Europe: le mirage politique d’Emmanuel Macron.

Le discours prononcé à la Sorbonne par Emmanuel macron mérite mieux que les appréciations diverses qu’on a pu lire ici et là. Pour certains, le rappel de quelques beaux principes appelle un jugement positif ou équilibré. D’autres, plus enthousiastes encore, estiment que le bon chemin serait enfin pris pour redonner l’élan nécessaire à la construction européenne. Qu’en est-il sur le fond ?

Voilà maintenant qu’on le présente comme l’homme qui parle de l’Europe « avec du souffle, de l’enthousiasme et de l’optimisme » (1). Celui qui ose et qui propose. Il aurait même – dit-on – « historiquement raison » (2)… Il faut avoir le jugement bien faible et la mémoire bien courte pour placer la barre aussi haut et pour se sentir ainsi enivré par le discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe. Le cadre savant et prestigieux de la Sorbonne ne fait pas disparaître la réalité : dans son inspiration et son sens ce discours est à la fois vieux et trompeur. Comme à la tribune des Nations-Unies, E. Macron nous a servi un « mirage » politique.

Certes, avec une habileté consommée, E. Macron sait transformer de vieilles conceptions politiques en « innovations radicales »… à l’image – dit-il – des « réformes inédites » engagées en France… L’Europe d’ E. Macron, est cependant beaucoup plus triviale que ne le laissent entendre ces formulations de tribune. Tout ce qu’il propose relève non pas d’une volonté quelconque de « refondation », mais de la reprise, de la reproduction de ce qui s’est déjà fait depuis des dizaines d’années. C’est à dire tout ce qui, dans l’accumulation des régressions, a provoqué la crise existentielle de la construction européenne et son rejet populaire massif. Ce n’est pas en invoquant une Europe « par et pour le peuple », sans le moindre argument concret, que les citoyens de France et d’Europe pourront se laisser convaincre. Comment la poursuite de ce qui a si brutalement échoué pourrait-elle maintenant réussir ? Ce n’est en tous les cas pas de cette façon que l’on peut avoir « historiquement raison ».

L’Europe est une idée, dit encore E. Macron. Certes, mais il appelle à « ne pas nous laisser arrêter par la forme que lui donne les circonstances historiques. Car cette forme passe, mais l’idée demeure ». C’est là, justement, que réside le problème. Quelle est cette forme, dont il parle ? .. C’est le contenu réel, ce sont les politiques communes, les institutions mises en place, les règlements, les directives communautaires, le droit européen… Bref, cette « forme » c’est tout ce que les citoyens de France et d’Europe, dans leur majorité, subissent et rejettent. C’est cette « forme » de construction qui, en vérité, a fini par tuer l’idée.

Cette « forme » qui a tué l’idée…

Emmanuel Macron fait allusion à l’histoire et à la guerre. Il en tire un enseignement : « l’idée a triomphé des ruines », affirme-t-il … Mais c’est justement à cause de cette « forme » de construction, choisie après la deuxième guerre mondiale et poursuivie dans les règles du capitalisme et les contraintes de l’atlantisme, que l’idée est aujourd’hui en ruine. Ce qui manque le plus aujourd’hui, c’est donc de nouvelles idées, pour de nouvelles « formes », avec l’ambition d’une rupture véritable et d’un projet totalement différent dans ses principes de base et dans son ambition. La reprise du mot « refondation », utilisé maintenant par la quasi totalité des forces politiques pour se distancier de l’échec et des rejets populaires, ne fera pas illusion.

Avec le ton qui sied à l’autorité E. Macron dit aussi : « je ne laisserai rien, rien à toutes celles et ceux qui promettent la haine, la division ou le repli national. Je ne leur laisserai aucune proposition ». Voilà qui est bien envoyé. Cependant, le premier problème de l’Union aujourd’hui… c’est elle-même. C’est, toujours, cette « forme » de la construction qui, à force de chômage, d’inégalités et d’espoirs déçus, a fini par susciter les replis et nourrir les nationalismes… Jusqu’aux forces de l’extrême droite et du racisme. Les divisions, les haines, les dangers sont un effet congénital de cette construction européenne. Les replis et les nationalismes ont des causes. Ils sont le fruit de responsabilités inhérentes au processus actuel de la construction européenne. Ce sont donc bien les politiques européennes qu’il faut très concrètement changer. Et ne pas laisser entendre – durant une heure et demie de discours – que les mêmes idées et les mêmes conceptions pourraient ouvrir un autre avenir. Qui peut le croire vraiment ? Et pourtant, E Macron ne dit rien qui ne soit le prolongement de ce qui se fait depuis des dizaines d’années.

Il reprend, par exemple, l’exigence de la « convergence ». Utiliser ce concept politique de « convergence » n’est pas innocent en Europe. Dès les années 80, en effet, cette thématique était au cœur des débats et des projets qui donneront plus tard les critères de Maastricht et le Pacte de stabilité, c’est à dire les mécanismes et les contraintes qui constituent le néolibéralisme européen, les règles anti-sociales et le processus sans fin de l’austérité. De cela, E. Macron ne dit rien. C’est ce qui constitue le point le plus faible et surtout le côté le plus trompeur de son discours.

E. Macron soulève, en fait, un grand nombre de questions. Il est vrai, maintenant, que tout fait problème en Europe. Il cite, en premier lieu, l’enjeu de la sécurité qu’il définit comme « fondement de toute communauté politique ». Il invoque les « fragilités » de l’Union et le terrorisme. Certes, mais la réponse essentielle qu’il apporte immédiatement est celle de la Défense européenne en proposant rien moins que la poursuite et le renforcement de ce qui a déjà été mis en place de Conseils en Sommets depuis des lustres. Comme si la primauté de l’exercice de la force pour des opérations militaires à l’extérieur étaient LA solution alors que son Ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, quelques jours auparavant, explique devant le Conseil de Sécurité, que ces opérations coûtent trop cher et ne sont pas efficaces… Elles créent donc, selon le Ministre, une situation « qui n’est plus tenable ». Qu’importe… E. Macron insiste et propose de bâtir une « culture stratégique commune », gage, selon lui, d’une crédibilité européenne. Mais pour obtenir une culture stratégique commune il faut au moins des éléments de politique étrangère collective, des valeurs et des visions convergentes du monde. Avec qui ?.. Avec l’OTAN, ses visées hégémoniques  et ses logiques de puissance ? Avec les dérives fascisantes des régimes de Hongrie et de Pologne ? Faut-il vraiment endosser tout cela ?

Atlantisme congénital et normalisation néolibérale

Soulignons qu’aujourd’hui – autre exemple – nombreux sont les observateurs, les acteurs sociaux, les responsables politiques conscients de l’origine sociale (au sens large) des crises, des tensions, de la violence politique, des migrations massives. Un rappel devient donc indispensable. En 1975, la Communauté européenne a signé avec les pays dits ACP (d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique) ce qu’on appelle la Convention de Lomé : un accord qui contenait des dispositions dites non-réciproques, c’est à dire au bénéfice premier des ACP, afin de favoriser leur développement. Par exemple, un fond de stabilisation des cours des produits de base (le « Stabex »)… La Convention de Lomé, ce n’était pas le Pérou, si l’on peut dire… mais c’était l’esprit de ce temps là. En 1995, l’UE a établi avec les PSEM (Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée), c’est à dire l’ensemble des pays du monde arabe, un partenariat avec des coopérations comportant la même ambition d’aide au développement. Dès le début des années 2000, ces deux projets ont été littéralement laminés, normalisés à partir des critères du néolibéralisme afin de les transformer en cadres institutionnels pour des zones de libre-échange. Au bénéfice du capital privé, des PME et des grands groupes européens d’abord. Exit l’ambition des projets conçus pour la maîtrise du développement. Place à la libéralisation et à la déréglementation.

Ce scandale néocolonial souligne la responsabilité européenne la plus récente dans la crise au Sud, dans la crise du mode de développement et de l’ordre international. Est-ce qu’il n’y a pas, ici aussi, un grand et grave sujet de réflexion et d’élaboration pour de nouveaux rapports de partenariat et d’intérêt réciproque avec l’ensemble des pays qu’on appelle encore « en développement » ? Les dirigeants européens pourront disserter longtemps sur la problématique des réfugiés en multipliant les mensonges sur leur désir d’accueillir les étrangers… Tant que cette réalité des rapports de domination, tels qu’ils ont été institutionnalisés et aménagés par les pays de l’UE, pourront subsister, rien de fondamental ne pourra changer.

E. Macron s’inscrit bel et bien dans cette vision là. Il affirme nécessaire, en effet, de « maîtriser nos frontières », de mettre en place une « police des frontières » et, dans le droit fil de ce qui se fait depuis des années, reconduire ceux qui, selon lui, n’auraient pas le droit de rester. La politique de l’UE vis à vis des migrants, on le sait, n’a cessé de se préciser très négativement au cours des années avec l’affirmation d’un double « standard » désastreux permettant de distinguer ceux qui auraient (éventuellement) un droit d’asile et ceux qui doivent être refoulés grâce à la mise en œuvre de dispositifs sécuritaires et policiers adaptés. C’est cette politique là qu’ E. Macron annonce vouloir mettre en œuvre, entérinant ainsi la poursuite – comment dit-il ?.. – d’un repli souverainiste qu’il prétend combattre par ailleurs.

On pourrait ainsi poursuivre la lecture du discours d’ E. Macron sur l’Europe, en décryptant les éléments de langage significatifs d’une conception dont tous les principes de base, les idées, les paramètres, par exemple ceux de la « concurrence » ou de la « puissance », constituent à la fois l’héritage direct du passé et l’origine de la crise existentielle de la construction européenne. En politique, il est difficile d’être crédible en faisant du neuf avec du vieux, en promettant des réussites avec les recettes de l’échec. Sauf à mentir devant son public. Mais cela n’a qu’un temps.

1) « L’Europe rêvée d’Emmanuel Macron », Le Monde, éditorial du 28 09 2017.

2) « Macron a raison de mettre l’ambition européenne au cœur de son projet », Jean-Louis Bourlanges, Le Figaro, 28 09 2017.

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