été respectées (2). Ceci signifie que le Conseil de Sécurité aura une capacité d’appréciation et de décision sur toutes les suites. Nul besoin, aujourd’hui, de « compléter » ce que l’accord prévoit déjà. L’UE s’oppose d’ailleurs à toute renégociation. Federica Mogherini n’a d’ailleurs pas manqué de souligner que le Plan est un accord de qualité, équilibré et qui respecte les intérêts de toutes les parties. Un bon accord pour la communauté internationale a-t-elle affirmé.

3) Notons enfin que l’accord comporte un dispositif très particulier (juridiquement inédit) pour le contrôle permanent de son application. Ce dispositif dit « snap back » (refermeture instantanée) prévoit le rétablissement immédiat et automatique des sanctions (pas de veto possible au Conseil de Sécurité) au cas où l’Iran violerait ses obligations. Et ceci au delà du rôle d’une « Commission mixte » créée pour le suivi et la vérification de cette mise en œuvre. Ce « snap back » renforce encore le contrôle et la pression sur l’Iran jusqu’à la fin de la mise en œuvre de l’accord.

On voit donc mal comment il est possible aujourd’hui de prétendre sérieusement que l’Accord nécessiterait d’être « complété », sauf à vouloir rajouter des motifs de conflit, alors que tout sera méticuleusement scruté et contrôlé par le Conseil de Sécurité, jusqu’à la façon de constater et avaliser la fin normale de l’application de l’accord… Sauf à vouloir briser le délicat consensus stratégique global établi grâce à l’Accord de Vienne. C’est exactement ce qui va se passer en octobre avec le refus calculé de Donald Trump d’accorder sa certification sur l’application de l’Accord par Téhéran…

E. Macron se distingue ainsi sur la question du nucléaire iranien en appuyant les tentatives américano-israéliennes. Il fait mine, notamment, de soulever un aspect « technique » précis alors qu’il s’agit d’une entreprise politique dont l’objet est manifestement de tenter de saborder l’Accord. Le fait qu’ E. Macron participe à cette opération est inacceptable. Cette initiative apparaît, en effet, comme une manipulation, un prétexte à la mise en cause d’un accord et d’un processus que l’Iran met pourtant correctement en œuvre. Ce qui a été officiellement confirmé à la fois par l’UE et par l’AIEA. Il faut accorder à cette affaire la plus grande attention.

Sur le nucléaire nord-coréen, Emmanuel Macron considère, comme l’ensemble des puissances occidentales, que la crise serait de la seule responsabilité de Pyongyang qui, il est vrai, multiplie les actions militaires (essais nucléaires et lancements de missiles) considérées comme autant d’initiatives provocatrices ou problématiques par l’ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité. En conséquence, la complexité historique et stratégique à l’origine de cette crise est totalement passée sous silence alors que les grandes puissances et des puissances régionales ont aussi, dans l’ensemble, une responsabilité directe à assumer dans une escalade qui s’exacerbe au fil des jours dans la zone la plus nucléarisée du monde. Les risques ne sont pas virtuels. Notons que la Russie, la Chine et la Corée du Sud ont appelé à faire preuve de diplomatie. Le Ministre allemand des affaires étrangères, Sigmar Gabriel, a fait de même en affirmant que tous les moyens diplomatiques devaient être utilisés pour désamorcer les tensions avant de trouver « un point de départ pour une solution à long terme ». Les autorités françaises vont-elles s’isoler en collant à l’administration Trump et à sa vision militariste ? Il ne faudrait pas que la France décide, elle aussi, de jouer avec le feu en s’associant plus avant à la stratégie périlleuse de Washington qui, on le voit, cherche à briser l’accord de Vienne avec l’Iran et pousse à la confrontation militaire avec la Corée du Nord. Le survol en profondeur d’un groupe de bombardiers des États-Unis le long de la frontière nord-coréenne n’a fait que renforcer les risques d’un conflit ouvert.

Il n’y a donc aujourd’hui qu’une seule question sur laquelle E. Macron prend une position différente de celle de Trump : l’Accord de Paris sur le climat. On comprend pourquoi. A l’évidence, le positionnement global d’Emmanuel Macron, constitué de généralités, de silences, de rappels aux grands principes… ne masque pas la volonté de ne rien dire sur les questions qui fâchent entre alliés occidentaux, tout en se donnant l’allure de celui qui ose tenir tête aux États-Unis, alors qu’il ne fait que les suivre et les seconder. On est loin de l’anti-Trump… Il s’aligne, mais avec habileté. Il y a quelque chose d’hypocrite dans ce discours d’Emmanuel Macron. Il nous rappelle trop ce personnage que Jacques Brel, dans « ces gens là », chantait avec ironie  : celui « qu’aimerait bien avoir l’air, mais qu’a pas l’air du tout »…

Le discours de Donald Trump (19 09 2017)

Ce discours ne brille pas par l’originalité et la pertinence dans l’approche des enjeux mondiaux. Il contient lui aussi un copieux panégyrique mais, évidemment, pour les États-Unis… pas pour les Nations-Unies. L’esprit général est très souverainiste, peu respectueux – malgré quelques contorsions de langage – des principes de la Charte. Les mots les plus utilisés – terrorisme, menaces, souveraineté – révèlent l’unilatéralisme et l’étroitesse de l’approche qu’on lui connaît, reposant essentiellement sur les logiques de force et de domination. Trump se permet d’ailleurs de menacer directement quatre pays : l’Iran, le Venezuela, Cuba, et la Corée du Nord qu’il menace de « destruction totale ». Il utilise sur les conflits des formulations sujettes à bien des interrogations et des doutes. Il énonce par exemple : « la dénucléarisation comme seule avenir acceptable pour la Corée du Nord »… Comme s’il y avait la moindre possibilité que cela puisse se régler ainsi, avec l’abandon par Pyongyang de son programme nucléaire. Qui peut le croire ?

A propos de l’accord sur le nucléaire iranien, il dit : « franchement, cet accord est un problème pour les États-Unis, et je ne pense pas que vous sachiez tout dessus. Croyez-moi ». Pourquoi n’expose-t-il pas clairement le problème que Benjamin Netanyahou et Emmanuel Macron se sont permis d’expliquer, chacun à sa façon ? Se contenter d’un tel flou, d’une telle indétermination sur un conflit porteur de risques majeurs confine à l’irresponsabilité.

Certaines formules de Donald Trump traduisent une « philosophie » générale qui rappelle les mentalités de la Guerre froide : « le problème du Venezuela, dit-il, n’est pas que le socialisme ait été mal mis en œuvre, mais que le socialisme a été mis en œuvre avec fidélité ». En vérité, ce discours brutal est peu intéressant. Comment prendre au sérieux le rappel aux grandes valeurs (paix, liberté, justice, famille), avec cet inénarrable final « Dieu bénisse les États-Unis d’Amérique ». Si ce discours n’était pas celui de la plus grande puissance mondiale qui multiplie les menaces, provoque et favorise l’escalade dans des crises stratégiques de grande portée, aggrave les tensions internationales de façon très préoccupante, pousse à la militarisation… sa lecture donnerait de sentiment d’une perte de temps ()3.

Le discours de Benjamin Netanyahou (19 09 2017)

Ce discours constitue un moment d’agressivité politique et de grande vulgarité. Que le Premier Ministre israélien se permette d’injurier l’ONU n’est pas étonnant, mais plutôt choquant en considération du niveau de mépris que cela révèle. Les formules sont faites pour outrager : « absurdités de l’ONU », « imposture historique », « événements grotesques »… Une telle arrogance ne devrait pas être tolérée. A l’ONU encore moins qu’ailleurs. Remarquons cependant que le discours de 2017 est plutôt « modéré » comparativement à celui de 2016. A cette occasion, B. Netanyahou s’était surpassé dans l’insulte, y compris contre les Palestiniens.

Dans l’intervention de cette année, B. Netanyahou consacre un tiers (!) du propos à l’Iran… et quasiment rien sur la question de Palestine. Le mot Palestine n’est employé qu’une seule fois dans la seule (et lapidaire) formule concernant le conflit : « Israël est engagée à conclure la paix avec tous nos voisins arabes, y compris les Palestiniens ». C’est tout. Autant dire que le Premier Ministre israélien, littéralement, se moque du monde. Il affecte ouvertement sa morgue vis à vis de l’ONU et du peuple palestinien… tout en déclarant avec emphase sa gratitude pour « la remarquable alliance avec les États-Unis ». Une alliance « qui n’a jamais été aussi forte et aussi profonde ». Affronter Téhéran et affirmer une alliance privilégiée avec Washington… c’est manifestement ce qu’est venu chercher Netanyahou à New York. C’est quasiment la seule chose qu’il exprime, au delà de son rejet des Palestiniens.

Peu lui importe le conflit et les Palestiniens… Il parle d’autre chose. Et comme si cela ne suffisait pas B. Netanyahou rappelle la Déclaration Balfour pour souligner – selon lui – que celle-ci reconnaît le « droit du peuple juif à un foyer national dans notre patrie historique ancestrale. Il y a 70 ans, les Nations-Unies sont allées plus loin dans cette vision en adoptant une résolution soutenant l’établissement d’un État juif ». Exit le peuple palestinien… Remarquons que Netanyahou fait preuve de continuité. Déjà, en 2016, il affirmait la même chose. Cette année là, il accusa même le Président Abbas d’avoir critiqué la déclaration Balfour « parce qu’elle reconnaît le droit du peuple juif à un foyer national sur la terre d’Israël ». C’était un mensonge (encore un) puisque Mahmoud Abbas, dans une démarche étrangère à cette accusation sans fondement, avait alors appelé le gouvernement britannique à « rectifier la grave injustice » qui a consisté à permettre la création d’un foyer national aux juifs sans tenir compte des Palestiniens. Un débat politique et historique qui mériterait qu’on s’y attarde…

On peut être préoccupé (mais pas étonné) de cette crispation/provocation violente de Netanyahou sur la déclaration Balfour qui lui sert à légitimer non pas seulement l’existence d’Israël mais, en quelque sorte, l’inexistence d’un État palestinien. Son discours de 2017 est très clair : il n’y a pas de place pour les Palestiniens dans la conception qui est la sienne. Au delà du cynisme et des mensonges politico-historiques calculés, il y a, là encore, un mépris affiché consternant.

Le discours de Mahmous Abbas (20 09 2017)

C’est une intervention d’un tout autre genre, centrée sur la question de Palestine et sur le conflit dans une expression argumentée, précise (notamment sur les propositions), sérieuse et respectueuse. Ce qui domine, c’est la volonté de faire le point, d’expliciter les problèmes et les obstacles, de dire comment et à quelles conditions une solution devrait être trouvée.

Mahmoud Abbas souligne que les Palestiniens ont « essayé de faire revivre le processus de paix » et qu’ils ont appelé le Premier Ministre israélien à « affirmer son engagement pour la solution à deux États ». Il déclare que « la solution à deux États est en péril », ce qui, du fait du processus de colonisation, est une réalité. Il est cependant d’autant plus important que M. Abbas le réaffirme ainsi, qu’en 2016, Netanyahou s’était permis d’expliquer avec insistance que le problème posé n’a jamais été celui des « implantations »… Il est donc absolument nécessaire de rappeler la réalité du problème central de la colonisation malgré l’absence totale de crédibilité des arguments récurrents de ceux qui nient cette évidence. Avec l’occupation, c’est le cœur de la question… que Netanyahou ne traite pas considérant certainement que le cumul, dans la durée, des faits accomplis pourrait « régler » le problème à sa façon. M. Abbas ajoute : « dans une telle situation, il est de notre droit de rechercher des alternatives qui préservent nos droits, protègent notre terre et notre peuple contre un système d’apartheid qui se renforce ». L’utilisation du mot apartheid doit être relevée. C’est une qualification juste et d’ores et déjà une réalité qui prend d’autant plus d’importance que la création d’un État palestinien est en question, que la politique d’occupation et la répression se nourrissent de la progression des valeurs d’extrême droite, du racisme et du rejet des Palestiniens dans un processus inquiétant de fascisation d’un régime nourri par une extrême droite dominante et violente qui affirme ses options sans complexes.

Selon Haaretz, la formulation de M. Abbas signifierait que celui-ci met directement sur la table la possibilité de la solution à un seul État. Est-ce une façon – comme le suggère le journal – de répondre au « découragement » du peuple palestinien ? Est-ce la fin annoncée d’un espoir d’indépendance ? Est-ce une manière, dans le bras de fer diplomatique et politique, de mettre autre chose sur la table ? Il faut en effet, répondre à l’évidente question suivante: s’il n’y a pas d’État palestinien, comment traiter le sort (et les droits) des 6,5 millions de Palestiniens ? Comment intégrer 6,5 millions de palestiniens dans ce que réclame en permanence Netanyahou, à savoir un État juif ? Cette option d’un seul État et État juif – donc inévitablement État d’apartheid dans le contexte actuel – se heurte, on le sait bien, à cette contradiction manifeste. B. Netanyahou veut-il, et peut-il, dans la durée, nier l’existence de la question de Palestine, imposer une telle issue par la force et par l’épuisement des résistances… Si le péril est grand pour les Palestiniens, le problème, pour autant, n’est pas réglé – loin de là – pour Israël. Et la solution démocratique à un seul État n’est pas, elle non plus, pour demain.

L’avancée très préoccupante de la colonisation rend cruciales les initiatives pour un règlement politique avec une confrontation internationale de niveau élevé sur le fond et sur les valeurs, sur les enjeux, sur les dimensions géopolitiques de la question de Palestine… Ce n’est pas seulement un règlement, comme aboutissement d’un processus de paix (aujourd’hui bel et bien mort) qu’il faut trouver ou retrouver. Il faut tout remettre sur la table. Tout. La question de Palestine pose un problème éthique et politique de portée civilisationnelle à tout le monde, à tous les États, pour le respect de ce que sont les Nations-Unies, pour le droit des peuples et le droit à l’auto-détermination. Il est donc problématique que le Président français puisse choisir de ne rien dire dans un moment politique de cette nature.

Les discours de Wang Yi, Ministre des Affaires étrangères chinois (21 09 2017) et de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères russe (21 09 2017).

Les deux ministres des affaires étrangères se sont rejoints sur des options favorables au Droit international, à l’application des résolutions de l’ONU, au multilatéralisme, au règlement politique des conflits, au respect mutuel, au refus de l’ingérence… Concernant la crise sur le nucléaire nord-coréen, Wang et Lavrov ont rappelé leur opposition à la militarisation du conflit et la proposition commune à la Chine et à la Russie du « double moratoire » : arrêt des expérimentations de la Corée du Nord et, en parallèle, arrêt des exercices militaires américano-sud-coréens.

Wang à rappelé qu’en 2005, la Chine, la Russie, le Japon, la Corée du Nord, la Corée du Sud et les États-Unis ont formalisé des accords sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Ces accords impliqueraient un engagement de Pyongyang à cesser la production d’armes nucléaires et un engagement des États-Unis à normaliser leurs relations avec la RPDC. Wang a insisté sur la nécessité de travailler dans ce format. Il a souligné que Pékin appelle la Corée du Nord à « ne pas aller plus loin dans une direction dangereuse ». Il a rappelé que la Chine s’oppose à l’existence d’armes nucléaires dans chacun des deux États coréens. Selon lui, les États-Unis et la Corée du Nord devraient trouver des compromis et se rencontrer pour dialoguer et faciliter la paix et la stabilité en Asie de l’Est.

Sergueï Lavrov, dans le même esprit, fut un peu plus offensif dans le ton, en dénonçant « l’aventurisme de Pyongyang » et « l’hystérie militaire » qui « mène à l’impasse et à la catastrophe ». Il s’est fait critique sur l’unilatéralisme de l’OTAN et sur les contradictions occidentales, soulignant qu’on ne peut résoudre les crises en élargissant l’OTAN et en appliquant des sanctions, par ailleurs inefficaces. Il cite le blocus de Cuba dont « la levée est demandée par la presque totalité des États membres de l’ONU depuis des années ». Il appelle à liquider l’héritage de la Guerre froide, la logique des blocs et celle de l’OTAN qui insuffle l’actuel climat de Guerre froide.

Sur la question du désarmement nucléaire, Sergueï Lavrov rappelle la position russe d’un monde exempt d’armes nucléaires. C’est aussi l’option chinoise officielle. Une telle perspective, selon S. Lavrov, doit être réalisée par un processus universel conforme au TNP. Il est cependant critique vis à vis du Traité d’interdiction adopté par l’ONU, et d’ores et déjà signé (à l’occasion de cette Assemblée générale) par plus de 50 États. Ce traité va donc rentrer en vigueur (en principe au printemps 2018) puisqu’il a obtenu le minimum requis de signatures (50) pour cela.

Sergueï Lavrov appuie sa critique du Traité d’interdiction des armes nucléaires en soulignant que les tentatives pour mettre hors la loi les armes nucléaires, tout en « fermant les yeux » sur des facteurs qui influent sur la stabilité stratégique, portent atteinte au processus défini par le TNP. Cet argument recoupe le positionnement français et celui de l’ensemble des États dotés de l’arme nucléaire. La France, en effet, de la même façon, oppose le TNP et le Traité d’interdiction. Celui-ci, selon elle, viendrait affaiblir le premier. L’argument est spécieux. Il faut le combattre. Les deux traités déterminent des processus convergents et complémentaires dans l’exigence, comme perspective logique, d’élimination de l’ensemble des armes nucléaires. En fait le Traité d’interdiction renforce le TNP et la dynamique nécessaire au désarmement. C’est un levier juridique et politique, un « accélérateur », si l’on peut dire, de cette dynamique nécessaire. Aucun des (9) États dotés de l’arme nucléaire – mais à des degrés très divers – n’approuve vraiment la nouvelle situation découlant de l’adoption du traité d’interdiction. La France étant, comme d’habitude, au côté des États-Unis, particulièrement crispée et malveillante, alors que la Chine apparaît comme la plus modérée et la moins hostile.

Concernant la question de Palestine, S. Lavrov a rappelé l’engagement de la Russie « pour l’unité palestinienne » et pour « la relance du dialogue ». Wang a mis l’accent sur l’édification d’un État palestinien indépendant. C’est un « mauvais signe, selon lui, qu’après 70 ans à l’ordre du jour de l’ONU, la Palestine n’ait pas pu encore réaliser son indépendance ». Effectivement.

Ces déclarations qui ont convergé sur un règlement juste de la question de Palestine sont plutôt positive. Mais, il faut le dire clairement, elles ne sont pas à la hauteur du problème posé… Ce n’est manifestement pas le sujet d’actualité dominant pour Pékin et Moscou qui semblent définir leur positionnement – comme sur les questions du nucléaire – d’abord dans le contexte des rapports de forces et des enjeux qui divisent les grandes puissances.

D’une façon plus générale, on peut observer les points suivants:

a) Un discours d’Emmanuel Macron très problématique que certains désignent comme une diplomatie « gaullo-mitterrandienne ». E. Macron s’est d’ailleurs explicitement référé à cette qualification. Mais qu’est-ce que ce « gaullo-mitterrandisme » qui a suscité tant de débats ? Un rôle spécifique de la France sur le plan international ? Une affirmation d’indépendance dans l’analyse, les choix et les comportements ? Une distanciation vis à vis de Washington ? Une rupture (ce qui n’est jamais arrivé) avec la Françafrique et les pratiques néocolonialistes ? Le caractère très approximatif d’une telle caractérisation, qui rappelle des périodes de l’histoire française si différentes, ne simplifie pas les choses. Disons qu’après la période gaullienne, chaque présidence de la République a marqué par ses initiatives et ses dérives les étapes successives d’un processus durable de « normalisation » atlantiste, de perte d’autonomie stratégique, de solidarité politique occidentale privilégiée. Il y eu quelques épisodes exceptionnels, par exemple en 2003, avec l’opposition chiraquienne à la guerre en Irak. Il y eu surtout des ruptures pro-américaines, européennes, néolibérales et otaniennes très nettes. On peut citer celle de 1974/1975, avec la création par Giscard d’Estaing des sommets réunissant les puissances dites « les plus industrialisées ». Ce modèle de sommets deviendra le G7. On peut aussi mentionner la rupture de 2009, avec le choix fait par Nicolas Sarkozy de réintégrer la France dans le Commandement militaire intégré de l’OTAN, et de la réinsérer dans « la famille occidentale ». Ce processus de « normalisation » a épousé les circonstances et les rapports de forces. Il s’est poursuivi et accentué progressivement au point où François Hollande et Laurent Fabius ont pu glisser jusqu’à des formes d’un néoconservatisme homothétique de ce qu’il y a de plus à droite aux États-Unis. Mais pourquoi associer Mitterrand à une diplomatie « gaullienne » ? Alors que la présidence de François Mitterrand, elle-même, n’a pas échappé à ce processus historique, cet affaiblissement français. On se souvient notamment de l’appui de Mitterrand à l’OTAN et à Washington dans la crise des euromissiles, ou bien de la participation à la Guerre du Golfe (sous les ordres du Haut commandement des États-Unis), ou encore de l’engagement déterminé pour la force de dissuasion nucléaire… En vérité, cette formule d’une diplomatie « gaullo-mitterrandienne » semble d’abord avoir été inventée afin – si l’on peut dire – de sauver le soldat Mitterrand qui participa effectivement, lui aussi, dans le contexte d’alors, à ce processus de « normalisation ». Est-ce qu’on veut maintenant sauver aussi le soldat Macron en attribuant à sa politique étrangère des singularités perdues de vue depuis des lustres ?.. Après seulement quelques mois de présidence, il est probablement un peu prématuré de qualifier globalement la politique étrangère d’Emmanuel Macron. Mais les clarifications viennent rapidement. A l’évidence, ce que l’on peut dès maintenant constater ne plaide vraiment pas pour attribuer à sa politique étrangère les vertus fictives qu’on associe à cet imaginaire « gaullo-mitterrandien ».

b) Washington et Tel Aviv affichent leur mépris pour l’ONU avec une polarisation sur les logiques de force. C’est aussi la volonté explicite de ne pas traiter les enjeux les plus brûlants : dangers de guerres, escalade des confrontations politiques, surarmement… Les choix stratégiques de puissance et les politiques de domination font obstacle aux approches multilatérales et politiques. C’est un danger réel pour aujourd’hui et pour l’avenir. La montée de tensions autour de la question du nucléaire nord-coréen, mais aussi en mer de Chine, est un enjeu particulièrement crucial. Avec le survol en profondeur de l’espace nord-coréen par un groupe de bombardiers des États-Unis, on a franchi un seuil qui introduit le militaire dans l’escalade. Les États-Unis se sont engagés sur ce champ malgré les risques. Le sentiment domine malgré tout qu’on ne devrait pas aller jusqu’à l’affrontement armé. Mais les surenchères et les engrenages ont tendance à définir leurs propres trajectoires… La situation est donc sérieuse. Elle nécessiterait, dans l’urgence, d’abord une expression politique très déterminée, mais aussi des initiatives française et/ou européennes auprès de tous les protagonistes pour appeler à la retenue et à un vrai processus de dialogue et de règlement politique. Ce qui a été réussi pour l’Iran devrait au moins, pour commencer, pouvoir s’enclencher concernant la Corée du Nord.

c) Le positionnement israélien avec son arrogance est particulièrement intolérable. Et cela devrait être davantage mis en exergue et mis en cause. Et puisque l’enjeu des armes nucléaires est au centre des préoccupations internationales… il ne faut jamais oublier qu’Israël possède un arsenal important et refuse d’adhérer aux traités de désarmement. Cet arsenal fournit aux dirigeants de Tel Aviv la garantie qu’ils peuvent imposer leurs choix en toutes circonstances et refuser aux Palestiniens la reconnaissance et la réalisation de leurs droits. Raison de plus pour insister sur le fait que la situation actuelle est une impasse et ne peut pas durer. S’il y a une crise internationale aiguë nécessitant légitimement des sanctions et des mesures de boycott, c’est bien cette impasse dramatique issue du processus de colonisation de la Palestine par le régime de Tel Aviv encouragé aujourd’hui par les lâchetés occidentales.

d) Les discours chinois et russes sont plus positifs, plus attentifs à l’exigence de responsabilité collective, et relativement plus réticents à la tendance à la militarisation. Mais ce sont en premier lieu des positionnements politiques de grandes puissances. Celles-ci s’affirment dans des rapports de forces et dans un cadre stratégique considéré comme déterminant pour les choix effectués. La puissance… encore et toujours comme déterminant majeur des comportements internationaux. Malgré sa représentativité et son statut dans l’Organisation des Nations-Unies, l’Assemblée générale n’y échappe pas.

e) Les questions du développement, les enjeux économiques et sociaux ne sont que très peu abordés alors qu’il s’agit de conditions absolument nécessaires à la stabilité, à la sécurité et à la paix. C’est significatif de la limite de l’exercice du discours officiels dans ce cadre onusien. Emmanuel macron a déclaré : « car, sur les causes profondes, morales, civilisationnelles, si nous voulons les relever, c’est par une véritable politique de développement que nous pouvons le faire ». Il faut – il faudra – mesurer la différence et la contradiction qui se manifestent déjà fortement entre cette jolie formule et la réalité d’une politique de droite anti-sociale sur tous les terrains.

1) Sur cette question notamment, voir « Penser l’après… Essai sur la guerre, la sécurité internationale, la puissance et la paix dans le nouvel état du monde », J. Fath, Les Éditions Arcane 17, 2015, pages 121 à 125.

2) Voir sur ce point : JCPOA « Implementation plan », paragraphe 34 (V), ainsi que l’annexe 5 « UNSCR Termination Day ».

3) Sur la politique étrangère de Donald Trump, voir sur mon blog les deux articles suivants : « Quel monde selon Trump ? » (13 12 2016), et « Trump : war president ? » (18 03 2017).