Excellente critique de mon livre dans « Cause Commune » No 32.

Par Nicolas Devers-Dreyfus

« Jacques Fath expose avec pertinence l’ensemble des causes ayant conduit à la guerre… »

La tentative d’invasion de l’Ukraine par son grand voisin Russe sous la férule de Vladimir Poutine a signé le retour de la guerre en Europe, vingt ans après les guerres de Yougoslavie. Jacques Fath, dans un ouvrage documenté, augmenté d’utiles annexes, met sa vaste culture des relations internationales à décrypter tant les sources et les responsabilités plus que partagées d’un conflit de tous les dangers, que ce qu’il révèle des profondes modifications à l’œuvre dans l’état du monde. L’auteur montre que si la Russie est l’agresseur d’une guerre qui apporte son cortège de souffrances pour le peuple ukrainien, ses causes en sont autant l’erreur stratégique de Poutine que le dessein des États-Unis, principalement mobilisée sur sa compétition avec la Chine : muscler l’Ukraine récemment indépendante comme terrain d’une confrontation « chaude ou froide », afin d’affaiblir la Russie. Confrontation où sont entraînés les alliés de l’OTAN, source d’une déstabilisation dont les conséquences se font sentir sur tous les continents. Poutine, autre conséquence, a ranimé par l’invasion de l’Ukraine une OTAN « en état de mort cérébrale », et provoqué son élargissement.

Jacques Fath expose avec pertinence l’ensemble des causes ayant conduit à la guerre, démontre à quel point la résistance ukrainienne est autant la montée d’un sentiment national exacerbé par l’agression que l’implication formidable des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’OTAN, livraison de matériel militaire et de munitions, renseignement, formation, au point de surclasser les moyens de la Russie. Les vecteurs de la guerre idéologique tournent à plein, le silence se fait sur d’autres conflits, également meurtriers de par le monde. L’accès au pétrole et au gaz prime sur le « droit de l’hommisme » à utilisation variable, tandis que gaz de schiste et charbon remis en selle contredisent le discours écologique quant à l’avenir de la planète.

Le chemin à emprunter pour sortir de l’impasse d’une guerre dont on ne voit pas qu’elle pourrait avoir un vainqueur appelle, c’est la dernière partie de l’ouvrage, l’exigence d’un nouvel ordre international. Jacques Fath en énonce les principes, ceux de la construction d’une architecture de sécurité collective augmentée de la recherche de règlements pragmatiques là où nécessaire, conformes au droit international. L’auteur souligne à quel point les logiques de puissance font aujourd’hui reculer celles du droit et de la sécurité collective. Il rappelle que le peu d’engagement des puissances garantes, Allemagne et France, à faire appliquer les accords de Minsk a été un élément de l’ouverture du conflit. Le cadre de l’ONU – qu’il faudrait réformer à la mesure des changements dans le monde – est celui d’un multilatéralisme légitimé par la responsabilité collective. La solution politique au conflit en cours, que l’on n’obtiendra que par une implication des peuples, de tous les partisans de la paix, obligeant leurs gouvernants à une attitude responsable, ne suffit pas. Il convient de travailler sérieusement à la limitation et au contrôle des armements, d’abord nucléaires, à un ordre de sécurité collective en Europe et dans toutes les parties d’un monde désormais interdépendant, d’un monde « global » où chaque tension interagit. Sans doute conclut-il, la guerre d’Ukraine est-elle un avertissement pour tous les responsables, à considérer avant qu’il ne soit trop tard.

Un livre à la lecture nécessaire, pour qui veut explorer les voies d’un nouvel ordre : « dépasser la puissance, sortir des règles en épuisement du système capitaliste ».

« Poutine, l’OTAN et la guerre », Jacques Fath, Éditions du Croquant, 2023.

Poutine devant la Cour Pénale Internationale ?..

La Cour Pénale Internationale vient de lancer un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova, Commissaire russe aux droits de l’enfant. C’est un événement dont il faut comprendre le sens et les conséquences.

English below

Vladimir Poutine est donc poursuivi par la Cour pénale internationale. La CPI, le 17 mars dernier, a délivré un mandat d’arrêt à son encontre. La Russie n’est pas un État membre de cette Cour à laquelle Moscou dit ne rien devoir, n’ayant pas ratifié son statut, le Statut de Rome, comme on dit, puisque cette Cour a été créée à Rome, en 1998.

La CPI accuse le Président russe d’avoir déporté et transféré des enfants du territoire occupé d’Ukraine. Cette décision contraint donc en principe les 123 États membres de la Cour d’arrêter Vladimir Poutine afin qu’il soit transféré à La Haye… s’il met le pied sur leur territoire. Évidemment, il y a peu de possibilités que les choses se produisent ainsi, mais la signification de cette menace judiciaire n’est pas banale. Il est nécessaire d’y regarder de plus près et d’élargir le propos pour comprendre.

L’Ukraine et les États-Unis se sont félicités de la décision émanant de la Cour. Comme la Russie, cependant, ni Washington, ni Kiev ne sont parties au statut de Rome. On se souvient d’ailleurs que certaines Administrations américaines, celles de Georges W. Bush et de Donald Trump en particulier, ont même cherché à saborder la Cour. Enfin, on remarque que d’autres États, comme la Chine ou Israël, n’ont pas non plus adhéré au statut de Rome.

Sur les 5 États membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, seuls 2 ont adhéré à la CPI : la France et la Grande-Bretagne. Paris et Londres sont effectivement beaucoup plus sensibles aux charmes des Droits de l’Homme dans la présentation (officielle) de leur politique étrangère. Mais pourquoi certains États refusent de ratifier le statut de Rome ? Ce choix est la plupart du temps motivé par la volonté de protéger leur personnel militaire en exprimant une vision stratégique propre. Plus un État projette ses forces militaires à l’extérieur, dans des conditions toujours complexes, plus il prend le risque d’exposer ses soldats aux poursuites judiciaires de la CPI. De façon plus générale, le refus d’être un État partie à la CPI correspond à une volonté d’écarter tout ce qui pourrait limiter les paramètres de la puissance et la capacité à décider l’utilisation de la force. Le rapport du judiciaire et du militaire est très direct.

Les mandats d’arrêts lancés contre Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova, Commissaire russe aux droits de l’enfant, constituent évidemment un événement politique puisque c’est la première fois qu’un État membre (et membre permanent) du Conseil de sécurité, est ainsi poursuivi.

La déportation et le transfert de personnes sont effectivement considérés comme des crimes de guerre (Article 8, §2 / vii du Statut de Rome). C’est probablement parce que la Cour et son procureur, Karim Khan, on aujourd’hui le plus de preuves en la matière que ces mandats d’arrêt sont centrés sur cette question, au demeurant très sensible, de la déportation d’enfants. L’ONU a cependant rendu publiques les informations dont elle dispose, et ses appréciations, concernant les nombreux crimes de guerre commis par l’armée russe dans le cours de son invasion, ainsi que quelques crimes commis par des soldats ukrainiens. Ces mandats d’arrêt visant la Russie ne seraient donc, vraisemblablement, qu’un premier acte.

Que faut-il en penser ?

On ne saurait prendre la défense des pratiques brutales et criminelles de la Russie en Ukraine. Elles confinent trop souvent à l’évidence dans un processus d’invasion, d’occupation et d’agression militaire caractérisé. Un processus dramatique dans lequel les civils et la société ukrainienne ont payé un très lourd tribut. S’aventurer à nier ou édulcorer les faits serait se déjuger peu honorablement contre l’exigence d’une certaine éthique en politique. D’autant que ces faits ne découlent pas seulement des circonstances malheureuses des combats et des périls inévitables de la guerre, mais constituent trop souvent le résultat de choix stratégiques et militaires des autorités russes. De fortes questions sont cependant posées, qui méritent d’être examinées… y compris dans l’esprit de cette exigence d’une certaine éthique en politique.

Les crimes de guerre (voire contre l’humanité) sont intrinsèquement liés à la guerre. A toutes les guerres. Le 20ème siècle nous le rappelle. Pourtant, on ne pourrait accorder la moindre « normalité », ou suggérer la moindre fatalité à cette réalité qui constitue hélas une bonne partie de l’histoire humaine. L’ignominie politique et morale fait partie des contradictions de notre… humanité. L’idée d’une justice internationale est donc fondamentalement juste. Il est bon de le rappeler.

Il est nécessaire, aussi, d’en tirer les conséquences. Pour être légitime il faut qu’une justice soit universelle, au sens de l’égalité et de l’impartialité devant les faits et devant les problématiques essentielles de la responsabilité et des droits. On en est très loin aujourd’hui. En décidant de poursuivre Poutine ainsi qu’une responsable de son régime, la CPI frappe très fort. Mais elle met ainsi en exergue, en contrepoint direct, son incapacité à traiter d’autres situations où le droit international, les droits humains, la Charte des Nations-Unies, les grands textes comme la Déclaration universelle des droits de l’homme sont gravement bafoués, sans conséquence aucune, dans une impunité caractérisée. D’autres Présidents, comme Georges W. Bush, ont commis des outrages criminels au droit sans qu’ils aient été conduits devant la CPI. On doit surtout rappeler l’exemple fourni par le traitement, ou plutôt l’incroyable et consternant non traitement judiciaire, de la question de l’occupation militaire et des crimes d’Israël en Palestine, depuis des dizaines d’années. Ce n’est pas seulement une pratique du deux poids deux mesures. La CPI expose ainsi sa faiblesse initiale et son inaction face aux logiques des plus puissants, et à cette autre « loi », celle des rapports de forces.

Certains espèrent que cette décision de poursuivre Poutine pourrait annoncer le début d’un nouvel élan, un « ressaisissement » de la CPI. Dans le contexte actuel, qui pourrait le croire ? La façon dont la CPI exerce sa mission ne peut pas être séparée du très préoccupant et durable processus en cours de recul et d’instrumentalisation du droit, de décomposition du multilatéralisme, d’affaiblissement du rôle des institutions internationales et notamment de l’ONU. Il faut bien constater qu’un processus négatif est enclenché dans une période de dégradation ouverte, au moins depuis les années 90, et marquée par une accélération de la militarisation, des tensions internationales et des logiques désinhibées de la puissance et de la force. L’exigence du respect du droit international recule dans un ordre mondial où les acquis du 20ème siècle en termes de responsabilité collective et de sécurité partagée ne cessent de régresser. Cet ordre international libéral « fondé sur des règles » ne cesse de se décomposer.

Dans ce contexte, l’option judiciaire, celle de la justice incarnée par la CPI ou bien par d’autres cours mises en place aussi pour traiter des crimes les plus graves (1), signifie et implique le choix d’une logique spécifique : juger des criminels de guerre amenés à résipiscence par une défaite militaire qui clôt un conflit. Tandis que la négociation d’une solution politique suppose la nécessité d’une crédibilité du processus engagé et des personnes chargées de le conduire à bonne fin. C’est l’idée que la justice et la paix sont inséparables. Nous allons y revenir. Cette idée n’est pas sans validité de principe, mais elle comporte évidemment le risque d’être en contradiction avec la nécessité d’une issue politique négociée. En effet, comment négocier un règlement de façon appropriée avec des personnes dotées d’un pouvoir politique, mais décrédibilisées car agissant sous la menace d’une lourde condamnation judiciaire ? Le fait d’émettre des mandats d’arrêt à l’encontre d’un belligérant ne peut pas ne pas affaiblir voire dévaluer la pertinence et la légitimité d’un règlement politique.

Dans un tel contexte, le risque est aussi de faire apparaître le choix du judiciaire comme une forme d’instrumentalisation du droit et de la justice internationale à des fins politiques. Ou tout au moins ce qui existe en tant que justice internationale. C’est probablement pour cette raison que la contradiction entre le politique et le judiciaire n’est que rarement soulignée comme une expression des réalités problématiques de l’ordre international actuel, de ses paramètres dominants… et du caractère encore balbutiant de la justice internationale. Celle-ci n’a pas encore atteint, loin de là, la capacité et la maturité nécessaires pour pouvoir échapper un tant soi peu aux rapports de forces et aux affirmations de la puissance comme paramètres hégémoniques des relations internationales.

Dans cet esprit, les mandats d’arrêt lancés par la CPI contre Vladimir Poutine et contre Maria Lvova-Belova ont à l’évidence une conséquence voire une intention politique : essayer d’isoler le Président russe et gêner ceux qui refusent toujours de le condamner, et de sanctionner la Russie. On notera que cette action judiciaire a été déclenchée peu avant la visite officielle de Xi Jinping à Moscou du 20 au 22 mars. Ce n’est évidemment pas le meilleur contexte pour une visite du Président chinois, alors que Pékin, se posant en médiateur de neutralité, vient de présenter une initiative visant à ouvrir un processus de règlement politique pour la guerre en Ukraine. On voit bien ici cette contradiction ou tension objective entre le choix de valoriser le politique, et celui de placer l’enjeu de la guerre sur le plan judiciaire.

On peut regretter que la diplomatie française ait pu exprimer par la voix de la Ministre, Madame Catherine Colonna, l’idée que la décision de la CPI « peut changer le cours des événements ». Soulignons que la meilleure manière de changer le cours des choses (ce qui apparaît urgent) serait justement de pousser de façon volontariste sur le chemin d’une solution politique. Pour briser l’escalade et chercher ainsi à éviter toute montée aux extrême qui pourrait être fatale. Pendant combien de temps encore faudra-t-il supporter l’effarant déni de cette simple exigence de bon sens ?

1) Il s’agit surtout des tribunaux pénaux internationaux mis en place suite aux guerres de l’éclatement de la Yougoslavie (1993), au génocide au Rwanda (1994) et aux actes terroristes ayant frappé le Liban à partir de 2005. La Cour internationale de Justice liée au système des Nations-Unies est d’un autre type. Elle a pour mission de régler les conflits entre États.

Will Putin face the International Criminal Court?..

The International Criminal Court has just issued an arrest warrant against Vladimir Putin and Maria Lvova-Belova, Russian Commissioner for Children’s Rights. This is an event whose meaning and consequences must be understood.

Vladimir Putin is therefore being prosecuted by the International Criminal Court. The ICC issued an arrest warrant for him on March 17. Russia is not a member state of this Court, to which Moscow says it owes nothing, having not ratified its statute, the Rome Statute, as it is called, since this Court was created in Rome in 1998.

The ICC accuses the Russian President of having deported and transferred children from the occupied territory of Ukraine. This decision obliges in principle the 123 member states of the Court to arrest Vladimir Putin and transfer him to The Hague… if he sets foot on their territory. Of course, there is little chance of this happening, but the significance of this judicial threat is not trivial. It is necessary to take a closer look and broaden the scope to understand.

Ukraine and the United States welcomed the decision of the court. Like Russia, however, neither Washington nor Kiev is a party to the Rome Statute. It should be remembered that some American administrations, those of George W. Bush and Donald Trump in particular, even sought to scuttle the Court. Finally, we note that other States, such as China and Israel, have not joined the Rome Statute either.

Of the five permanent members of the United Nations Security Council, only two have joined the ICC: France and Great Britain. Paris and London are indeed much more sensitive to the charms of Human Rights in the (official) presentation of their foreign policy. But why do some states refuse to ratify the Rome Statute? Most of the time, this choice is motivated by the desire to protect their military personnel by expressing their own strategic vision. The more a state projects its military forces abroad, in conditions that are always complex, the more it takes the risk of exposing its soldiers to the legal proceedings of the ICC. More generally, the refusal to be a state party to the ICC corresponds to a desire to set aside anything that could limit the parameters of power and the ability to decide on the use of force. The relationship between the judiciary and the military is very direct.

The arrest warrants issued against Vladimir Putin and Maria Lvova-Belova, the Russian Commissioner for the Rights of the Child, are obviously a political event, since this is the first time that a member state (and permanent member) of the Security Council has been prosecuted in this way.

The deportation and transfer of persons are indeed considered war crimes (Article 8, §2 / vii of the Rome Statute). It is probably because the Court and its Prosecutor, Karim Khan, have the most evidence in this area that these arrest warrants are focused on the very sensitive issue of the deportation of children. The UN has, however, made public the information it has, and its assessments, concerning the numerous war crimes committed by the Russian army in the course of its invasion, as well as some crimes committed by Ukrainian soldiers. These arrest warrants against Russia would therefore probably only be a first act.

What should we think about it?

One cannot defend Russia’s brutal and criminal practices in Ukraine. All too often they border on a process of invasion, occupation and military aggression. A dramatic process in which Ukrainian civilians and society have paid a very heavy price. To venture to deny or water down the facts would be a dishonorable breach of the requirement of a certain ethics in politics. All the more so since these facts are not only the result of the unfortunate circumstances of the fighting and the inevitable perils of war, but are too often the result of strategic and military choices made by the Russian authorities. Strong questions are however raised, which deserve to be examined… including in the spirit of this requirement of a certain ethics in politics.

War crimes (and even crimes against humanity) are intrinsically linked to war. To all wars. The 20th century reminds us of this. However, one cannot grant the slightest « normality », or suggest the slightest fatality to this reality which, unfortunately, constitutes a good part of human history. Political and moral ignominy is part of the contradictions of our… humanity. The idea of international justice is therefore fundamentally right. It is good to remember this.

It is also necessary to draw the consequences. To be legitimate, justice must be universal, in the sense of equality and impartiality in the face of the facts and in the face of the essential problems of responsibility and rights. We are very far from this today. By deciding to prosecute Putin and a member of his regime, the ICC is hitting hard. But it also highlights, as a direct counterpoint, its inability to deal with other situations where international law, human rights, the United Nations Charter, and major texts such as the Universal Declaration of Human Rights are seriously flouted, without any consequences, in a characterized impunity. Other presidents, such as George W. Bush, have committed criminal contempt of law without being brought before the ICC. Above all, one must recall the example provided by the treatment, or rather the incredible and appalling non-treatment by the courts, of the issue of Israel’s military occupation and crimes in Palestine for decades. This is not just a double standard. The ICC is exposing its initial weakness and inaction in the face of the logic of the most powerful, and that other « law » of power relations.

Some people hope that this decision to prosecute Putin could herald the beginning of a new momentum, a « resumption » of the ICC. In the current context, who could believe it? The way in which the ICC carries out its mission cannot be separated from the very worrying and long-lasting process of retreat and instrumentalization of the law, of the decomposition of multilateralism, of the weakening of the role of international institutions and in particular of the UN. It must be noted that a negative process is underway in a period of open degradation, at least since the 1990s, marked by an acceleration of militarization, international tensions and the uninhibited logic of power and force. The demand for respect for international law is receding in a world order where the gains of the 20th century in terms of collective responsibility and shared security are constantly regressing. This liberal international order « based on rules » is constantly breaking down.

In this context, the judicial option, that of the justice embodied by the ICC or by other courts also set up to deal with the most serious crimes (1), means and implies the choice of a specific logic: judging war criminals brought to resignation by a military defeat that ends a conflict. Whereas the negotiation of a political solution presupposes the need for credibility of the process undertaken and of the people responsible for bringing it to a successful conclusion. This is the idea that justice and peace are inseparable. We will come back to this. This idea is not without validity in principle, but it obviously carries the risk of being in contradiction with the need for a negotiated political outcome. Indeed, how can a settlement be properly negotiated with people who have political power but are discredited by the threat of a heavy judicial sentence? Issuing arrest warrants against a belligerent cannot fail to weaken or even devalue the relevance and legitimacy of a political settlement.

In such a context, there is also a risk that the choice of the judiciary will be seen as a form of instrumentalization of international law and justice for political purposes. Or at least what exists as international justice. It is probably for this reason that the contradiction between the political and the judicial is only rarely highlighted as an expression of the problematic realities of the current international order, of its dominant parameters… and of the still incipient character of international justice. The latter has not yet reached, far from it, the capacity and maturity necessary to be able to escape in any way from the power relations and the assertions of power as hegemonic parameters of international relations.

In this spirit, the arrest warrants issued by the ICC against Vladimir Putin and Maria Lvova-Belova clearly have a political consequence or intention : to try to isolate the Russian President and to embarrass those who still refuse to condemn him and to sanction Russia. It should be noted that this legal action was launched shortly before Xi Jinping’s official visit to Moscow from March 20 to 22. This is obviously not the best context for a visit by the Chinese President, while Beijing, posing as a neutral mediator, has just presented an initiative to open a political settlement process for the war in Ukraine. This contradiction or objective tension between the choice to value politics and the choice to place the stakes of the war on the judicial level is clearly visible.

It is regrettable that French diplomacy was able to express, through the voice of the Minister, Madame Catherine Colonna, the idea that the decision of the ICC « can change the course of events ». Let us emphasize that the best way to change the course of events (which appears to be urgent) would be precisely to push voluntarily for a political solution. To break the escalation and thus seek to avoid any rise to extremes that could be fatal. For how much longer will we have to put up with the appalling denial of this simple requirement of common sense?

1) These are mainly the international criminal tribunals set up following the wars of the break-up of Yugoslavia (1993), the genocide in Rwanda (1994) and the terrorist acts that struck Lebanon from 2005 onwards. The International Court of Justice linked to the United Nations system is of a different type. Its mission is to settle conflicts between states. 19 03 2023

When China shakes up the international order…

Under the aegis of China, Iran and Saudi Arabia have re-established their diplomatic relations. This announcement on March 10, 2023 was accompanied by official photos showing, in Beijing, Wang Yi, member of the Political Bureau and Director of the Foreign Affairs Office of the Chinese Communist Party, with Admiral Ali Shamkhani, Secretary of the Iranian Supreme National Security Council, and Mussad bin Mohammed Al-Aiban, Saudi Minister of State, Advisor on Political Affairs and National Security.

Nothing about this event in March 2023 – right down to the photos showing a willingness to be publicized – can be considered a triviality in international relations, after some seven years of dangerous tensions between Saudi Arabia and Iran, two key players in the Middle East. In a region where everything that happens, as much as anywhere else and probably more than anywhere else, is overdetermined by the logic of power, such a rapprochement will have important political and strategic repercussions. Let us emphasize the dimension of the event itself, which was certainly felt as a diplomatic slap in the face for Tel Aviv and even for Washington, so much so that its significance goes against Israeli and American aims. It is worth examining the potential consequences. Potential consequences … because obviously nothing can be considered as definitive. We are both in a « complicated » Middle East… and in the rapid mutations of an international order where surprises and contradictions mean that nothing is settled in advance. We shall see what happens next.

This Iranian-Saudi rapprochement under the aegis of China (which is thus taking care of two of its hydrocarbon suppliers), is shaking up the political lines of international relations, and is calling into question some situations considered to be established. The first observation is that this agreement, to the great displeasure of Washington, has been signed under the auspices of Beijing. This confirms China’s growing authority and its willingness to assume a real international role, including in delicate diplomatic contexts. The most recent past bears witness to this.

On 30 and 31 March 2022, China hosted a third meeting of foreign ministers from Afghanistan’s neighbouring countries in Tunxi, in the province of Anhui (eastern China) (1). Then, in the presence of the Taliban and the Afghan temporary government, it convened a « Troika + » with Pakistan, Russia and the United States (2), despite the tense situation caused by the war in Ukraine (3).

On 24 February 2023, China presented a document containing a « global security initiative ». It then made public a « position on the political settlement of the Ukrainian crisis ». The first document is a general text containing a global conception of international security issues. This conception places the UN at the center of an approach aimed at promoting multilateralism. It also, and perhaps above all, expresses an affirmed desire to be a power playing a positive role in the international order. The second document outlines in 12 points the principles that should guide a process of political solution to the war in Ukraine. In reality, there is a single comprehensive initiative explicitly aimed at initiating a process of political settlement to end the war. This initiative converges with the idea put forward by the Brazilian President. Lula da Silva, in fact, proposed the constitution of a group of countries that would take on the issue of a political settlement of the conflict in Ukraine. And, precisely, such a group would include China, Indonesia and India, which is chairing the G20 for the year 2023. This would contribute to extracting ourselves from an international system that is too dependent on Western hegemony and centrality.

A game-changing initiative

The Iranian-Saudi agreement, concluded thanks to Chinese negotiation/mediation (4), thus corresponds to a recent and very direct involvement of China in international security and conflict resolution issues. But this initiative changes the situation in concrete terms by raising another strategic question, that of the role of the United States in the Middle East… with the doubts that now weigh on the strength and effectiveness of this role. One may indeed wonder about the future of Washington’s role in this region, where three successive administrations (those of Obama, Trump and Biden) have already shown that an American strategic pivot to Asia means in itself a form of (relative) withdrawal from the Middle East. This cannot be equated with a contraction or weakening of the US neo-imperial role in the world. It is first and foremost a strategic adaptation to a new context, to new priorities that the United States is imposing on itself in the face of China’s rise to power. For some experts, however, Washington’s role as « peacemaker » would be called into question with this new setback resulting from the Iran-Saudi agreement under the aegis of Beijing. China would thus fill a strategic vacuum left by Washington in the Middle East.

In truth, the « peacemaker role » of the United States is a myth. A myth of Western tradition. The wars in Iraq and Afghanistan, or the unwavering support, over the decades, for Israel’s illegal policy of military occupation, fierce repression and colonization of Palestinian territory, but also of aggression against its neighbors, are reminders of this. In this context, the so-called Abraham Accords process has only contributed, in the name of peace and a « normalization » of Israel’s relations with the Arab world, to the crushing of the legitimate national rights of the Palestinian people, and of a just and lasting peace perspective.

The Iranian-Saudi agreement, however, introduces another problem with the intrusion of China into a strategic space where the United States has continued to dominate for nearly 70 years. From now on, regional diplomacy will no longer go through Washington alone… Beijing has been able to gain the political trust of Riyadh and Tehran, while these two capitals have a conflicting or difficult relationship with the United States. Beijing is succeeding where Washington is struggling. Is this a reflection and consequence of a weakening – some say a decline – of American power politics? Answering this question is more difficult than it seems (and it is not the subject of this article). In any case, it is an illustration of the decline in credibility or even the rejection of Western policy in the world. This can be seen elsewhere, for example in Africa.

While the United States and Israel are seeking, not without some differences, to coordinate their responses to Iran and the Iranian nuclear issue, including the prospect of imposing additional sanctions against Tehran, Saudi Arabia, reputed to be a traditional ally of Washington, has concluded a rapprochement agreement with Iran. Iran is considered by the United States as a hostile actor engaged in military provocations and malicious operations, and whose policy compromises stability in the Middle East by feeding eminent security risks. This is, in a few words, the picture painted by the official American texts – in particular the National Security Strategy (NSS) and the National Defense Strategy (NDS) – adopted by the Biden Administration in 2022. The orientations of the NSS and the NDS, which are based in particular on cooperation and strategic convergence with Washington’s regional partners (notably the Gulf States), appear, however, to be out of step with this Iranian-Saudi agreement.

An end to the logic of the Abraham Accords

These official texts of the Biden Administration emphasize the need to extend and deepen Israel’s growing ties with its neighbors and with other Arab countries, in a continuation of the logic of what is known as the Abraham Accords. However, one may wonder about the credibility of this logic when Saudi Arabia has just distanced itself from it resolutely by choosing a process that is completely contrary to Israeli and American hopes that Riyadh would join this « normalization » process, which already includes Bahrain, the United Arab Emirates and Morocco. Rabat has indicated that it wants to host a summit on the Abraham Accords in March 2023. Under such conditions, it is not going well…

It is indeed a hard blow, perhaps decisive, that has just been dealt to the credibility and continuation of this process, pushed yesterday by Donald Trump for the direct political benefit of Israel. As the Israeli daily Haaretz (5) points out, the dream of forming an Arab alliance against Iran has been shattered. Not to mention that Israeli policy towards the Palestinians is so brutal that it has become difficult for Riyadh, and even for other Arab capitals, to assume such an alliance in an uninhibited way.

One can assume that the Iranian-Saudi rapprochement could also facilitate a return to negotiation on the Vienna Agreement concerning the Iranian nuclear issue (6). Such a negotiation should extend or reinstate the Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), included in this Agreement, signed in 2015 and then endorsed by a Security Council resolution (resolution 2231 of July 20, 2015). This Plan of Action strictly defines in detail the technical, security and political conditions for a settlement of the issue and a lifting of sanctions against Iran. Obviously, when it comes to the nuclear issue, it is particularly difficult to predict the successful completion of commitments made. The proof was given in 2018 by the Trump Administration, which deliberately chose to torpedo the Agreement, even though Iran had complied with it for nearly 3 years. The stakes are particularly high today. It is not only about the (real) danger of nuclear proliferation. It is also a question of the strategic balance of power in the international order, and in a context of war…
Nevertheless, we can consider that the Iranian-Saudi rapprochement offers a sort of protection to Tehran, since it becomes politically difficult for Tel Aviv to envisage military action against a country that is now defined as a partner of Saudi Arabia, a difficult ally, but a precious ally of Washington, and even though Israel continues to maintain relations… with Saudi Arabia. Here again, everything is complicated for Tel Aviv.

It is easy to imagine Israeli rage at this unexpected political change which upsets its plans and ambitions. But can we predict what the new far-right government led by Benjamin Netanyahu might decide? A government criticized for its « fascist values », according to the formula of former Prime Minister Ehud Barak (7)? This government does indeed include ministers who are clearly racist and supremacist. But in this context, would Netanyahu dare to decide to use force, when a diplomatic opening may be on the horizon? The answer to this question will also depend on the support that the signatories of the JCPOA, in particular, will decide to give to a revival of the negotiation process. France and the EU are therefore directly concerned and challenged.

France and the Europeans face their responsibility

Finally, we can think that this Iranian-Saudi agreement can facilitate the lowering of tensions, dialogue and more cooperative approaches concerning, for example, the war in Yemen or the existential crisis situation in Lebanon. Real emergencies. But let us stress once again that nothing can be taken for granted or easily achieved. There would be some illusion in imagining the aftermath as an accumulation of possible « happy endings ». The fact remains that this agreement must be taken seriously for what it helps to reveal and stimulate. For the Biden Administration, it is a disappointment and a serious warning. For Israel, it is a clear failure. For the Europeans, it is an opportunity. The EU and its member states, indeed, could play a positive role in this significant shift in the balance of power in the international order. So, will there be someone, in France, Germany or elsewhere, to seize this new political moment? To try to produce solutions, or at least efforts to show what can be achieved if we give priority to diplomacy and abandon the priority of force. Or will we continue to feed confrontation and escalation?

Emmanuel Macron recently said: « I do not want the Chinese and the Turks alone to negotiate the day after » (8). All the more reason to get involved now, to take initiatives and thus widen the circle of actors acting in a convergent manner for a political outcome to the war.

The Chinese initiative forces us to rethink the issues. It may allow us to move forward. But the question is not only to know which (other) power is capable of defining itself as a major player in the Middle East and on the international scene. Some people, however, hope for the advent of a « post-American era ». If this were to happen, we would have to measure its limits for international relations. It is not enough to change leadership or preponderance. A much higher standard must be met. First, it is necessary to obtain solid and broad multilateral commitments, which are likely to be in keeping with the spirit and imperatives of collective responsibility and the political settlement of conflicts.

A different political page can be turned. Concretely. Without naivety. It would be dismaying to see the Euro-Atlantic political world reject the Chinese offer, on the pretext that it is not credible, when this offer is in fact the very discourse of the Western powers on the need for a « rules-based » international order. Those who think that the language of power is cynical by nature are right. But those who refuse to seize the opportunities to get out of it are fundamentally wrong.

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1) With the participation of Iran, Uzbekistan, Pakistan, Russia, Tajikistan, Turkmenistan.

2) Indonesia and Qatar have been invited.

3) See  » Poutine, l’OTAN et la guerre « , J.Fath, éditions du Croquant, pages 46 and 47.

4) Xi Jinping’s visit to Riyadh in December 2022, and Iranian President Ebrahim Raissi’s visit to Beijing in February 2023.

5) « Saudi-Iran – Rapprochement : In China’s Middle East, Israel Has Little Influence « , Haaretz, 10 mars 2023. https://www.haaretz.com/middle-east-news/2023-03-10/ty-article/.premium/saudi-iran-rapprochement-in-chinas-middle-east-israel-has-little-influence/00000186-cc34-d739-a9cf-dc7ecd530000

6) This Agreement was negotiated and finalized by the 5 permanent members of the Security Council, Germany, the European Union (which coordinated the negotiations), and Iran.

7) « Ehud Barak: The people must react against this government with « fascist values, » Times of Israel, January 1, 2023. https://fr.timesofisrael.com/ehud-barak-le-peuple-doit-reagir-contre-ce-gouvernement-aux-valeurs-fascistes/

8) « Emmanuel Macron on the war in Ukraine: I don’t want it to be the Chinese and the Turks alone who negotiate the day after, » Le Monde, Philippe Ricard, December 21, 2022. https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/21/emmanuel-macron-sur-la-guerre-en-ukraine-je-n-ai-pas-envie-que-ce-soient-les-chinois-et-les-turcs-seuls-qui-negocient-le-jour-d-apres_6155337_3210.html

Quand la Chine bouscule l’ordre international…

Sous l’égide de la Chine, l’Iran et l’Arabie Saoudite ont rétabli leurs relations diplomatiques. Cette annonce du 10 mars 2023 fut accompagnée de photos officielles montrant, à Pékin, Wang Yi, membre du Bureau Politique et Directeur du Bureau des affaires étrangères du Parti communiste chinois, avec l’Amiral Ali Shamkhani, Secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, et Mussad bin Mohammed Al-Aiban, Ministre d’État saoudien, Conseiller aux affaires politiques et à la sécurité nationale.

Rien de cet événement du mois de mars 2023 – jusqu’aux photos témoignant d’une volonté de médiatisation – ne peut être considéré comme une banalité dans les relations internationales, après quelque sept années de dangereuses tensions entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, deux acteurs essentiels au Moyen-Orient. Dans une région où tout ce qui se produit, autant qu’ailleurs et probablement davantage qu’ailleurs, est surdéterminé par des logiques de puissance, un tel rapprochement aura d’importantes répercussions politiques et stratégiques. Soulignons la dimension de l’événement en lui-même, qui fut certainement ressenti comme une claque diplomatique pour Tel Aviv et même pour Washington, tellement sa signification va à l’encontre des visées israéliennes et américaines. Il vaut la peine d’en examiner les conséquences potentielles. Conséquences … potentielles parce qu’évidemment rien ne peut être considéré comme définitif. Nous sommes à la fois dans un Moyen-Orient « compliqué »… et dans les mutations rapides d’un ordre international où les surprises et les contradictions font que rien n’est réglé d’avance. On verra les suites.

Ce rapprochement irano-saoudien sous l’égide de la Chine (qui soigne ainsi deux de ses fournisseurs en hydrocarbures), bouscule les lignes politiques des relations internationales, et remet en cause quelques situations considérées comme établies. Le premier constat qui s’impose est que cet accord, au grand dam de Washington, est acté sous l’ascendance de Pékin. Ce qui apporte la confirmation d’une autorité chinoise grandissante, et d’une volonté d’assumer un vrai rôle international, y compris dans le cadre de contextes diplomatiques délicats. Le passé le plus récent en témoigne.

Les 30 et 31 mars 2022, en effet, la Chine avait accueilli à Tunxi, dans la province d’Anhui (Chine orientale) une troisième rencontre des Ministres des affaires étrangères des pays voisins de l’Afghanistan (1). Ensuite, en présence des Talibans et du Gouvernement temporaire afghan, elle a réuni une « Troïka + » avec le Pakistan, la Russie et les États-Unis (2), en dépit de la situation tendue du fait de la guerre en Ukraine (3).

Le 24 février 2023 la Chine a présenté un document porteur d’une « initiative de sécurité globale ». Elle a ensuite rendu publique une « position sur le règlement politique de la crise ukrainienne ». Le premier document est un texte général contenant une conception globale des enjeux de la sécurité internationale. Cette conception met l’ONU au centre d’une approche visant à favoriser le multilatéralisme. Elle traduit aussi et peut-être surtout une volonté affirmée de s’inscrire comme puissance jouant un rôle positif dans l’ordre international. Le deuxième document dessine en 12 points les principes devant guider un processus de solution politique à la guerre en Ukraine. En réalité, il y a là une seule et même initiative d’ensemble visant explicitement à enclencher un processus de règlement politique pour sortir de la guerre. Cette initiative converge avec l’idée avancée par le Président brésilien. Lula da Silva, effectivement, a proposé la constitution d’un groupe de pays qui prendraient en charge la question d’un règlement politique du conflit en Ukraine. Et, précisément, un tel groupe inclurait notamment la Chine, l’Indonésie et l’Inde qui préside le G20 pour l’année 2023. De quoi contribuer à s’extraire d’un système international trop dépendant d’une hégémonie et d’une centralité occidentales.

Une initiative qui change la donne

L’accord irano-saoudien, conclu grâce à une négociation / médiation chinoise (4), correspond donc à une implication récente et très directe de la Chine dans les enjeux de sécurité internationale et de règlement des conflits. Mais cette initiative-là change concrètement la donne en soulevant une autre question stratégique, celle du rôle des États-Unis au Moyen-Orient… avec les doutes qui pèsent désormais sur le poids et sur l’efficacité de ce rôle. On peut effectivement se demander quel est l’avenir du rôle de Washington dans cette région où trois administrations successives (celles d’Obama, de Trump et de Biden) ont déjà montré qu’un pivot stratégique américain sur l’Asie signifiait en soi une forme de retrait (relatif) du Moyen-Orient. Ce qui ne peut pas être assimilé à une contraction ou un affaiblissement du rôle néo-impérial des États-Unis dans le monde. C’est d’abord une adaptation stratégique dans un nouveau contexte, pour de nouvelles priorités que les États-Unis s’imposent face à la montée en puissance de la Chine. Pour certains experts, cependant, le rôle de « faiseur de paix » de Washington serait mis en cause avec ce nouveau recul découlant de l’accord irano-saoudien sous l’égide de Pékin. La Chine remplirait donc un vide stratégique laissé par Washington au Moyen-Orient.

En vérité, le « rôle de faiseur de paix » des États-Unis est un mythe. Un mythe de tradition occidentale. Ce que rappellent notamment les guerres en Irak et en Afghanistan, ou le soutien indéfectible, au fil des décennies, à la politique israélienne illégale d’occupation militaire, de répression féroce et de colonisation du territoire palestinien, mais aussi d’agression contre ses voisins. Dans ce contexte, le processus dit des Accords d’Abraham n’a fait que contribuer, au nom de la paix et d’une « normalisation » des relations d’Israël avec le monde arabe, à l’écrasement des droits nationaux légitimes du peuple palestinien, et d’une perspective de paix juste et durable.

L’accord irano-saoudien introduit cependant une autre problématique avec l’intrusion de la Chine dans un espace stratégique où les États-Unis n’ont cessé de dominer depuis près de 70 ans. La diplomatie régionale, dorénavant, ne passerait plus seulement par Washington… Pékin a su gagner la confiance politique de Riyad et de Téhéran alors que ces deux capitales entretiennent une relation conflictuelle, ou bien difficile avec les États-Unis. Pékin réussit là où Washington est en difficulté. Est-ce le reflet et la conséquence d’un affaiblissement – certains parlent d’un déclin – de la politique de puissance américaine ? Répondre à cette interrogation est plus difficile qu’il n’y paraît (et ce n’est pas le sujet de cet article). Il s’agit en tous les cas d’une illustration du recul de la crédibilité voire du rejet de la politique occidentale dans le monde. Ce que l’on peut constater ailleurs, par exemple en Afrique.

Alors que les États-Unis et Israël cherchent, non sans quelques divergences, à coordonner leurs réponses concernant l’Iran et l’enjeu du nucléaire iranien, y compris avec la perspective d’une imposition de sanctions additionnelles contre Téhéran, l’Arabie Saoudite, réputée allié traditionnel de Washington, conclut donc un accord de rapprochement avec l’Iran. L’Iran étant considéré par les États-Unis comme un acteur hostile se livrant à des provocations militaires et à des opérations malveillantes, et dont la politique compromet la stabilité au Moyen-Orient en alimentant des risques éminents de sécurité. C’est en quelques formules le tableau brossé par les textes officiels américains – en particulier la National Security Strategy (NSS) et la National Defense Strategy (NDS) – adoptés par l’Administration Biden en 2022. Les orientations de la NSS et de la NDS, qui reposent en particulier sur la coopération et les convergences stratégiques avec les partenaires régionaux de Washington (notamment les pays du Golfe), apparaissent cependant en décalage avec cet accord irano-saoudien.

Une fin de la logique des Accords d’Abraham

Ces textes officiels de l’Administration Biden soulignent la nécessité d’étendre et d’approfondir les liens croissants d’Israël avec ses voisins et avec d’autres pays arabes, dans une poursuite de la logique de ce qu’il est convenu d’appeler les Accords d’Abraham. On peut cependant s’interroger sur la crédibilité de cette logique alors que l’Arabie saoudite vient de s’en distancier résolument en choisissant un processus tout à fait contraire à l’espoir israélien et américain de voir Riyad rejoindre ce processus de « normalisation », dans lequel figurent déjà le Bahreïn, les Émirats Arabes Unis et le Maroc. Rabat a d’ailleurs indiqué vouloir accueillir un sommet sur les Accords d’Abraham en mars 2023. Dans de telles conditions, c’est mal parti…

C’est en effet un coup dur, peut-être décisif, qui vient ainsi d’être porté à la crédibilité et à la poursuite de ce processus, poussé hier par Donald Trump au bénéfice politique direct d’Israël. Comme le souligne le quotidien israélien Haaretz (5), le rêve de former une alliance arabe contre l’Iran est brisé. Sans compter que la politique israélienne vis à vis des Palestiniens est tellement brutale qu’il est devenu difficile pour Riyad, voire pour d’autres capitales arabes, d’assumer une telle alliance de façon désinhibée.

On peut supposer que le rapprochement irano-saoudien pourrait aussi faciliter un retour à la négociation sur l’Accord de Vienne concernant le nucléaire iranien (6). Une telle négociation devrait proroger ou rétablir le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), inclus dans cet Accord, signé en 2015 puis avalisé par une résolution du Conseil de sécurité (résolution 2231 du 20 juillet 2015). Ce Plan d’action définit strictement et en détails les conditions techniques, sécuritaires et politiques d’un règlement de la question et d’une levée des sanctions contre l’Iran. Évidemment, lorsqu’il s’agit du nucléaire, il est particulièrement difficile de prévoir la bonne fin des engagements pris. La preuve en fut donnée en 2018 par l’Administration Trump qui a délibérément choisi de torpiller l’Accord, alors que l’Iran l’avait respecté durant près de 3 années. L’enjeu est particulièrement élevé aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement du danger (réel) de la prolifération nucléaire. Il s’agit aussi du rapport de forces stratégiques dans l’ordre international, et dans un contexte de guerre…

On peut néanmoins considérer que le rapprochement irano-saoudien offre une sorte de protection à Téhéran puisqu’il devient politiquement difficile pour Tel Aviv d’envisager une action militaire contre un pays se définissant maintenant comme un partenaire de l’Arabie Saoudite, alliés difficile, mais allié précieux de Washington, et alors même qu’Israël continue à entretenir des relations… avec l’Arabie Saoudite. Ici encore, tout se complique pour Tel Aviv.

On imagine aisément la rage israélienne devant ce changement politique inattendu qui bouscule ses projets et ses ambitions. Mais peut-on prévoir ce que pourrait décider le nouveau gouvernement d’extrême droite dirigé par Benjamin Netanyahou ? Un gouvernement critiqué pour « ses valeurs fascistes », selon la formule de l’ancien Premier ministre Ehud Barak (7) ? Ce gouvernement comprend effectivement en son sein des ministres clairement racistes et suprémacistes. Tout est donc possible… Mais dans ce contexte, Netanyahou oserait-t-il décider l’utilisation de la force, alors qu’une ouverture diplomatique peut se dessiner ? La réponse à cette interrogation dépendra aussi du soutien que les acteurs signataires du JCPOA, eux en particulier, décideront d’accorder à une relance du processus de négociation. La France et l’UE sont donc directement concernées et interpellées.

La France et les Européens devant leur responsabilité

Enfin, on peut penser que cet accord irano-saoudien peut faciliter la baisse des tensions, le dialogue et des approches plus coopératives concernant par exemple la guerre au Yémen ou la situation de crise existentielle au Liban. De véritables urgences. Mais soulignons encore une fois qu’évidemment rien ne peut être considéré comme acquis ou facilement atteignable. Il y aurait quelque illusion à s’imaginer les suites comme un cumul de « happy end » possibles. Il reste que cet accord doit être pris au sérieux pour ce qu’il contribue à révéler et à stimuler. Pour l’Administration Biden, c’est une déconvenue et un sérieux avertissement. Pour Israël, c’est un échec patent. Pour les Européens, c’est une opportunité. L’UE et ses États membres, en effet, pourraient jouer un rôle positif dans ce déplacement significatif des rapports de forces dans l’ordre international. Alors, y aura-t-il quelqu’un, en France, en Allemagne ou ailleurs pour saisir ce moment politique nouveau ? Pour essayer de produire des solutions, ou au moins des efforts montrant ce que l’on peut obtenir à condition de privilégier la diplomatie et d’abandonner la priorité à la force. Ou bien va-t-on continuer à nourrir la confrontation et les escalades ?

Emmanuel Macron disait récemment : « je n’ai pas envie que ce soit les Chinois et les Turcs seuls qui négocient le jour d’après » (8). Raison de plus pour s’en mêler dès maintenant, pour prendre des initiatives et élargir ainsi le cercle des acteurs agissant de façon convergente pour un processus d’issue politique à la guerre.

L’initiative chinoise oblige à repenser les enjeux. Elle peut permettre d’avancer. Mais la question n’est pas seulement de savoir quelle (autre) puissance est capable de se définir comme un acteur majeur au Moyen-Orient et sur le plan international. Certains espèrent pourtant l’avènement d’une « ère post-américaine ». Si cela devait se réaliser, il faudrait en mesurer les limites pour les relations internationales. Il ne suffit pas, en effet, de changer de « leadership » ou de prépondérance. Il faut répondre à une exigence beaucoup plus élevée. Il est d’abord nécessaire d’obtenir des engagements multilatéraux solides et larges, susceptibles de s’inscrire dans l’esprit et dans les impératifs de la responsabilité collective et du règlement politique des conflits.

Une page politique différente peut s’ouvrir. Concrètement. Sans naïveté. Il serait tout de même consternant de voir le monde politique euro-atlantique rejeter l’offre chinoise, au prétexte que celle-ci n’est pas crédible, alors que cette offre reprend justement le discours même des puissances occidentales sur la nécessité d’un ordre international « fondé sur des règles ». Ceux qui pensent que le langage de la puissance est cynique par nature ont raison. Mais ceux qui refusent de saisir les opportunités permettant d’en sortir ont tort sur le fond.

1) Avec la participation de l’Iran, de l’Ouzbékistan, du Pakistan, de la Russie, du Tadjikistan, du Turkménistan.

2) L’Indonésie et le Qatar ont été invités.

3) Voir « Poutine, l’OTAN et la guerre », J.Fath, éditions du Croquant, pages 46 et 47.

4) Visite de Xi Jinping à Riyad en décembre 2022, et visite du Président iranien Ebrahim Raïssi à Pékin en février 2023.

5) «Saudi-Iran – Rapprochement: In China’s Middle East, Israel Has Little Influence », Haaretz, March 10, 2023. https://www.haaretz.com/middle-east-news/2023-03-10/ty-article/.premium/saudi-iran-rapprochement-in-chinas-middle-east-israel-has-little-influence/00000186-cc34-d739-a9cf-dc7ecd530000

6) Cet Accord a été négocié et finalisé par les 5 membres permanents du Conseil de sécurité, par l’Allemagne, l’Union européenne (qui a assuré la coordination des négociations), et par l’Iran.

7) «Ehud Barak : Le peuple doit réagir contre ce gouvernement aux « valeurs fascistes », Times of Israël, 1er janvier 2023.  https://fr.timesofisrael.com/ehud-barak-le-peuple-doit-reagir-contre-ce-gouvernement-aux-valeurs-fascistes/

8) « Emmanuel Macron sur la guerre en Ukraine : je n’ai pas envie que ce soit les Chinois et les Turcs seuls qui négocient le jour d’après », Le Monde, Philippe Ricard, 21 décembre 2022. https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/21/emmanuel-macron-sur-la-guerre-en-ukraine-je-n-ai-pas-envie-que-ce-soient-les-chinois-et-les-turcs-seuls-qui-negocient-le-jour-d-apres_6155337_3210.html

What political solution to the war?

Here are some ideas and proposals for reflection on the need for a political solution to the war in Ukraine. Based on the most recent developments, this text completes but does not replace a reading of my book « Putin, NATO and the war… » (published by « Croquant editions »). This book brings indeed, on this imperialist war started by Vladimir Putin and his regime, keys of understanding more than ever necessary on the causes, on the stakes, and as for the question of the responsibilities in a page of history of 30 years of confrontations of powers.

As the outcome of the war is played out in escalation and uncertainty, in an evolving and uncertain balance of power… the risks increase, and the rationality of the choices made by the actors of the war is put to the test. The possibility is growing of a spiral and a more general conflagration in an open NATO/Russia war. In this context, the dangers, including nuclear ones, are increasing. And the conditions of international security continue to deteriorate in a very worrying way. This evolution is perilous, but the debate on the strategic options to be favoured does not cease to focus on the way to pursue the war, on the question of the respective « virtues » of military victory and defeat.

Let us first note that a clear situation of « victory » or military preponderance won by Russia in the Donbass would raise essential political issues related to the sovereignty of Ukraine, and would act as a fait accompli of state aggression and acquisition of territory by force. Naturally, such an undermining/denial of fundamental political and legal principles is unacceptable in itself. It is contrary to the idea of an international order based on law and the UN Charter. While the exercise of the politics of force and domination in international relations, and the crimes that go with it, are gaining ground over the years.

Thus, we can see that Israel is imposing on the Palestinian people the consequences of its illegal and illegitimate policy of military occupation and colonization. This is done with total impunity. One can even say that Israel (for a very long time) acts in Palestine as Russia is doing today in Ukraine, in defiance of the existing rules and law. There is therefore a double standard in a conception of the universality of law that varies greatly. Whether in Ukraine, Palestine, Kurdistan, Western Sahara or elsewhere, we cannot accept such contempt for international legality and the right of peoples to self-determination, nor the slightest trivialization of the use of force as an unavoidable parameter of an international order in decay under the permanent blows of the logic of power and the politics of force and domination.

On the other hand, it is necessary to measure that a military defeat of Russia, which many political leaders are calling for, including in France, would be the best way to maintain the persistent will of a later revenge by Russia. We must indeed remember that the sanction of a balance of power is never a « solution » but always a state of affairs that imposes itself, and that too often creates the desire for revenge. A military defeat of Russia, beyond the problematic feeling of revenge that it may arouse, could have other critical consequences for the international order and for security. Such a defeat (we would have to define better what we are talking about here…) could indeed produce in Russia a series of destabilizing crises with an international scope.

In this regard, we have noted the statements of Kyrylo Boudanov, Head of Ukrainian Military Intelligence, in the daily Le Monde of February 24. He stressed that Russia will be forced to withdraw from Ukraine, « otherwise it will lead to the collapse of the Russian regime ». He adds that « the question of the political and security architecture of this region, which goes from Eastern Europe to the Asian part of Russia, will arise. (…) The world does not need, he says, a Russian Federation as it exists today, which threatens the whole world. Naturally, the time of war is also a time of ideological battles that pushes to all kinds of calculations and speculations, including the most extreme. But this is not the first time that the option of dismantling the Russian Federation has been brandished as a possibility, if not a wish, in defiance of the risks inherent in such an eventuality.

It is true that a destabilization of the Russian state and an internal political crisis, a weakening or a challenge to the integrity and unity of the Russian Federation could result in the situation created being considered by Moscow as a provoked threat, affecting Russia’s vital interests. This would seriously increase the nuclear risk. The circumstances officially foreseen by the Russian doctrine (see the strategic planning document of June 2020) for the implementation of deterrence for a possible use of nuclear weapons would be entered. The international context would be very seriously affected by a tenfold risk of war between NATO and Russia. We are not there yet… But we must be careful, the imperative requirement of responsibility in wartime is measured by the rationality of the choices made.

Choosing between the major risks of war and the difficulties of peace

One could multiply the extrapolations linked to the possibilities of victory or defeat in war. But it would still be necessary to evaluate the extent to which both are still possible, while the armies that confront each other seem weakened after a year of war of high intensity. A year so deadly and destructive that tomorrow we will probably be shocked and surprised when we will (perhaps) be able to better evaluate the hecatomb of military and civilian victims…

The essential question is not, therefore, how to win or not to lose the war for each of the protagonists, but how to set in motion a political process that can lead to a just solution, in accordance with the law and capable of guaranteeing solid and lasting conditions of collective security. With the withdrawal of Russian troops and with respect for the sovereignty and integrity of Ukraine.

No one will say that this is an easy objective to achieve. But everyone can understand that the longer the war goes on, the higher the risks of a major conflagration, and the more difficult it will be to get out of it. Between the major risks of war and the difficulties of peace… one must choose. It is now more urgent than ever to force the way to a negotiated solution. Any proposal in this direction – there are some now – must be taken into consideration. We will come back to this.

Vladimir Putin and his regime obviously bear the overwhelming responsibility for the outbreak of the war and its consequences. But we cannot pretend that the Western powers are strangers to the origins and causes of this war, and to the processes of confrontation that have contributed, along with Russia, to the creation of a context favorable to war over a 30-year period of history. However, these powers act as if their « victory » of yesterday, in the Cold War, could be prolonged today in an indisputable legitimacy and in a strategic « without fault ». This is not the case. The question of the causes of the war is obviously more complicated than is usually said. So is a solution. A political solution will have to consider and decide in particular on two categories of options: those related to the principle of sovereignty, and those related to the principles of collective security. These principles cannot be dissociated and are at the heart of the United Nations Charter. The most lucid are therefore right, who recognize the need to concretize a European security order that necessarily includes Russia. This should have a positive impact on the stability of the international order as a whole, in its rules and functioning. We must not think of a victory, but prepare a solution.

What was not voluntarily built after the collapse of the USSR should finally be designed and built today, when the fighting of this long and terrible war in Ukraine is finally over. At least to be able to install balances and new rules of common life that are accepted by all, for the security of all. Indeed, we remember that at the very beginning of the 90s, a new order became absolutely necessary in a geopolitical moment that changed the course of history. Nothing less than that… However, in this moment of change, dismayingly, nothing decisive will be done, except for the enlargement of NATO to the East. It was as if the United States and its European allies had only one thing to do: to cash in on the spoils of their « victory » in the Cold War, without the slightest regard for the requirements that were necessary at the time: mutual security in cooperation with the overall strategic and political reorganization of the European space. This historic mistake was made despite the clear warnings of recognized experts and personalities aware of the risks. This is an obvious observation, that of a gaping but voluntary political failure, because it was a strategic choice made in full awareness by the member states of the Atlantic Alliance.

Facing all the realities of history

This shortcoming, with its dramatic consequences, was not unrelated to what followed: 30 years of high tensions, permanent conflicts, use of force and military initiatives, especially Russian, to today, come to a high intensity war in a de facto conflict between NATO and Russia. A violent page of history in a chaos of threats and structural instability. It is not acceptable that these realities of history, of our history in Europe, can be so much evacuated from the public debate today. How many deaths, how much destruction, how many tragedies will the peoples have to endure before a minimum of common security and collective responsibility can finally be imposed? Is the history of wars in Europe not enough?

War is a tragedy. A tragedy for those who suffer the heavy consequences. A tragedy for those who make it and who fight on the field until they lose their lives. But a tragedy for what? Vladimir Putin, in spite of the territories he may still be able to seize, is facing a clear strategic failure. He sees himself held in check by his ambitions of power and revenge, where he thought he could easily impose himself. This is a lesson. A lesson that others have already experienced in very different circumstances. Even in France, some people have not measured what war cannot offer them.

How can we not remember François Hollande exulting on February 2, 2013 in Bamako. Carried away by enthusiasm, he declared, pathetically, « I have undoubtedly lived the most beautiful day of my political life. » He then felt that he had achieved a complete victory against rebel groups considered to be terrorists in an operation by French forces in Mali. Nearly 20 years later, France has been held in check in that country, in Burkina Faso and more generally in the Sahel. The Libyan disaster has seriously added to this. How can we not also recall Washington’s failures in Iraq and Afghanistan despite the size of the military forces involved? The « sauve-qui-peut » of American forces fleeing Kabul in August 2021, along with NATO’s failure, are another sign of the constraint of the reality of these unwinnable wars, of impossible victories. Many of those who castigate Putin’s war in Ukraine often have some difficulty remembering their illusory ambitions of power, and their own strategic failures.

China and Brazil take the lead

On February 24, 2023 (the date is not a coincidence) China presented two political documents. First, a « global security initiative », and second, a « position on the political settlement of the Ukrainian crisis ». The first document is a general text proposing a global conception of the challenges of international security, a conception that places the UN at the center of an approach that above all translates an evolution in Chinese political positioning, an affirmed desire to be a power playing a positive role in the international order. Nevertheless, it must be noted that the policy actually pursued by China, particularly in its immediate vicinity and on the adjacent seas where Washington is in full force, does not appear to be systematically consistent with the principles set out in this text.

The second document outlines in 12 points the principles that should guide a political solution to the Ukrainian crisis (the word war is never used), as well as a number of measures on concrete issues. China is moving forward cautiously. In the Western and NATO political world, this comprehensive initiative has been criticized for a lack of credibility due to China’s failure to condemn the Russian aggression. In truth, it is precisely because Beijing is a very close and powerful partner of Moscow that China can have weight and real influence on Russia. This, of course, can give relevance to the Chinese initiative, including on the international level.

It is certainly for this reason that Antony Blinken, the US Secretary of State, in a remarkable coincidence of times, clearly sought to break the credibility of the Chinese diplomatic effort by declaring that Beijing was « getting ready » to supply arms to China. At the time, the US Administration did not have any information to support such an accusation, but it seems that more details on this issue will be provided later. The American criticism therefore consists of denouncing the fact that Beijing would thus keep two irons in the fire: that of negotiation, and that of involvement in the war. This is not demonstrated. Mr Blinken does not specify how many irons in the fire Washington is keeping.

And then, despite the reservations that are always possible in a context of power competitions to which both sides actively contribute, we cannot refuse to note that China is the first country to explicitly commit itself to a very formalized process of political settlement, far from the dominant debate in the Western world, since this debate, as we have seen, revolves almost exclusively around the respective stakes of military victory or defeat. We will have to get out of it.

A new situation

Also noteworthy is the initiative of Brazilian President Lula da Silva. On February 9, during his visit to the United States, Lula proposed the creation of a « peace club » or a group of countries that would take on the issue of a political settlement of the conflict in Ukraine. This group would include China, Indonesia, India (which is chairing the G20 for 2023) and other countries that are neutral or not involved in the war. We can thus see that convergences and a new situation are emerging thanks to the so-called countries of the South. A South that is not « global », as some persist in saying, but within which a desire for independence and free choice is constantly rising, if not a clear rejection of the policies of the Western powers.

What focuses the attention of the United States and the Europeans is first of all to leave the decision of the talks to Kiev, to give priority to the strategic necessity of a military defeat of Russia, and to assure Ukraine a future military capacity to face Russia in any circumstances. In the Wall Street Journal of February 24 Bojan Pancevski and Laurence Norman write that « NATO’s top European members are considering a ‘defense pact’ with Ukraine. The journalists point out that « Germany, France and Britain see closer ties between NATO and Ukraine as a way to encourage Kiev to start peace talks with Russia later this year. They add that « Washington has said it wants Ukraine to be sufficiently armed after the war to deter any future Russian attack. (…) We need to make sure, » they say further, « that Ukraine has the capacity to deter aggression and, if necessary, to defend itself effectively against it. »

The Wall Street Journal reporters do not address the Chinese and Brazilian initiatives, but they do point to the growing doubts about Ukraine’s ability to win the war, with the belief that Western powers could not help support the Ukrainian war effort for too long. This is at the same time a kind of admission of the illusory and fragile nature of « solutions » based on force and the military.

What are the solutions to stop the war ?

Obviously, a negotiation is necessary. The belligerents must sit down around a table. But the mere necessity of a dialogue is not enough. And that is not the way things are done. A political process can take complicated, indirect and confidential paths at first. The very idea of negotiation… is negotiated, is tested mutually. Each one needs to know what perspective it wants for itself, what is possible, what are the real intentions of the other. The difference must be identified between a simple posture and a willingness to truly engage. The negotiation of a political settlement requires external contributions, sponsors, mediators/facilitators who are determined to promote a credible, « professional » and transparent political process. They must resolutely push in this direction to make politics the uncontested priority. It is therefore also for these reasons that positions (such as that of France) that consist of sparing the goat of military power relations and the cabbage of future negotiations can hardly constitute a positive contribution.

It is essential, in fact, to contribute to a climate, a context and, above all, a collective or multilateral will for a political settlement. The United Nations framework or a major pilot role for the UN should be used for this. The goal is not only to break the tragic stalemate of the fighting, even if a cease-fire must be obtained as soon as possible. It is to bring the protagonists to make decisions that may be difficult in order to reach a settlement that is as indisputable as possible in its foundations, in its intentions and in its consequences. For this to happen, external support must be clear, unambiguous and very determined.

A settlement does not exclude compromises, which are much talked about, but we do not start there. You don’t prejudge the conclusions. You negotiate on issues. Such an approach must therefore be based on fundamental principles: sovereignty, the prohibition of the use of force, territorial integrity… We must ensure that international law is applied and that the rules and practices of collective security as formulated in the United Nations Charter are respected. In particular, for Ukraine, respect for internationally recognized borders and the withdrawal of Russian troops. This approach must also provide for pragmatic settlements on specific
specific sensitive issues in order to contribute, with care, to the establishment of a secure outcome for all actors.

Respect for fundamental principles and the law must be able to incorporate this need for specific provisions of common interest to ensure the conditions for a lasting solution that is mutually accepted down to the last detail. Since in diplomacy too the devil hides in this way… One can think, for example, of the elaboration of a strategic status of neutrality for Ukraine, of a particular convention for the Russian naval forces in Crimea, of mutual agreements on the military level, of an autonomy for the territories of Donbass or, failing that, a referendum process… The list and the nature of the problems to be solved is also to be negotiated, knowing that such « endorsements » are very important, and must obtain solid international guarantees, unless the conditions for a future war are maintained.

Covering all the causes that led to the war

Finally, it is essential that a political settlement be part of an approach that aims to cover all the causes that led to the war. The solution to be built therefore goes beyond the Russian-Ukrainian conflict stricto sensu. Moreover, everything is linked. Some of the political and strategic issues characterizing the NATO/Russia relationship will have to be addressed in the form of mutual commitments between the United States, the Europeans and Russia in order to initiate new talks concerning, in particular, the need for a lasting strategic dialogue, arms control, especially nuclear arms, disarmament, and the general conditions for a new collective security order in Europe. It will be necessary to show that we have understood this page of history of 30 years of confrontation.

In this spirit, the question of the « perimeter » of NATO, and therefore of Ukraine’s membership in the Atlantic Alliance, must be raised as a major issue. Do we want to exacerbate the strategic confrontations by joining the Alliance, or should we seek, on the contrary, a stabilization that guarantees a maximum exhaustion of the causes of the conflict?

Broadening the political settlement process to include these major issues does not complicate the negotiations. It places them at the necessary level, at the level of all the global stakes characterizing this war which, from the start, was in reality, and whatever one may say, a NATO/Russia conflict.

A process that should lead to a just solution must therefore have as its essential aim to provide answers that will create a new situation for all of the issues at stake. History shows that unresolved problems (and there are many) contribute to the accumulation of political time bombs. And these always end up exploding. This is the inevitable result of power struggles and strong-arm politics that create contexts in which diplomacy and multilateralism have a hard time surviving. If an acceptable political solution to this war is reached tomorrow, then it can be said that a breakthrough will have been achieved, despite the tragedy, with the demonstration of what diplomacy and politics can achieve against force. But not only is the price to be paid exorbitant, unjustifiable, but this dirty war is not over. In the days, weeks and months to come, the actions of states, governments and politicians will have to be judged by the efforts they make to end the war. For the Ukrainian people. For human dignity… and for their own good name. 01 03 2023

Quelle solution politique à la guerre ?

Voici quelques idées et propositions pour la réflexion sur la nécessité d’une issue politique à la guerre en Ukraine. A partir des évolutions les plus récentes, ce texte complète mais ne remplace pas une lecture de mon livre « Poutine, l’OTAN et la guerre… » (éditons du Croquant). Ce livre apporte en effet, sur cette guerre impérialiste déclenchée par Vladimir Poutine et son régime, des clés de compréhension plus que jamais nécessaires sur les causes, sur les enjeux, et quant à la question des responsabilités dans une page d’histoire de 30 années de confrontations de puissances.

A mesure que l’issue de la guerre se joue dans l’escalade et l’incertitude, dans un rapport de forces évolutif et incertain… les risques augmentent, et la rationalité des choix effectués par les acteurs de la guerre est mise à l’épreuve. L’éventualité s’accroît d’un engrenage et d’un embrasement plus général dans une guerre ouverte OTAN / Russie. Dans ce contexte, les dangers y compris nucléaires s’accentuent. Et les conditions de la sécurité internationale poursuivent une trajectoire de dégradation très préoccupante. Cette évolution est périlleuse, mais le débat sur les options stratégiques à privilégier ne cesse pas pour autant de se concentrer sur la façon de poursuivre la guerre, sur la question des « vertus » respectives de la victoire et de la défaite militaire.

Notons d’abord qu’une situation manifeste de « victoire » ou de prépondérance militaire gagnée par la Russie dans le Donbass, soulèverait des problématiques politiques essentielles liées à la souveraineté de l’Ukraine, et acterait les faits accomplis d’une agression d’État et d’une acquisition de territoires par la force. Naturellement, une telle fragilisation / négation de principes politiques et juridiques fondamentaux est inacceptable en soi. Contraire à l’idée que l’on se fait d’un ordre international fondé sur le droit et sur la Charte des Nations-Unies. Alors que l’exercice des politiques de force et de domination dans les relations internationales, et les crimes qui vont avec, ne cessent de gagner du terrain au fil des années.

On constate ainsi qu’Israël impose au peuple palestinien les prises de guerre de sa politique illégale et illégitime d’occupation militaire et de colonisation. Cela dans une totale impunité. On peut même affirmer qu’Israël (depuis fort longtemps) agit en Palestine comme la Russie se conduit aujourd’hui en Ukraine, au mépris des règles et du droit existants. Il y a donc deux poids deux mesures dans une conception de l’universalité du droit à géométrie très variable. Que ce soit en Ukraine, en Palestine, au Kurdistan, au Sahara occidental ou ailleurs, on ne peut accepter ni un tel mépris de la légalité internationale et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ni la moindre banalisation de l’usage de la force comme paramètre inévitable d’un ordre international en déliquescence sous les coups de boutoir permanents des logiques de puissance et des politiques de force et de domination.

A l’inverse, il faut mesurer qu’une défaite militaire de la Russie, que de nombreux responsables politiques appellent de leurs vœux, y compris en France, serait d’abord le meilleur moyen pour entretenir la volonté persistante d’une revanche ultérieure de la Russie. Il faut en effet se souvenir que la sanction d’un rapport de forces n’est jamais une « solution » mais toujours un état de fait qui s’impose, et qui trop souvent créée le désir de revanche. Un défaite militaire de la Russie, au-delà du problématique sentiment de vengeance qu’elle peut susciter, pourrait avoir d’autres conséquences critiques pour l’ordre international et pour la sécurité. Une telle défaite (encore faudrait-il définir mieux de quoi l’on parle ici…) pourrait en effet produire en Russie des enchaînements de crises déstabilisatrices ayant une portée internationale.

On aura noté à ce propos les déclarations de Kyrylo Boudanov, Chef du renseignement militaire ukrainien, dans le quotidien Le Monde du 24 février. Il souligne que la Russie sera forcée de se retirer d’Ukraine, « sinon cela mènera à l’effondrement du régime russe ». Il ajoute que « la question de l’architecture politique et sécuritaire de cette région, qui va de l’Europe de l’Est à la partie asiatique de la Russie, se posera. (…) Le monde n’a pas besoin, dit-il, d’une Fédération de Russie telle qu’elle existe aujourd’hui, et qui menace le monde entier ». Naturellement, le temps de la guerre est aussi un temps de batailles idéologiques qui pousse à toutes sortes de calculs et de spéculations, y compris les plus extrêmes. Mais ce n’est pas la première fois que l’option d’un démantèlement de la Fédération de Russie est brandie comme une possibilité sinon un souhait, au mépris des risques inhérents à une telle éventualité.

Il est vrai qu’une déstabilisation de l’État russe et une crise politique interne, un affaiblissement ou une mise en cause de l’intégrité et de l’unité de la Fédération de Russie pourraient aboutir à ce que la situation créée soit considérée par Moscou comme une menace provoquée, touchant aux intérêts vitaux de la Russie. Le risque nucléaire en serait sérieusement accentué. On entrerait ainsi dans les circonstances officiellement prévues par la doctrine russe (voir le document de planification stratégique de juin 2020) en vue d’une mise en œuvre de la dissuasion pour un emploi éventuel de l’arme nucléaire. Le contexte international en serait très sérieusement affecté par un risque de guerre OTAN / Russie décuplé. On en est pas là… Mais il faut faire attention, l’exigence impérieuse de la responsabilité dans le temps de la guerre se mesure à l’aune de la rationalité des choix effectués.

Choisir entre les risques majeurs de la guerre et les difficultés de la paix

On pourrait multiplier ainsi les extrapolations liées aux possibilités de victoire ou de défaite dans la guerre. Mais il faudrait encore évaluer dans quelle mesure l’une et l’autre restent encore possibles, alors que les armées qui s’affrontent semblent affaiblies après une année de guerre de haut niveau d’intensité. Une année meurtrière et destructrice au point où l’on serait demain probablement choqués et surpris lorsque l’on pourra (peut-être) mieux évaluer l’hécatombe des victimes militaires et civiles…

La question essentielle n’est donc pas de savoir, pour chacun des protagonistes, comment gagner ou comment ne pas perdre la guerre, mais comment enclencher un processus politique qui puisse mener à une solution juste, conforme au droit et susceptible de garantir des conditions de sécurité collective solides et durables. Avec le retrait des troupes russes et dans le respect de la souveraineté et de l’intégrité de l’Ukraine.

Personne ne dira que c’est un objectif facile à réaliser. Mais tout le monde peut comprendre que plus la guerre se poursuit, plus les risques de grande conflagration sont élevés, et plus il sera difficile d’en sortir. Entre les risques majeurs de la guerre et les difficultés de la paix… il faut choisir. Il est maintenant plus urgent que jamais de forcer le chemin d’une solution négociée. Toute proposition dans ce sens – il y en existe maintenant – doit être prise en considération. Nous allons y revenir.

Vladimir Poutine et son régime portent évidemment la responsabilité écrasante du déclenchement de la guerre et de ses conséquences. Mais on ne peut pas faire comme si les puissances occidentales étaient étrangères aux origines, aux causes de cette guerre, et aux processus de confrontations ayant contribué, avec la Russie, durant une page d’histoire de 30 ans, à réunir le contexte favorable à la guerre. Pourtant, ces puissances font comme si leur « victoire » d’hier, dans la Guerre froide, pouvait se prolonger aujourd’hui dans une légitimité indiscutable et dans un « sans faute » stratégique. Ce n’est pas le cas. La question des causes de la guerre est évidemment plus compliqué qu’on ne le dit généralement. Il en sera de même pour une solution. Une solution politique devra se pencher et décider en particulier sur deux catégories d’options : celles relevant du principe de la souveraineté, et celles liées aux principes de la sécurité collective. Des principes non dissociables qui sont au cœur de la Charte des Nations-Unies. Les plus lucides ont donc raison, qui reconnaissent la nécessité de concrétiser un ordre de sécurité européen incluant nécessairement la Russie. Ce qui devrait impacter positivement l’ensemble de l’ordre international pour sa stabilité, dans ses règles et ses fonctionnements. Il ne faut pas penser une victoire, mais préparer une solution.

Ce qui n’a pas été volontairement construit après l’effondrement de l’URSS devrait enfin être vraiment conçu et édifié aujourd’hui, lorsque les combats de cette longue et terrible guerre en Ukraine seront enfin terminés. Au moins pour pouvoir installer des équilibres et de nouvelles règles de vie communes qui soient acceptées par tous, pour la sécurité de tous. On se souvient en effet qu’au tout début des années 90, un nouvel ordre devint absolument nécessaire dans un moment géopolitique qui, alors, change le cours de l’histoire. Rien de moins que cela… Pourtant, dans ce moment de basculement, de façon consternante, rien de déterminant ne se fera, hormis l’élargissement de l’OTAN à l’Est. Comme si les États-Unis et leurs alliés européens n’avaient qu’une seule chose à faire : encaisser le butin de leur « victoire » dans la guerre froide, sans la moindre attention aux exigences qui pourtant s’imposent alors : une sécurité mutuelle coopérative avec la réorganisation stratégique et politique d’ensemble de l’espace européen. Cette faute historique sera commise malgré les très nets avertissements d’experts reconnus et de personnalités conscientes des risques. Il y a là un constat qui confine à l’évidence, celui d’une carence politique béante mais volontaire, car il s’agissait d’un choix stratégique effectué en toute conscience par les États membres de l’Alliance atlantique.

Faire face à toutes les réalités de l’histoire

Cette carence aux conséquences dramatiques n’est pas étrangère à ce qui suivra : 30 ans de hautes tensions, de conflits permanents, d’emploi de la force et d’initiatives militaires, notamment russes, pour aujourd’hui, en arriver à une guerre de haute intensité dans un conflit opposant de facto l’OTAN et la Russie. Une page d’histoire violente dans un chaos de menaces et d’instabilité structurelle. Il n’est pas acceptable que ces réalités de l’histoire, de notre histoire en Europe, puissent être aujourd’hui tellement évacuées du débat public. Combien de morts, combien de destructions, combien de tragédies les peuples devront-ils endurer pour qu’enfin puisse s’imposer un minimum de sécurité commune et de responsabilité collective ? L’histoire des guerres en Europe n’est-elle pas suffisante ?

La guerre est une tragédie. Une tragédie pour celles et ceux qui en subissent les lourdes conséquences. Une tragédie pour celles et ceux qui la font et qui combattent sur le terrain jusqu’à y perdre leur vie. Mais une tragédie pour quoi faire ?.. Vladimir Poutine, en dépit des territoires dont il pourra peut-être encore s’emparer, doit faire face à un échec stratégique caractérisé. Il se voit tenu en échec sur ses ambitions de puissance et de revanche, là où il pensait pouvoir aisément s’imposer. C’est une leçon. Une leçon que d’autres ont déjà expérimentée dans d’autres circonstances très différentes. Y compris en France, certains n’ont pas mesuré ce que la guerre ne peut pas leur offrir.

Comment ne pas se souvenir de François Hollande exultant le 2 février 2013 à Bamako. Emporté par l’enthousiasme, il déclara, pathétique, « je viens sans doute de vivre le plus beau jour de ma vie politique ». Il eut alors le sentiment d’une victoire complète contre des groupes rebelles considérés comme terroristes dans une opération des forces françaises au Mali. Près de 20 ans plus tard, la France est tenue en échec dans ce pays, au Burkina Faso et plus généralement au Sahel. Le désastre libyen en a sérieusement rajouté. Comment ne pas rappeler aussi les échecs de Washington en Irak et en Afghanistan malgré l’ampleur des forces militaires engagées. Le sauve-qui-peut des forces américaines fuyant Kaboul en août 2021, avec l’échec de l’OTAN, signent, ici encore, la contrainte de la réalité de ces guerres que l’on ne peut pas gagner, celle des victoires impossibles. Beaucoup de ceux qui fustigent la guerre de Poutine en Ukraine ont souvent quelques difficultés à se rappeler leurs ambitions illusoires de puissance, et leurs propres déroutes stratégiques.

La Chine et le Brésil à l’initiative

Le 24 février 2023 (la date n’est pas un hasard) la Chine a présenté deux documents politiques. D’abord une « initiative de sécurité globale », et dans la foulée, une « position sur le règlement politique de la crise ukrainienne ». Le premier document est un texte général proposant une conception globale des enjeux de la sécurité internationale, conception qui met l’ONU au centre d’une approche traduisant surtout une évolution du positionnement politique chinois, une volonté affirmée de s’inscrire comme puissance jouant un rôle positif dans l’ordre international. Il faut néanmoins constater que la politique réellement menée par la Chine, notamment dans ses zones proches et sur les mers adjacentes où Washington parade en force, n’apparaît pas systématiquement conforme aux principes énoncés dans ce texte.

Le deuxième document trace en 12 points les principes devant guider une solution politique à la crise ukrainienne (le mot guerre n’est jamais utilisé), ainsi qu’un certain nombre de mesures sur des questions concrètes. La Chine avance prudemment. Dans le monde politique occidental et otanien, cette initiative d’ensemble a été critiquée pour un manque de crédibilité du fait que la Chine n’a pas condamné l’agression russe. En vérité, c’est précisément parce que Pékin est un très proche et puissant partenaire de Moscou que la Chine peut avoir du poids et une réelle influence sur la Russie. Ce qui, évidemment, peut donner de la pertinence à l’initiative chinoise, y compris sur le plan international.

C’est certainement pour cette raison qu’Antony Blinken, Secrétaire d’État américain, dans une remarquable concordance des temps, a manifestement cherché à casser la crédibilité de l’effort diplomatique chinois, en déclarant que Pékin « s’apprêterait » à fournir des armes à la Chine. A cette date, l’Administration américaine ne dispose pas d’information corroborant une telle accusation, mais il paraît que des précisions sur cette question seront données plus tard. La critique américaine consiste donc à dénoncer le fait que Pékin garderait ainsi deux fers au feu : celui de la négociation, et celui de l’implication dans la guerre. Sans que ce soit démontré. Monsieur Blinken ne précise pas combien de fers Washington garde au feu.

Et puis, malgré les réserves toujours possibles dans un contexte de compétitions de puissances auquel les uns et les autres contribuent activement, on ne peut pas refuser de constater que la Chine est le premier pays à s’engager explicitement dans un processus très formalisé de règlement politique, loin du débat dominant dans le monde occidental, puisque ce débat, on l’a vu, tourne quasi exclusivement sur les enjeux respectifs de la victoire ou de la défaite militaire. Il faudra bien en sortir.

Une situation nouvelle

On notera aussi l’initiative de Lula da Silva, Président brésilien. Le 9 février, lors de sa visite aux États-Unis Lula a proposé la création, non formalisée et sans précisions, d’un « club de la paix » ou d’un groupe de pays qui prendraient en charge la question d’un règlement politique du conflit en Ukraine. Ce groupe comprendrait la Chine, l’Indonésie, l’Inde (qui préside le G20 pour 2023) et d’autres pays neutres ou non impliqués dans la guerre. On voit donc ainsi que se dégagent des convergences et une situation nouvelle grâce aux pays dits du Sud. Un Sud qui n’est pas « global », comme certains persistent à le dire, mais au sein duquel ne cesse de monter une volonté d’indépendance et de libre choix, quant ce n’est pas un net rejet de la politique des puissances occidentales.

Ce qui concentre davantage l’attention des États-Unis et des Européens c’est d’abord de laisser la décision des pourparlers à Kiev, de donner la priorité à la nécessité stratégique d’une défaite militaire de la Russie, et d’assurer à l’Ukraine une future capacité militaire pour faire face à la Russie en toute circonstance. Dans le Wall Street Journal du 24 février Bojan Pancevski et Laurence Norman écrivent que « les principaux membres européens de l’OTAN envisagent un « pacte de défense » avec l’Ukraine. Les journalistes soulignent que « l’Allemagne, la France et la Grande Bretagne voient dans le renforcement des liens entre l’OTAN et l’Ukraine un moyen d’encourager Kiev à entamer des pourparlers de paix avec la Russie plus tard cette année ». Ils ajoutent que « Washington a déclaré vouloir que l’Ukraine soit suffisamment armée après la guerre pour dissuader toute attaque russe future. (…) Il faut s’assurer, disent-ils encore, que l’Ukraine a la capacité de dissuader une agression et, si nécessaire, de se défendre efficacement contre elle. »

Les journalistes du Wall Street Journal ne traitent pas des initiatives chinoise et brésilienne, mais ils soulignent la montée des doutes de plus en plus grands quant à la capacité de l’Ukraine à gagner la guerre, avec la conviction que les puissances occidentales ne pourraient contribuer trop longtemps à soutenir l’effort de guerre ukrainien. Ce qui est en même temps une sorte d’aveu quant au caractère illusoire et fragile des « solutions » fondées sur la force et sur le militaire.

Quelles solutions pour arrêter la guerre ?

Évidemment, une négociation s’impose. Les belligérants doivent pour cela se mettre autour d’une table. Mais la seule nécessité d’un dialogue ne suffit pas. Et ce n’est pas comme cela que les choses se passe. Un processus politique peut prendre d’abord des chemins compliqués, indirects et confidentiels. L’idée même de la négociation… se négocie, se teste mutuellement. Chacun a besoin de savoir quelle perspective il veut pour lui-même, qu’est-ce qui s’avère possible, quelles sont les intentions réelles de l’autre. La différence doit être identifiée entre une simple posture et une volonté de véritablement s’engager. La négociation d’un règlement politique nécessite des contributions extérieures, des parrains, des médiateurs / facilitateurs décidés à favoriser l’enclenchement et la bonne marche d’un processus politique crédible, « professionnel » et transparent. Ils doivent résolument pousser dans ce sens pour faire du politique la priorité non contestée. C’est donc aussi pour ces raisons que les positionnements (comme celui de la France) consistant à ménager la chèvre des rapports de forces militaires, et le choux de négociations futures ne peuvent guère constituer une contribution positive.

Il est indispensable, en effet, de contribuer à un climat, un contexte et surtout une volonté collective ou multilatérale de règlement politique. Le cadre des Nations-Unies ou un rôle pilote majeur de l’ONU devraient pour cela s’imposer. Le but n’est pas seulement de sortir de l’impasse tragique des combats, même si un cessez-le feu doit être obtenu au plus tôt. Il est d’amener les protagonistes à prendre des décisions qui peuvent être difficiles afin d’aboutir à un règlement le plus incontestable possible dans ses fondements, dans ses intentions et dans ses conséquences. Pour cela, l’appui extérieur doit être net, sans ambiguïté et très déterminé.

Un règlement n’exclut pas des compromis, ce dont on parle beaucoup, mais on ne commence par là. On ne préjuge pas des conclusions. On négocie sur des enjeux. Une telle approche doit donc s’appuyer sur des principes fondamentaux : la souveraineté, l’interdiction du recours à la force, l’intégrité territoriale… Il faut veiller à l’application du droit international et au respect des règles et des pratiques relevant de la sécurité collective telle qu’elle est formulée dans la Charte des Nations-Unies. Avec en particulier, pour l’Ukraine, le respect des frontières internationalement reconnues et le retrait des troupes russes. Cette approche doit aussi prévoir des règlements pragmatiques sur des questions spécifiques sensibles afin de contribuer, avec minutie, à l’établissement d’une issue assurée pour chacun des acteurs.

Le respect des principes fondamentaux et du droit doit pouvoir intégrer cette nécessité de dispositions particulières d’intérêt commun pour assurer les conditions d’une solution durable mutuellement acceptée jusque dans les détails. Puisqu’en diplomatie aussi le diable se cache ainsi… On peut penser, par exemple, à l’élaboration d’un statut stratégique de neutralité pour l’Ukraine, à une convention particulière pour les forces navales de la Russie en Crimée, à des agréments mutuels sur le plan militaire, à une autonomie pour les territoires du Donbass ou à défaut un processus référendaire… La liste et la nature des problèmes à résoudre est aussi à négocier, sachant que de tels « avenants » sont très importants, et doivent obtenir des garanties internationales solides, sauf à maintenir les conditions d’une prochaine guerre.

Couvrir l’ensemble des causes ayant conduit à la guerre

Enfin, il est indispensable qu’un règlement politique puisse s’inscrire dans une démarche visant à couvrir l’ensemble des causes ayant conduit à la guerre. La solution à construire dépasse donc le conflit russo-ukrainien stricto sensu. D’ailleurs, tout est lié. Certains des enjeux politiques et stratégiques caractérisant la relation OTAN / Russie devront obtenir des débuts de réponse sous la forme d’engagements mutuels entre les États-Unis, les Européens et la Russie afin d’engager de nouveaux pourparlers touchant notamment à la nécessité d’un dialogue stratégique durable, à la maîtrise des armements, notamment nucléaires, au désarmement, aux conditions générales d’un nouvel ordre de sécurité collective en Europe. Il faudra montrer qu’on a bien compris cette page d’histoire de 30 années de confrontations.

Dans cet esprit, la question du « périmètre » de l’OTAN, donc de l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance Atlantique doit être posée comme un enjeu majeur. Veut-on exacerber encore les confrontations stratégiques par une telle adhésion, ou bien faut-il chercher, à l’inverse, une stabilisation garantissant un épuisement maximum des causes du conflit ?

Élargir le processus politique de règlement à ces grandes questions ne complique pas les négociations. Elle les situe au niveau nécessaire, au niveau de l’ensemble des enjeux globaux caractérisant cette guerre qui, dès le départ fut en réalité, et quoiqu’on en dise, un conflit OTAN / Russie.

Un processus devant conduire à une solution juste doit donc avoir pour visée essentielle d’apporter des réponses fondatrices d’une nouvelle situation, pour l’ensemble des questions posées. L’histoire montre, en effet, que les problèmes non réglés (ils sont nombreux) contribuent à l’accumulation des bombes politiques à retardement. Et celles-ci finissent toujours par exploser. C’est le résultat inévitable des affrontements de puissances et des politiques de force qui créent des contextes dans lesquels la diplomatie et le multilatéralisme ont bien du mal à survivre. Si l’on parvenait demain à une solution politique acceptable à cette guerre, alors on pourra dire qu’une avancée aura malgré tout, en dépit de la tragédie, été accomplie avec la démonstration de ce que peut accomplir la diplomatie et le politique contre la force. Mais non seulement le prix à payer est exorbitant, injustifiable, mais en plus cette sale guerre n’est pas terminée. Dans les jours, dans les semaines et les mois qui suivent, il faudra juger l’action des États, des gouvernements et des responsables politiques à l’aune des efforts qui seront accomplis par eux pour en finir avec la guerre. Pour le peuple ukrainien. Pour la dignité humaine… et pour leur propre honorabilité. 01 03 2023